Les instabilités sont une cause très fréquente de consultation.
Généralement, l’examen clinique permet d’objectiver
des anomalies à la station debout ou à la marche, voire
parfois des anomalies de la posture en position assise,
permettant d’orienter le diagnostic physiopathologique.
A - Interrogatoire
:
Outre l’âge, les antécédents et les traitements suivis, il
précise :
• le type d’instabilité : mauvaise perception du sol ;
maladresse ; impression d’ébriété ; raideur ;
• son ancienneté, son mode d’installation, son mode
évolutif ;
• le contexte déclenchant : l’obscurité ; les terrains irréguliers
; les grandes surfaces, la foule ; à la suite d’efforts,
notamment à glotte fermée ;
• le retentissement fonctionnel du trouble postural :
utilisation d’une canne, d’un bras ; sorties extérieures ;
montée/descente de voiture ; arrêts de travail ;
• les signes d’accompagnement : vertiges ; chutes ;
paresthésies ; acouphènes ; troubles sphinctériens ;
détérioration des fonctions supérieures.
B - Examen clinique :
Il comprend différents temps.
1- Examen des troubles posturaux
:
Il recherche des troubles posturaux statiques ou dynamiques :
• au lever d’une chaise : embardées, prise d’appui ;
• à la station assise, les yeux fermés, sans appui dorsal,
les bras tendus : déviation des index ;
• à la station debout pieds joints, yeux ouverts puis
fermés (épreuve de Romberg) : oscillations, déviation
latéralisée, embardées, chutes ;
• à la station debout yeux fermés : résistance aux poussées ;
• à la marche normale, au demi-tour, à la marche en
arrière, à l’épreuve du funambule (talon devant la
pointe de l’autre pied) : embardées, chutes, talonnement,
déviation latéralisée ;
• à la marche les yeux fermés d’avant en arrière
(marche aveugle), ou sur place (manoeuvre de Fukuda) : déviation latéralisée, non latéralisée, chutes.
De manière schématique, les 3 systèmes sensoriels participant
à la posture sont complémentaires.
En cas
de perte de référence visuelle, dans l’obscurité par
exemple ou lors du test de Romberg, tout va dépendre de
l’intégrité des autres systèmes sensoriels.
Si l’un d’eux
est déficitaire, les troubles posturaux vont
apparaître, avec des troubles de l’équilibre à la fermeture
des yeux (Romberg, marche aveugle, Fukuda).
Par
contre, lors d’une atteinte des voies efférentes motrices,
comme une atteinte cérébelleuse, les troubles posturaux
ne s’aggraveront pas à la fermeture des yeux.
2- Examen neurologique général :
L’examen clinique doit par ailleurs être complet sur le
plan neurologique, recherchant notamment : des troubles
du tonus ; une incoordination motrice ; des troubles de la
sensibilité ; un nystagmus ; une anomalie des réflexes ;
une altération des fonctions supérieures.
3- Examen général :
Il doit rechercher des causes otologiques, ophtalmologiques
ou ostéo-articulaires.
Les instabilités, surtout chez la
personne âgée, sont souvent le fait de pathologies intriquées qui, isolées, ne donnent habituellement pas de troubles
posturaux : c’est par exemple l’association d’une cataracte
et d’une prothèse totale de hanche.
Il ne faut pas oublier
non plus que les instabilités peuvent être un signe d’appel
d’une pathologie fonctionnelle ou psychiatrique avec un
examen clinique le plus souvent discordant.
C - Examens complémentaires
:
Peu d’explorations complémentaires sont disponibles
pour l’étude des troubles de l’équilibre.
Les platesformes
de force ou de posturographie calculent la projection
du centre de pression du corps en position
debout et les variations de ce centre de pression en
fonction du temps et à la fermeture des yeux.
Ces tests
étudient la posture dans sa globalité mais ne différencient
pas les différents systèmes impliqués.
L’Équitest est un
système d’exploration posturale plus élaboré qu’une
plate-forme de force, qui utilise un environnement
visuel fictif asservi à la plate-forme mobile.
De ce fait, il
aide à différencier les divers systèmes impliqués dans la
posture : vision, proprioception et vestibule.
En fonction
de l’orientation clinique, d’autres explorations peuvent
être envisagées, comme des radiographies cervicales, un
scanner cérébral, un électromyogramme, une imagerie
par résonance magnétique (IRM) encéphalique ou
rachidienne, une ponction lombaire…
Étiologie
:
Le problème à résoudre est de reconnaître, par l’analyse
sémiologique, les structures impliquées.
En pratique, il
peut s’agir d’une atteinte des structures d’informations :
atteinte des voies lemniscales, vestibulaires ou visuelles ;
d’une atteinte des structures corticales (cortex pariétal
postérieur, cortex frontal) ; d’une atteinte des structures
de contrôle cérébelleuses.
Nous éliminons les troubles
de l’équilibre qui s’accompagnent d’un déficit moteur
(pyramidal ou extrapyramidal).
Dans ce dernier chapitre
sont repris les cadres pathologiques pouvant rendre
compte de troubles de l’équilibre et sont décrits les
éléments cliniques permettant de les reconnaître.
La
plupart des causes sont traitées en détail dans d’autres
chapitres et nous n’envisageons que les principaux
éléments du diagnostic.
A - Atteinte des structures d’information :
L’aggravation du trouble de l’équilibre par la fermeture
des yeux caractérise l’atteinte sensitive ou sensorielle.
1- Ataxie vestibulaire
:
Elle est aussi appelée ataxie labyrinthique.
Par le contrôle
qu’il exerce sur le tonus musculaire, le système vestibulaire
est l’un des éléments essentiels du maintien de
la position verticale et de l’équilibre.
Le système vestibulaire
périphérique inclut l’organe sensoriel et le nerf
vestibulaire jusqu’à sa connexion avec les noyaux
vestibulaires dans le tronc cérébral.
L’ataxie vestibulaire s’accompagne d’un syndrome
vestibulaire.
L’association à un vertige est l’élément
déterminant, de même que la mise en évidence d’un
nystagmus.
L’ensemble de la symptomatologie apparaît
ou est majoré à la fermeture des yeux.
• L’interrogatoire recherche, outre le vertige, des
signes cochléaires comme une surdité et des acouphènes
ou des signes neurologiques centraux témoignant d’une
atteinte du tronc cérébral.
• Lors d’une atteinte périphérique unilatérale aiguë,
les troubles posturaux sont accompagnés d’autres signes
vestibulaires réalisant un syndrome harmonieux associant :
une déviation des index vers le côté atteint ; une déviation
vers le côté atteint à la marche aveugle ou à l’épreuve de Fukuda.
Cette rotation axiale du corps sur lui-même est
assez spécifique d’une atteinte vestibulaire (périphérique
ou centrale), lorsqu’elle est d’amplitude significative ;
un vertige intense ; un nystagmus horizontal ou horizontorotatoire
battant vers le côté sain.
Les troubles posturaux sont violents au début pouvant
empêcher la station debout et rentrent rapidement dans
l’ordre, donnant rarement lieu à des instabilités posturales
durables.
Les tests vestibulaires (épreuve pendulaire,
test calorique) montrent un dysfonctionnement unilatéral
des voies vestibulaires.
Les principales causes sont la
maladie de Ménière, la névrite vestibulaire, les causes
traumatiques, l’otospongiose…
• Lors d’une atteinte périphérique unilatérale chronique
ou lente, les troubles posturaux ipsilatéraux (déviation
des index vers le côté atteint, déviation vers le côté
atteint à la marche aveugle ou à l’épreuve de Fukuda) ne
sont généralement pas accompagnés de vertige ou de
nystagmus.
Il s’agit surtout du neurinome de l’acoustique.
Dans ce cas, il y a généralement des signes auditifs associés
aux troubles posturaux.
Les examens complémentaires
(audiogramme, potentiels évoqués auditifs, imagerie par
résonance magnétique encéphalique) aident au diagnostic.
• Lors d’une atteinte périphérique bilatérale, l’instabilité
posturale est majeure ; il n’y a pas de déviation
systématisée à la marche aveugle ou au test de Fukuda,
puisque l’atteinte est symétrique ; l’épreuve de Romberg
entraîne une chute ; il n’y a généralement pas de vertige
ni de nystagmus ; les patients décrivent des oscillopsies
aux mouvements rapides de la tête traduisant l’hypofonctionnement
du réflexe vestibulo-oculaire.
L’absence de réponse vestibulo-oculaire à l’examen
clinique ou aux explorations vestibulaires (épreuve
pendulaire, épreuve calorique) permet d’authentifier
l’aréflexie vestibulaire et suggère dans ce contexte
l’absence de réflexe vestibulospinal.
L’exemple le plus
dramatique est une neuropathie vestibulaire toxique
(gentamycine, cisplatine, diurétique, aspirine).
• Lors d’une atteinte centrale, le trouble postural peut
mimer une atteinte périphérique pure ; il est le plus
souvent dysharmonieux, non latéralisé, de type ébrieux ;
parfois il s’agit d’un tableau d’inclinaison statique du
corps (latéropulsion axiale) ; le vertige est peu intense ;
le nystagmus est de type central (changeant de direction,
vertical pur, rotatoire pur, non inhibé par la fixation oculaire) ; les troubles posturaux sont associés à d’autres
signes neurologiques centraux.
Le meilleur exemple est donné par le syndrome de
Wallenberg, accident ischémique latérobulbaire, touchant
les noyaux vestibulaires.
Les symptômes vestibulaires
sont un grand vertige rotatoire, un nystagmus de
sens de battement variable et des troubles posturaux ressemblant
à une atteinte périphérique.
Les symptômes
vestibulaires peuvent aussi se présenter sous la forme
d’une latéropulsion axiale.
Ces symptômes vestibulaires
d’allure parfois périphérique s’associent à des symptômes
neurologiques qui ne passent pas inaperçus : une hypoesthésie
hémifaciale, un syndrome cérébelleux, une paralysie vélo-pharyngo-laryngée (dysphonie, dysarthrie,
hoquet, signe du voile, signe du rideau), un syndrome de
Claude Bernard-Horner (myosis, ptosis) du côté de la
lésion ; une hypoesthésie thermo-algique hémicorporelle
controlatérale à la lésion.
Dans les atteintes ischémiques du cervelet inférieur, il
peut exister une sémiologie vestibulaire isolée, à type
de vertige rotatoire, déviation posturale et nystagmus horizonto-rotatoire harmonieux dont le diagnostic différentiel
peut être difficile avec une atteinte vestibulaire
périphérique.
L’âge du patient et un terrain vasculaire prédisposant doivent faire évoquer ce diagnostic.
Toutes
les atteintes du tronc cérébral qui touchent de près ou de
loin les voies vestibulaires participant à la posture peuvent
induire une instabilité.
Il peut s’agir de lésions vasculaires,
tumorales, démyélinisantes…
L’imagerie par résonance
magnétique encéphalique est l’examen de choix
2- Ataxie sensitive
:
La voie sensitive impliquée est la voie dite lemniscale.
Sa longueur en fait l’une des structures les plus vulnérables
du système nerveux.
• L’interrogatoire recherche : des troubles subjectifs
témoignant d’une atteinte de la sensibilité profonde, à
savoir des paresthésies (sensation de fourmillement,
piqûres, ruissellement…) ; une décharge électrique irradiant
dans le rachis et les 4 membres à la flexion de la
nuque (signe de Lhermitte) ; des troubles de la coordination
des membres inférieurs à la marche ou lors de la conduite
automobile (changement de pédale).
• L’examen objective : une hypotonie qui se traduit par
une marche talonnante ; une instabilité majeure à
l’épreuve de Romberg sans direction particulière ; une
diminution du sens de position segmentaire ; une diminution
de sensibilité au diapason ; des difficultés dans
l’épreuve talon-genou ; une main instable ataxique, si le
déficit atteint les membres supérieurs.
Toutes ces manifestations sont induites ou majorées à la
fermeture des yeux.
Une atteinte massive et diffuse de
ce système sensitif profond peut induire une instabilité,
soit par une atteinte diffuse des nerfs, soit par une atteinte
focale des cordons sensitifs et le plus souvent au niveau
médullaire.
Le problème essentiel est de différencier
l’atteinte périphérique de l’atteinte centrale.
L’abolition
des réflexes ostéotendineux est le critère essentiel de
l’atteinte périphérique.
L’atteinte hémicorporelle est un
des critères d’atteinte centrale, de même que la présence
d’un signe de Lhermitte, d’un syndrome alterne médullaire
(Brown-Séquard) ou du tronc cérébral.
La sémiologie lemniscale n’offre aucune spécificité
étiologique ni topographique.
Elle peut traduire une polyneuropathie (comme la polyradiculonévrite aiguë
ou syndrome de Guillain et Barré), une atteinte médullaire
cordonale postérieure (comme la myélopathie
cervicale, le tabès) ou une atteinte au niveau
cérébral (comme la sclérose en plaques).
La topographie
des paresthésies et les signes associés orientent le diagnostic.
L’atteinte est bilatérale, symétrique et ascendante,
avec des anomalies de l’électromyogramme (EMG) et
de la ponction lombaire dans les polyneuropathies.
L’atteinte est globale ou hémicorporelle ipsilatérale à la
lésion, parfois dans le cadre du syndrome de Brown-Séquard, toujours sous-lésionnelle dans les lésions
médullaires.
L’imagerie par résonance magnétique
médullaire est l’examen de choix.
L’atteinte est hémicorporelle
controlatérale à la lésion, plus ou moins
proportionnelle dans les lésions du tronc cérébral, du
thalamus ou du cortex.
Dans ce cas, le scanner cérébral
ou l’imagerie par résonance magnétique encéphalique
sont les examens complémentaires nécessaires.
B - Atteinte des structures corticales :
1- Cortex pariétal :
Les troubles posturaux sont fréquents dans les lésions
intéressant le thalamus et le cortex et notamment les
accidents vasculaires cérébraux supratentoriels.
Indépendamment
des déficits moteurs, somato-sensoriels ou
visuels, ils prédominent dans les lésions hémisphériques
droites.
L’hypothèse est que ces troubles posturaux
peuvent partiellement être expliqués par un défaut
d’élaboration d’une représentation du schéma corporel
dans l’espace, plutôt dévolu à l’hémisphère droit.
Le
scanner cérébral ou l’imagerie par résonance magnétique
sont les examens de choix pour le diagnostic de ces
troubles posturaux d’origine pariétale, permettant d’en
reconnaître la cause : lésion tumorale, lésion ischémique…
2- Cortex frontal
:
L’ataxie frontale ou astasie-abasie est une incapacité à
assurer de manière complète ou partielle la position
debout et la marche alors que l’examen analytique du
malade couché est normal.
Elle se caractérise par un examen analytique normal ; une rétropulsion importante ;
une amélioration considérable des performances fonctionnelles
en lui faisant tendre les bras en avant et en lui
tenant les mains ; une trépidation sur place au démarrage
ou au passage des portes.
Ce symptôme est le plus souvent révélateur d’une
hydrocéphalie à pression normale ; d’une lésion tumorale
frontale ; d’une atrophie frontale ; d’une encéphalopathie
vasculaire ; d’une maladie de Parkinson ou
d’un autre syndrome parkinsonien (maladie de Steele,
Richardson et Olszewski).
Le scanner cérébral ou l’imagerie par résonance magnétique
sont les examens de choix dans l’ataxie frontale.
C - Atteinte cérébelleuse :
Le syndrome cérébelleux induit lui aussi un déficit
fonctionnel moteur indépendant d’un déficit de la force.
Le cervelet assure le réglage du tonus musculaire au
départ, pendant et à l’arrêt du mouvement.
Il assure la
régularité, la vitesse du démarrage et du freinage.
L’élément de base de la sémiologie cérébelleuse est
l’hypotonie.
1- Interrogatoire :
Il recherche une sensation d’instabilité vécue le plus
souvent comme une démarche ébrieuse ; une maladresse
des membres supérieurs ; un tremblement.
2- Examen de la posture :
Les troubles posturaux ne sont pas aggravés à la fermeture
des yeux.
À la station debout, il existe des oscillations en tout
sens, une danse des jambiers antérieurs, un élargissement
du polygone de sustentation.
La marche est titubante, ébrieuse et bruyante ; les pieds
sont écartés, les bras sont en balancier.
3- Autres troubles moteurs :
Les autres troubles moteurs sont une hypotonie, des
réflexes pendulaires, une dysarthrie, une écriture irrégulière,
une hypermétrie, une adiadococinésie, une asynergie,
une dyschronométrie, un tremblement intentionnel.
L’atteinte vermienne entraîne des troubles dominant sur
l’usage des membres inférieurs dans les activités automatiques,
comme le maintien de la position debout et la
marche.
L’atteinte hémisphérique donne un syndrome
latéralisé sur les gestes volontaires.
Le syndrome cérébelleux n’a aucune spécificité étiologique
et ses mécanismes d’atteinte sont multiples.
Il
peut s’agir d’affections aiguës comme un accident vasculaire, une sclérose en plaques ou un abcès ;
d’affections subaiguës ou chroniques comme une
tumeur, une cause toxique (alcool, médicaments), une
pathologie dégénérative, une pathologie paranéoplasique,
une maladie de Creutzfeldt-Jakob, une malformation
d’Arnold-Chiari.
L’imagerie par résonance magnétique
encéphalique, qui permet de bien visualiser le cervelet,
est l’examen de choix dans le bilan étiologique de
l’ataxie cérébelleuse.
En fonction des orientations diagnostiques,
peuvent ensuite se discuter : ponction lombaire,
prélèvement en biologie moléculaire, électroencéphalogramme…
D - Ataxie psychogène
:
L’instabilité, les chutes et toutes les présentations de
perte de l’équilibre peuvent être l’expression d’un
trouble somatoforme, d’un trouble de conversion ou d’autres troubles psychiques (trouble postural phobique).
Les éléments du diagnostic sont : tableau de type astasieabasie
; chutes théâtrales non traumatisantes ; absence de
signes objectifs à l’examen ; contexte psychologique :
anxiété, phobie, histrionisme, dépression ; survenue dans
les grandes surfaces, dans la foule ; intrication possible
avec un trouble initial neurologique comme un syndrome
vestibulaire ; normalité des examens paracliniques.