Stratégie de la conduite des examens chez le patient polyvasculaire

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Introduction :

La motivation d’une consultation en chirurgie vasculaire est dans la plupart des cas un symptôme dont l’origine est un ou plusieurs territoires artériels.

Quelle que soit la cause de ce symptôme :

athérosclérose ou maladie inflammatoire, il n’est pas rare que d’autres territoires artériels soient intéressés de façon asymptomatique et le rôle du chirurgien sera de faire le bilan d’extension exacte de la maladie afin de ne pas passer à côté d’une lésion sévère mais cliniquement muette.

Stratégie de la conduite des examens chez le patient polyvasculaire

Il est donc important de bien connaître les différentes localisations de la maladie sous-jacente, afin de prescrire de façon judicieuse tant sur la plan clinique qu’économique les différent examens complémentaires permettant un « état des lieux vasculaire » du patient.

Nous nous appliquerons ici à traiter l’épidémiologie des différentes atteintes vasculaires liées à l’athérosclérose, ainsi que le rôle des différents facteurs de risque sur la localisation des lésions.

Enfin nous tenterons de proposer une conduite à tenir simple, en fonction du motif de consultation, afin de proposer le bilan d’extension le plus logique sur le plan clinique, épidémiologique et donc économique.

Facteurs de risque :

A – LÉSIONS CORONARIENNES :

Les nombreuses études autopsiques réalisées sur le sujet dans les années 1970 ont permis de montrer que : le taux de HDL (high density lipoprotein) cholestérol est inversement proportionnel au risque de sténose coronarienne alors que le taux de LDL (low density lipoprotein) cholestérol est directement proportionnel.

Il y a une corrélation directe entre le taux de cholestérol sanguin total, les pressions artérielles systolique et diastolique, ainsi que le fait d’être un individu de sexe masculin et le risque d’atteinte coronarienne.

Dans un cas, on a pu montrer la relation entre athérosclérose coronarienne et acide urique.

Les autres facteurs de risques restent sujets à controverse quant à leurs corrélation avec l’atteinte coronarienne.

Cacoub et Godeau rapportent, dans une revue de la littérature traitant des facteurs de risque d’oblitération aorto-iliaque, le nombre d’études trouvant une différence significative sur le nombre total d’études réalisées sur la corrélation des facteurs de risque et des localisations de la maladie athéroscléreuse.

Ces auteurs déclarent comme étant les principaux facteurs de risque d’atteinte coronarienne : les dyslipidémies, l’hypertension artérielle (HTA), le tabac et le diabète. Fabiani, quant à lui, ajoute à cette liste : le stress, l’hérédité, le sexe masculin, le niveau d’exercice physique.

Chacun s’accorde cependant à dire que la chance de mourir d’atteinte coronarienne est plus liée au nombre d’artères atteintes qu’au nombre de facteurs de risque, et que les autres localisations de la maladie athéroscléreuse sont plus fréquentes chez un patient ayant des coronaires atteintes.

B – AORTE THORACIQUE ET ABDOMINALE :

L’athérosclérose touche plus fréquemment l’aorte abdominale que l’aorte thoracique, et plus l’âge augmente plus les lésions sont graves.

Les facteurs de risque corrélés avec l’atteinte aortique sont superposables à ceux corrélés avec l’atteinte des coronaires, à cela près que le ratio hommes / femmes dans les atteintes aortiques est inférieur à celui des atteintes coronariennes.

C – CAROTIDES :

En cas d’atteinte carotidienne, le danger est de développer un accident vasculaire cérébral (AVC) dont le risque est strictement proportionnel à la pression artérielle.

Les facteurs de risque corrélés à l’atteinte carotidienne (surtout la carotide interne) ont été étudiés, et la différence a été faite entre sténose et occlusion carotidienne.

Le tabac, les antécédents familiaux d’AVC, l’obésité, l’HTA, le diabète ainsi que le cholestérol sanguin total et la triglycéridémie sont les plus corrélés au risque de sténose de la carotide interne.

Le risque d’occlusion, quant à lui, est plus corrélé au tabac et au diabète.

Les degrés de liaisons épidémiologiques entre les différents facteurs de risque et la localisation de l’athérosclérose ont été comparés, et l’on remarque que le diabète est le facteur dont le risque est le mieux corrélé avec l’atteinte carotidienne, alors que l’HTA est plus corrélée avec l’atteinte coronarienne.

D – ARTÈRES DES MEMBRES INFÉRIEURS :

Cacoub et Godeau rapportent que le tabac, l’âge et l’HTA sont les plus corrélés au risque d’oblitération aorto-iliaque chronique d’origine athéromateuse.

L’étude de Framingham a évalué, de façon prospective en suivant 5 209 patients, la liaison épidémiologique du diabète, de l’HTA, du cholestérol sanguin total et du tabagisme sur l’incidence de l’angor, de l’artérite des membres inférieurs et des AVC.

Cette étude a conclu que ces quatre facteurs de risque étaient très fortement corrélés aux trois maladies, avec une nette prédominance pour les AVC et l’artérite des membres inférieurs, alors que pour l’atteinte coronarienne l’HTA et le cholestérol sanguin total présentaient une corrélation plus forte.

Associations lésionnelles :

L’athérosclérose touche tous les territoires artériels, et lorsqu’un territoire est atteint de façon symptomatique d’autres peuvent l’être de façon asymptomatique.

A – EN CAS DE LÉSIONS CORONARIENNES :

L’athérosclérose des autres gros troncs artériels est significativement augmentée par rapport à une population témoin indemne d’atteinte coronarienne.

Il est cependant nécessaire de passer en revue, un à un, les différents territoires artériels.

1- Association avec les carotides :

Les travaux réalisés sur l’association « carotides-coronaires » montrent que les deux sites d’athérosclérose évoluent de façon différentes.

Il semble que l’athérosclérose coronarienne apparaisse en moyenne 20 ans avant l’athérosclérose cervicocéphalique.

Ainsi, de nombreux travaux ont conclu que s’il était normal de trouver des lésions coronariennes chez un patient ayant des lésions carotidiennes, l’inverse n’était pas forcément vrai.

Cependant Becker rapporte dans la revue d’une vingtaine d’études totalisant plus de 36 000 patients qu’en cas d’atteinte coronarienne, des lésions carotidiennes supérieures à 50 % étaient retrouvées (par des tests non invasifs) dans une fréquence variant de 2 à 39% des cas.

Des lésions carotidiennes inférieures à 70 % étaient retrouvées dans 2,8 à 8,7 % des cas, les chiffres extrêmes étant les résultats rapportés par Hertzer et Faggioli.

Gallimard, quant à lui, rapporte des résultats beaucoup plus importants mais sur une série plus petite (50 malades coronariens comparés à 40 malades témoins).

Il montre en effet que 70 % des malades présentaient des lésions carotidiennes, dont 10 % étaient sévères.

Il semble cependant que la lecture de toutes ces études montre que plus la série compte un grand nombre de malades, plus le pourcentage de patients présentant une atteinte carotidienne diminue.

Quelle est l’attitude à prôner devant une atteinte coronarienne, en vue de dépister une éventuelle localisation carotidienne ?

Il faut savoir si le chirurgien doit uniquement évaluer le risque préopératoire chez un malade nécessitant un geste sur les artères coronaires, ou s’il se doit de rechercher à tout prix une autre localisation de l’athérosclérose.

Becker rapporte huit études totalisant 10 421 malades ayant eu une circulation extracorporelle (CEC) pour chirurgie coronarienne où les taux d’accident ischémique transitoire (AIT) ou d’AVC variaient de 0,51 à 5,61 %.

Une chirurgie combinée carotide-coronaire est envisageable sans que la morbidité ou la mortalité soit considérablement augmentée.

Il semble qu’il faille donc, du fait des contraintes économiques de la médecine moderne, sélectionner au mieux les patients coronariens à qui il faudra effectuer une exploration carotidienne.

Ainsi Hertzer et son équipe définissent les critères de sélection suivants : âge supérieur à 50 ans, existence de souffle cervical, et / ou antécédent(s) neurologique(s) focaux.

Salasidis a étudié, sur une population de 387 patients devant avoir une revascularisation coronarienne non urgente, la fréquence d’une atteinte carotidienne sévère.

Une échographie doppler systématique a montré que 8,5 % de ces patients présentaient une sténose de la carotide interne supérieure à 80 %.

Cette étude sélectionne une population à haut risque chez qui il faut proposer une échographie doppler des troncs supra-aortiques avant une revascularisation coronarienne : âge supérieur à 60 ans, présence d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, antécédent d’endartériectomie carotidienne.

Les critères de ces deux études sont concordants et montrent que : l’âge, le symptôme ou les antécédents neurologiques, ainsi qu’une autre localisation de l’athérosclérose constituent des facteurs de forte probabilité d’atteinte carotidienne associée à l’atteinte coronarienne.

L’examen à prescrire sera, alors, une échographie doppler des troncs supra-aortiques, suivie d’une artériographie si l’on envisage un geste sur les carotides.

2- Association aux lésions aortiques :

Dans une étude portant sur 1 735 patients ayant bénéficié d’un pontage coronarien, 8,8 % étaient atteints d’athérosclérose de l’aorte ascendante, mais seulement 2 % d’entre eux présentaient une atteinte sévère.

L’association de lésions coronariennes à un anévrisme de l’aorte abdominale semble plus fréquente puisque Gallimard rapporte, dans sa série de malades coronariens, que 20 % d’entre eux présentaient une dilatation de l’aorte abdominale alors que 7,5 % seulement des sujets témoins en étaient atteints, ce dernier chiffre se rapprochant de celui du risque d’anévrisme de l’aorte abdominale dans la population générale estimé entre 1,8 et 6,6 %.

La fréquence des anévrismes de l’aorte abdominale chez le coronarien est plus élevée que dans la population générale.

Cependant, il n’est pas licite d’effectuer une échographie abdominale chez tous les patients coronariens.

Il faut sélectionner une population à haut risque.

Il a été prouvé, dans une population de sujets masculins tabagiques d’âge supérieur à 60 ans, ayant un antécédent d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs ou une atteinte carotidienne, que le surcoût entraîné par une échographie abdominale à la recherche d’un anévrisme de l’aorte abdominale était négligeable en comparaison du bénéfice obtenu en terme de santé publique.

C’est à cette population, lorsqu’elle viendra consulter pour un problème coronarien, qu’il faudra proposer une échographie abdominale à la recherche d’un anévrisme de l’aorte.

3- Association à l’artérite des membres inférieurs :

On a vu que les facteurs de risque d’artérite des membres inférieurs ne sont pas forcément les mêmes que ceux qui prédisposent aux atteintes coronariennes, cependant il semble que le malade coronarien ait plus de risque que le malade témoin d’être atteint d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs.

Gallimard rapporte, dans sa série comparant des malades coronariens à des malades témoins, que 58 % des coronariens présentaient une atteinte des membre inférieurs dont 16 % sévère, alors que 12,5 % des témoins étaient touchés sans aucune atteinte sévère.

Ces résultats permettent de mieux appréhender le fait que la maladie coronarienne n’est qu’un manifestation locale d’une maladie générale.

Le médecin et / ou le chirurgien vasculaire ne doivent pas ignorer les différentes associations, afin de faire le diagnostic le plus complet possible.

Enfin, il semble, à la lecture de ces différentes études, qu’outre l’interrogatoire et l’examen clinique, l’échographie doppler soit l’examen le mieux adapté au bilan d’extension vasculaire de la maladie coronarienne.

B – EN CAS DE LÉSIONS CAROTIDIENNES :

L’association lésions carotidienne-autres territoires artériels a été très largement étudiée sur le plan épidémiologique, notamment l’association carotides-coronaires.

L’atteinte carotidienne ne représente pas un risque chirurgical majeur.

Les interventions sur la carotide, que certaines équipes réalisent sous anesthésie locorégionale, sont souvent des procédures courtes sans grand retentissement sur les grandes fonctions du patient.

Ainsi, en cas d’atteinte carotidienne, de nombreuses équipes réalisent un bilan d’extension minimal surtout à la recherche de lésions coronariennes qui peuvent venir grever le pronostic.

Le groupe ARCHIV, au cours d’une étude ayant porté sur 648 malades et 710 interventions sur les carotides, a montré que : l’âge, le sexe, les antécédents cardiaques ou le diabète n’ont pas augmenté de façon significative la morbidité ou la mortalité précoce. Pour ce groupe, seul des facteurs locaux ou l’HTA interviennent dans le risque opératoire.

1- Association à une atteinte coronarienne :

On sait que l’incidence de l’atteinte coronarienne chez les malades adressés pour le traitement chirurgical d’une atteinte carotidienne est très élevée.

L’espérance de vie à long terme de ces malades est fortement grevée en cas d’atteinte coronarienne, puisque l’infarctus du myocarde est responsable de 50 à 70 % des décès tardifs. Par ailleurs, si l’endartériectomie carotidienne diminue considérablement le risque de survenue d’AVC, la mortalité à long terme de ces patients demeure élevée et est principalement due à des événements sans rapport avec l’atteinte carotidienne.

Newman, en 1988, relevait au cours d’une revue de la littérature 41 études ayant portées sur le sujet.

Il montre qu’environ 50 % des malades ayant des lésions carotidiennes à opérer présentaient des lésions coronariennes symptomatiques.

Dans une récente étude, Mackey a identifié la population à risque coronarien dans une cohorte de 614 patients devant être opéré d’une sténose carotidienne.

La population a été divisée en deux groupes et la survie a été étudiée à 30 jours, 5 ans, 10 ans et 15 ans.

Le groupe I regroupait les patients avec des antécédents coronariens et le groupe II celui sans antécédent, on distinguait dans ce dernier groupe : le sous-groupe IIa, patients avec des facteurs de risque et le sous-groupe IIb, patients sans facteur de risque. La survie à 30 jours était identique dans les deux groupes.

Ce n’est qu’au bout de 3 ans d’évolution que les différences apparaissaient :

La survie dans le groupe I était inférieure à celle du groupe II et la principale cause de surmortalité était d’origine cardiaque.

La différence de mortalité dans les sous-groupes IIa et IIb n’apparaissait qu’au bout de 5 ans d’évolution, en faveur du sous-groupe IIb.

Cette étude a, par ailleurs, montré que chez les patients ayant une maladie coronarienne avérée, en plus d’une atteinte carotidienne, le traitement interventionniste des lésions coronariennes (chirurgie ou angioplastie) ramenait l’espérance de vie de cette population à haut risque à celle des patient atteints d’une sténose carotidienne sans atteinte coronarienne et sans facteur de risque.

Mackey a donc proposé un algorithme d’évaluation de l’atteinte coronarienne chez les patients devant être opérés d’une lésion carotidienne.

L’évaluation se fera par un test d’effort qui, s’il est positif, sera complété par une coronarographie.

2- Association à un anévrisme de l’aorte abdominale :

L’incidence des anévrismes de l’aorte abdominale, chez les patients présentant une sténose significative d’une ou des carotides, semble être supérieure à celle retrouvée dans la population générale lorsque celle-ci n’est pas sélectionnée selon des critères particuliers.

On estime la fréquence des anévrismes de l’aorte abdominale, chez les patients ayant une atteinte carotidienne à 11 %, alors qu’elle serait de 1 à 2% dans la population générale tout-venant.

Les études réalisées sur l’association carotides-anévrisme de l’aorte abdominale montrent qu’il est intéressant, tant sur le plan épidémiologique que sur le plan économique (faible surcoût), de rechercher un anévrisme de l’aorte abdominale dans le bilan d’une sténose carotidienne, soit au cours de l’échographie soit au cours de l’artériographie préopératoire.

Par ailleurs, les analyses mettent en évidence une corrélation étroite entre la sévérité du degré de la sténose carotidienne et le risque d’anévrisme de l’aorte abdominale.

La sélection des patients, chez qui il faudra rechercher un anévrisme de l’aorte, se fait alors d’autant plus facilement que les risques épidémiologiques propres aux anévrismes sont connus : population masculine d’âge supérieur à 60 ans atteinte des facteurs de risque classiques de l’athérosclérose.

C – EN CAS D’ANÉVRISME DE L’AORTE ABDOMINALE :

1- Association à une atteinte coronarienne :

Il est maintenant clairement établit que la fréquence des anévrismes de l’aorte abdominale est en nette augmentation dans la population générale.

Elle est estimée entre 1 et 2 %, et peut aller jusqu’à 5 % lorsque la population est sélectionnée en fonction des facteurs de risque ou des autres localisations de l’athérome.

Chez les patients atteints d’un anévrisme de l’aorte abdominale, l’espérance de vie est diminuée par rapport à une cohorte comparable de la population générale.

Le traitement de référence est la mise à plat greffe pour les anévrismes dont le diamètre est supérieur ou égal à 5 cm.

La mortalité de cette intervention, en dehors de l’urgence, varie entre 2 et 5 %.

Le problème majeur est la morbi-mortalité cardiaque qui est responsable de 70 % des décès périopératoire et de 40 à 50 % des décès tardifs.

La fréquence de l’atteinte coronarienne en cas d’anévrisme de l’aorte abdominale est diversement apprécié par les auteurs. Hertzer, dans une étude où était réalisée systématiquement une coronarographie préalable à une chirurgie vasculaire, rapportait que 36 % des patients ayant un anévrisme de l’aorte abdominale avait une atteinte coronarienne sévère, et que seul 17 % de ces patients avait une symptomatologie coronarienne.

Tomatis, dans le même genre d’étude, mais sur une série de 100 patients, rapportait le chiffre de 47 %.

Récemment, Valentine a mis en évidence le risque d’atteinte coronarienne, lorsque la sténose d’une ou des deux artères rénales était méconnue chez des patients atteints d’un anévrisme de l’aorte abdominale.

Trois cent quarante-six aortographies ont été revues, et l’on a retrouvé 28 % de sténoses supérieures à 50 % d’une ou des deux artères rénales qui étaient passées inaperçues.

Chez ces patients, on comptait 58 % d’atteintes coronariennes sévères, alors que seul 39 % des patients indemnes de sténose de l’artère rénale avaient des lésions coronariennes.

L’analyse de régression logistique a permis de corréler, à une forte probabilité d’atteinte coronarienne, trois variables : l’anévrisme de l’aorte abdominale, la sténose de l’artère rénale et l’HTA.

La stratégie de quantification du risque cardiaque avant chirurgie de l’aorte a trois intérêts :

– identifier les patients chez qui le risque cardiaque est trop élevé pour envisager une chirurgie aortique ;

– identifier et traiter une atteinte coronarienne avant une chirurgie de l’aorte afin de faire diminuer le risque de cette dernière ;

– identifier les patients chez qui un monitorage cardiaque intensif sera bénéfique en peropératoire de la chirurgie aortique.

La prescription d’examens à visée diagnostique ne se discute donc pas, cependant il faut choisir l’examen avec les meilleures valeurs prédictives et de spécificité, tout en restant économiquement crédible.

Baron et al, dans leur étude portant sur 457 patients chez qui on effectuait préalablement à la chirurgie aortique une scintigraphie thalium-persantine, concluent à la non-justification de cet examen, du fait de mauvaises spécificités et valeurs prédictives positives.

Notre attitude, pendant 10 ans à Broussais, a été d’adopter le schéma suivant :

– le patient a des antécédents d’angor avéré ou a des stigmates d’une nécrose ancienne sur son électrocardiogramme (ECG), parfois passée inaperçue, la coronarographie est alors toujours demandée ;

– le patient est totalement asymptomatique, le but est d’éliminer une lésion coronaire dont la décompensation périopératoire fait courir un danger d’infarctus ou de mort (tronc commun, sténose de l’artère interventriculaire antérieure (IVA) proximale, atteinte tritronculaire).

On se dirige alors vers les examens non invasifs, couplés si possible, à des manoeuvres d’efforts.

Ce n’est qu’en cas de positivité de ces derniers que l’on demandera une coronarographie. Malheureusement les épreuves d’efforts ne sont pas à la hauteur de la fiabilité nécessaire :

– l’ECG d’effort est sans doute le plus fiable de ces examens, mais est souvent non contributif, voire impossible chez un malade claudicant ;

– la scintigraphie ne s’est pas révélée valable pour les atteintes coronaires latentes ;

– l’échographie de stress à la dobutamine n’est pas encore complètement validée, et n’est pas un examen totalement anodin.

Cette attitude n’étant pas parfaite, nous avons été conduits a réviser notre position et à proposer une nouvelle stratégie chez les patients atteints d’anévrismes de l’aorte abdominale et d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs nécessitant un geste de revascularisation.

La coronarographie est proposée dans le même temps que l’opacification de l’aorte et / ou des membres inférieurs :

– il n’y pas d’atteinte coronaire significative : le problème est alors résolu ;

– l’atteinte est tritronculaire, touche le tronc commun ou l’origine de l’IVA : la revascularisation s’impose et sera souvent le premier temps du programme de traitement ;

– Il existe une atteinte mono- ou bitronculaire : il faudra, alors, faire la preuve de l’ischémie et les épreuves d’efforts évaluant l’état de la réserve myocardique prennent toute leur place (scintigraphie).

Au terme de ce bilan, soit un traitement médical, soit une revascularisation (chirurgicale ou par angioplastie) sera indiqué.

2- Association avec une artérite des membres inférieurs :

Cette association est extrêmement fréquente (surtout si l’anévrisme est aorto-iliaque), environ 85 % des cas, et justifie systématiquement un doppler des axes vasculaires des membres inférieurs.

En cas de positivité de celui-ci, une opacification des membres inférieurs se fera dans le même temps que l’aortographie.

En effet, il n’est pas rare de trouver des anévrismes aorto-iliaques, à très haut potentiel emboligène et nécessitant, en association avec la cure de l’anévrisme, un geste sur les artères iliaques.

3- Association avec une atteinte carotidienne :

Une atteinte carotidienne sera systématiquement recherchée par un doppler des troncs supra-aortiques dans le bilan préopératoire des anévrismes de l’aorte abdominale.

L’anévrisme de l’aorte abdominale est une atteinte assez tardive dans la pathogénie de l’athérosclérose.

Il s’associe donc très fréquemment avec l’atteinte des autres territoires ; de plus, la chirurgie des anévrismes de l’aorte abdominale comporte des risques assez importants nécessitant la recherche systématique d’autres localisations de l’athérosclérose.

L’association anévrismeautres localisations ne pose donc que peu de problème sur le plan épidémiologique.

D – EN CAS D’ARTÉRITE DES MEMBRES INFÉRIEURS :

L’artériopathie oblitérante des membres inférieurs a récemment fait l’objet d’une conférence de consensus de l’American Heart Association (AHA).

Ce travail, reposant sur l’analyse critique de 294 références de la littérature, insiste sur le fait que l’artérite n’est qu’une manifestation locale d’une maladie générale.

Ainsi, l’épidémiologie et le devenir d’une population âgée de plus de 55 ans a été précisée dans cette étude.

1- Association avec une atteinte coronarienne :

C’est, encore une fois, la relation la plus importante à rechercher, car elle représente le risque le plus élevé de mortalité précoce et tardive en cas de chirurgie de l’artérite.

Les études qui ont cherché systématiquement une atteinte coronarienne chez les patients artéritiques tout-venant, symptomatique ou asymptomatique sur le plan coronarien, montrent qu’entre 10 et 34 % de ces patients présentent une atteinte significative d’une ou plusieurs artères coronaires.

Ces résultats sont assez épars, car les méthodes de dépistage des atteintes coronariennes sont différentes à chaque fois : épreuve d’effort ou scintigraphie au thalliumpersantine.

Dans une autre étude on a effectué des coronarographies systématiques à tous les patients entrant pour une artérite des membres inférieurs.

Cette étude a montré que 28 % des artéritiques présentaient une ou plusieurs atteintes coronarienne.

Ces auteurs ont montré que, lorsque la coronarographie était demandée alors qu’il n’y avait aucune suspicion clinique d’atteinte coronarienne, seuls 14 % de ces coronarographies étaient normales, alors que 4 % de ces coronarographies étaient normales lorsque les patients étaient symptomatiques.

Plusieurs auteurs ont, par ailleurs, démontré que la morbidité et la mortalité cardiaque dans le suivi des patients opérés de chirurgie infra-inguinale pour ischémie critique, était très supérieure à celle observée en cas de chirurgie aortique ou carotidienne.

Cela étant dû au fait que, chez les patients atteints d’ischémie critique, la moyenne d’âge et l’incidence des facteurs de risque (surtout le diabète) sont supérieures à celles observées dans les autres atteintes vasculaires.

L’attitude en vigueur à l’hôpital Broussais a été déjà décrite.

2- Association à un anévrisme de l’aorte abdominale :

Si l’association anévrisme-artérite est très fréquente (85 % des cas), l’association artérite-anévrisme l’est bien moins, puisqu’elle est estimée à environ 6 % des cas.

Il ne semble donc pas licite de proposer une échographie abdominale chez tous les patients atteints d’une artérite des membres inférieurs ; certains auteurs ont donc proposé de définir une population à haut risque d’association artérite-anévrisme mais sans grand succès.

Il semble donc que l’aortoartériographie proposée à tous ces malades dans le bilan préopératoire soit suffisante, et qu’il ne faille l’associer avec une échographie ou un scanner abdominal qu’en cas de suspicion d’anévrisme.

3- Association à une atteinte carotidienne :

Il semble que cette association soit plus fréquente que la précédente, puisque Kieffer l’a estimée à environ 15 % conduisant à 10 % d’intervention carotidienne dans une étude portant sur des malades ayant les lésions obstructives aorto-iliaques chroniques.

Cependant, il faut noter que dans la plupart des cas les malades avaient des antécédents d’AIT ou d’AVC.

Il semble, encore une fois, qu’il faille privilégier le dépistage clinique et le recueil des antécédents carotidiens avant de proposer un doppler des troncs supra-aortiques.

Conclusion :

La connaissance de l’épidémiologie des lésions polyartérielles est importante à connaître, afin de proposer les investigations les plus appropriées à chaque localisation, cela afin d’éviter des examens inutiles dont certains peuvent entraîner des complications non négligeables.

La fréquence de certaines associations lésionnelles doit être connue par le médecin prescripteur.

Certaines prises en charge peuvent, en effet, être radicalement bouleversées du fait de la découverte d’une localisation asymptomatique de l’athérome.

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