La rage est une maladie infectieuse connue depuis
l’Antiquité. On en trouve déjà une description dans le
code Eshuma de Babylone (XXIIIe siècle avant J.-C.).
Dès
cette époque, un lien est fait entre une morsure d’animal
et la survenue de la maladie.
La rage, zoonose des mammifères,
réalise chez l’homme une encéphalomyélite
aiguë constamment mortelle.
En Europe, au XXe siècle,
la rage canine est responsable d’un très grand nombre de
cas humains.
C’est en 1885 que, mettant à profit la
longue durée d’incubation de la maladie, Pasteur met au
point le premier traitement postexposition.
Épidémiologie
:
A - Distribution géographique
:
Dans le monde, la rage est responsable de plus de 30 000
décès annuels.
La grande majorité d’entre eux sont
secondaires à une contamination canine et surviennent
principalement en Asie (Inde) et en Amérique du Sud.
En Europe, l’épidémiologie de la rage s’est profondément
modifiée au cours des dernières dizaines d’années.
La vaccination des chiens domestiques et l’élimination
des chiens errants a permis l’éradication de la rage canine en Europe de l’Ouest.
À la fin de la dernière guerre
mondiale, l’adaptation du virus rabique au renard
contribue à la propagation de la rage dans de nombreux
pays.
En mars 1968, la France est atteinte par la frontière
nord-est et à partir de cette date, l’épizootie gagne en
quelques années le quart nord-est du territoire métropolitain.
Depuis 1989, date de l’utilisation de vaccins antirabiques
contenus dans des appâts destinés à la vaccination
orale des renards, le nombre de cas de rage animale
a considérablement diminué en France et dans toute
l’Europe.
Les cas de rage humaine restent exceptionnels en
France.
Depuis la réintroduction de la rage en 1968, une
quinzaine de cas humains ont été rapportés.
Dans tous
les cas, il s’agissait de cas « importés », c’est-à-dire
secondaires à des morsures contractées à l’étranger.
B - Agent infectieux
:
Le virus de la rage, membre de la famille des Rhabdoviridæ, appartient au genre Lyssavirus dont on
distingue 4 sérotypes.
Il s’agit d’un virus à
ARN monocaténaire dont l’enveloppe est constituée de
glycoprotéines immunogènes qui constituent les cibles
des anticorps neutralisants induits par la vaccination.
Le
virus rabique est fragile, il est facilement inactivé dans
le milieu extérieur ainsi que par l’alcool, les détergents,
les ammoniums quaternaires, la chaleur ou les ultraviolets.
C - Réservoirs et cycles de transmission
:
Le réservoir de la rage est exclusivement animal.
Tous
les mammifères peuvent transmettre la maladie.
Selon le
réservoir animal prépondérant, on distingue 2 cycles
principaux de rage : le cycle de la rage sylvatique
qui concerne avant tout les animaux sauvages et le
cycle de la rage urbaine (rage des rues) qui intéresse les
animaux domestiques.
1- Cycle de la rage sylvatique :
Ce cycle prédomine en Europe et en France où le renard
et les mustélidés (martres, putois, furets, belettes…)
constituent le réservoir principal.
Toutefois, en France,
les rongeurs ne font pas partie du cycle de transmission
de la rage.
Ce réservoir sauvage est responsable de la
contamination secondaire des animaux domestiques.
2- Cycle de la rage urbaine :
Ce cycle est celui qui prédomine en Asie, en Afrique et
en Amérique du Sud.
La rage est transmise à l’homme
par les animaux domestiques, surtout par les chiens mais
aussi par les chats ou les mammifères d’élevage (ovins,
bovins).
3- Rage des chiroptères :
Jusqu’en 1989, la rage des chauves-souris était limitée
au continent américain.
Depuis cette date, 5 chauvessouris
contaminées ont été identifiées en France.
Il
s’agit toujours de la même espèce, la sérotine commune
(Eptesicus serotinus).
Ce nouveau mode de diffusion de
la maladie pose le problème de son contrôle épidémiologique,
puisque des chauves-souris enragées ont pu être
retrouvées à plusieurs centaines de kilomètres du foyer
rabique connu le plus proche.
Il a été montré récemment
que la sérotine peut transmettre la maladie aux moutons.
La rage des chiroptères expose ainsi au risque hypothétique
de contamination des animaux domestiques dans
des départements considérés comme indemnes de rage.
D - Mode de contamination :
La contamination humaine est presque toujours
consécutive à une inoculation par morsure, griffure ou
léchage sur peau excoriée par de la salive virulente.
Plus rarement, la transmission peut se faire par voie
muqueuse, par inhalation de particules virales en suspension,
principalement dans les grottes infestées de
chauves-souris.
Des cas de transmission par greffe de
cornée ont aussi été rapportés.
E - Diagnostic :
1- Manifestations cliniques :
• Chez l’animal, le diagnostic de rage est souvent
difficile à porter.
Les symptômes sont souvent peu
spécifiques et varient d’une espèce à l’autre.
La forme
classique, furieuse, est probablement plus rare que la
forme tranquille.
La salive n’est contaminante que dans
les 15 jours qui précèdent la mort de l’animal.
Cette particularité
est mise à profit dans l’appréciation du risque
rabique pour la stratégie de la prévention vaccinale de postexposition lorsque l’animal peut être surveillé.
• Chez l’homme, la rage est une maladie à déclaration
obligatoire.
L’incubation dure en moyenne de 30 à
90 jours, mais peut être plus courte, notamment chez les
enfants, en cas de morsures graves ou intéressant des
zones richement innervées (tête, extrémités, organes
génitaux). Des cas d’incubation particulièrement prolongée,
supérieure à une année, ont été rapportés.
La période d’invasion dure de 2 à 4 jours.
Elle réalise un
tableau infectieux peu spécifique associant diversement
une asthénie, des myalgies et une fièvre peu élevée.
Dans 50 % des cas, la survenue de douleurs ou de paresthésies
dans le territoire de la morsure constitue des
signes évocateurs du diagnostic.
À la phase d’état, la rage réalise un tableau d’encéphalite
aiguë qui peut prendre 3 formes cliniques : la forme
spastique caractérisée par le classique spasme laryngé
hydrophobique ; la forme furieuse dominée par des
signes de démence et une agitation ; la forme paralytique
qui réalise une paralysie ascendante à type de syndrome
de Guillain et Barré (forme muette ou tranquille).
La notion d’une exposition au risque constitue évidemment
un élément essentiel du diagnostic.
Toutefois cette
information fait parfois défaut.
Ainsi on n’a retrouvé un
antécédent avéré de morsure animale que chez 7 des
32 derniers cas humains de rage aux États-Unis.
2- Diagnostic biologique :
Chez l’animal, la confirmation diagnostique repose sur
la mise en évidence du virus ou d’antigènes viraux sur
prélèvement d’encéphale.
Lorsque l’animal est en cause
dans un accident de contamination humaine, ces examens
sont réalisés à l’Institut Pasteur de Paris.
Dans les
autres situations c’est le Laboratoire d’étude de la rage
et de la pathologie des animaux sauvages (LERPAS) de Nancy-Malzéville qui a la charge de ces examens.
Diverses techniques sont mises en oeuvre systématiquement.
La présence d’antigènes rabiques peut être révélée
en 1 heure par immunofluorescence directe.
Cet examen
est couplé à un test ELISA pratiqué sur broyat cérébral.
Enfin, un test de confirmation par culture sur cellules de neuroblastome murin est pratiqué.
À côté de ces examens de routine, d’autres explorations
peuvent être réalisées.
Ainsi l’identification précise du sérotype viral peut être faite grâce à des anticorps monoclonaux.
Le génome viral peut aussi être détecté par
amplification génique (PCR, polymerase chain
reaction).
Des tests sérologiques recherchant l’existence
d’anticorps neutralisants spécifiques sont aussi disponibles.
Ils sont positifs chez l’homme malade dans 50 %
des cas à partir du 8e jour de la maladie et dans 100 %
des cas après le 15e jour mais sont d’interprétation difficile
en cas de vaccination ou de sérothérapie préalable.
L’examen anatomopathologique de prélèvements autopsiques
cérébraux peut montrer des lésions spécifiques
(corps de Negri) dans les cellules de la corne d’Ammon.
Prévention :
Chez l’homme, après exposition au virus rabique, le
seul traitement efficace repose sur la vaccination complétée
éventuellement par une sérothérapie spécifique.
Cette stratégie est rendue possible par la longue durée
d’incubation de la maladie.
On parle de vaccination
curative ou de postexposition.
A - Outils de prévention :
Les vaccins modernes, préparés sur cultures cellulaires
(cellules diploïdes humaines ou cellules Véro), présentent
une efficacité et une innocuité similaires.
En
France, seul le vaccin préparé sur cellules Véro est disponible.
D’autres vaccins inactivés, préparés sur cerveau
d’animaux ou sur embryons aviaires sont encore
utilisés dans le monde mais peuvent entraîner des complications
neurologiques.
Les immunoglobulines spécifiques d’origine humaine
ont obtenu une nouvelle autorisation de mise sur le
marché (AMM) en 1998.
Elles remplacent le sérum
d’origine équine qui expose à des accidents de type
allergique.
Lorsqu’elles sont indiquées, les immunoglobulines
sont administrées en même temps que la première
injection vaccinale à la dose de 20 UI/kg.
La plus
grande quantité possible doit être infiltrée autour des
lésions et le reste injecté en intramusculaire en un site
différent de celui employé pour la vaccination.
B - Modalités pratiques du traitement
prophylactique de la rage après exposition :
1- Estimer les risques de contamination :
Les paramètres suivants sont à prendre en compte pour
estimer le risque de contamination rabique :
– le lieu géographique de la morsure appartient-il à une
zone d’enzootie rabique ?
– l’animal mordeur peut-il transmettre la rage ?
– l’animal peut-il être soumis à une surveillance vétérinaire
?
– le comportement de l’animal était-il anormal au moment
de la morsure (attaque spontanée ou réactionnelle) ?
– la morsure présente-t-elle des caractères de gravité
propres en termes :
. de localisation (muqueuses, face, scalp, cou, mains) ?
. d’importance (nombre, profondeur, nécessité de suturer
les lésions) ?
. de circonstance (pas d’interposition de vêtement) ?
2- Conduite à tenir envers l’animal mordeur :
Tout animal mordeur doit être soumis à une surveillance
vétérinaire à J0, J7 et J14 par rapport à la date de la
morsure.
Trois certificats, déclarant l’absence ou la présence
de signe de rage, doivent être établis.
Pour les
animaux sauvages, en raison du risque d’excrétion salivaire présymptomatique plus longue, la 3e visite doit
être faite à J30.
Si l’animal est vivant au terme de cette
surveillance, il n’a pu être contaminant au moment de la
morsure.
La surveillance peut alors être interrompue, de
même que la vaccination.
En cas de décès de l’animal
mordeur, accidentel ou non, l’encéphale de l’animal doit
être adressé à un laboratoire agréé pour un examen virologique
et anatomopathologique.
3- Traitement local :
Un traitement local doit toujours être institué.
Dans un
premier temps, un parage de la plaie est réalisé.
Il associe
un lavage, une désinfection locale et l’excision des tissus
nécrotiques.
Si une suture est nécessaire elle doit, dans
la mesure du possible, être reportée de 24 à 48 heures.
En cas de morsure grave, la plaie doit être infiltrée par des immunoglobulines antirabiques.
Il convient par
ailleurs de ne négliger ni la prophylaxie antitétanique ni
le risque d’infection bactérienne.
4- Vaccination curative :
Il n’existe pas de contre-indication à la vaccination de postexposition.
En France, cette vaccination ne peut être
pratiquée que dans un centre antirabique.
La décision de
traitement dépend de la gravité de la lésion et de la possibilité
de mettre l’animal en surveillance vétérinaire.
Les recommandations de l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) concernant la vaccination antirabique en
fonction de la nature du contact et de l’état de l’animal
mordeur sont rapportées dans le tableau III.
Divers schémas vaccinaux sont validés par le comité
d’experts de l’OMS.
En France, seuls les protocoles de vaccination par
voie intramusculaire sont utilisés.
Le protocole de référence dit « Essen » comporte 5
injections.
Il est le seul applicable en cas d’utilisation
d’immunoglobulines spécifiques, le schéma à 3 injections dit «
Zagreb » ne garantissant pas la séroconversion lorsqu’il est associé
aux immunoglobulines.
Si le patient
mordu a déjà été vacciné avant l’exposition, une seule
injection de rappel peut être réalisée à condition que le
patient présente un titre d’anticorps neutralisants protecteur
le jour du rappel.
5- Contrôle de l’immunité :
Un contrôle sérologique, par dosage des anticorps neutralisants,
peut être proposé aux sujets vaccinés préventivement.
Dans le cadre d’un traitement de postexposition, cet
examen est facultatif, il peut être pratiqué 1 à 3 semaines
après la dernière injection vaccinale, chez des sujets immunodéprimés, lorsque le schéma thérapeutique s’est
éloigné des recommandations ou que des immunoglobulines
ont été employées après le début de la vaccination.
C - Mesures générales de prophylaxie
de la rage
:
Trois niveaux de prophylaxie peuvent être distingués.
1- Lutte contre la rage sylvatique :
En France, l’éradication de la rage vulpine est en passe
d’être obtenue grâce à l’instauration depuis 1989 de
programmes de vaccination orale des renards dans les
zones d’endémies.
2- Vaccination des animaux domestiques :
Quoique obligatoire dans les régions endémiques, elle n’est que très incomplètement réalisée
par les propriétaires d’animaux.
Les vaccins antirabiques
ne peuvent être utilisés qu’à titre préventif.
Tout animal non vacciné mordu par un autre animal
enragé doit donc être euthanasié.
3- Prophylaxie chez l’homme :
La vaccination humaine préventive (préexposition) est
applicable chez les sujets exposés régulièrement au
risque rabique, le plus souvent du fait de leur activité
professionnelle (vétérinaires, personnel de laboratoire…)
ou dans le cadre d’un voyage prolongé en région de
forte enzootie rabique.
Le schéma de vaccination comporte
alors 2 injections à J0 et J28, un rappel à un an
puis des rappels tous les 3 ans.