Pontage aortofémoral vidéoassisté Cours de Chirurgie
Introduction
:
Ce n’est qu’après d’autres spécialités que la chirurgie vasculaire
développe des techniques de chirurgie mini-invasive et
vidéoassistée.
L’avantage majeur de ces nouvelles opérations est de
réduire l’abord chirurgical à une effraction pariétale limitée, afin de
permettre des suites moins douloureuses et des hospitalisations plus
courtes.
Réaliser un pontage aortobifémoral sans ouvrir largement
l’abdomen, et insérer sur l’aorte abdominale une prothèse
synthétique bifurquée pouvait sembler, il y a encore peu de temps,
une gageure.
Pourtant, les progrès de l’instrumentation,
l’entraînement des équipes chirurgicales et l’évolution des idées,
nous ont permis de réaliser, à ce jour, cette opération chez plus de
50 patients.
Il nous semble clair que la nécessité de trouver des solutions au défi
technique ainsi lancé, va également permettre de proposer des
améliorations à une chirurgie très efficace à long terme, battue en
brèche par la simplicité apparente et les résultats à court terme de la
chirurgie endovasculaire.
Le matériel utilisé dérive directement de celui employé en chirurgie
digestive ou thoracique : colonne avec caméra vidéo munie si
possible d’un zoom, comportant un angle à 0 ou à 30°, instruments
longs permettant la coagulation et l’aspiration, rétracteur
téléscopique pouvant être introduit par un simple trocart ou
suspenseurs pariétaux…
Cependant, de nouveaux instruments sont
déjà disponibles : écarteurs intrapéritonéaux (type fish retractors),
clamps largables...
Technique chirurgicale du pontage aortobifémoral par voie
transpéritonéale :
Après préparation intestinale, le patient est anesthésié et installé en
décubitus dorsal, les lombes soulevées par un fort billot.
Une insufflation d’air à l’aiguille de Palmer est alors commencée, après
simple ponction périombilicale, jusqu’à atteindre une pression intraabdominale
de 13 mmHg.
Trois trocarts avec valve antireflux sont
alors installés par des incisions de 1 cm : l’un en sous-costal droit
pour introduire un rétracteur télescopique, les deux autres en
pararectal gauche pour introduire l’optique, la lumière froide et les
instruments. Le premier temps opératoire consiste à exposer
l’aorte derrière le péritoine pariétal postérieur, c’est-à-dire à récliner
les anses grêles.
Ce temps est délicat ; le résultat est obtenu par la
mise en Trendelenburg du patient, tout en l’inclinant vers la droite.
Le rétracteur télescopique est alors mis en place pour assurer la
stabilité du champ opératoire.
Certaines équipes ont étudié des
écarteurs spécifiques pour assurer la stabilité du champ intestinal,
type fish retractor.
La dissection du péritoine pariétal postérieur est alors menée aux
ciseaux de coeliochirurgie sur lesquels une coagulation est possible.
Le but est de dénuder largement l’aorte sur 5 cm, afin de permettre
l’installation du clamp latéral en toute sécurité. Pendant ce temps,
l’absence de calcification pariétale est vérifiée ; leur existence, gênant
le clampage, pourrait être une contre-indication à la technique,
nécessitant la conversion.
Tout ce temps opératoire est effectué sous
insufflation péritonéale.
Les temps suivants sont effectués après une courte laparotomie et
l’on perd le bénéfice de la distension péritonéale.
Un cadre
suspenseur autostatique (cadre de Moret ou Laparolifty) peut alors
être avantageusement installé pour maintenir un espace de travail
intra-abdominal suffisant.
Un clamp moyen de Satinsky est alors
introduit par la laparotomie sus-ombilicale de 3 cm.
Sa parfaite mise
en place sur l’aorte est assurée sous contrôle coelioscopique.
Les
anneaux de ce clamp restent en extra-abdominal, émergeant de
l’incision, permettant au chirurgien une action permanente et directe
sur l’instrument en cas de nécessité.
L’aortotomie longitudinale est
alors menée prudemment s’assurant tout d’abord de la parfaite
étanchéité du clampage.
On injecte alors l’héparine à la dose de
0,5 mg/kg par voie intraveineuse.
La prothèse en Dacront tissé est entièrement préparée avant son
introduction intra-abdominale : les recoupes sont effectuées au
thermocautère pour éviter l’effilochage et un matériel précoagulé est
indispensable.
Cette prothèse est introduite par un des abords après l’avoir vrillée pour limiter l’encombrement, surtout si elle est
introduite par un trocart. Elle est déplissée soigneusement dans
l’abdomen sous vidéoscopie et présentée en position de suture.
Il
est parfois nécessaire, pour ne pas être gêné, de réaliser d’emblée les
tunnels sous-péritonéaux et de mettre en place la prothèse jusqu’aux
triangles de Scarpa, évitant ainsi la gêne des coudures des jambages
dans un espace de travail restreint.
La suture terminoterminale est menée au surjet, utilisant un fil
monobrin 4/0 et un porte-aiguille long et fin.
Chaque point est mené
successivement dans la prothèse, puis dans la paroi artérielle ; le
surjet est tendu grâce à un aide par l’intermédiaire d’un crochet
introduit dans l’abdomen par la laparotomie médiane.
Le noeud qui
termine le surjet est descendu et serré à l’aide d’un pousse-noeud
qui applique fermement les boucles inversées.
Une variante
technique permet de réaliser le surjet avec une aiguillée de 7 cm de
long, qui facilite les manoeuvres intra-abdominales.
En revanche, le
noeud peut être de réalisation délicate en l’absence de système
robotisé.
L’abord des triangles de Scarpa est effectué à ciel ouvert et la tunnellisation des branches est réalisée à l’aveugle, comme
habituellement.
Chaque branche de la prothèse est rattrapée sous
contrôle coelioscopique et amenée en position fémorale en vérifiant
l’absence de torsion et la bonne tension du montage.
Le clamp peut
être prudemment relâché pour vérifier l’hémostase.
Un reclampage
pour ajouter un point complémentaire est possible. Les anastomoses
fémorales et les purges sont effectuées. Puis, le grand épiploon est
amené et suturé sur la prothèse pour la séparer du tube digestif.
Technique chirurgicale du pontage aortofémoral par voie rétropéritonéale
:
Une incision de 3 cm est effectuée au bord externe du muscle grand
droit sur la ligne joignant l’ombilic à l’épine iliaque
antérosupérieure.
Le péritoine est ensuite décollé en utilisant soit un
tampon monté, soit un ballon gonflable, jusqu’aux vaisseaux.
Un
rétracteur téléscopique est alors mis en place et retient le sac
péritonéal, soit par la même petite incision, soit par un trocart. Deux
trocarts sont alors mis en place pour introduire la caméra et les
instruments.
L’aorte est alors disséquée sous contrôle de la vue, puis
le clamp est mis en place comme décrit.
L’intervention est
alors menée selon les mêmes principes.
Il est, bien sûr, possible
d’effectuer un pontage au niveau de l’aorte ou sur l’iliaque primitive
selon les lésions.
Réalisation de la suture vasculaire
et utilisation d’une prothèse sans
suture
:
Le temps le plus long et le plus délicat de l’intervention est celui de
la suture.
Deux choix sont possibles : utiliser une suture de longueur
normale et se pose alors le problème de la tension du surjet, ou
travailler avec une aiguillée raccourcie et le problème vient alors du
noeud.
Quand on travaille avec une suture habituelle de longueur normale,
il est difficile d’assurer la traction du surjet dans l’espace de travail coelioscopique.
On propose alors de récupérer chaque boucle par
l’intermédiaire d’un crochet qui peut être tendu par l’aide, soit par
la minilaparotomie, soit par un trocart.
Le contrôle de la tension
peut donc se faire à la main et à la vue, grâce à la vision
endoscopique. Le noeud est facile à descendre par l’intermédiaire
d’un pousse-noeud prenant appui sur des brins suffisamment longs.
Le plus facile est de réaliser le surjet prothèse-vaisseau, à l’aide
d’une aiguillée volontairement raccourcie à une longueur de
7-10 cm, car la traction se fait alors aisément dans l’espace délimité
par le cadre suspenseur.
Cependant, le noeud doit alors être fait à la
pince, ce qui peut être délicat, sauf si l’on dispose d’un robot dont la
virtuosité dans ce domaine est reconnue.
Afin d’éviter cette suture, nous avons décrit un nouveau type de
prothèse, que l’on peut fixer par l’intermédiaire de clips.
Cette prothèse-collerette s’introduit dans le vaisseau soit en position
terminale, soit en position latérale et permet l’introduction d’une
rangée de clips pour appliquer la prothèse sur la face intimale de la
paroi. Une large zone de contact est ainsi réalisée pour assurer
l’hémostase.
L’étude expérimentale a permis de prouver l’efficacité
de la technique, l’absence de réaction inflammatoire à long terme et
l’absence de faux anévrismes.
Chirurgie assistée par ordinateur
:
Plusieurs systèmes de chirurgie assistée par ordinateur, applicables
à la chirurgie vasculaire, sont maintenant disponibles : il s’agit des
systèmes d’Intuitive Surgical ou de Computer Motion.
Notre expérience est celle du robot Da Vinci d’Intuituive Surgical.
Des bras armés par un outil-instrument sont introduits dans la cavité
abdominale par l’intermédiaire de trocarts.
L’avantage de ces
outils est la possibilité de travailler sur tous les plans de l’espace
grâce à une articulation intracavitaire, contrairement à la chirurgie
laparoscopique par instruments classiques, dont l’axe de travail est
imposé. Le chirurgien se trouve placé devant une console de
visualisation dont la situation géographique est indifférente
(il peut se tenir dans une pièce différente de la salle d’opération).
La
vision obtenue est en trois dimensions et le chirurgien pilote les brasinstruments
par l’intermédiaire de manettes dans lesquelles les
doigts sont glissés.
L’interface informatique permet de réaliser un certain nombre de fonctions (lissage du mouvement,
démultiplication …).
Il est ainsi possible de réaliser dans de bonnes
conditions des sutures terminoterminale ou terminolatérale entre
l’aorte et une prothèse de Dacront, car l’apprentissage en est assez
rapide.
La limite de ces systèmes est l’impossibilité actuelle d’obtenir un
rendu de sensibilité au niveau des manettes de la console du
chirurgien, si bien que le seul élément de contrôle de la tension du
surjet, de la résistance de suture ou bien du serrage d’un noeud n’est
effectué que par la vision.
Cependant, des progrès dans les
programmes informatiques permettront de réaliser dans un proche
avenir des tâches plus sophistiquées comme la réalisation
automatique de noeuds ou l’immobilisation visuelle du champ
opératoire...
Résultats
:
Cinquante patients ont été opérés par nous-mêmes en utilisant ces
techniques.
Deux patients ont nécessité une conversion à une
laparotomie classique : l’un pour des difficultés d’exposition lors
d’un abord transpéritonéal et l’autre pour une aorte trop calcifiée
pour être aisément clampable par une voie d’abord limitée.
Chez les autres patients, l’abord a été sept fois transpéritonéal pour
pontage aortobifémoral et 43 fois rétropéritonéal pour pontage
unilatéral.
En cas de pontage transpéritonéal, la mise en place de
trois trocarts et la confection d’une minilaparotomie de 3 cm ont été
nécessaires.
La voie rétropéritonéale a nécessité une incision de 5 cm
et la mise en place d’un ou de deux trocarts.
Toutes les interventions
ont été menées sous anesthésie générale.
Des prothèse en Dacront LPI ont été cousues sur l’aorte à l’aide de
surjet de Prolènet 4/0.
Dans trois cas, la suture proximale a été
menée par ordinateur.
Le saignement total de ce groupe de malades
(saignement peropératoire et drainage) a été de 273 mL, un malade
a été repris le lendemain pour hématome rétropéritonéal par la
même voie d’abord.
Le temps moyen de ces opérations a été de
172 minutes (1 heure 30 minutes à 4 heures). Un seul patient dont la
fraction d’éjection était altérée a séjourné en réanimation, les autres
ont regagné leur chambre le soir même de l’intervention.
La reprise
du transit a été obtenue après 48 heures.
La sortie de ces malades a
été décidée entre le quatrième et le septième jour postopératoire.
Des complications postopératoires ont été notées : un sus-décalage
de ST sans infarctus, une lymphorrée au niveau d’un triangle de
Scarpa et une hématurie minime et régressive.
Le résultat vasculaire, contrôlé par doppler et chez deux patients
par artériographie, s’est avéré excellent dans tous les cas. Dans
un cas, une occlusion de branche prothétique a été reprise dans les
suites hospitalières.
Commentaires
:
Ces techniques, qui ne sont que des pontages réalisés par de petites
incisions, permettent de poser sous un jour nouveau les éléments de
comparaison entre pontage et angioplastie.
A - INDICATIONS DE LA TECHNIQUE
:
L’angioplastie des artères iliaques est devenue une des techniques
de choix dans le traitement des sténoses iliaques, surtout quand elles
sont limitées à un segment (sténose unilatérale, touchant l’iliaque
primitive).
Ses résultats sont moins bons quand il s’agit d’une
occlusion nécessitant la recanalisation et la mise en place d’un stent.
Les résultats des perméabilités primaires et secondaires de ces
techniques endovasculaires commencent à être connues, à 5 ans, par
des études randomisées correctement conduites, comparant
l’angioplastie simple à l’angioplastie associée à une endoprothèse.
Cependant, le pontage aortofémoral donne actuellement les
meilleurs résultats à long terme (92,7 % de perméabilité secondaire
à 20 ans dans les stades II) et reste la technique de référence, au
prix, il est vrai, d’une hospitalisation plus longue et de douleurs
non négligeables dans la période périopératoire.
D’une façon générale, on peut résumer nos indications de la façon
suivante :
– angioplastie simple ou mise en place d’une endoprothèse, si
l’atteinte est unilatérale et ne touche qu’un segment artériel ;
– recanalisation plus endoprothèse en cas d’occlusion courte d’un
segment iliaque ;
– pontage en cas d’atteinte aorto-iliaque bilatérale ou d’atteinte
complexe d’un axe iliaque (primitive et externe).
Les indications du pontage vidéoassisté sont évidemment les mêmes
que celles de tous les pontages aortofémoraux, seule change la voie
d’abord et l’instrumentation nécessaire à la dissection des vaisseaux
et à la réalisation des sutures.
B - CONTRE-INDICATIONS
:
Elles naissent de cette première expérience, certaines rejoignent les
complications de toute coeliochirurgie.
– L’obésité et les antécédents de chirurgie abdominale rendent
l’abord des vaisseaux rétropéritonéaux malaisé et la dissection
difficile ou hémorragique.
– L’existence d’une aorte très calcifiée peut rendre périlleux le clampage.
Il est clair que le clamp, une fois mis en place, peut
difficilement être mobilisé et que tout saignement incontrôlé peut
rapidement devenir dramatique en l’absence de laparotomie.
– Enfin, en cas de mauvaise fonction ventriculaire gauche,
l’insufflation associée à la position de Trendelenburg peut augmenter
de façon dangereuse la précharge cardiaque et favoriser une
décompensation.
C - AVANTAGES DE LA TECHNIQUE
:
Ils sont évidents : l’absence de cicatrice et les douleurs très modérées
permettent d’éviter le séjour en réanimation et autorisent la sortie
du patient 1 à 2 jours après la reprise du transit.
À plus long
terme, on peut espérer l’absence de complication pariétale, assez
fréquente chez ces malades.
D - DISCUSSION DE LA VOIE D’ABORD
:
En chirurgie vasculaire par abord classique, la voie rétropéritonéale
est souvent pratiquée et ses avantages, quant aux suites immédiates
et à la qualité de la cicatrisation secondaire sont souvent vantés.
En vidéochirurgie la voie transpéritonéale pose incontestablement
un problème d’exposition, obligeant à un pneumopéritoine efficace
pour qu’existe un espace libre de travail tout en réclinant le grêle.
La difficulté à maintenir ce pneumopéritoine efficace pendant toute
la suture a été notée par plusieurs auteurs.
Dion dans son étude
expérimentale chez le porc, et Berens dans le cas de pontage
effectué chez l’homme, ont préféré se tourner vers un rétracteur
abdominal (Laparolifty) qui, en soulevant l’abdomen, délimite un
espace de travail quand l’insufflation ne suffit plus.
Chen,
rapportant un cas d’anévrisme de l’aorte abdominale, opéré chez un
homme de 62 ans, utilise la voie intrapéritonéale, mais effectue une
laparotomie de 10 cm, complétée par la mise en place de neuf
trocarts.
Le bénéfice de la technique devient alors discutable par
rapport à une voie classique rétro- et même intrapéritonéale.
Cependant, dans l’état actuel de notre instrumentation, nous
pensons comme Dion, que la voie rétropéritonéale est plus simple
et plus sûre.
E - RISQUE HÉMORRAGIQUE
:
Les instruments de vidéochirurgie permettent une dissection simple
et rapide du péritoine pariétal postérieur et la coagulation peut être
menée pas à pas.
Le seul vrai problème est celui du clampage qui
doit être sûr, sous peine de risquer une situation périlleuse ; c’est
pourquoi nous avons préféré convertir les patients dont l’aorte
calcifiée ne permettait pas un clampage aisé.
Nous avons également
utilisé un clamp classique dont la mise en place se fait par la caméra
vidéo, mais dont le contrôle des branches reste à la main du
chirurgien traversant la paroi abdominale par une courte
laparotomie.
La mise au point de nouveaux instruments permettra
sans doute dans l’avenir de pallier cet inconvénient.
Conclusion
:
À la lumière de cette première expérience de pontages aortofémoraux
vidéoassistés, on peut penser que cette technique peut fournir des
résultats immédiats comparables à ceux de la technique classique.
Elle
peut vraisemblablement faciliter les suites immédiates et limiter le
temps d’hospitalisation.
Les indications actuelles se limitent à une
population choisie, exempte des contre-indications suivantes : obésité,
antécédents chirurgicaux abdominaux, aorte calcifiée et mauvaise
fonction ventriculaire gauche.