Pneumopathie interstitielle

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La pneumopathie infiltrante aiguë est un mode de révélation rare de plusieurs pathologies pulmonaires. Le diagnostic étiologique repose en pratique clinique sur la convergence d’arguments épidémiologiques, cliniques et radiographiques. La tomodensitométrie thoracique et le lavage broncho-alvéolaire (LBA) sont les éléments clés de la démarche étiologique. Dans la majorité des cas, l’ensemble de ces examens apporte suffisamment d’arguments pour retenir le diagnostic avec une forte probabilité. Néanmoins, dans certains cas, le recours à la biopsie pulmonaire chirurgicale s’impose.

Observations :

Madame C., 46 ans, fonctionnaire, a des antécédents de tabagisme toujours actif, cumulé à 50 paquet-années, de surcharge pondérale (105 kg pour 1,66 m soit BMI à 38) et d’hypertension artérielle traitée par Verapamil. Elle présente depuis deux semaines une dyspnée, une fièvre associée à des frissons, une asthénie et une toux sèche, persistantes en dépit d’un traitement par ceftriaxone 2 g/j pendant 7 jours instauré en ville.

L’examen clinique objective une altération de l’état  général, la persistance d’une fièvre à 40° C, une asthénie, une anorexie, des sueurs nocturnes, une dyspnée stade II et la normalité de l’auscultation pulmonaire. La radiographie thoracique  met en évidence des opacités interstitielles bilatérales avec un aspect micronodulaire. La tomodensitométrie thoracique en haute résolution confirme la présence de multiples micronodules dispersés dans les deux champs pulmonaires prédominants dans la région supérieure. Un grand nombre de ces micronodules présente une clarté aérique centrale qui semble correspondre à la lumière d’une bronchiole dilatée. Il n’y a pas d’adénopathie médiastinale.

Au niveau biologique, les gaz du sang sont normaux. Il existe un syndrome inflammatoire modéré (CRP à 29 mg/l, VS à 29 mm à la 1re  heure). La numération formule sanguine et le bilan hépatique sont normaux. Les hémocultures sont stériles. Les sérodiagnostics de mycoplasma pneumoniae , chlamydia pneumoniae , legionella pneumophila , et des virus pneumotropes sont négatifs. L’électrophorèse des protéines sériques est normale. La sérologie VIH est négative. La recherche de bacille de Koch (BK) dans les crachats reste également négative. L’intradermo-réaction à la tuberculine (IDR) est inférieure à 5 mm. Les sérodiagnostics du poumon d’éleveurs d’oiseaux et du poumon du fermier sont négatifs. On note la découverte d’un diabète et d’une hypothyroïdie avec des anti-corps anti-thyroïdiens (Anti-thyroglobuline, Antithyroperoxydase).

Le bilan d’auto-immunité (ANCA, facteurs rhumatoïdes, anticorps antinucléaires) est négatif. Sur le plan fonctionnel respiratoire, on constate une insuffisance ventilatoire avec amputation de volume liée en partie à la surcharge pondérale, avec un VEMS à 1,7 litre (soit 63 % des valeurs théoriques), une CV à 2,11 l (soit 63 % des valeurs théoriques) et un rapport de Tiffeneau à 77 %. Le volume résiduel est à 2,46 l (soit 141 %). La capacité pulmonaire totale (CPT) est à 5,25 l (soit 101 % des valeurs théoriques) et la diffusion d’oxyde de carbone (DLCO) est à 18,5 ml/mmHg/min (soit 72 % de la valeur théorique), correspondant à un KCO à 78 %.

L’endoscopie bronchique ne montre pas d’anomalie macroscopique. Le lavage broncho-alvéolaire (LBA) retrouve une hypercellularité à 400 x 103  éléments, dont 94 % de macrophages, 2 % de lymphocytes, 1 % polynucléaires. L’immunomarquage CD1a est inférieur à 5 %. L’examen microbiologique est négatif. La biopsie transbronchique n’est pas contributive, objectivant des remaniements fibreux péribronchiques non significatifs.

L’évolution de notre patiente est marquée par une discrète amélioration des signes généraux et de la dyspnée sans traitement particulier, notamment sans corticothérapie. La patiente a arrêté de fumer dès son hospitalisation, son état s’améliore rapidement après la sortie.

Discussion :

Le tableau présenté est celui d’une pneumopathie interstitielle d’installation aiguë avec hyperthermie et altération majeure de l’état général, associée sur le plan tomodensitométrique, à la présence d’un infiltrat micro-nodulaire diffus. Ces micronodules ont des contours flous, certains sont excavés et prédominent dans les régions supérieures des poumons.

L’hypothèse infectieuse est initialement privilégiée, notamment une infection tuberculeuse compte tenu du caractère fébrile, des signes généraux importants et de l’aspect micronodulaire du scanner qui prédomine dans les lobes supérieurs. L’absence de contage dans l’entourage et l’état immunocompétent de notre patiente rendent cette hypothèse peu probable d’autant plus que l’IDR était négative et que le bacille de Koch n’a pu être isolé. Le pneumocoque reste le pathogène le plus fréquent chez les patients immunocompétents, mais l’aspect radiologique et l’absence d’amélioration sous traitement par une céphalosporine de troisième génération ne sont pas en faveur de ce diagnostic.

En revanche, la présentation clinique et radiologique de notre cas peut évoquer une pneumonie à germes intracellulaires ou apparentés malgré l’absence de signes extra respiratoires, notamment une pneumonie à Mycoplasme de par l’installation progressive d’une symptomatologie dominée par une toux sèche et une hyperthermie importante. L’aspect radiologique le plus fréquent de la pneumonie à Mycoplasme est celui d’opacités interstitielles bilatérales hilifuges. Les infections opportunistes ont la même présentation mais elles restent exceptionnelles chez le patient séronégatif au VIH. Une infection par le virus respiratoire syncytial est toujours possible en présence de signes radiologiques alvéolaires, mais elle est évoquée dans un contexte d’épidémie, ou chez un adulte immunodéprimé. Dans notre cas, les sérodiagnostics des virus pneumotropes sont restés négatifs. Certaines mycoses, comme l’aspergillose, l’histoplasmose, la coccidioïdomycose et la cryptococcose peuvent se présenter avec des images de micronodules pulmonaires.

L’aspergillus infecte plus volontier les sujets immunodéprimés, et les autres mycoses sont exceptionnelles en France et ne s’observent que chez des sujets originaires de ou ayant séjourné en zone d’endémie ; ce qui n’est pas le cas de notre patiente. Dans les infections respiratoires, le lavage broncho-alvéolaire retrouve une hypercellularité prédominée par les polyneutrophiles et peut mettre en évidence, à l’examen direct ou en culture, de nombreux agents infectieux comme le pneumocystis carini, l’aspergillus et les mycobactéries. Les bronchiolites se rencontrent au cours de certaines pneumopathies infiltratives. Lorsque celles-ci sont modérées, les bronchiolites n’ont pas d’expression clinique mais parfois, par leur développement, elles peuvent être au premier plan. La bronchiolite respiratoire du fumeur est souvent peu parlante sur le plan clinique. Cette affection est étroitement liée au tabagisme et la plupart des patients s’améliore avec l’arrêt du tabac. L’aspect TDM le plus caractéristique est celui de  nodules flous centrolobulaires avec opacités en verre dépoli.

Le LBA retrouve une alvéolite macrophagique comme dans le cas présent. Cependant, la présentation aiguë avec altération de l’état général et l’absence d’image en verre dépoli font évoquer d’autres hypothèses malgré la légère amélioration après l’arrêt de tabac.

Les pathologies néoplasiques doivent être discutées dans ce contexte d’asthénie importante, notamment les métastases excavées d’un cancer du sein, de la thyroïde ou du colon associées à une lymphangite carcinomateuse. La maladie de Hodgkin et les lymphomes non Hodgkiniens font partie de diagnostics différentiels, mais ils s’accompagnent souvent d’une alvéolite lymphocytaire et rarement d’images nodulaires excavées. La rapidité d’installation de la symptomatologie et son caractère suraigu nous amènent à rechercher une pathologie d’évolution rapide.

La présence de fièvre et de dyspnée associées à une altération rapide de l’état général évoque une pneumopathie d’hypersensibilité. L’histoire tabagique est habituellement absente dans cette entité. L’absence d’exposition à un allergène, d’anticorps sériques précipitants spécifiques, de verre dépoli homogène diffus en tomodensitométrie et d’alvéolite lymphocytaire au LBA ne plaident pas en faveur de ce diagnostic. La pneumopathie à éosinophiles mérite d’être discutée dans le contexte aigu avec retentissement majeur sur le plan général, mais l’absence de prédominance d’éosinophiles au LBA et au niveau sanguin suffit pour écarter cette hypothèse.

Une pneumopathie interstitielle diffuse d’installation aiguë avec des signes généraux et un tel aspect de micro-nodules excavés peut être la présentation initiale d’une connectivite ou d’une vascularite. Dans le lupus érythémateux aigu, la radiographie thoracique objective des infiltrats uni ou bilatéraux prédominant dans les lobes inférieurs, avec des épanchements pleuraux, et au LBA les macrophages alvéolaires apparaissent chargés d’hémosiderine. Cet aspect de bronchiolite est rare dans le lupus d’autant plus que les anticorps sont absents chez notre patiente. Les nodules intra-thoraciques dans la polyarthrite rhumatoïde sont classiquement rares.

Ils peuvent être présents même en l’absence de nodules souscutanés ; ils réalisent des opacités arrondies, denses, bien limitées, de 5 à 70 mm, parfois excavées, prédominant à la périphérie du poumon. Le LBA met en évidence une alvéolite avec prédominance de polyneutrophiles. Plusieurs de ces éléments manquent pour avancer cette hypothèse, d’autant plus qu’aucune manifestation extra-thoracique et en particulier articulaire n’est retrouvée. La maladie de Wegener reste peu probable dans notre cas compte tenu de l’absence d’ANCA d’atteinte nasale ou rénale.

L’histiocytose à cellules de Langerhans (histiocytose X pulmonaire) survient quasi-exclusivement chez des patients fumeurs (90 à 100 % des cas selon les séries), avec un tabagisme souvent important. La présentation clinique est polymorphe.

Dans environ 25 % des cas, la maladie est asymptomatique. Des signes généraux (fièvre, asthénie, amaigrissement), comme dans notre cas, sont observés dans environ 30 % des cas, habituellement associés aux symptômes fonctionnels et parfois à des signes extra-thoraciques. Le lavage broncho-alvéolaire montre une hypercellularité très nette, avec généralement une éosinophilie modérée, non spécifique.

La mise en évidence de cellules de Langerhans exprimant l’antigène CD1a+ a été proposée il y a quelques années comme moyen diagnostique de l’histiocytose langerhansienne pulmonaire, mais ces cellules sont également observées chez les fumeurs et dans la fibrose pulmonaire idiopathique. Si l’on retient le chiffre de 5 % de cellules CD1a+ comme seuil d’orientation diagnostique, la spécificité du test est très bonne. En revanche, leur sensibilité n’étant que de 25 %, leur absence en cas de forte probabilité clinique et radiologique n’élimine pas le diagnostic d’histiocytose.

L’alvéolite macrophagique et l’association d’images kystiques et réticulomicronodulaires prédominant dans les régions supérieures et moyennes des poumons sont des éléments indispensables pour étayer le diagnostic. Il en est ainsi du cas présenté, mais le seuil de CD1a+ était inférieur à 5 %, ce qui ne permet pas de retenir ce diagnostic notamment en l’absence d’autres manifestations extra-thoraciques de l’histiocytose et du fait de la présentation clinique suraiguë. D’autres diagnostics sont possibles, mais de probabilité moindre, comme la sarcoïdose. Le tableau clinique aigu et l’aspect cavitaire sont inhabituels au cours de la sarcoïdose.

Les démarches diagnostiques ont été complétées par une biopsie pulmonaire chirurgicale compte tenu de l’importance du retentissement clinique et de l’absence de diagnostic définitif, d’autant plus que la tuberculose et les néoplasies n’ont pu être écartées. La biopsie met en évidence une destruction du parenchyme pulmonaire et un remaniement inflammatoire et fibrineux. La coloration à l’HES objective un infiltrat inflammatoire riche en polynucléaires éosinophiles, lymphocytes matures, histiocytes, et en macrophages alvéolaires dont certains ponctués de pigments bruns. L’étude immuno-histochimique complémentaire retrouve un fort marquage des histiocytes tissulaires avec la Protéine S 100, correspondant à des cellules de Langherans. Les macrophages alvéolaires ne sont pas marqués par celle-ci, ils apparaissent fortement positifs avec le CD68. Ces données histologiques rendent certain le diagnostic d’une histiocytose pulmonaire. Deux mois plus tard, la tomodensitométrie thoracique de contrôle retrouve la régression quasi complète de la micronodulation.

Dans les pneumopathies infiltrantes diffuses (PID), un certain nombre d’éléments, lorsqu’ils sont présents, orientent d’emblée vers le diagnostic d’histiocytose pulmonaire : la survenue chez un sujet jeune pauci- ou asymptomatique ; la présence d’un pneumothorax qui peut être révélateur ; l’association d’un diabète insipide ; la normalité de l’auscultation pulmonaire ; un aspect radiographique thoracique réticulonodulaire prédominant dans les moitiés supérieures des deux champs pulmonaire, sans adénopathie mediastinale ; la  discordance entre l’importance des lésions scanographiques et le faible retentissement fonctionnel au repos ; et la présence d’un trouble ventilatoire obstructif qui est inhabituel dans le cadre des PID.

La tomodensitométrie pulmonaire en haute résolution TDM-HR permet de mieux définir les lésions élémentaires de la maladie, qui consistent en nodules à limites mal définies, dont certains cavitaires, et des kystes à parois épaisses ou fines. Ces éléments de topographie centrolobulaire sont disséminés dans les deux champs pulmonaires, distribués de façon homogène dans les territoires centraux et périphériques avec une prédominance apicale.

Les formes aiguës de pneumopathies infiltrantes diffuses sont caractérisées par l’installation en quelques jours d’une dyspnée progressive et d’opacités infiltrantes diffuses. Très souvent, le recueil minutieux de l’anamnèse, l’analyse précise du scanner et la formule du LBA permettent de porter un diagnostic avec un niveau de preuve suffisant pour entreprendre un traitement. Parfois cependant, le recours aux prélèvements histologiques est indispensable.

Conclusion :

La particularité de ce cas d’histiocytose pulmonaire langerhansienne repose sur deux éléments : le premier est le caractère floride des manifestations cliniques tant sur le plan respiratoire que sur le plan général, le second est l’amélioration clinique rapide en quelques semaines après l’arrêt du tabac.

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