Technique bioprogressive
Cours de Médecine Dentaire
Introduction
:
Le terme de « technique bioprogressive » n’est peut-être pas le mieux
adapté à cette philosophie thérapeutique.
En effet, il restreint à un
aspect mécanique ce qui désigne en fait un concept global élaboré
par Ricketts à la fin des années 1950, publié en 1976, finalisé avec
ses collaborateurs Bench, Gugino, Hilgers et Schulholf en 1980 et
toujours en évolution.
« La thérapeutique bioprogressive n’est pas une simple technique
orthodontique, mais ce qui est plus important, elle sous-entend une
philosophie orthodontique totale. »
Diffusée en Europe par Gugino dès 1965, elle fut relayée en France
par Philippe, Langlade et Lejoyeux.
Dérivée entre autres de l’Edgewise classique, elle apporte une
réponse à ces praticiens qui pour des raisons esthétiques,
fonctionnelles ou de stabilité des résultats, n’étaient pas entièrement
satisfaits par les méthodes qu’ils utilisaient.
Un des points essentiels de ce concept est le diagnostic : Gugino lui
attribue 75 % du succès du traitement orthodontique, 20 % revenant
à la cohérence des étapes de traitement et seulement 5 % à la
fabrication, mise en place et activation des systèmes mécaniques.
Il ne s’agit donc pas d’une technique multiattache (même si en tant
que technique de « seconde génération », elle se caractérise
également par la segmentation des arcades), mais bien d’un concept
dans lequel l’examen clinique est fondamental.
L’individu est considéré dans sa globalité, les phénomènes de
croissance et de maturation sont intégrés de façon à placer la
technique au service du traitement et non l’inverse, et ce afin de
respecter une valeur fondamentale : l’équilibre ou l’harmonie.
Sept harmonies sont recherchées au cours du traitement orthodontique (faciale, fonctionnelle, occlusale, squelettique,
psychologique, nutritionnelle et temporelle) en référence au schéma
de Léonard de Vinci que Ricketts repris comme figure emblématique
de sa méthode.
Objectifs
:
A - ESTHÉTIQUES :
L’appréciation du beau ou de l’harmonie faciale est liée à la
conformité.
« On ressent comme beau ce qui est conforme à ce qui
est le plus habituel dans les relations quotidiennes ».
Ainsi, même si pour Philippe le beau est individuel et ne répond
pas à des normes, les stéréotypes véhiculés par les médias
influencent grandement la notion d’harmonie recherchée par nos
patients.
Aujourd’hui, les profils appréciés sont plus antérieurs : la tendance
est à la biprochéilie !
Les effets du vieillissement qui diminue la hauteur et le
prognathisme facial sont pris en compte dans les objectifs du
traitement.
L’évolution n’est plus au recul et à la diminution de la hauteur
faciale.
« L’évaluation esthétique est l’élément clé dans le choix des
objectifs de traitement. ».
Le visage d’un patient est constitué de saillies et de dépressions qui,
en s’équilibrant et par le jeu des ombres, structurent le visage et
créent un effet de douceur ou de virilité.
Ainsi, des contours plus affirmés sont souhaités chez l’homme, avec
une proéminence du menton plus importante.
La position des lèvres
est déterminante dans le profil.
Pour Ricketts, chez un adulte, la lèvre inférieure doit affleurer la
ligne E (joignant la pointe du nez et la partie la plus antérieure du
menton) tandis que la lèvre supérieure se situe légèrement en retrait.
La ligne C (tangente à la saillie du menton et au bombé des joues)
permet d’apprécier la longueur du nez : plus elle augmente, moins
les lèvres doivent s’approcher de la ligne E.
De face, la symétrie doit être respectée (parallélisme des lignes bisourcilières, bipupillaires et bicommissurales).
Les commissures
des lèvres doivent se situer entre les verticales abaissées des ailes du
nez et des pupilles.
Lors du sourire, l’arcade dentaire doit remplir tout l’espace
transversal découvert par les lèvres, déterminant un sourire plein et
charnu.
La hauteur des collets doit être continue.
Dans le sens vertical, pour que les lèvres forment un écrin équilibré
autour des dents antérieures lors du sourire, il faut qu’au repos la
lèvre supérieure recouvre la face vestibulaire des incisives jusqu’à 2
ou 3 mm environ au-dessus de leur bord libre.
« Normalement les contours labiaux sont souples, les lèvres
détendues et la bouche fermée sans effort. »
B - FONCTIONNELS :
1- Objectifs occlusaux :
La fonction occlusale est la clé de la santé et de l’équilibre de
l’ensemble stomatognathique.
Elle doit être analysée par les rapports inter- et intra-arcades
statiques, mais aussi dynamiques.
* En statique
:
Chez un sujet idéal, la position d’intercuspidation maximale est
confondue avec la relation centrée ou relation axiale terminale.
Cette dernière, autrefois définie comme la position la plus haute et
la plus postérieure des condyles dans la cavité glénoïde, en rétrusion
non forcée d’où la mandibule peut effectuer des mouvements
latéraux, est aujourd’hui redéfinie comme la position des
condyles dans la cavité glénoïde permettant des mouvements
fonctionnels libres.
+ Dans le sens sagittal
:
Selon Angle, l’ensemble des dents des deux arcades s’organise
autour de la première molaire (clé de l’occlusion).
La pointe de sa
cuspide mésiovestibulaire vient se loger au niveau du sillon
mésiovestibulaire de la première molaire mandibulaire.
Les rapports interarcades sont de type « cuspide-embrasure » avec
toutes les dents de l’arcade mandibulaire occupant une position
mésiale d’une demi-cuspide par rapport aux dents de l’arcade
maxillaire.
En fait, le rapport molaire de classe I d’Angle a été discuté par Ricketts et Dragiff, pour qui la première molaire maxillaire doit être plus distale afin de permettre au pan distal de la cuspide
vestibulaire de la deuxième prémolaire d’entrer en contact avec le
pan mésial de la cuspide mésiovestibulaire de la première molaire
mandibulaire.
Ainsi, les conditions d’une « superbe occlusion » sont
remplies.
De plus, selon Ricketts, il doit exister un vide au niveau de la
cuspide mésiolinguale et de la fosse marginale mésiale de la
première molaire mandibulaire, qui n’ont aucun contact avec
l’arcade maxillaire, ceci pour permettre une grande liberté aux
cuspides linguales de la première molaire et de la deuxième
prémolaire maxillaire.
L’importance du contrôle thérapeutique de la
première molaire mandibulaire par arc de base dans la méthode bioprogressive est alors soulignée.
Ricketts est en accord avec Andrews lorsqu’il met en évidence six
clés de l’occlusion à respecter, à partir de l’observation de 120 cas
naturellement parfaitement équilibrés. Richard en a rapporté
l’essentiel.
– Première clé : le pan distal de la cuspide distopalatine de la
première molaire maxillaire entre en contact avec le pan mésial de
la cuspide mésiolinguale de la deuxième molaire mandibulaire (ce
qui implique une inclinaison coronomésiale de la première molaire
maxillaire, ainsi qu’une légère distoversion de la première molaire
mandibulaire).
– Deuxième clé : les grands axes verticaux coronaires des dents sont
inclinés en direction mésiocclusale.
– Troisième clé :
– au niveau incisif : pour que les rapports d’occlusion des
secteurs postérieurs soient normaux, il faut que les incisives
présentent une version vestibulaire satisfaisante ;
– au niveau des secteurs latéraux : les surfaces coronaires des
faces vestibulaires sont inclinées en haut et en dedans pour les
canines, prémolaires et molaires mandibulaires et ceci de plus en
plus des canines vers les molaires ; en bas et en dedans pour les
canines, prémolaires et molaires maxillaires, l’inclinaison du bloc
molaire étant nettement plus marquée que celle du bloc
prémolaire.
– Quatrième clé : les rotations axiales ou marginales anormales des
dents sont à éviter pour que l’articulé mésiodistal soit satisfaisant.
Un bon équilibre dentaire implique donc un parfait alignement des
dents.
– Cinquième clé : la recherche des contacts proximaux entre les dents
ne doit pas se faire au préjudice d’un décalage dans les rapports
d’occlusion. Ainsi, une dent anormalement petite doit être
augmentée de volume prothétiquement, mais la continuité de
l’arcade doit être assurée.
– Sixième clé : la surface d’occlusion de l’arcade (courbe de Spee)
doit se rapprocher le plus possible d’un plan plat afin de favoriser
les coaptations mésiodistales des dents maxillaires et mandibulaires
entre elles.
L’ensemble de ces principes est approuvé par Ricketts.
Seule la
première clé concerne les rapports interarcades, les autres clés
déterminant les rapports intra-arcades.
Slavicek reprend, dans ces principes de l’occlusion, la notion
d’inclinaison vers l’avant des dents antérieures, leurs bords libres se
situant en avant du plan A-Po, à 4-5 mm pour Slavicek (en moyenne
entre 0 et + 2 mm pour Ricketts.
L’angle formé par la ligne joignant l’axe charnière à l’incision et l’axe
longitudinal de l’incisive mandibulaire doit être de 90° dans un cas
de classe I (augmenté en classe II et diminué en classe III) (Mac
Horris cité par).
Toutefois, la position idéale de l’incisive mandibulaire est en fait
déterminée en fonction des objectifs esthétiques du traitement
(analyse de profil et de face), de l’équilibre neuromusculaire, du type
facial et de l’âge du sujet.
Du fait de l’inclinaison des groupes antérieurs maxillaires et
mandibulaires, il existe un espace libre nommé angle d’ouverture intracoronaire par Slavicek, entre les faces vestibulaires
mandibulaires et palatines maxillaires permettant une fonction libre
mandibulaire.
Cet angle garantit donc une fonction antérieure atraumatique.
Ricketts propose un angle interincisif à 130°.
Philippe souligne l’importance de l’orientation de la face palatine
qui reçoit l’impact, donc l’importance de l’angle coronoradiculaire
lorsqu’il existe.
+ Dans le sens vertical
:
Les dents antagonistes entrent en contact et déterminent la
dimension verticale d’occlusion.
Pour Ricketts, les incisives maxillaires recouvrent
approximativement le tiers supérieur de la couronne clinique des
incisives mandibulaires tout en respectant la fonctionnalité du guide
antérieur.
+ Dans le sens transversal
:
Les canines doivent présenter une légère orientation coronovestibulaire afin de ne pas verrouiller la mandibule lors des
différents mouvements (principe de liberté des mouvements).
Ricketts propose un angle intercanin à 143° ± 9°.
Au maxillaire, l’orientation des premières molaires doit être telle que
la prolongation d’une ligne qui passerait par les pointes des
cuspides distovestibulaires et mésiopalatines couperait le versant
distal de la canine opposée.
Cette disposition peut impliquer une hypercorrection de la rotation distovestibulaire de la première molaire maxillaire.
À la mandibule,
la cuspide distovestibulaire de la première molaire doit assurer le
contact entre le tiers et les deux tiers de la face mésiale de la
deuxième molaire, ce qui implique également une légère
distorotation des premières molaires.
Par ailleurs, le bord distal de
l’incisive latérale mandibulaire doit être vestibulé par rapport à la
canine.
Selon Ricketts, dans une occlusion idéale, chaque hémiarcade doit
présenter 30 points de contacts occlusaux.
Cette répartition harmonieuse des butées occlusales, objectivées par
un occlusogramme, est limitée à 24 contacts si les dents de sagesse
sont absentes, 21 si les premières prémolaires sont extraites.
* En dynamique
:
Des quatre déterminants de l’occlusion, seul le troisième, c’est-àdire
l’intercuspidation dentaire, est à notre portée.
Ainsi, nous devons nous attacher à établir une adaptation
fonctionnelle des surfaces occlusales aux différents mouvements
mandibulaires.
Ricketts accepte le principe de désengrènement immédiat des
arcades dès que la mandibule quitte la position d’intercuspidation.
Il adhère au concept gnathologique de « protection mutuelle ».
En
latéralité, lors d’un guidage incisivocanin, la canine est le seul
guide côté travaillant.
Il n’existe aucun contact côté non travaillant.
Pour Slavicek, la surface de guidage de la canine est
presque droite et représente l’élément guide le plus abrupt du
maxillaire.
Comme le rappellent Lejoyeux et Flageul dans leur
ouvrage :
« Les pentes incisives et canines doivent acquérir
progressivement une prépondérance d’inclinaison sur les
déterminants postérieurs pour permettre une ouverture régulière
des mâchoires tout au long du déplacement mandibulaire.
L’équilibre du surplomb et du recouvrement conditionne la liberté
du mouvement, tandis que la pente incisive détermine sa forme et
sa vitesse.
Dans la région postérieure de l’arcade, les éléments
essentiels à considérer sont les courbes d’occlusion (plan d’occlusion et courbes de compensation), la pente cuspidienne et les structures
de dégagement (sillons principaux et accessoires, embrasures
interdentaires) dont l’organisation doit respecter la direction
générale des mouvements mandibulaires. »
L’objectif prioritaire est d’assurer la plus totale liberté aux
mouvements mandibulaires en latéralité et propulsion afin de
préserver les articulations temporomandibulaires de toutes
contraintes, donc d’assurer une croissance harmonieuse, puis une
pérennité articulaire, tout en conservant une posture de la tête et
des vertèbres neutralisée.
2- Objectifs parodontaux :
La santé parodontale représente, avec l’équilibre occlusal, la clé de
la longévité du système manducateur.
L’alignement dentaire
souhaité par nos patients assure la protection de la sertissure
gingivale, facilite une bonne hygiène buccodentaire, donc protège
de l’inflammation gingivale et permet la réalisation de rapports
d’occlusion normaux.
Ces derniers optimisent la transmission des forces de mastication
aux ligaments.
De plus, le positionnement des racines dans l’os médullaire et non
cortical permet d’éviter les récessions provoquées par des pressions
musculaires excessives sur les racines.
3- Neutralisation de l’enveloppe fonctionnelle
:
« Les chaînes musculaires orofaciales forment une enveloppe
élastique tridimensionnelle autour des dents et des mâchoires. ».
Cette enveloppe, au repos et en fonction, détermine des zones
d’équilibre des pressions dans lesquelles les dents et les arcades se
positionnent.
Lors d’un déséquilibre fonctionnel, les modifications
morphogénétiques se mettent en place et perdurent.
Pour assurer à
nos traitements la stabilité dans l’espace et le temps, il faut d’une
part normaliser les fonctions, et d’autre part choisir pour la denture
des objectifs compatibles avec l’équilibre musculaire obtenu.
« L’objectif clé est d’atteindre un équilibre au sein de la face qui
neutralise la matrice fonctionnelle et permette de placer la denture
dans la zone neutre. »
* Respiration
:
Fonction prioritaire pour la survie de l’individu, la ventilation
nasale, seule physiologique, assure le conditionnement de l’air
inspiré indispensable à la régulation des débits, la filtration,
l’humidification et le réchauffement de l’air.
L’excitation paratypique de l’étage respiratoire supérieur (c’est-à-dire stimulation
des organes propriocepteurs par le passage de l’air) constitue
également pour Planas (cité par) un facteur essentiel pour une
croissance correcte.
L’obstruction nasale présente des causes multiples :
– les causes dysmorphiques qui regroupent l’obstruction de l’auvent
narinaire par sténose ou collapsus narinaire, l’obstruction de
l’auvent nasal par collapsus valvaire, déviation septale antérieure
traumatique, lyse septale antérieure et l’obstruction des fosses
nasales par sténose congénitale et acquise de l’orifice piriforme,
anomalies septoturbinales et fosses nasales étroites, imperforation
ou sténose choanale ;
– les causes dysfonctionnelles, qui comprennent les rhinites et
rhinopathies, la polypose nasosinusienne et les polypes ;
– un obstacle nasopharyngé par accroissement excessif des
amygdales et végétations adénoïdes constitue le dernier facteur
causal de l’obstruction nasale.
Le retentissement morphogénétique d’une ventilation orale se fait
non seulement sur les fosses nasales et les sinus, mais touche
l’ensemble du squelette maxillofacial.
Gola insiste sur l’importance du rétablissement le plus précoce
possible de la filière nasale.
L’hypodéveloppement des cavités sinusales entraîne une
hypotrophie de l’arcade maxillaire et un défaut de croissance
verticale au niveau des molaires.
L’étroitesse transversale de l’orifice piriforme retentit sur le
prémaxillaire qui, hypodéveloppé, détermine une malposition
incisives-maxillaires.
La correction orthodontique de l’encombrement incisivocanin
maxillaire est indissociable de la correction orthopédique du
rétrécissement transversal de l’orifice piriforme.
L’abaissement
lingual nécessaire au passage de l’air va aggraver l’étroitesse du
palais et la rétrusion maxillaire, la langue ne jouant plus son rôle
physiologique d’expansion de l’arcade maxillaire et de sollicitation
de la suture médiopalatine.
Le palais apparaît haut, profond, étroit en forme de « V » ou en
« lyre », déterminant des articulés croisés uni- ou bilatéraux.
Lorsque
l’obstruction nasale prédomine d’un côté, la voûte palatine est
asymétrique, déterminant une latérodéviation mandibulaire : c’est le
syndrome de Cauhépé et Fieux.
Outre le manque de place observé au niveau incisif, les axes
dentaires sont également perturbés, le plus souvent linguoversés,
ou en vestibuloversion du fait d’un problème fonctionnel associé.
En raison de la nouvelle posture mandibulaire, l’angle mandibulaire
tend à s’ouvrir.
La posture craniorachidienne est également perturbée par
hypertension cervicale avec position avancée de la tête.
Le masque peaucier facial, étiré, contribue à l’aplatissement des
reliefs faciaux et à la réduction des dimensions transversales.
Enfin, l’obstruction nasale perturbe les fonctions pulmonaire,
cardiaque, digestive, ainsi que le développement psychomoteur et
la croissance générale.
* Déglutition
:
La déglutition se déroule en trois temps : buccal, pharyngien et
oesophagien.
Seul le temps buccal nous intéresse.
Straub, en 1960, définissait ainsi la déglutition normale :
– la mimique musculaire ne se modifie pas ;
– les muscles masticateurs mettent les dents en occlusion et
maintiennent fixe la mandibule ;
– la langue reste à l’intérieur de l’arcade dentaire.
Chez le nouveau-né, la langue se projette entre les arcs gingivaux,
les joues se contractent et viennent au contact des bords latéraux
linguaux.
Vers 18 mois, la transition entre les deux modes de déglutition
s’effectue grâce à l’abaissement de la langue, la présence des
incisives et l’allongement des lèvres.
La modification du mécanisme peut ne survenir que 1 ou 2 ans après
l’éruption des deuxièmes molaires temporaires, soit vers 4 ou 5 ans.
Toutefois, entre 6 et 9 ans, 30 % des enfants présentent encore une
déglutition « atypique » :
– les arcades dentaires n’entrent pas en occlusion ;
– la pointe de la langue s’interpose entre les incisives où elle exerce
de fortes pressions créant une infra-alvéolie et/ou une proalvéolie ;
– la masse linguale peut s’interposer entre molaires et prémolaires
générant alors une infra-alvéolie postérieure avec supraclusion
antérieure ;
– l’insuffisance du muscle lingual provoque la contraction de
l’orbiculaire et des muscles mentonniers avec aspiration de la lèvre
inférieure et des buccinateurs responsable d’une rétroalvéolie
mandibulaire et/ou d’une proalvéolie maxillaire.
Pour Gola, les troubles de la respiration induisent des problèmes
de déglutition.
Le passage de la déglutition primaire à secondaire ne peut se faire
en cas de ventilation orale, et une rééducation du comportement
lingual ne peut réussir qu’à condition de rétablir la ventilation
nasale.
* Phonation
:
Cauhépé et al ont montré que les anomalies des appuis
musculaires lors de l’articulation phonétique jouent un rôle essentiel
dans la genèse des dysmorphoses dentomaxillaires.
Fieux et al parlent de béances dues à une interposition linguale
lors de la phonation.
L’interposition linguale au niveau des molaires
déterminerait une infra-alvéolie molaire, donc une supraclusion
incisive en occlusion.
En fait, les forces exercées par la phonation
vont dans le même sens que celles exercées par la déglutition ; ces
deux anomalies fonctionnelles étant souvent associées, il est difficile
d’isoler leurs effets.
* Mastication
:
Elle permet la formation du bol alimentaire apte au transport par la
déglutition dans le pharynx et l’oesophage.
Le mécanisme masticatoire met en jeu la denture et les muscles
masticateurs.
Pour Moller, une forte activité du faisceau postérieur du temporal
durant la mastication et l’intercuspidation maximale est associée à
un recouvrement incisif important.
D’après Muller, l’hypotonie des chaînes élévatrices des muscles
masticateurs, soit génétique, soit acquise par un défaut de
mastication dû à une alimentation trop molle ou à un engrènement cuspidien trop marqué, favorise la supraclusion molaire.
Les différents auteurs s’accordent pour admettre que les
malocclusions s’accompagnent d’une plus grande irrégularité des
mouvements mandibulaires.
Selon Planas, un sous-fonctionnement de l’appareil masticateur
ou une mastication incomplète (seulement en ouverture-fermeture)
entraîne un sous-développement des maxillaires, d’où endognathie
ou endoalvéolie et macrodontie relative (donc encombrement
dentaire), ainsi que des mésiopositions elles-mêmes effets de la
macrodontie relative.
« La mastication normale est elle aussi tributaire d’une ventilation
nasale.
Chez le respirateur buccal, le bol alimentaire est
habituellement trituré seulement par la langue, favorisant
l’hypertrophie linguale.
Il est conservé longtemps en bouche ou très
rapidement avalé. »
* Mimique
:
La zone primordiale au niveau des pressions est celle du modiolus.
Pour Delaire, les muscles peauciers, par leurs insertions et leurs
mouvements, agissent en synergie.
Pour Ballard, les variations de posture et de comportement des
lèvres constituent un des facteurs étiologiques des malocclusions
incisives.
Selon Château, elle peut être, dans le cas d’une propulsion
habituelle mandibulaire par mimétisme, à l’origine d’une
malocclusion de classe III.
La neutralisation de l’enveloppe fonctionnelle comprend de plus
l’élimination des parafonctions telles que la succion (digitale ou d’un
linge) ou l’interposition labiale qui viennent favoriser ou aggraver
certaines malformations.
Principes
:
A - COMMANDEMENTS DE LA THÉRAPEUTIQUE
BIOPROGRESSIVE PROPOSÉS PAR RICKETTS ET AL
:
1- Éducation de prise de conscience et de motivation
du patient
:
L’awareness training ou éducation fonctionnelle cognitive, d’après
Gugino, représente un point essentiel du concept
bioprogressif.
C’est ce qu’il appelle la « psychophysiologie ».
Il s’agit de faire comprendre au patient ce qu’on lui fait, comment et
pourquoi on le fait, afin de stimuler sa coopération.
2- Déverrouillage progressif des malocclusions
pour normaliser les fonctions :
Gugino différencie trois grands types de déverrouillage :
– fonctionnel ou physiologique (suppression des contraintes
néfastes sur les dents en améliorant les comportements, donc la
musculature qui modifie alors la forme) ;
– mécanique (levée des verrous occlusaux) ;
– psychologique (qui correspond au premier principe).
Le déverrouillage fonctionnel peut être entrepris par rééducation
neuromusculaire (à partir de 8 ans en moyenne) et/ou moyens
coercitifs type cage à langue, grille antipouce, perle de Tucat,
enveloppe linguale nocturne…
Les problèmes de respiration doivent être pris en charge par des
spécialistes différents selon le siège du problème (oto-rhinolaryngologiste
pour les troubles anatomiques, allergologue,
orthophoniste pour les troubles du comportement sans cause
anatomique).
Pour Gugino et Dus, « le déverrouillage de la denture permet un
potentiel normal de croissance et une fonction normale des
articulations temporomandibulaires (ATM), un déplacement
dentaire plus efficace et initialise le changement de forme ».
Le point clé du déverrouillage mécanique est de « libérer » la
denture pour permettre à la mandibule et aux ATM de fonctionner
normalement.
Le processus de déverrouillage est le suivant :
– rotation distolinguale des molaires maxillaires ;
– expansion orthopédique de l’arcade maxillaire ;
– augmentation de la distance intercanine ;
– contrôle des incisives maxillaires.
Le déverrouillage mécanique peut intéresser les trois sens de
l’espace.
Dans les cas de classe II squelettique, par exemple, on retient que :
– dans le sens vertical, les blocages occlusaux sont représentés par
un recouvrement excessif antérieur.
La correction préalable de cet
excès de recouvrement est indispensable à la correction de la classe II (utilisation des arcs de base) ;
– dans le sens transversal, le verrou se situe dans la non-concordance
transversale des arcades maintenant une position de confort en
décalage sagittal ou en latérodéviation.
Le déverrouillage s’effectue
par plaque amovible à vérin médian, Quad Hélix ou Bihélix,
gouttière à vérin ;
– dans le sens sagittal, les verrous occlusaux sont essentiellement les
rotations molaires mésiovestibulaires (corrigées par arc transpalatin
ou arc de base).
La palatoversion incisive maxillaire et la
vestibuloversion incisive mandibulaire sont corrigées par le contrôle
du torque par arc de base.
2- Segmentation des arcades en fonction
du « degré de difficulté » présenté par le cas :
Cette segmentation permet d’assurer la stabilité de l’axe facial et le
contrôle tridimensionnel précis des mouvements dentaires.
La segmentation des arcades permet de maîtriser les forces orthodontiques (point d’application, direction, sens et intensité).
Elle
permet en outre de faciliter l’hypercorrection dans les trois sens de
l’espace.
Ce principe de segmentation diffusé par Burstone permet d’assurer
dans le sens sagittal le maintien de l’ancrage (arc transpalatin, arc
de base), dans le sens transversal, le maintien de la forme d’arcade
(Quad Hélix, arc de base, arc transpalatin), et dans le sens vertical,
le contrôle des égressions molaires ainsi que l’ingression progressive
et sélective des secteurs dentaires (nivellement bioprogressif de la
courbe de Spee.
3- Correction orthopédique des décalages des bases
:
« Plus le traitement est précoce, plus la face s’adaptera à votre
concept thérapeutique.
À l’opposé, plus le traitement est tardif, plus
votre concept doit s’adapter à la face. »
La correction orthopédique précoce du décalage des bases s’inscrit
donc comme un préalable essentiel au traitement mécanique,
assurant un résultat plus harmonieux et plus stable.
4- Ancrage dans l’os cortical
:
L’utilisation raisonnée de l’arc de base (expansion et torque) permet
de placer les racines des molaires dans l’os cortical où le
déplacement est plus lent.
Pour Gugino (1991), c’est la
pression exercée sur l’os cortical qui constitue l’ancrage plutôt que
le déplacement réel des racines dans ce dernier.
5- Ancrage musculaire :
La tonicité musculaire différentielle selon la typologie du patient
peut être utilisée en ancrage.
Ainsi, chez un brachyfacial, le
parallélisme des plans occlusal et palatin induit des forces occlusales
verticales assurant un maintien d’ancrage dans le sens vertical
(contrôle de l’égression molaire), mais également dans le sens
sagittal par la diminution des composantes de mésialisation.
À l’inverse, chez un dolichofacial, cet ancrage est faible du fait d’une
tonicité musculaire moindre et d’un angle palatomandibulaire
ouvert.
6- Consolidation et idéalisation préalable
de l’arcade mandibulaire
:
L’arcade mandibulaire conditionne le plan de traitement.
La forme
d’arcade mandibulaire est idéalisée et individualisée en choisissant
à partir du patient et des cinq formes d’arcs pentamorphiques de
Ricketts et al, la forme d’arc à employer dans les stades de
finition.
La segmentation de l’arcade maxillaire permet ensuite à l’occlusion
de s’établir fonctionnellement grâce à la mastication.
Ce principe
assure, selon Ricketts, la conservation de la forme d’arcade naturelle
initiale.
7- Achèvement de chaque étape avant d’entamer
la suivante
:
Ce principe rejoint celui du déverrouillage mécanique.
Ainsi, le sens
transversal est toujours pris en charge avant le sens sagittal, le
nivellement toujours terminé avant les déplacements.
8- Traitement du recouvrement interincisif
avant celui du surplomb :
Le non-respect de ce commandement se traduit par la persistance
de diastèmes ou la non-correction complète de la classe II.
9- Hypercorrection :
Elle permet de prévenir la tendance naturelle à la récidive des
mouvements mécaniques.
Toutefois, elle ne doit pas générer d’interférences occlusales qui
présentent, quant à elles, une source de récidive immédiate.
Naturellement, l’hypercorrection doit être envisagée dans les trois
sens de l’espace.
Ainsi, dans le cas d’une supraclusion incisive, l’hypercorrection du
sens vertical doit impérativement être associée à l’hypercorrection
du sens sagittal (torque) pour obtenir un angle interincisif
satisfaisant, capable ainsi de s’opposer à la récidive de la
supraclusion.
10- Contrôle des forces appliquées selon le principe
des quatre « D » de Stoner (direction, degré,
distribution et durée)
:
Comme le troisième commandement le précise déjà, la segmentation
des arcs permet le contrôle précis des forces appliquées
(connaissance du point d’application, de l’intensité et de la
direction).
Par ailleurs, l’intensité étant contrôlable, les forces à appliquer selon
les dents concernées peuvent varier.
Ces forces dépendent des
rapports surface radiculaire/surface osseuse, ainsi que de l’état
parodontal (d’après).
Les valeurs nécessaires au déplacement de chaque dent ont été
décrites.
Ce contrôle des forces doit être particulièrement adapté dans le cas
d’un parodonte déficient.
11- Conception des systèmes mécaniques en fonction
des objectifs individualisés et du degré de difficulté
présenté par la denture et l’enveloppe fonctionnelle :
L’objectif visuel de traitement (OVT) a été développé par Ricketts
pour la planification à court terme du traitement.
Il s’agit d’intégrer la croissance prévue aux différentes options
thérapeutiques qui deviennent visuellement accessibles pour
planifier un traitement.
Le diagnostic issu d’une séquence logique
d’observation (flux), permet d’évaluer le degré de difficulté du cas.
Les activations mécaniques à prévoir (nature et quantité des
déplacements à effectuer, ancrages à garder ou à perdre) sont
déduites des informations données par la comparaison
(superposition) de l’OVT et du tracé céphalométrique initial.