Dissections aiguës de l’aorte : physiopathologie et diagnostic Cours de Chirurgie
Introduction
:
Bien que ceci ait été répété à l’envi, il n’est pas exagéré de redire
que la dissection aiguë de l’aorte est la pire catastrophe que puisse
connaître le réseau vasculaire de l’être humain.
En effet, la
fragilisation du vaisseau, sa possible rupture, les dégâts souvent
constitués en quelques secondes et infligés à la valve aortique, aux
vaisseaux collatéraux et, à travers eux, aux organes qu’ils vascularisent, peuvent à tout moment entraîner la mort du patient.
C’est ainsi que l’on a déterminé que la mortalité spontanée de la
dissection aiguë, lorsqu’elle intéresse l’aorte ascendante, est de 20 %
à 24 heures, 50 % à 48 heures, 60 % à 1 semaine et 90% à 3 mois.
Un traitement actif, à la fois médical et chirurgical, est donc
impératif dans ces cas.
Les moyens diagnostiques et les modalités thérapeutiques des
dissections aiguës ont évolué nettement au cours de ces deux
dernières décennies.
On est passé, en effet, d’une pensée de
sauvetage immédiat, à une politique de réparation la meilleure
possible, permettant d’assurer au malade une survie prolongée en
lui évitant les risques d’une ou plusieurs réinterventions et, bien
sûr, celui d’un rupture distale tardive.
Historique
:
La dissection aiguë semble avoir été décrite pour la première fois au
deuxième siècle de notre ère dans l’entourage de Galien. En 1557,
Vésale en fait mention.
En 1732, Nichols à Oxford publie une série
de conférences dans lesquelles il décrit l’innervation des artères,
l’effet des petites artères sur la pression artérielle, l’hypertension artérielle et la dissection de l’aorte.
Quelques années plus tard,
Morgagni décrit en détail les constatations post mortem faites chez
un patient décédé de rupture de l’aorte dans le péricarde.
Le terme « d’anévrisme disséquant » apparaît avec Laennec.
Ce
terme longtemps employé prête à confusion car de nombreuses
dissections se produisent sans anévrisme. Shennan et al., en 1934,
vont apporter une importante pierre à l’édifice en définissant de
façon appropriée les données cliniques et anatomopathologiques de
la dissection aiguë.
C’est à la même époque (1935) qu’est tenté par Gurin et al. le premier traitement chirurgical par fenestration. Cette
tentative est un échec.
Ce n’est qu’en 1955 que De Bakey, Cooley
et Creech rapportent le premier succès chirurgical de réparation
d’une dissection aiguë.
Les tentatives chirurgicales deviennent dès
lors plus fréquentes mais devant leurs médiocres résultats, Wheat,
en 1964, publie un article proposant de traiter médicalement toutes
les dissections aiguës, en contrôlant de façon drastique la pression
artérielle grâce à des drogues hypotensives.
Les bons résultats de Wheat ne furent pas confirmés pour ce qui concernait les dissections
aiguës intéressant l’aorte ascendante, si bien que dans les années
1970, un consensus général s’est fait pour affirmer la nécessité
absolue du traitement chirurgical d’urgence dans cette pathologie.
En revanche, le traitement médical est demeuré la base de la prise
en charge thérapeutique des dissections aiguës n’intéressant que
l’aorte thoracique ou thoracoabdominale.
Définitions
:
A - BRÈCHE INITIALE
:
La dissection aiguë de l’aorte se définit par l’issue brutale, à travers
une brèche de la partie interne de la paroi aortique, de sang sous
pression, disséquant la paroi longitudinalement le long de son
constituant le plus faible (la média) et aboutissant à la constitution
de deux chenaux circulants, séparés par une membrane flottante
(« flap »).
La brèche initiale peut être de taille très variable allant de
quelques millimètres à plusieurs centimètres.
Elle est le plus souvent
transversale mais peut s’étendre longitudinalement par un trait de
refend.
Elle est parfois circonférentielle.
Dans ce cas, la membrane
interne n’ayant plus d’attache proximale peut s’invaginer vers l’aval,
réalisant une véritable intussusception de l’aorte.
Deux mécanismes opposés on été invoqués pour expliquer la
formation de la brèche intimale initiale.
Il peut s’agir d’une rupture
primaire survenant sous l’effet d’une contrainte particulièrement
forte (à-coup hypertensif, augmentation soudaine de la pression intrathoracique) ou d’une fragilité préexistante de la paroi aortique
(athérome ou maladie dystrophique).
C’est la théorie la plus
ancienne et la plus communément admise.
A contrario, il pourrait
s’agir d’un saignement à l’intérieur de la paroi aortique et plus
particulièrement dans la média, finissant par rompre la partie
interne de celle-ci et créant la brèche initiale.
Cette deuxième théorie
s’appuie sur l’existence d’hématomes intramuraux indiscutables et
non circulants.
Il n’est pas impossible que les deux phénomènes
physiopathologiques existent.
La déchirure intimale initiale
survient de façon préférentielle (dans 95 % des cas), soit sur l’aorte
ascendante, le plus souvent au-dessus des ostia coronaires et de la
jonction sinotubulaire, soit immédiatement après l’origine de l’artère
sous-clavière gauche ou au niveau de l’isthme aortique.
Cependant,
la présence de la déchirure intimale initiale au niveau de la partie
horizontale de la crosse aortique, sous l’émergence des vaisseaux à
destinée brachiale ou céphalique, n’est pas exceptionnelle.
Des
études post mortem ont montré que les dissections avec porte
d’entrée sur l’aorte ascendante constituent environ les deux tiers des
dissections de l’aorte.
B - PAROIS DE LA DISSECTION
:
La membrane limitant les deux chenaux est constituée du tiers
interne de la paroi aortique.
Elle est particulièrement fragile et est le
plus souvent le siège de déchirures secondaires lorsque le processus
disséquant progresse vers l’aval.
Dans la plupart des cas, il existe
donc plusieurs communications distales entre le vrai et le faux
chenal ce qui rend vaine l’idée d’espérer obtenir la fermeture et la
thrombose du faux chenal par la suppression de la porte d’entrée
initiale, lors de la réparation chirurgicale.
La paroi limitant le faux chenal et, donc, constituant l’apparente
paroi aortique est constituée de la partie externe de la média et de
l’adventice.
Elle est donc très fine et bien que plus solide que la
membrane interne, elle est volontiers le siège de fuites sanguines
par suffusion ou de rupture authentique.
La fragilité des membranes
interne et externe de la dissection rend compte de la difficulté, pour
ne pas dire de l’impossibilité, de réaliser des sutures solides et
étanches à leur niveau et de la nécessité d’utiliser des artifices
techniques pour renforcer ces sutures.
C - CHENAUX CIRCULANTS
:
La progression du processus disséquant le long de l’aorte peut être
plus ou moins étendue vers l’aval.
Cette progression se fait rarement
de façon uniforme tout le long du vaisseau. Elle est le plus souvent
hélicoïdale, laissant certaines zones de paroi non disséquées.
Dans
6 % des cas, la dissection est localisée à l’aorte ascendante ce qui
permet d’espérer une guérison totale après remplacement chirurgical
complet de ce segment.
Dans une grande majorité de cas, le
processus disséquant dépasse le carrefour aortique et atteint les
vaisseaux iliaques.
Très rapidement après la survenue d’une
dissection aiguë, le faux chenal devient plus volumineux que le vrai
chenal.
Ceci est lié à la faible résistance de la paroi externe constituée
de la partie externe de la média et de l’adventice.
Il n’est pas rare de
constater que le vrai chenal est en partie comprimé par le faux
chenal. Ceci n’est pas sans conséquences cliniques, nous y
reviendrons.
D - DISSECTION AIGUË ET CHRONIQUE
:
Par convention, une dissection est dite aiguë lorsque son diagnostic
est fait dans les 2 semaines suivant l’apparition des symptômes.
Au delà,
les dissections sont dites chroniques.
Cette classification arbitraire permet de distinguer deux entités qui, bien que de même
origine, deviennent assez rapidement différentes sur le plan du
diagnostic, de l’indication chirurgicale, des difficultés techniques et
de l’évolution.
En effet, passé les premiers jours, on peut penser que
les malades les plus graves sont décédés et que seuls survivent les
patients n’ayant aucune des complications gravissimes de cet
accident. Dès lors, les malades sont en général en bon état clinique,
la chirurgie n’est plus indiquée en grande urgence, la réparation
aortique, quand elle est nécessaire, se fait sur des tissus plus solides
puisque le processus évolue vers la chronicité.
Cependant, il nous semble qu’une classification distinguant
dissection aiguë (moins de 3 jours), dissection subaiguë (de 3 jours à
1 mois) et dissection chronique (au-delà de 1 mois) serait plus
conforme à la difficulté décroissante du traitement chirurgical et à la
qualité croissante de ses résultats.
Classification anatomochirurgicale
:
A -
CLASSIFICATION DE DE BAKEY :
Plusieurs classifications des dissections on été proposées pour
décrire la porte d’entrée et/ou l’extension du processus disséquant.
Ces classifications ne sont pas gratuites car elles permettent, en
théorie, de définir des formes pour lesquelles l’approche
thérapeutique et, éventuellement, les techniques chirurgicales
diffèrent.
Aucune classification usuelle ne donne cependant entière
satisfaction.
Aucune, en effet, ne prend en compte les différents
éléments de la dissection décrits au paragraphe précédent.
La classification la plus ancienne est celle de De Bakey.
– Type I : dissections dont la porte d’entrée est située sur l’aorte
ascendante et qui s’étendent au-delà de l’aorte descendante.
– Type II : dissections dont la porte d’entrée est située sur l’aorte
ascendante et qui ne s’étendent pas au-delà de ce segment.
– Type III : dissections dont la porte d’entrée est située en aval de
l’artère sous-clavière gauche et qui s’étendent sur l’aorte thoracique
ou thoracoabdominale.
Cette classification ne tient pas compte des nombreuses dissections
dont la porte d’entrée est située sur la partie horizontale de la crosse
aortique ni des dissections « rétrogrades » dont la porte d’entrée est
située au-delà de l’artère sous-clavière gauche mais qui se
développent vers la crosse aortique et l’aorte ascendante.
Par
ailleurs, la place accordée au type II semble excessive au regard de
la fréquence réduite de ce type. Enfin, cette classification n’implique
aucune détermination thérapeutique.
B - CLASSIFICATION DE STANFORD
:
Daily et Shumway on proposé, en 1970, une classification
beaucoup plus simple et entièrement basée sur les indications de la
chirurgie.
– Type A : dissection intéressant l’aorte ascendante quel que soit le
siège de la porte d’entrée et dont le traitement doit être chirurgical
et urgent.
– Type B : dissection n’intéressant pas l’aorte ascendante et dont le
traitement peut n’être pas chirurgical.
Cette classification est entièrement thérapeutique.
Elle néglige
également les dissections dont la porte d’entrée est située sur la
crosse de l’aorte. Elle ne tient pas compte de l’extension du
processus disséquant.
Ainsi, une dissection « rétrograde » dont la
porte d’entrée est située dans l’aorte descendante doit être
considérée comme une dissection de type A puisqu’elle doit être
opérée en urgence du fait du risque de rupture intrapéricardique.
Cependant, du fait de sa simplicité et de son orientation
thérapeutique, cette classification est actuellement la plus utilisée et
l’on peut dire qu’elle a complètement, ou presque, fait disparaître la
classification de De Bakey dans la littérature récente.
C - CLASSIFICATION DE GUILMET
:
En France, Dubost, Guilmet et Soyer avaient proposé en 1964 une
classification prenant en compte le siège de la porte d’entrée.
– Type A : porte d’entrée sur l’aorte ascendante.
– Type B : porte d’entrée sur la crosse aortique.
– Type C : porte d’entrée sur l’aorte descendante.
– Type D : porte d’entrée sur l’aorte sous-diaphragmatique.
Cette classification, qui ne tenait pas compte de l’extension du
processus disséquant ni des indications thérapeutiques, a été
modifiée par Roux et Guilmet en 1986.
L’extension de la
dissection est désignée en retenant le segment aortique disséqué le
plus éloigné de la porte d’entrée :
– I : aorte ascendante ;
– II : crosse aortique ;
– III : aorte descendante ;
– IV aorte abdominale sous-rénale.
Ainsi, une dissection dont la porte d’entrée initiale est sur l’aorte
ascendante et qui s’étend à l’aorte sous-rénale est dite : A IV.
Cette classification, compliquée et peu diffusée, n’a jamais été
adoptée dans la littérature.
D -
CLASSIFICATION DE L’EUROPEAN SOCIETY
OF CARDIOLOGY :
Récemment, The Task Force Report de l’European Society of
Cardiology, dans le désir d’inclure dans les dissections aortiques des
lésions aortiques pouvant en être les précurseurs, tels l’hématome
intramural, la rupture sous-adventitielle localisée, l’ulcère aortique
athéromateux, a proposé une classification différente basée sur la
nature anatomopathologique des lésions constatées :
– classe 1 : vraies dissections avec membrane intimale (flap)
séparant deux chenaux circulants ;
– classe 2 : hématome intramural ;
– classe 3 : rupture sous-adventitielle localisée de l’aorte sans
hématome diffusant ;
– classe 4 : rupture sous-adventitielle de plaque ou d’ulcère
athéromateux ;
– classe 5 : dissection iatrogène ou traumatique.
À notre avis, cette classification ne doit pas être retenue.
En effet,
nous pensons que seules doivent être considérées comme
dissections, les lésions aortiques avec « flap » intimal et chenaux
circulants.
Et nous faisons nôtre l’aphorisme d’Elefteriades « Pas de
flap intimal, pas de dissection ».
Les hématomes intramuraux, les
ruptures sous-adventitielles, les ruptures de plaques ou d’ulcères
athéromateux peuvent certes constituer les premières manifestations
d’une vraie dissection.
Mais ils surviennent en général sur des
terrains très différents (malades âgés, hypertendus, polyartériels).
Ces lésions s’accompagnent rarement des dramatiques
complications inhérentes aux dissections vraies (excepté les
ruptures) ; les indications thérapeutiques sont donc différentes.
Lorsque la chirurgie est rendue nécessaire, elle est en général de
technique simple et ne met pas en jeu les artifices sophistiqués et
obligatoires requis par la réparation des dissections aiguës.
Fréquence des dissections aiguës
:
La fréquence des dissections aiguës de l’aorte est difficile à
préciser.
Aux États-Unis, Svensson
l’estime à environ dix pour 100 000 habitants, sur la base des
dissections diagnostiquées, des déclarations de décès portant
diagnostic, du nombre de dissections opérées rapporté aux autres
interventions cardiovasculaires.
Ce
nombre nous semble très surestimé car il signifierait que
25 000 Américains sont victimes de dissection aiguë chaque année et
qu’au moins 15 000 malades sont hospitalisés pour cette affection.
Ceci représenterait un nombre d’interventions chirurgicales très
supérieur à ce qui ressort de la littérature.
En effet, il semble
qu’environ 2 000 dissections aiguës seulement soient hospitalisées
chaque année, soit une pour 100 000 habitants.
Par ailleurs, deux
sur 100 000 décès chez les hommes et 0,8 sur 100 000 décès chez les
femmes sont dus à une dissection aiguë de l’aorte.
En revanche, ceci
est peut-être sous-estimé si l’on considère que beaucoup de patients
décèdent avant leur arrivée à l’hôpital et que leur affection n’est pas
diagnostiquée ou est étiquetée « crise cardiaque ».
La mortalité de
l’affection en Grande-Bretagne est estimée entre 3,5 et 3,6 pour
100 000/an.
En 1982, Jamieson notait que chez 35 % des patients
mourant de dissection aiguë à l’hôpital, la dissection n’avait pas été
diagnostiquée avant le décès.
En France, on peut estimer très
schématiquement qu’environ 300 à 350 dissections aiguës sont
opérées chaque année.
Si l’on y ajoute les dissections non opérées et
celles où le diagnostic n’est pas porté, on peut estimer leur fréquence
à environ 5 à 600, soit une pour 100 000 habitants.
Il semble donc
que ce chiffre soit à peu près celui que l’on retrouve dans la plupart
des pays industrialisés.
Il faut cependant noter qu’il existe
probablement des différences régionales.
Ainsi, en Europe, le taux le
plus important rapporté est celui de l’Italie avec 4,04/100 000.
Il
semble qu’au Japon, la fréquence des dissections aiguës soit plus
grande qu’en Europe.
Il est possible que ceci soit lié à des
déterminants génétiques, à une plus grande fréquence ou une moins
bonne prise en charge de l’hypertension artérielle, à une meilleure
prise en charge des syndromes douloureux thoraciques, au plus
grand nombre de centres de chirurgie cardiovasculaire, etc…
Étiologie des dissections
:
Tous les mécanismes qui fragilisent la paroi aortique, en particulier
la média, peuvent conduire à l’apparition d’une dissection aiguë
avec ou sans dilatation préexistante du segment aortique en cause.
Le déterminant commun de toutes les dissections aortiques aiguës
est l’altération acquise ou préexistante du tissu collagène et des
fibres élastiques.
Ce processus d’altération est classiquement nommé
« dégénérescence ou nécrose kystique ».
Cette
terminologie n’est pas entièrement justifiée car elle ne traduit pas
exactement la nature des lésions histologiques, mais plutôt leur
apparence.
Cependant, elle est maintenant consacrée par l’usage et
se trouve très volontiers utilisée dans la littérature internationale.
C’est pourquoi nous l’avons conservée dans ce chapitre. Bien qu’un
certain degré d’altération de la média puisse se voir dans toutes les
aortes comme processus normal de vieillissement, ces phénomènes
sont beaucoup plus importants quantitativement et qualitativement
en cas de dissection aiguë.
Les dissections aiguës surviennent sur des aortes fragilisées par des
affections congénitales et éventuellement héréditaires, ou acquises.
A - AFFECTIONS CONGÉNITALES ET/OU HÉRÉDITAIRES
:
Certaines maladies génétiques entraînent des anomalies du tissu
conjonctif se traduisant, entre autres choses, par une faiblesse
particulière des parois des gros vaisseaux.
La plus caractéristique
est le syndrome de Marfan.
1- Syndrome de Marfan
:
Décrit en 1896 et génétiquement élucidé en 1990, le syndrome de
Marfan est une affection autosomique dominante dont la fréquence,
mal connue, est estimée entre 1 sur 5 000 ou 10 000.
Environ 25 %
des syndromes de Marfan sont dus à des mutations.
Ce syndrome
peut entraîner des anomalies squelettiques, oculaires, pulmonaires,
de la peau et des téguments et, bien sûr, cardiovasculaires.
Son expressivité est variable et la même anomalie génétique peut se
traduire par des phénotypes très différents.
C’est pourquoi le
diagnostic clinique de la maladie peut être difficile.
En 1986, une
réunion d’experts internationaux a fixé les critères définissant
cliniquement la maladie et la distinguant d’autres anomalies
proches.
Ces critères dits « critères de Berlin » ont été révisés et
affinés en 1996.
Les nouveaux critères, connus comme « critères
de Gand », sont plus contraignants.
En particulier, ils s’attachent aux
anomalies squelettiques et exigent la présence chez un individu de
quatre des huit manifestations typiques possibles de la maladie pour
permettre le diagnostic.
Les anomalies du collagène et de l’élastine étant un des aspects les
plus évidents du syndrome de Marfan, on a cru longtemps que la
maladie était liée à un défaut de ces constituants.
Sakaï et al. ont
démontré en 1987 que la maladie était liée à une anomalie d’une
protéine de grande taille, constituant important des microfibrilles
de la matrice extracellulaire et des fibres élastiques, qu’ils baptisèrent
fibrilline.
Parallèlement, le gène exprimant cette protéine fut localisé
sur le chromosome 15 q31.
À ce jour, plus de 100 mutations ont été
décrites dans la fibrilline de sujets atteints de syndrome de Marfan
mais aussi d’affections proches.
Ces anomalies définissent le
groupe des « fibrillinopathies de type 1 ».
La grande variabilité
clinique du syndrome de Marfan n’est expliquée qu’en partie par le
nombre de mutations identifiées sur le gène de la fibrilline-1.
Une
certaine hétérogénéité génétique et un gène en cause sur le
chromosome 3 ont été démontrés en France et identifiés comme
responsables de syndrome de Marfan de type II tandis que des
études sur les protéines ont établi que 7 à 16 % des patients atteints
de syndrome de Marfan ont un métabolisme normal de la
fibrilline.
2- Syndrome d’Ehlers-Danlos
:
Il s’agit d’un groupe hétérogène d’anomalies du tissu conjonctif
caractérisé cliniquement par une hyperlaxité ligamentaire, une
extensibilité excessive des téguments et une fragilité tissulaire.
La
fréquence de ce syndrome est mal connue.
Onze types ont été
décrits.
Il semble que les anomalies vasculaires n’apparaissent que
dans le type IV qui se transmet de façon autosomique dominante.
La maladie est due à un défaut structurel de la chaîne proa1 (III) du
collagène dont le gène est situé sur le chromosome 2 q31.
3- Ectasie annuloaortique et dissection familiale
:
Il faut rapprocher des anomalies congénitales caractérisées, comme
le syndrome de Marfan, l’ectasie annuloaortique, affection dont
l’étiologie n’est pas connue mais qui affecterait environ 5 à 10 % des
malades atteints de régurgitation valvulaire aortique pure. Cette
affection a été décrite pour la première fois par Ellis en 1961.
Il
s’agit d’une dilatation isolée de la racine aortique plus ou moins
étendue à l’aorte ascendante, entraînant une perte de la jonction sinotubulaire et s’associant le plus souvent à une dilatation de
l’anneau aortique avec fuite valvulaire plus ou moins importante.
Le risque de rupture ou de dissection est identique à celui constaté
dans le syndrome de Marfan et les indications opératoires sont donc
les mêmes.
Plusieurs études récentes ont mis en évidence l’existence
d’anévrisme de l’aorte et de dissections aortiques survenant chez les
sujets d’une même famille en dehors d’un syndrome héréditaire
caractérisé.
Ces études ont montré que dans ces familles, le risque
relatif de développer une lésion aortique pour le père, les frères ou
les soeurs d’un malade porteur d’un anévrisme aortique était
respectivement de 1,8, 10,9 et 1,8.
Il semblerait également que la
transmission de cette affection puisse être liée au sexe et en
particulier au chromosome X.
Cinq mutations différentes sur la
fibrilline-1 ont actuellement été décrites chez des malades souffrant
d’anévrismes ou de dissections aortiques familiaux.
D’autres
gènes pourraient aussi être impliqués.
Les examens histologiques
permettent de retrouver les mêmes anomalies que celles du
syndrome de Marfan, à savoir la perte des fibres élastiques, des
dépôts de substances « mucopolysaccharide-like » et la
dégénérescence kystique de la média.
En revanche, aucune des
anomalies du collagène ou des microfibrilles associées aux
syndromes d’Ehlers-Danlos ou de Marfan n’a pu être retrouvée sur
des cultures de fibroblastes.
4- Anomalies valvulaires congénitales
:
Les anomalies congénitales de la valve aortique et, en particulier, la
présence d’une bicuspidie prédisposent à la survenue d’une
dissection aiguë.
Une bicuspidie valvulaire aortique se retrouve dans
9 à 13 % des patients chez qui survient une dissection aiguë alors
que la fréquence de cette anomalie ne dépasse pas 1 à 2 % dans la
population générale.
Dans une étude anatomopathologique de Larson, une dissection aiguë de l’aorte était associée à une valve aortique normale dans 0,67 % des cas et à une valve bicuspide dans
6,5 % des cas.
Dans la série de Roberts, une bicuspidie valvulaire
était présente dans 8 % des cas.
En comparaison avec les sujets
ayant une valve normale, l’âge de survenue de la dissection aiguë
en cas de bicuspidie aortique est inférieur de 8 ans en moyenne
(55 contre 63 ans).
Plus les sujets sont jeunes (en dehors du
syndrome de Marfan), plus l’association avec une bicuspidie
valvulaire est fréquente puisqu’elle atteignait respectivement 24 et
45 % chez les sujets de moins de 40 ans, dans les séries de Roberts et
de Larson.
Comme pour les autres dissections aiguës, la
prédominance masculine est très nette (environ 80 %).
Les lésions histologiques aortiques retrouvées lors de la dissection
sont habituelles et proches de celles du syndrome de Marfan.
La sténose valvulaire aortique congénitale peut être la cause de (ou
coexister avec) une dissection aiguë de l’aorte.
Ainsi que l’a souligné McKusik, la pathogénie de la dissection aortique pourrait être la
même qu’en cas de bicuspidie non sténosante.
En effet, il est possible
qu’une même anomalie du développement artériel se traduise chez
les uns par une simple bicuspidie valvulaire, chez d’autres par une
dégénérescence kystique de la média, chez d’autres encore, par une
coarctation aortique et chez d’autres enfin, par une combinaison de
plusieurs de ces anomalies.
Cependant, il est possible que la
survenue d’une dilatation aortique poststénotique, résultant d’une
lésion de jet, puisse créer une zone de moindre résistance de la paroi
aortique.
Enfin, il est possible que les deux types de phénomènes se
combinent.
5- Coarctation de l’aorte
:
La présence d’une coarctation de l’aorte non traitée constitue un
autre facteur de risque de dissection aiguë, comme l’avait montré Abbott en 1928 et confirmé Reifenstein en 1947.
Là encore,
l’explication peut être celle de McKusik. Mais il est possible que la
genèse de la dissection aortique soit une conséquence de
l’hypertension artérielle induite par la coarctation.
Cette dernière
hypothèse est sous-tendue par le fait que les dissections aiguës
associées à une coarctation non traitée de l’aorte ne s’observent
jamais chez les enfants et les adolescents mais toujours chez l’adulte.
Le fait que les coarctations de l’aorte soient maintenant
diagnostiquées et opérées tôt après la naissance va très
probablement faire disparaître les dissections aiguës survenant sur
ce terrain.
B - AFFECTIONS ACQUISES
:
1- Hypertension artérielle et athérome
:
L’hypertension artérielle est une entité pathologique très propice à
la survenue d’une dissection aiguë de l’aorte.
On la retrouve dans
50 à 90 % des cas de dissections survenant chez des patients n’ayant
pas d’autres facteurs de risque, en particulier pas de maladie annuloectasiante.
Il s’agit le plus souvent d’hypertension
artérielle chronique plus ou moins bien contrôlée.
Il peut s’agir
également, chez des malades sans hypertension artérielle chronique,
de poussées hypertensives ou d’à-coups hypertensifs aigus
survenant pour des activités de la vie courante, sur une aorte
fragilisée et provoquant une déchirure intimale.
Ceci est
particulièrement vrai chez les malades atteints de maladie aortique
dystrophique (syndrome de Marfan ou ectasie annuloaortique).
Les
efforts isométriques qui augmentent brutalement la pression
artérielle et la tension exercée sur la paroi aortique (ce d’autant qu’ils
se font en inspiration forcée) sont fréquents au cours de la pratique
de certains sports particulièrement redoutables.
Le mécanisme de
l’hypertension artérielle n’est pas clairement élucidé.
Il semble que
l’augmentation de pression en soi ne suffise pas à déclencher une
dissection aiguë, mais qu’elle soit favorisée par le régime de
pressions pulsées.
Ainsi Prokop, sur un modèle animal, ne peut
déclencher une dissection aiguë en régime de débit continu pour
une pression de 400 mmHg, mais déclenche des dissections dès
120 mmHg en régime de pressions pulsées.
Ainsi, plus le dP/dT
est élevé, plus la progression du processus disséquant est rapide.
La présence de turbulences dans la racine aortique pourrait être
aussi un élément favorisant.
Ceci pourrait expliquer en partie les
dissections survenant en présence d’une anomalie valvulaire
aortique.
La responsabilité de l’athérome dans la genèse des dissections aiguës
est discutée.
La présence d’athérosclérose dans des aortes
disséquées est fréquemment attestée, en particulier pour les
dissections de l’aorte distale (type III de De Bakey ou B de Stanford).
Il pourrait ne s’agir que d’une coexistence chez des sujets volontiers
âgés et hypertendus.
La très faible fréquence des dissections à point
de départ abdominal et la grande fréquence des dissections de
l’aorte ascendante alors que l’aorte abdominale est beaucoup plus
souvent atteinte d’athérosclérose que l’aorte ascendante, plaident
contre le caractère favorisant de cette altération pariétale.
Au
contraire, il a été noté que le processus disséquant s’arrête souvent
sur les sites d’athérosclérose ou au niveau des anévrismes
athéromateux, comme si la fibrose accompagnant la dégénérescence
pariétale empêchait la paroi aortique de se scinder en deux.
En
revanche, il ne fait pas de doute que la déchirure intimale peut se
produire sur une plaque d’athérome fragilisant la paroi aortique.
La
possibilité de véritables dissections aiguës à partir d’un ulcère
athéromateux semble plus controversée.
Il semble que cette lésion
soit plus volontiers à l’origine de ruptures franches ou d’hématomes intramuraux.
2- Affections inflammatoires
:
De nombreuses affections inflammatoires ont été mises en cause
dans certains cas de dissection aiguë de l’aorte.
Citons pour mémoire
le lupus érythémateux disséminé, la polychondrite atrophiante, la
cystinose juvénile, les aortites à cellules géantes, etc…
On a
également décrit la survenue de dissections dans l’évolution de
phéochromocytomes, de polykystose rénale, de syndromes de
Cushing.
Il semble que dans ces cas, la survenue de la dissection
soit plus en rapport avec une hypertension artérielle mal contrôlée
induite par la maladie qu’avec la maladie elle-même.
3- Dissections iatrogènes
:
Une dissection aiguë peut survenir au cours ou à la suite d’un geste
diagnostique ou thérapeutique.
Ainsi on a décrit des cas
anecdotiques de dissection aiguë au cours d’aortographie par voie
de Dos Santos ou par voie de Seldinger, de cathétérismes cardiaques
gauches, d’angioplasties coronaires, de mise en place de ballon de
contre-pulsion intra-aortique.
Plus fréquentes sont les dissections aiguës survenant au cours ou à
la suite d’interventions de chirurgie cardiaque.
Ces dissections iatrogènes peuvent survenir au cours ou
immédiatement après l’acte chirurgical.
Ce sont les dissections
iatrogènes immédiates.
Elles peuvent également se voir à distance
de l’acte chirurgical (entre plusieurs semaines et plusieurs années).
Ce sont les dissections iatrogènes tardives.
Les dissections peropératoires surviennent de façon absolument
inopinée au cours d’interventions pour une pathologie tout autre
(remplacement valvulaire, pontage coronaire, etc…).
Le diagnostic
en est immédiat devant la transformation de l’aorte ascendante qui
devient rapidement turgescente, violacée « aubergine » tandis qu’il
n’est pas rare qu’apparaisse un saignement plus ou moins important
à travers l’adventice ou au niveau du site de canulation ou de
certaines sutures.
Il n’est pas rare non plus que le perfusionniste
signale un brutal changement dans la conduite de la circulation
extracorporelle et des difficultés à maintenir une perfusion correcte.
Les dissections survenant dans les heures qui suivent l’intervention
peuvent être de diagnostic plus difficile.
On est confronté le plus
souvent, soit à l’apparition brutale d’un important saignement par
les drains médiastinaux, soit à la soudaine dégradation d’un état
hémodynamique jusque-là parfaitement stable.
Le diagnostic doit
être porté sans délai, l’urgence étant en général extrême.
L’échographie transthoracique et éventuellement l’échographie transoesophagienne si le patient est en état de la supporter, sont d’un
grand secours.
Toutefois, aucun retard ne doit être pris et
dans le doute, le malade doit être ramené immédiatement en salle
d’opération pour exploration et traitement.
La fréquence des dissections iatrogènes immédiates est faible et
semble compliquer entre 0,1 et 0,4 % de l’ensemble des interventions
de chirurgie cardiaque.
Ces dissections sont
généralement liées à une malfaçon technique et le plus souvent à la canulation aortique, la mise en place d’un clampage partiel sur
l’aorte ascendante en pression, ou une suture d’implantation de
greffons coronaires ou d’aortotomie.
C’est pourquoi ces dissections
se rencontrent le plus souvent au cours des pontages coronaires ou
de la chirurgie valvulaire aortique.
Plus récemment, ont été décrites
des dissections survenant lors de mise place de circulation
extracorporelle avec endoclampage de l’aorte ascendante par ballon
gonflable, au cours de chirurgie dite « minimally invasive ».
Dans
les premières années de développement de ces techniques, la
fréquence de ces dissections a été estimée à 1 %.
Les dissections postopératoires aiguës tardives surviennent dans
un contexte très différent.
Il peut s’agir d’un syndrome associant
des signes typiques de dissection chez un malade ayant
été opéré du coeur précédemment.
Le diagnostic repose alors sur
les éléments habituels et ces dissections doivent être prises en
charge comme les autres dissections.
Il peut s’agir
également de la découverte fortuite lors d’un examen de routine ou
pour une toute autre cause, d’une anomalie aortique (augmentation
de volume à la radiographie, apparition d’un souffle jusque-là
inconnu, etc…) amenant à pratiquer les examens diagnostiques qui
vont permettre d’affirmer la dissection.
Il s’agit cependant dans ces
cas de dissections chroniques dont l’étude sort du cadre de ce
chapitre.
Les dissections postopératoires aiguës tardives peuvent se distinguer
légèrement des dissections habituelles.
Du fait des adhérences
péricardiques dues à la précédente intervention, il est assez rare
qu’une vraie tamponnade par saignement en péricarde libre menace
le malade à très court terme.
En revanche, l’existence d’un syndrome
cave supérieur par compression de la veine cave supérieure par
l’aorte ascendante brutalement dilatée a été décrite.
De même on a
pu observer quelques cas de rupture de l’aorte ascendante dans les
cavités adjacentes et en particulier dans l’oreillette ou le ventricule
droits.