Plus de 100 ans après la description de la polyglobulie, le modèle
physiopathologique qu’elle constitue reste un sujet de travail stimulant.
La
somme de connaissances acquises dans le domaine de l’érythropoïèse et de
sa régulation, notamment à propos des facteurs de croissance et de leurs
récepteurs, a été fortement aiguillonnée par les questions qu’ont été amenés à
se poser les cliniciens à propos des polyglobulies.
En contrepartie, ces
connaissances ont permis l’élaboration d’une démarche logique, solidement
ancrée sur des bases physiologiques, pour classer les diverses causes
d’élévation de l’hématocrite.
Des études cliniques continues ont été menées
parallèlement, maintenant depuis plus d’un quart de siècle, tout d’abord par
le Polycythemia Vera Study Group (PVSG), constitué par Wasserman
dans le courant des années 1960.
Ces études sont maintenant relayées par plusieurs groupes en Europe, notamment celui de Najean et Rain en
France, de Landolfi et du Gruppo Italiano Studio Policitemia (GISP) en
Italie et en Suède.
Les connaissances ainsi acquises ont permis la tenue en
1993 à Paris d’une conférence de consensus sur les aspects diagnostiques et
thérapeutiques de la maladie de Vaquez.
On est très loin cependant de pouvoir considérer que tous les problèmes
concernant cette maladie sont résolus.
De très sérieuses interrogations
persistent en matière de stratégie thérapeutique sur les moyens de prévenir
les thromboses (à la phase précoce) et la myélofibrose (à la phase tardive), et
sur la responsabilité des médicaments les plus utilisés actuellement dans le
risque de transformation leucémique.
Même les critères proposés pour le
diagnostic sont de nouveau l’objet de discussions.
Dans le domaine de la
recherche fondamentale, malgré l’espoir suscité par le modèle de
l’érythrocytose familiale dominante par mutation du gène du récepteur de
l’érythropoïétine (Epo), les causes de l’expansion clonale de l’hématopoïèse
restent inconnues et aucune identification d’un gène candidat n’est venue pour
l’instant élucider l’origine physiopathologique de la maladie de Vaquez.
Définition des polyglobulies primitives :
Les polyglobulies, au plan de leur étiologie, peuvent être classées, en fonction
des connaissances actuellement acquises, en polyglobulies primitives et
polyglobulies secondaires.
Par polyglobulie primitive, on entend toutes les situations où l’augmentation
de la masse sanguine n’apparaît pas comme la conséquence d’une
modification de facteurs extrinsèques assurant la régulation des progéniteurs érythrocytaires mais bien au contraire comme liés à une anomalie intrinsèque
des cellules hématopoïétiques elles-mêmes.
La polyglobulie de Vaquez,
connue dans la littérature anglo-saxonne sous le nom de polycythemia vera
(PV), qui apparaît comme la conséquence d’une mutation somatique des
cellules souches hématopoïétiques, en est l’exemple le plus fréquent.
Les
polyglobulies familiales primitives en sont un autre exemple beaucoup plus
rare et de connaissance plus récente.
Les polyglobulies secondaires sont, en revanche, la conséquence de
modifications de l’environnement des cellules hématopoïétiques, avant tout
augmentation d’un facteur de croissance extrinsèque aux progéniteurs
érythrocytaires. L’exemple le plus classique est l’élévation du taux d’Epo.
L’augmentation de la stimulation de l’érythropoïèse par l’Epo est le plus
souvent la conséquence d’une affection acquise.
Les polyglobulies
secondaires à l’anoxie ou à une sécrétion ectopique d’Epo sont les plus
fréquentes.
Les polyglobulies secondaires sont plus rarement familiales.
Les
plus classiques sont liées à une hypoxie tissulaire à laquelle les progéniteurs
érythrocytaires répondent de façon adaptée en cas d’hémoglobine hyperaffine
ou de déficit en 2-3DPG.
Moins bien connues sont celles où existe une
hypersécrétion d’Epo liée à un défaut du mécanisme d’adaptation à la
pression en oxygène comme la polyglobulie familiale des Chuvash.
Polyglobulies primitives
:
A - Maladie de Vaquez (polyglobulie primitive acquise) :
La maladie deVaquez apparaît comme la conséquence de l’expansion clonale
d’une cellule souche hématopoïétique à la suite d’une mutation somatique.
On s’est donc efforcé de cerner les anomalies cellulaires caractéristiques de
la maladie.
1- Anomalies cellulaires de la maladie de Vaquez :
* Clonalité :
La maladie de Vaquez est une maladie clonale qui traduit l’atteinte d’une
cellule commune, au moins, aux lignées érythroïdes, granuleuses et
mégacaryocytaires.
L’étude de la clonalité dans les syndromes myéloprolifératifs repose sur
l’hypothèse d’une inactivation au hasard d’un des deux chromosomes X
paternel ou maternel chez les femmes.
Dans le cas d’une population polyclonale existe un mélange de cellules ayant inactivé soit le chromosome
X paternel, soit le chromosome X maternel.
Dans une population
monoclonale, toutes les cellules ont inactivé le même chromosome X.
En
utilisant un gène polymorphe, présent sur le chromosome X et concerné par
ce processus d’inactivation, il est possible de démontrer le caractère polyclonal ou monoclonal d’une lignée.
De telles études ont été menées dans la maladie de Vaquez tout d’abord par Adamson et Fialkow.
Une seule isoenzyme de la G6PD (glucose 6
phosphate déshydrogénase) a été détectée dans les érythrocytes, les
polynucléaires, les plaquettes de femmes noires hétérozygotes pour cette
enzyme, tandis que les fibroblastes de la peau contenaient 50 %
approximativement des deux variétés d’isoenzymes A ou B.
Ce résultat
démontrait à la fois l’origine du syndrome myéloprolifératif dans une cellule
souche multipotente et la clonalité des lignées cellulaires en découlant.
L’étude, étendue aux progéniteurs érythrocytaires (BFU-E, burst forming
unit-erythroid) et granulomonocytaires (CFU-GM [colony forming unitgranulomonocytic]),
indiquait chez l’une des deux patientes étudiées qu’une
partie de ses progéniteurs n’appartenait pas au clone car on y détectait les deux
types d’enzymes.
La proportion de ces progéniteurs polyclonaux augmente
lorsque l’étude porte sur des progéniteurs Epo-dépendants.
Au cours du
temps, en revanche, la proportion de précurseurs polyclonaux a tendance à
décroître.
Ces faits sont interprétés comme la preuve de la persistance d’une
population de cellules souches normales au début de la maladie, s’épuisant
progressivement au cours du temps.
Malheureusement, la rareté des patientes
hétérozygotes pour la G6PD, en dehors d’un groupe ethnique très restreint, a
limité la portée de ces études.
Volgenstein a plus récemment développé une approche de l’étude de la
clonalité par génétique moléculaire la rendant directement applicable à un
nombre plus important de femmes.
À côté de l’étude de leur expression
protéique, mise à profit par les premières études, il est possible d’étudier l’état
d’inactivation des gènes polymorphes au niveau de l’acide désoxyribonucléique
(ADN), par southern blot ou par polymerase chain reaction
(PCR).
Les gènes concernés sont dans le premier cas le gène de la phosphoglycérate
kinase (PGK), de l’hypoxanthine phosphoribosyl transférase (HPRT) ou M27
bêta dont le polymorphisme est basé sur la présence d’un nombre variable de
séquences répétitives entre les copies paternelle et maternelle d’un locus
anonyme DXS 255.
L’étude en PCR s’applique à PGK et à Humara (gène du
récepteur humain des androgènes).
Il est possible également d’étudier
directement la transcription de certains gènes en acide ribonucléique (ARN)
par PCR.
Ceci s’applique au gène de la glucose 6 phosphate déhydrogénase
(G6PD) à P 55 et au gène de l’iduronate 2 sulfatase (IDS). Les résultats
actuellement disponibles sont ceux de Anger, concernant 26 femmes
atteintes de polyglobulie primitive, dont la clonalité est étudiée en utilisant
HPRT et PGK.
Un aspect net de monoclonalité des leucocytes circulants,
indiqué par la disparition complète d’un des deux allèles dans la population
cellulaire étudiée, est observé 13 fois sur 17 patientes informatives, c’est-à-dire
hétérozygotes pour le gène étudié.
Trois patientes ont au contraire un
aspect seulement partiellement clonal.
L’étude des lymphocytes T circulants
isolés montrant une polyclonalité permet de conclure, par contraste, à
l’existence d’une population monoclonale chez deux de ces patientes.
Seule
donc une patiente dans ce groupe est considérée comme définitivement polyclonale.
Des résultats analogues sont observés après utilisation des
mêmes gènes, sur des populations cellulaires non fractionnées.
La
plupart des patientes sont monoclonales. Un tout petit nombre ne l’est pas
malgré des arguments convaincants en faveur du diagnostic de polyglobulie
primitive tels que l’existence d’une pousse spontanée des progéniteurs
érythrocytaires.
La constatation d’une inactivation biaisée chez des femmes normales, due à
un phénomène de lyonisation extrême, et donnant un faux aspect de clonalité,
a conduit à la recherche d’un tissu témoin.
En raison de l’hétérogénéité du
profil d’inactivation observé dans les différents tissus, l’utilisation des
fibroblastes de la peau a été abandonnée au profit de celle des lymphocytes T
du sang.
Seul un petit nombre d’observations ont été rapportées dans la
maladie de Vaquez qui comportent l’utilisation de ce tissu témoin.
Elles
montrent : dans la majorité des cas, des granulocytes clonaux et des
lymphocytes T polyclonaux dans le sang ; dans un petit nombre de cas, une
monoclonalité à la fois des polynucléaires et des lymphocytes T, témoins
d’une inactivation biaisée ; enfin, l’existence de patientes chez
lesquelles la monoclonalité ne peut être démontrée dans le sang.
Ces résultats
encore partiels dans la maladie de Vaquez laissent subsister beaucoup de
questions concernant notamment la validité des indicateurs de clonalité chez
les individus âgés, la diffusion de l’atteinte aux diverses lignées
sanguines, la persistance de progéniteurs normaux et leur évolution au cours
du temps, notamment en fonction de l’efficacité des traitements.
D’autres techniques, comme l’étude simultanée du génotype par Fish
(fluorescence in situ hybridization) et de l’immunophénotype en
fluorescence, peuvent compléter les techniques précédentes.
Étude cytogénétique.
*
Pousse spontanée des progéniteurs érythrocytaires
:
L’expression hématologique de la maladie de Vaquez prédomine sur la lignée
érythrocytaire.
L’expansion de la lignée érythrocytaire se produit en dépit de
taux d’Epo sanguine et urinaire diminués, conduisant à l’hypothèse d’un
échappement de l’hématopoïèse à ses facteurs régulateurs habituels.
En 1974, Prchal et Axelrad ont mis en évidence un comportement anormal in
vitro des progéniteurs érythrocytaires différenciés (BFU-E tardives, CFU-E
[colony forming unit-erythroid]), en montrant à partir de la moelle de malades
atteints de maladie de Vaquez et contrairement à ce que l’on observe chez les
sujets normaux, le développement de colonies érythrocytaires en l’absence
d’adjonction d’Epo.
Cette anomalie ne concerne qu’une partie des progéniteurs, est observée dans la moelle mais également dans le sang et
apporte ainsi un test de haute valeur diagnostique.
Ce phénomène
est désigné sous le nom de pousse spontanée ou endogène, mais pose
pratiquement depuis sa description le problème de son interprétation :
indépendance réelle ou hypersensibilité des progéniteurs aux facteurs de
croissance habituels ?
La possibilité d’une indépendance des progéniteurs érythrocytaires vis-à-vis
de l’Epo a d’abord été suggérée devant la persistance du phénomène de
pousse endogène malgré l’utilisation de milieu sans sérum ou d’anticorps
anti-Epo.
À ce propos on peut rappeler qu’une sécrétion autocrine d’Epo intracytoplasmique a été mise en évidence dans les progéniteurs
érythrocytaires précoces normaux, faisant évoquer une anomalie de cette
voie dans le mécanisme de la PV.
Toutefois, aucune autocrinie vis-à-vis de
l’Epo n’a été démontrée.
À l’inverse, l’existence dans la maladie de Vaquez d’une population de progéniteurs érythrocytaires restant dépendants de l’Epo et incapables de
se développer en milieu sans sérum, qui en est totalement dépourvu, a été
démontrée par d’autres.
Dans ces mêmes milieux, la courbe dose/réponse, en
présence d’Epo, indiquait l’existence d’une hypersensibilité par rapport aux progéniteurs d’individus normaux.
Cette hypersensibilité expliquait la pousse
apparemment spontanée rapportée en fait aux minimes quantités d’Epo
contenues dans les milieux de culture habituels, en particulier dans le sérum
de veau foetal.
C’est cet ensemble de constatations expérimentales qui a
conduit à rechercher la présence d’anomalies du récepteur de l’Epo.
Finalement, l’idée d’une pousse spontanée indépendante de l’Epo a été
récemment reprise à la faveur d’expériences montrant l’existence dans la
polyglobulie de Vaquez de deux types de progéniteurs, les uns Epodépendants,
analogues aux progéniteurs normaux, les autres indépendants (BFU-E de classe II), proliférant et se différenciant en présence de
concentrations élevées d’anticorps anti-Epo et d’anticorps antirécepteurs de
l’Epo.
Elles ont conduit à mettre en évidence une hypersensibilité des progéniteurs à des facteurs de croissance autres que l’Epo, tels que
l’interleukine (IL) 3, le GM-CSF (granulocyte macrophage colony
stimulating factor), le stem cell factor, tandis que l’IL1 stimule la
pousse spontanée par l’intermédiaire de la libération de GM-CSF endogène.
Les études effectuées jusque-là en milieu réputé sans sérum (serum free
culture medium) et a fortiori celles où le milieu contient du sérum ne peuvent
donc fournir un moyen de mesure suffisamment fiable de la sensibilité des
progéniteurs érythrocytaires aux facteurs de croissance spécifiques, même si
l’on utilise des produits recombinants.
En effet, des facteurs mal définis,
présents dans le sérum de veau foetal et des produits contaminants contenus
dans l’albumine (sérumalbumine bovine) ou les autres préparations
partiellement purifiées utilisées pour les cultures, sont susceptibles de
modifier la fonction érythropoïétique.
Les études expérimentales, par
exemple celles qui ont conduit à l’hypothèse d’une indépendance des progéniteurs vis-à-vis de l’Epo, ayant été conduites en milieu contenant de
grandes quantités d’insuline, ont amené à soulever l’hypothèse du rôle de
l’insuline et des insulin-like growth factors (IGF) 1 et 2 comme facteurs
stimulants de la pousse des BFU-E et CFU-E.
Finalement, la courbe de
réponse à l’Epo des patients atteints de PVest impossible à distinguer de celle
de sujets normaux.
En milieu totalement dépourvu de sérum et d’Epo, la
sensibilité des BFU-E de PV à l’IGF1 est bien supérieure à celle d’individus
normaux.
L’hypersensibilité à l’IGF1 implique le rôle du récepteur à l’IGF1.
La sous-unité bêta de ce récepteur de l’IGF1 dans les cellules de PV présente
un excès de phosphorylation des résidus tyrosine en l’absence de ligand et un
degré de phosphorylation plus élevé et plus rapide en présence de faibles
concentrations d’IGF1.
Plus récemment encore, l’existence de taux
normaux d’IGF1 mais très élevés de l’une des protéines porteuses de l’IGF1,
l’IGF-BP1, a été mise en évidence dans le plasma de patients polyglobuliques.
Cette augmentation ne s’explique pas par une diminution du taux d’insuline
de ces patients.
Cette élévation de l’IGF-BP1 en présence d’IGF1 a une forte
activité stimulante sur la formation des BFU-E.
Ainsi, ces nouvelles données posent le problème du rôle d’une anomalie
intrinsèque du récepteur à l’IGF ou de sa voie de signalisation ou bien encore
le rôle d’anomalies survenant en amont de ce récepteur et concernant le rôle
régulateur de l’IGF-BP1.
* Étude du récepteur de l’érythropoïétine :
Le rôle essentiel joué par le gène du récepteur à l’Epo dans la différenciation
érythrocytaire normale, le fait que dans la polyglobulie de Vaquez la
prolifération érythrocytaire se produise en l’absence d’élévation des taux
sériques d’Epo, enfin le développement in vitro des progéniteurs
érythrocytaires en l’absence d’adjonction d’Epo, ont stimulé la recherche
d’anomalies du récepteur de l’Epo dans la maladie de Vaquez.
Contrairement aux progéniteurs érythrocytaires normaux, qui ont deux
classes de récepteurs de haute (20 %) et de faible affinité, ceux de la maladie
de Vaquez ne possèdent qu’une seule classe de récepteurs de faible affinité.
Mis à part cette constatation dont l’interprétation n’est pas claire, on a surtout
montré l’absence d’anomalie grossière des récepteurs, dont le nombre et les
caractères biochimiques évalués par leur taux d’affinité pour le ligand sont
analogues à ceux d’individus normaux.
En revanche, plusieurs motifs ont justifié la recherche de mutations
ponctuelles de ce récepteur.
On connaît, tout d’abord, pour le gène murin,
l’existence de deux types de mutations : celle où le récepteur est
constitutivement activé par la protéine gp55 du virus de Friend et celle où une
mutation du codon 129, résultant en une substitution d’une arginine par une
cystéine, entraîne une homodimérisation du récepteur et conduit à son
activation constitutive.
Des anomalies du récepteur ont été identifiées, en
outre, chez l’homme au cours de l’érythrocytose familiale dominante où un
domaine régulateur négatif intracytoplasmique est tronqué, conduisant à un
tableau de polyglobulie avec taux sérique d’Epo bas et formations de colonies
érythrocytaires sans adjonction d’Epo.
Enfin, dans deux lignées
cellulaires leucémiques, l’existence de mutations du récepteur de l’Epo ont
été décrites.
La structure et les niveaux d’expression du gène du récepteur de l’Epo
(Epo-R) ont été étudiés par Hess dans des échantillons de sang et de moelle
de 24 patients atteints de maladie de Vaquez, dont trois porteurs d’anomalies
cytogénétiques.
Une expression hétérogène de l’ARN messager de Epo-R a
été observée mais sans anomalie de structure du récepteur.
Ce point a été confirmé par séquençage des produits clonés de PCR, venant
confirmer les résultats observés par Emanuel : après analyse du récepteur
de l’Epo en southern blot de patients atteints de PV, il n’a été mis en évidence
aucune amplification, insertion ou délétion du récepteur humain de l’Epo.
Plus récemment encore, Le Couedic, utilisant la méthode de séquençage
par PCR de l’ensemble des exons du gène Epo-R ainsi que des jonctions
intron-exon, n’a retrouvé aucune mutation du gène chez 12 patients atteints
de PV.
En revanche, une mutation portant sur un seul allèle a été mise en évidence
dans le huitième exon du gène Epo-R.
Cette mutation aboutissant au
remplacement de l’asparaginase 487 par une sérine a en fait été observée chez
un patient atteint de polyglobulie ne remplissant pas les critères de PV (faible
taux d’Epo mais sans pousse « spontanée » des progéniteurs érythrocytaires
ni preuve d’une hypersensibilité des progéniteurs à l’Epo, ni mention dans
l’article qu’il s’agisse d’une forme familiale de polyglobulie).
La transfection
du récepteur muté dans une lignée murine Ba/f3 a montré un comportement
normal des cellules transfectées vis-à-vis de l’Epo en ce qui concerne la
prolifération, la différenciation et l’inhibition de l’apoptose.
Le rôle de cette
mutation dans le mécanisme de croissance anormale des progéniteurs de
polyglobulie ou d’érythroleucémie n’a donc pu être élucidé.
À défaut de
mutation démontrée du récepteur de l’Epo, d’autres ont montré qu’une
forme tronquée du récepteur de l’Epo (Epo-Rt) est diminuée de façon nette
chez les patients atteints de polyglobulie deVaquez.
Cette forme tronquée du
récepteur ne serait exprimée que dans les progéniteurs hématopoïétiques
précoces de la moelle.
La même équipe a montré que la transfection des
progéniteurs précoces par l’ADN complémentaire (ADNc) de ce récepteur
tronqué diminuait la sensibilité à l’Epo.
Cette diminution de sensibilité des progéniteurs n’est observable qu’aux faibles concentrations d’Epo.
On a donc
émis l’hypothèse selon laquelle Epo-Rt jouerait un rôle clé dans la régulation
de la masse sanguine.
La majorité des progéniteurs érythrocytaires normaux
ne pourraient poursuivre la différentiation érythrocytaire à faible
concentration d’Epo, précisément du fait de la coexpression d’Epo-Rt. Si
cette hypothèse se confirme, un défaut de régulation du système d’épissage
dans les progéniteurs hématopoïétiques de polyglobulie, entraînant une
diminution de synthèse l’ARN-m d’Epo-Rt expliquerait l’augmentation de la
masse sanguine, malgré les faibles taux d’Epo circulante.
* Anomalies 20q- :
La fréquence des anomalies 20q- dans la polyglobulie de Vaquez a été à
l’origine d’une série d’études par Green et al à la recherche d’un ou
plusieurs gènes dont la perte ou l’inactivation pourrait jouer un rôle dans la
régulation des progéniteurs érythropoïétiques et ainsi fournir une piste
étiologique dans cette maladie.
Pour l’instant, les constatations faites se
résument aux points suivants.
La délétion 20q- varie de taille.
Tantôt de grande taille, elle englobe deux
bandes G, tantôt plus petite, elle n’en intéresse qu’une seule.
L’analyse
moléculaire a confirmé l’hétérogénéité des points de cassure sur le
chromosome aussi bien dans son segment centromérique que télomérique.
La
délétion commune à tous les cas étudiés se trouve ainsi réduite à une zone de
12 à 20 cM (centi-Morgan).
L’hétérogénéité des points de cassure suggère
fortement la présence d’un ou de plusieurs gènes suppresseurs.
Toutefois,
beaucoup de gènes suppresseurs candidats (SRC, HCK, p107, PTPN1 et
CEBPb) sont situés en dehors de cette région commune délétée.
Malgré sa fréquence, l’anomalie 20q- peut n’apparaître que comme un
événement secondaire au cours du développement de la maladie de Vaquez,
n’intéressant qu’une partie des cellules participant à la prolifération clonale.
L’utilisation systématique de microsatellites marqueurs balisant la région
habituellement délétée, chez les patients dont l’examen cytogénétique ne
montre pas de délétion 20q-, n’a pas révélé, par cette technique beaucoup plus
fine, de délétion ayant échappé à la cytogénétique classique.
L’instabilité des
microsatellites est extrêmement rare dans la PV.
La perte d’allèle sur le
chromosome 20q est bien liée à une délétion partielle et non à une
recombinaison mitotique ou à une perte de chromosome (conservation de
l’hétérozygotie des marqueurs distaux).
2- Épidémiologie de la maladie de Vaquez
:
Pour Baruch Modan, l’incidence de la maladie deVaquez se situe entre 0,1
et 1 cas pour 100 000 habitants et par an.
Compte tenu de l’imprécision de
cette estimation, une assez bonne concordance existe avec les résultats de
l’étude française tirée du registre des hémopathies malignes de la Côte-d’Or,
qui retrouve des taux standardisés par rapport à la population mondiale de 0,7
pour 100 000.
Les importantes variations de fréquence observées d’une
série à l’autre dans la littérature s’expliquent probablement avant tout par des
variations dans les critères diagnostiques retenus et par l’exhaustivité plus ou
moins grande du recueil de cas.
Il s’agit bien moins probablement de
variations réelles de fréquence liées à des facteurs ethniques ou
environnementaux.
Toutefois, l’existence d’une augmentation de fréquence
de la maladie de Vaquez dans la population juive d’origine européenne est
signalée de façon insistante, d’abord par l’étude princeps de Reznikoff et
depuis dans des travaux épidémiologiques conduits aux États-Unis et en
Israël.
À l’inverse, la maladie serait observée avec une moindre fréquence
dans la population noire, au moins aux États-Unis.
Très peu de faits sont démontrés concernant des facteurs environnementaux
susceptibles de favoriser la survenue de la maladie.
Le rôle possible du
benzène et des radiations ionisantes a cependant été plusieurs fois évoqué.
La
coexistence d’une polyglobulie avec une prolifération lymphoïde clonale :
leucémie lymphoïde chronique ou myélome, a été fréquemment rapportée.
On peut s’interroger à ce propos sur la réalité d’une relation causale entre les
deux types d’affections, ou au contraire sur la plus forte probabilité, chez ces
patients faisant l’objet d’une surveillance hématologique régulière, de
découvrir une seconde hémopathie de fréquence élevée à cet âge.
Le point épidémiologique le plus intéressant concerne la fréquence des
formes familiales de la maladie de Vaquez.
Signalées dès 1907-1908 par Nichamm à une époque où les causes familiales de polyglobulies secondaires
étaient non ou mal connues, l’existence de formes familiales de syndromes
myéloprolifératifs répondant aux critères les plus exigeants de maladie de
Vaquez a été de multiples fois signalée depuis.
Les cas publiés sont de l’ordre
d’une trentaine et une étude prospective se propose sur le territoire français
d’en recueillir une centaine.
Une analyse rapide de ces cas ne montre aucune particularité évidente
concernant leur âge, leur mode de présentation et leur évolution.
Il est trop tôt
pour se prononcer sur l’existence de gènes de susceptibilité, sur leur mode de
transmission et plus encore sur les modalités d’action de ce possible facteur
étiologique.
On rappellera que la recherche des mutations du récepteur de
l’Epo responsables d’érythrocytose familiale dominante s’est révélée
infructueuse dans un nombre limité de ces formes familiales de maladie de
Vaquez.
La maladie de Vaquez dans sa forme habituelle est une maladie de l’adulte,
l’âge moyen au diagnostic est voisin de 60 ans (60,6 ± 0,6).
Il existe une
prédominance masculine : 1,3 hommes pour 1 cas féminin.
L’âge moyen de
découverte, à la différence de ce qu’on observe dans la thrombocytopénie
essentielle, est identique dans les deux sexes et varie entre 15 et 90 ans.
Il
existe donc d’authentiques maladies deVaquez de l’adolescence et de l’adulte
jeune mais, dans l’étude citée, le nombre de patients de moins de 40 ans au
moment du diagnostic est à peine supérieur à 5 %.
Ces chiffres sont tirés d’un
échantillon sans doute assez représentatif puisque provenant de l’étude du PVSG, qui rassemblait environ 40 centres aux États-Unis, en Europe et en
Israël, mais ne doit pas masquer le fait que les patients étaient sélectionnés en
fonction de critères stricts de maladie de Vaquez sans doute assez différents
de ceux qu’on peut proposer actuellement.
3- Circonstances de découverte
:
Un nombre important de polyglobulies est découvert à l’occasion d’examens
systématiques.
C’est en général la numération qui attire l’attention en raison
d’un hématocrite ou d’un taux d’hémoglobine élevés.
Il est possible aussi que
ce soit seulement une hyperplaquettose que l’on remarque, l’élévation de
l’hématocrite manquant du fait d’une hémorragie récente ou d’une carence
martiale.
En fait, il n’est pas rare que ces examens dits systématiques soient en réalité
réalisés à l’occasion d’une situation non sans rapport avec la polyglobulie :
bilan d’une maladie vasculaire, exploration d’une hypertension artérielle,
bilan préopératoire d’une artérite.
Il est plus rare que le patient consulte pour des signes cliniques évocateurs de
pléthore sanguine : érythrose faciale dont on se fait retracer l’installation
progressive, parfois très ancienne ; céphalées ; troubles sensoriels, visuels,
auditifs, paresthésies ; prurit rebelle survenant souvent après le bain ou la
douche.
Même s’ils ne sont pas le motif de la consultation, ces symptômes
sont facilement et fréquemment retrouvés à l’interrogatoire des patients chez
lesquels on vient de reconnaître une polyglobulie.
La découverte de la polyglobulie à l’occasion d’une complication vasculaire
est en revanche très fréquente : thrombose veineuse ou artérielle,
manifestations ischémiques liées à l’obstruction transitoire de la
microcirculation ; plus rarement hémorragies.
4- Complications de la maladie de Vaquez :
* Thromboses :
Elles occupent une place considérable dans le déroulement d’une maladie de
Vaquez puisque selon une étude italienne récente, rétrospective, mais
portant sur un nombre considérable de patients, 41 % des malades sont
concernés par le risque de thrombose.
Elles sont la cause de mort le plus
fréquemment recensée (30 %) et tiennent à cet égard une place analogue à
celle de l’ensemble des maladies malignes, cancers et leucémies.
Outre
fréquence et gravité, il faut insister sur la précocité de cette complication.
L’étude signalée plus haut souligne la fréquence des thromboses surtout au
tout premier stade de la maladie de Vaquez.
Elles révèlent la maladie chez
20 %des patients et chez ceux qui au moment du diagnostic ont un antécédent
de thrombose, l’épisode est presque toujours récent, survenu depuis moins de
2 ans.
Il s’agit alors dans deux tiers des cas d’une thrombose artérielle.
Les accidents
thrombotiques artériels majeurs observés à cette période initiale concernent
surtout la circulation cérébrale : accident vasculaire cérébral constitué ou
accident ischémique transitoire dans 70 % des cas.
Ensuite viennent ceux de
la circulation coronarienne : infarctus du myocarde dans 30 % des cas.
D’autres enfin intéressent les territoires distaux : artères des membres
inférieurs (claudication intermittente), artères mésentériques, syndrome
abdominal aigu avec nécrose plus ou moins étendue.
Les thromboses veineuses, superficielles, qui sont à distinguer des
manifestations ischémiques artérielles cutanées, et les thromboses veineuses
profondes avec ou sans épisode d’embolie, ne représentent qu’un tiers des
thromboses initiales.
En raison de leur siège, qui leur confère une
symptomatologie et un risque vital particuliers, les thromboses de la veine
porte et surtout des veines sus-hépatiques, responsables d’un syndrome de Budd-Chiari sont à bien connaître.
Survenant, en outre, à une période où le
diagnostic de maladie de Vaquez est le plus souvent inconnu, elles
bouleversent alors considérablement les conditions dans lesquelles le
diagnostic peut être porté et justifient une description à part (Thromboses splanchniques).
Les thromboses observées au cours de l’évolution (19 % des patients) seront réenvisagées plus loin car leur fréquence est largement influencée par le
traitement.
Elles représentent un risque global de 3,4 accidents pour 100
patients/année.
La proportion d’accidents veineux est alors un peu plus forte
qu’initialement (38,5 %) comparée aux accidents artériels (50,5 %).
Les
accidents artériels sont représentés surtout par des manifestations
ischémiques transitoires cérébrales et par l’infarctus du myocarde.
L’infarctus du myocarde représente la moitié des causes de mortalité par
thrombose au cours de l’évolution et la mortalité par thrombose dans son
ensemble occupe, comme on l’a vu, la première place.
À la différence des
pathologies malignes, elle n’augmente pas avec l’âge (43 % de 41 à 60 ans,
39 % de 61 à 70 ans).
* Manifestations ischémiques
:
Les manifestations ischémiques distales, liées à une obstruction transitoire de
la microcirculation, sont d’individualisation plus récente.
Elles sont plus
volontiers observées en cas d’hyperplaquettose et sont très spécifiquement
sensibles au traitement antiagrégant.
Ceci évoque dans leur mécanisme
d’apparition la formation de thrombi plaquettaires dans la microcirculation
artérielle.
On décrit au niveau des membres le syndrome érythromélalgique : extrémités
rouges et gonflées avec sensation de brûlure.
On peut voir une évolution vers
l’acrocyanose ou même la gangrène périphérique.Tous ces signes cèdent sous
aspirine même à faible dose (40 mg).
Le soulagement clinique s’accompagne
alors d’une augmentation de la durée de vie et de la numération des plaquettes.
Certaines phlébites superficielles récurrentes ainsi que la survenue de
manifestations neurologiques transitoires atypiques relèvent du même
mécanisme : instabilité, dysarthrie, dysphagie, mono- ou hémiparésie,
scotome scintillant, amaurose fugace, vertiges, éblouissements, migraines
accompagnées, voire syncopes.
On notera que le traitement antiagrégant par aspirine à faible dose, si efficace
dans les accidents ischémiques transitoires précédents, est préconisé pour
prévenir avortement et retard de croissance in utero liés aux thromboses de la
microcirculation placentaire, à vrai dire plus souvent observées chez les
femmes atteintes de thrombocytémie essentielle que de polyglobulie.
* Hémorragies :
Ce sont le plus souvent des hémorragies cutanéomuqueuses banales
(ecchymoses, épistaxis) ou plus graves (hémorragies gastro-intestinales).
Beaucoup sont des hémorragies provoquées post-traumatiques ou après
intervention chirurgicale.
On rappellera à ce propos que le contrôle
préopératoire de la maladie deVaquez par un traitement adéquat fait passer le
risque de complications postopératoires, fatales ou non, de 79 % à 28 %.
Dans la mesure où certains des mécanismes du risque hémorragique sont
actuellement mieux connus (rôle de l’hyperplaquettose forte, consommation
des hauts polymères de facteurs Willebrand), la défiance entourant
l’utilisation des antiagrégants dans cette affection, qui avait été renforcée par
les résultats d’une étude du PVSG, utilisant de très fortes doses d’aspirine
(900 mg/jour), s’estompe (Traitements antiagrégants).
* Physiopathologie des complications vasculaires
:
Elle fait intervenir plusieurs facteurs.
+ Facteurs spécifiques
:
L’augmentation de l’hématocrite, responsable de l’hyperviscosité sanguine,
demeure le principal facteur prédictif des thromboses.
La fréquence élevée
des complications cérébrovasculaires initiales s’explique par la diminution du
flux sanguin cérébral, directement liée à l’élévation de l’hématocrite.
La
prééminence des accidents vasculaires cérébraux s’atténue lorsque le malade
est traité, reflètant ainsi la sensibilité du flux cérébral à l’hyperviscosité
sanguine.
Cependant, le risque thrombotique accru persiste, même lorsque
l’hématocrite est correctement contrôlé par le traitement.
+ Facteurs non spécifiques
:
L’hyperplaquettose n’est pas apparue dans les études menées par le PVSG
comme un indice valable de prédiction du risque de thrombose.
À l’inverse,
on l’a vu, les hyperplaquettoses extrêmes, supérieures à 1 500x109/L sont un
facteur de risque hémorragique démontré au cours des syndromes
myéloprolifératifs.
Les relations entre l’hyperplaquettose et les accidents
ischémiques distaux de la microcirculation sont parfaitement établies et
illustrées par la prédominance de ce type d’accident dans la thrombocytémie
essentielle, l’effet favorable des antiagrégants plaquettaires et d’un traitement
visant à diminuer le chiffre des plaquettes sur ce type de manifestation.
La maladie de Willebrand acquise explique probablement les
manifestations hémorragiques observées chez les patients présentant une
thrombocytose supérieure à 1 000 ou 2 000x109/L.
Elles s’accompagnent
d’une diminution de l’activité fonctionnelle du facteur Willebrand avec
diminution dans le plasma des multimères de haut poids moléculaire de ce
facteur.
Ces multimères jouent un rôle prédominant dans les fonctions
adhésives du facteur Willebrand et il est probable qu’ils sont absorbés à la
surface des plaquettes activées
Aucune des multiples anomalies du fonctionnement plaquettaire décrites
jusqu’à présent n’est susceptible de prédire la survenue d’un risque
hémorragique ou thrombotique
L’allongement du temps de saignement est retrouvé dans moins de 20 % des
cas de polyglobulie de Vaquez.
Il est utile de le demander lorsque le patient
présente des signes hémorragiques, lorsqu’il présente une thrombocytose
importante ou avant d’instaurer un traitement par antiagrégant plaquettaire
afin de ne pas méconnaître une maladie de Willebrand acquise.
La
constatation d’une hypoagrégabilité plaquettaire lors de l’étude des fonctions
plaquettaires (le plus souvent à l’adrénaline et à l’ADP [acide adénosine
diphosphorique]) n’est absolument pas prédictive d’une tendance
hémorragique et ne doit pas amener à exclure un traitement par antiagrégant
plaquettaire.
On peut aussi mettre en évidence une agrégation spontanée des
plaquettes à 37 °C
L’augmentation plasmatique des protéines intraplaquettaires libérées après
activation (PF4, bêtathromboglobuline), l’augmentation de la biosynthèse du
thromboxane A2 plaquettaire ou plus récemment la mise en évidence par
cytométrie de flux, sur la membrane plaquettaire, de structures témoignant
d’une activation plaquettaire (GPIIb-IIIa, récepteur plaquettaire pour le
fibrinogène sous sa forme activée, ou microparticules riches en phosphatidyl
sérine, phospholipides anioniques ayant un rôle majeur dans l’activation de
la coagulation) ont également été décrites.
+ Autres facteurs influençant les thromboses :
Ces thromboses sont bien entendu plus spécialement à redouter quand
coexiste un facteur constitutionnel favorisant de thrombose artérielle ou
veineuse : déficit en antithrombine III, protéine C, protéine S, résistance à
la protéineCactivée ; l’introduction d’un traitement anticoagulant au long
cours par les antivitamines K pourrait être alors discutée.
L’expérience clinique a en outre appris que le risque thrombotique est
influencé par le type de traitement : les saignées comme seul traitement
accentuent ce risque au moins au cours des 3 premières années.
La fréquence
avec laquelle les saignées doivent être répétées pour contrôler l’hématocrite
est un facteur supplémentaire de risque ainsi que l’âge et l’existence de
thromboses antérieures ou initiales chez le patient.
Enfin, comme on l’a signalé, le risque de thrombose persiste sous traitement
même assurant un contrôle hématologique parfait.
5- Examen clinique au cours de la maladie de Vaquez
:
L’examen clinique, au moment du diagnostic de la maladie de Vaquez, peut
apporter plusieurs types de renseignements :
– découverte des signes de pléthore pouvant mettre sur la voie du diagnostic :
érythrose cutanée prédominant aux régions découvertes et érythrose
muqueuse que l’on peut apprécier sur la couleur lie-de-vin du voile du palais ;
injection conjonctivale ; engorgement veineux lors de l’examen du fond
d’oeil ;
– splénomégalie, critère majeur du diagnostic de syndrome myéloprolifératif ; compte tenu des critères diagnostiques exigés, cette
splénomégalie a été observée dans la série de patients étudiés par le PVSG
dans 70 % des cas, accompagnée d’une hépatomégalie chez 40 % des
patients ; cette fréquence est beaucoup plus faible avec les critères de
sélection actuellement proposés (Critères de diagnostic) ; on
retiendra de la splénomégalie qu’elle est habituellement peu volumineuse et
que l’hépatomégalie, lorsqu’elle est évidente, est d’autre origine que
polyglobulique : soit témoin d’une complication vasculaire, ou déjà d’une
évolution vers un tableau avancé de métaplasie myéloïde ;
– facteurs du risque vasculaire : mesure de la tension artérielle, examen des
artères des membres inférieurs, des carotides, recherche d’un diabète, d’un
tabagisme...
6- Données biologiques au cours de la maladie de Vaquez
:
* Hémogramme :
L’hémogramme met en évidence dans tous les cas typiques une augmentation
du nombre des globules rouges qui à elle seule est sans valeur pour le
diagnostic.
C’est l’élévation de l’hémoglobine ou de l’hématocrite qui est en général le
premier élément biologique d’orientation.
L’hématocrite déterminé par les
compteurs électroniques est calculé à partir du volume globulaire moyen et
du nombre des globules rouges ; son coefficent de variation est élevé (3 à
5 %).
La méthode de référence est donc le microhématocrite, obtenu par
centrifugation.
Au-dessus de valeurs d’hématocrite de 50 %chez l’homme et
de 45 %chez la femme, la probabilité d’avoir affaire à une polyglobulie varie
au fur et à mesure que l’hématocrite s’élève ; elle est par exemple de 95 %
au-dessus de 60 % d’hématocrite chez l’homme et de 53 % d’hématocrite
chez la femme mais elle n’est que de 30 % au-dessus de 52 % d’hématocrite
chez l’homme et de 47 % chez la femme.
Le taux d’hémoglobine a un coefficent de variation moins élevé (2 à 3 %) et
doit être considéré comme excessif au-dessus de 17 g/dL chez l’homme et
16 g/dL chez la femme.
Une carence en fer existant fréquemment dès le
diagnostic de polyglobulie, l’interprétation des résultats précédents doit
être envisagée en tenant compte du statut martial de ces patients.
Finalement,
les valeurs fournies par l’hémogramme, étant fonction de la variation du
volume globulaire et du volume plasmatique, devront être réinterprétées, a
posteriori, quand ces valeurs auront été déterminées.
Elles permettront
d’éliminer les polyglobulies relatives (mesure de la masse sanguine)
et de reconnaître certaines situations où la polyglobulie est masquée au
contraire par l’inflation du volume plasmatique comme c’est souvent le cas à
une phase avancée de la polyglobulie (spent phase).
La morphologie des globules rouges est normale. Poïkilocytose ou hématies
nucléées sont souvent synonymes de métaplasie myéloïde.
Une hyperleucocytose avec polynucléose neutrophile est décrite dans deux
tiers des cas.
Elle est généralement modérée : de 12x109/L à 25x109/L ; une
basophilie excessive existe chez les deux tiers des patients.
Une hyperplaquettose supérieure à 400x109/L est observée dans la série du
PVSG dans 60 %des cas.
Les plaquettes peuvent être de grande taille.
Ces
résultats, comme la fréquence de la splénomégalie, méritent d’être réévalués
à la lumière des critères diagnostiques récents.
* Autres examens biologiques
:
La vitesse de sédimentation globulaire est basse.
Le score des phosphatases
alcalines leucocytaires peut être élevé et le taux de vitamine B12 augmenté, en
rapport avec l’élévation de la transcobalamine I et III.
Ces examens n’ont plus
guère de place dans l’exploration des patients polyglobuliques.
* Volume globulaire isotopique :
C’est donc finalement l’étude du volume globulaire isotopique qui est le
critère retenu pour le diagnostic de polyglobulie volumétrique.
Il est
important de rappeler ici que cet examen coûteux, complexe à obtenir parfois,
ne doit jamais être demandé de façon automatique.
Son indication sera portée
dans les meilleures conditions, en tenant compte des données cliniques et des
examens biologiques.
Vont ainsi entrer en ligne de compte le fait de savoir
si le patient est fumeur ou non.
S’il est atteint d’une maladie pulmonaire ou
d’une cardiopathie cyanogène la priorité sera donnée à l’étude des gaz du sang
sur celle du volume globulaire.
De même, les valeurs extrêmes de
l’hématocrite (supérieures à 60 % chez l’homme et à 55 % chez la femme),
l’existence d’une splénomégalie évidente, de manifestations cliniques
typiques de maladie de Vaquez comme un prurit à l’eau, une complication
thrombotique, des accès typiques érythromélalgiques, une franche
hyperplaquettose, peuvent être des arguments autorisant à se passer
volontairement de l’étude du volume globulaire.
En revanche, c’est peut-être surtout lorsque l’élévation de l’hématocrite est
totalement isolée, cliniquement et biologiquement, que son étude revêt une
importance cruciale pour déclencher les explorations complémentaires
ultérieures comme la biopsie médullaire ou discuter l’opportunité d’une
culture des progéniteurs érythrocytaires.
* Histologie médullaire :
Les modifications de l’aspect histologique médullaire au cours de la maladie
de Vaquez sont décrites depuis très longtemps.
Leur poids dans le
diagnostic de polyglobulie primitive reste l’objet de controverses (Critères de diagnostic).
L’échantillon de biopsie médullaire initiale est typiquement riche, en raison
d’une augmentation du tissu myéloïde.
Cette augmentation intéresse la lignée érythroblastique et la lignée mégacaryocytaire.
Georgii insiste sur le fait que
la lignée granuleuse ne participe pas à la prolifération myéloïde au stade
précoce de la maladie de Vaquez.
La participation de la lignée mégacaryocytaire est un des traits marquants de
cette hyperplasie myéloïde.
L’ampleur de l’augmentation et des anomalies de
la lignée mégacaryocytaire serait plus marquée encore dans la polyglobulie
que dans la thrombocytémie essentielle.
Les mégacaryocytes sont nombreux,
ils apparaissent grands dans l’ensemble mais sont en réalité polymorphes avec
de grandes variétés de taille et sont retrouvés à la fois sous l’aspect de petites
cellules ou des formes géantes.
Ces mégacaryocytes ont un cytoplasme
mature et des noyaux multilobés et surtout une tendance caractéristique au
regroupement en amas autour des sinus dilatés et hyperplasiques.
La présence d’une myélofibrose, quand elle existe, constitue un fort argument
en faveur du diagnostic de polyglobulie primitive.
En effet, dans les
polyglobulies secondaires, les anomalies se limitent en principe à une
hyperplasie de la lignée érythroblastique.
La contribution essentielle de l’étude, menée par le PVSG, de l’histologie
médullaire initiale et de sa répétition systématique au cours de l’évolution
traitée a porté avant tout sur les notions de richesse initiale et de fréquence de
la myélofibrose.
Treize pour cent des biopsies initiales ont en effet une
richesse médullaire qui reste dans les limites de la normale et un petit nombre
de patients (13 sur 191) ont une quantité initiale normale de
mégacaryocytes.
Richesse médullaire et infiltration médullaire cependant
progressent toujours sur les biopsies ultérieures.
Une augmentation modérée de la trame réticulinique et une fibrose plus
marquée s’observent respectivement dans 25 et 11 %des biopsies médullaires
initiales effectuées dans les 4 premières années du diagnostic et avant tout
traitement.
Les constatations de Georgii sont analogues, qui observe dans
13,7 %des échantillons initiaux une myélofibrose modérée (stade I), avec un
petit pourcentage de cas où elle est plus avancée : stade II : 2,5 % ; stade III :
2,8 %.
L’existence d’une myélofibrose est donc possible à la phase active
érythrocytaire de la polyglobulie et n’est pas nécessairement annonciatrice
d’une évolution imminente vers la phase de polyglobulie dépassée.
En
revanche, la question d’une régression possible de la myélofibrose
réticulinique à cette phase a été moins clairement tranchée.
Elle serait possible
et le traitement myélosuppresseur (phosphore 32 [32P] ou chlorambucil)
pourrait jouer un rôle dans cette régression.
Au cours des biopsies itératives
faites sous traitement, on observe plutôt une augmentation modérée ou
marquée de la myélofibrose.
Là encore cette fibrose existe des années avant
l’apparition du stade de polyglobulie dépassée.
*
Scintigraphies médullaires :
Les scintigraphies médullaires n’ont que peu d’indications dans la
polyglobulie et pratiquement aucune à la phase initiale.
Pourtant, les études
menées d’abord grâce à l’utilisation de fer 52 et plus couramment
actuellement avec la transferrine marquée à l’indium 111 sont un moyen
permettant d’illustrer la modification de répartition du tissu hématopoïétique,
cette fois-ci à l’échelle de l’ensemble du squelette et dans la rate.
À la phase initiale est notée habituellement une captation augmentée des
colloïdes de technétium et de la transferrine-indium par la moelle axiale, une
extension des territoires actifs aux membres, notamment dans la région juxtaarticulaire
des genoux, épaules et parfois chevilles ou poignets.
À cette phase,
en revanche, il existe peu ou pas de captation splénique de l’indium.
Ces
signes régressent en phase de rémission.
* Étude cytogénétique
:
Parmi les examens destinés à montrer la nature clonale de la maladie, la
recherche d’une inactivation d’un gène lié à l’X n’a pas pour
l’instant été introduite en routine.
En revanche, s’il n’existe pas en réalité
d’anomalie cytogénétique spécifique de la polyglobulie, un certain nombre
d’événements cytogénétiques, sûrement non liés au hasard, sont observés
dans les trois lignées myéloïdes et dans les progéniteurs correspondants,
confirmant ainsi l’existence d’un clone pathologique à l’origine de la maladie.
Il faut rappeler cependant que l’étude cytogénétique ne donne actuellement
que trop peu de renseignements de portée pratique pour qu’on puisse la
proposer en routine à titre systématique.
+ Fréquence des anomalies :
La fréquence des anomalies cytogénétiques observées est faible mais varie
en fonction de la date de l’examen par rapport au début de la maladie.
Initialement, avant l’intervention de toute thérapeutique, la fréquence est de
l’ordre de 10 % et varie de 8,2 % d’anomalies cytogénétiques
indiscutables dans l’étude du PVSG et 12,2 %lors d’une revue de la littérature
comportant au total 417 patients.
L’augmentation de fréquence qui survient au cours du temps semble
significativement influencée par la thérapeutique utilisée.
Elle est plus
importante chez les patients soumis à un traitement myélosuppresseur que
chez ceux qui sont traités par saignées.
Toutefois, la survenue d’anomalies
cytogénétiques chez les patients ne recevant que des saignées a été décrite,
même si c’est seulement tardivement.
Les traitements myélosuppresseurs au cours desquels les anomalies
cytogénétiques ont été constatées sont le 32P et les agents alkylants, mais ce
phénomène s’observe également sous traitement ne comportant que de
l’hydroxyurée.
Au début, le pourcentage des mitoses anormales observées est souvent faible
et le caryotype correspond à une mosaïque de mitoses normales et anormales.
Ce pourcentage augmente au cours de l’évolution, pouvant aboutir finalement
à une disparition des mitoses normales.
Tout se passe, dans ces cas, comme si
le clone anormal était doué d’un avantage en termes de prolifération.
L’existence d’une évolution clonale, c’est-à-dire l’acquisition par le clone
anormal d’anomalies surnuméraires, voire le développement de plusieurs
clones indépendants au cours de l’évolution, est possible.
À l’inverse, la
disparition du clone anormal a été signalée dans plusieurs séries.
+
Nature des anomalies :
Les anomalies observées, rappelons-le, ne sont pas spécifiques de la maladie deVaquez, mais une douzaine d’entre elles représentent 90 %de celles qu’on
peut observer au cours de la maladie.
Par ordre de fréquence, on peut citer :
– la délétion du bras long du chromosome 20 (del 20q, 25 %) ;
– les trisomies 8 (16 %) ou 9 (16 %) ;
– la duplication d’une partie du bras long du chromosome 1 ou une trisomie
1q (10 %) ;
– la délétion du bras long du chromosome 13 (del 13q) ;
– les délétions : del 11q, del 7q, del 5q ;
– la trisomie 21 ;
– la perte du chromosome Y, qui occupe une place à part.
Aucune des anomalies observées ne peut être considérée comme réellement
spécifique d’une phase donnée de la maladie, en dehors de celles qui sont
observées en période de transformation en leucémie aiguë, qui sont à la fois
extrêmement fréquentes (90 % de caryotypes anormaux) et dont certaines
sont caractéristiques du type de la leucémie aiguë observée.
Les trisomies 8 ou 9 ou une combinaison de ces deux types d’anomalies font
partie des anomalies le plus souvent observées au moment du diagnostic ;
souvent associées à une trisomie 1q, elles semblent indépendantes du
traitement.
La délétion 20q est la plus fréquente anomalie observée au cours de la
polyglobulie.
Elle est observée au cours d’autres syndromes myéloprolifératifs, de myélodysplasies, de leucémies aiguës myéloblastiques,
mais exceptionnellement au cours d’hémopathies lymphoïdes.
Elle a fait
l’objet d’études approfondies évoquées au chapitre physiopathologique.
Cette anomalie cytogénétique, à la différence des précédentes, ne s’observe
généralement qu’après plusieurs années d’évolution et surtout chez les
patients ayant fait l’objet d’une chimiothérapie cytoréductrice.
D’autres anomalies méritent d’être citées car elles pourraient avoir une
relation avec la myélofibrose : il s’agit notamment de la délétion 13 q, qui
s’observe même si le traitement a consisté exclusivement en saignées.
L’anomalie 12q- serait plus fréquente chez les patients soumis à un traitement myélosuppresseur.
À part également, la perte de l’Y, dont la fréquence
augmente avec l’âge chez les individus normaux.
+ Signification pronostique :
Cette question était l’un des objectifs principaux de l’étude cytogénétique
séquentielle des patients inclus dans les protocoles thérapeutiques du PVSG.
Il semble clairement démontré que la présence d’anomalies
cytogénétiques initiales ne permet pas de prédire, chez un patient donné, la
probabilité d’une évolution vers un tableau de leucémie aiguë.
Il ne semble pas possible non plus d’établir un lien définitif entre l’apparition
d’une anomalie chromosomique et le développement d’une métaplasie
myéloïde postpolyglobulique.
En revanche, l’apparition sous traitement d’une évolution clonale, même si
elle a été considérée comme de faible valeur prédictive par Lawler et
Berger a été observée chez cinq des 16 patients de l’étude du PVSG chez
qui s’est développée une leucémie aiguë secondaire.
* Techniques d’hybridation in situ :
Les techniques d’hybridation in situ (Fish) sont d’introduction relativement
récente.
Elles permettent une étude simultanée du génotype et du phénotype des cellules observées en interphase.
La condition pour que cette étude puisse
être réalisée est la présence d’une anomalie cytogénétique clonale.
En
général, les résultats observés sont ceux attendus, c’est-à-dire la constatation
d’une anomalie dans les cellules granuleuses circulantes et érythroblastiques,
et leur absence habituelle dans les lignées lymphoïdes.
Certains résultats
sont plus inattendus comme la constatation d’une trisomie 8 dans les
cellules périphériques d’un patient et son absence dans les colonies
érythrocytaires obtenues en l’absence d’Epo, comme si là encore la trisomie
survenait comme un événement secondaire au sein de la prolifération clonale
initiale.
7- Situations évolutives modifiant profondément le tableau clinique
de maladie de Vaquez :
Plusieurs modalités évolutives de la maladie de Vaquez sont susceptibles de
modifier considérablement la présentation clinique.
Il s’agit bien entendu
avant tout de l’évolution vers un tableau de polyglobulie dépassée ou de
splénomégalie myéloïde (métaplasie myéloïde postpolyglobulique, MMPP)
ou de la transformation « maligne » de la maladie deVaquez : développement
d’une myélodysplasie ou survenue d’un tableau de leucémie aiguë.
Mais la
survenue d’une thrombose splanchnique pose sans doute le problème le plus
délicat car lorsque cette complication est inaugurale elle modifie
profondément les conditions du diagnostic de polyglobulie.
* Thromboses splanchniques
:
Les thromboses splanchniques, syndrome de Budd-Chiari avant tout,
thromboses portales à un moindre degré, thromboses mésentériques à titre
relativement exceptionnel, constituent une circonstance au cours de laquelle
l’éventualité d’une maladie de Vaquez doit être systématiquement évoquée
mais où la physionomie clinique de la maladie est profondément bouleversée.
En fait, le problème posé par les thromboses splanchniques peut être analysé
sous trois angles selon le degré d’évidence de la maladie de Vaquez.
– Tantôt la maladie de Vaquez est connue, diagnostiquée sur les critères
classiques, la thrombose est alors aisément rattachée à sa cause.
Il faut insister
sur la gravité et l’apparente rareté de ce type d’évolution.
L’étude d’Anger
indique une fréquence de 3,5 % sur une cohorte de 501 cas de syndromes
myéloprolifératifs.
L’étude prospective du PVSG ne fait état que de trois
syndromes de Budd-Chiari au cours de la longue surveillance des nombreux
patients faisant l’objet d’études prospectives (surveillance égale à 5 000
années-patients).
L’autre caractéristique est la gravité de cet événement, qui
toucherait plus volontiers les individus jeunes.
Ainsi, dans l’étude de Najean qui porte sur 58 malades de moins de 40 ans, on compte cinq
syndromes de Budd-Chiari dont l’évolution est fatale quatre fois sur cinq.
– Dans le cas où la thrombose est inaugurale, la recherche systématique d’un
syndrome myéloprolifératif fait partie de l’enquête étiologique systématique
des thromboses splanchniques.
La polyglobulie de Vaquez représente la
première cause des syndromes de Budd-Chiari.
Dans une étude récente,
elle est observée chez plus de 50 %des patients (18 fois sur 35 syndromes de Budd-Chiari) ; cette étiologie l’emporte donc sur celles que constituent le
syndrome des antiphospholipides ou la constatation d’une mutation du facteur
V Leyden.
Au cours des thromboses portales, la polyglobulie est la première
des causes non tumorales retrouvée, mais observée dans un quart des cas
environ.
C’est un événement moins grave que la thrombose des veines sushépatiques,
et il n’est pas exceptionnel de découvrir a posteriori, au cours de
la surveillance d’une maladie de Vaquez, une thrombose portale déjà
constituée.
Quant aux thromboses de la veine splénique, ce sont en revanche
les causes locales pancréatiques ou chirurgicales, qui, le plus souvent, sont
retenues à leur origine.
Les conditions dans lesquelles le diagnostic de syndrome myéloprolifératif
doit être évoqué méritent d’être rappelées.
Le signe d’appel habituel,
l’élévation de l’hématocrite, fait très souvent défaut dans le contexte de
l’urgence, tout d’abord du fait d’une hémodilution ou d’une hémorragie
récente, et ultérieurement du fait d’une carence martiale.
Aucun des critères
diagnostiques de polyglobulie primitive proposés par le PVSG ne peut être
pris en compte dans ce contexte.
La splénomégalie paraît la conséquence
évidente de l’hypertension portale, l’hyperleucocytose et l’hyperplaquettose
sont difficiles à interpréter à la phase aiguë et masquées ultérieurement par
l’hypersplénisme.
Le recours aux critères nouvellement proposés s’impose :
étude de la biopsie médullaire et de la pousse spontanée des progéniteurs
érythrocytaires, dosage d’Epo ou recherche assidue de documents
hématologiques antérieurs à l’accident thrombotique.
Ils permettent en
général d’aboutir à une conclusion dont cependant le degré de certitude est
variable.
Tantôt la maladie de Vaquez est certaine devant l’élévation persistante du
volume globulaire et une biopsie médullaire montrant sans ambiguïté un
aspect de syndrome myéloprolifératif.
Tantôt la polyglobulie est masquée
initialement et c’est ultérieurement, devant l’élévation de l’hématocrite, à
distance de la phase aiguë, souvent après traitement martial, qu’on pourra
acquérir la certitude de l’élévation de la masse sanguine.
L’aspect de la
biopsie médullaire et la thrombose inaugurale plaident en faveur de la maladie
de Vaquez.
– Dans les deux situations précédemment décrites, la constatation habituelle
d’une pousse spontanée des progéniteurs érythrocytaires constitue un
argument complémentaire très important en faveur du diagnostic de
syndrome myéloprolifératif.
En revanche, dans les situations où il est
impossible d’apporter la preuve d’une élévation de la masse sanguine ou de
retrouver, notamment en biopsie médullaire, des arguments convaincants en
faveur du diagnostic de syndrome myéloprolifératif, et où seule la pousse
spontanée des progéniteurs érythrocytaires permet d’établir un lien possible
entre cet accident de thrombose inaugurale et un syndrome myéloprolifératif,
le niveau de certitude diagnostique est beaucoup plus contingent et seule en
principe l’évolution ultérieure peut permettre de trancher.
En effet, le mécanisme qui préside dans ces cas aux accidents de thrombose
est actuellement mal compris.
Le rôle de l’hyperviscosité peut difficilement
être invoqué en l’absence d’élévation significative de l’hématocrite.
Ceci
plaide donc en faveur de la recherche de facteurs constitutionnels associés,
prédisposant aux accidents de thrombose, et incite à prendre en compte
l’existence possible de causes locales ou générales surajoutées
(contraception, grossesse).
La mise en évidence par les auteurs italiens d’une période de quelques années,
précédant le diagnostic de maladie deVaquez, où se concentre une proportion
importante des phénomènes de thrombose compliquant la maladie, invite à
rechercher le rôle d’événements, de nature encore inconnue, pouvant très
précocement jouer un rôle thrombogène.
De la certitude variable de l’existence d’un syndrome myéloprolifératif en
général et d’une maladie deVaquez en particulier découlent les interrogations
thérapeutiques que soulèvent ces thromboses splanchniques.
La tendance est
actuellement de proposer un traitement anticoagulant systématique pour
éviter la récidive ou l’extension de la thrombose.
Le traitement du syndrome myéloprolifératif lui-même, dans l’incertitude où l’on est de ses relations avec
la thrombose splanchnique, ne peut actuellement que se fixer des objectifs
habituels, qui sont le contrôle le plus efficace possible de l’hématocrite par
saignées tout d’abord et traitement cytoréducteur ensuite, en tenant compte
du jeune âge habituel des patients.
Aucune attitude thérapeutique impliquant
un traitement cytoréducteur n’est actuellement justifiée si le syndrome
myéloprolifératif reste masqué ou s’il s’agit d’une forme fruste authentifiée
seulement par la pousse spontanée des progéniteurs érythrocytaires.
* Polyglobulie dépassée et MMPP :
Il est douteux que les deux phases classiquement opposées : polyglobulie
dépassée, splénomégalie myéloïde postpolyglobulique, soient réellement
distinctes et l’évolution de la polyglobulie est en fait marquée par une
« métamorphose progressive » qui voit s’installer ou s’accentuer la
myélofibrose à laquelle va progressivement s’associer une métaplasie
myéloïde splénique et éventuellement d’autres territoires.
+ Polyglobulie dépassée (spent-phase)
:
Cette dénomination est souvent utilisée pour décrire une phase où l’excès de
production des globules rouges n’entraîne plus d’élévation de l’hématocrite
du fait d’une importante hémodilution liée à l’apparition ou l’augmentation
rapide de la splénomégalie.
Cette phase est donc marquée cliniquement par une volumineuse
splénomégalie, une augmentation importante du volume plasmatique,
entraînant une stabilisation spontanée, voire une diminution de l’hématocrite
au-dessous de 50 %.
Il peut exister une myélémie ou une érythroblastémie,
mais il n’existerait pas d’argument en faveur d’une myélofibrose (absence de
déformation érythrocytaire spécifique, de fibrose collagène ou
d’ostéomyélosclérose sur les échantillons de biopsie médullaire, absence de
métaplasie myéloïde aux épreuves isotopiques).
+ Tableau de MMPP :
C’est en fait le tableau de MMPP qui est le mieux défini et la littérature anglosaxonne
confond très souvent cette entité et la précédente.
En tout cas elles
constituent un tournant dans l’évolution de la maladie et on a récemment
insisté sur l’incidence de cette complication sur la qualité de vie et sur la
survie des patients (4 à 6 ans en moyenne après installation de cette phase).
La présentation ne peut guère être distinguée de celle d’une splénomégalie
myéloïde de première intention. Suffisamment typique pour être évoqué
cliniquement, le diagnostic repose sur les résultats de la biopsie médullaire.
Il
est important de noter toutefois qu’il n’existe pas de corrélation stricte entre
la constatation de la myélofibrose et la modification du tableau clinique, la
fibrose étant le plus souvent constatée avant que n’apparaissent les
modifications cliniques.
L’étude du PVSG, comportant une répétition des biopsies médullaires au
cours de l’évolution de la maladie de Vaquez, a permis de mieux reconnaître
les modalités d’apparition et la signification de la myélofibrose.
Elle débute
par une sclérose, un épaississement de la paroi des sinus médullaires, suivie
par une densification de la trame réticulinique : fibrose réticulinique
correspondant au dépôt de collagène de type III.
Au fur et à mesure que la
réticuline se densifie, qu’apparaissent des fibres de plus en plus épaisses, grossières ou réunies en faisceau, se constitue une fibrose de type collagène
(collagène de type I).
Cette densification de la trame réticulinique, déjà
signalée dans une proportion importante d’échantillons médullaires initiaux,
n’a aucune incidence pronostique, et en particulier ne prépare pas une
évolution prématurée vers les étapes ultérieures de la maladie.
Parallèlement
à cette modification de la trame, on assiste à une modification du tissu
myéloïde comportant une prolifération intéressant les trois lignées, y compris
cette fois-ci la lignée granuleuse.
Au sein de la myélofibrose qui progresse,
les modifications mégacaryocytaires s’accentuent, notamment le
polymorphisme des éléments.
Finalement, la fibrose diffuse envahissant les
logettes médullaires remplace les zones d’hématopoïèse où seuls sont
préservés les mégacaryocytes, qui se retrouvent sous forme de cellules
dispersées et dystrophiques.
Diverses explorations complémentaires ont été mises en oeuvre pour tenter de
préciser cette évolution fibrosante sans avoir recours à la répétition des
biopsies médullaires.
La mesure de la concentration sérique du peptide aminoterminal du collagène
III par méthode radio-isotopique a été proposée comme paramètre indicateur
de l’évolution vers la myélofibrose et comme témoin de l’aggravation de cette
myélofibrose lorsqu’elle est installée.
Les données isotopiques permettent également de suivre la transition entre la
phase érythrocytaire et celle de MMPP.
Elles ont été tout d’abord étudiées par
scintigraphie médullaire utilisant le fer 52.
Cette transition est marquée par
une extension supplémentaire progressive de l’érythropoïèse dans les os
longs, une diminution de l’érythropoïèse axiale, l’accentuation progressive
de la splénomégalie, dont la fonction érythrocytaire s’accentue.
Là encore les
corrélations strictes entre la métaplasie érythropoïétique splénique et la
fibrose médullaire sont en défaut.
Pour un même degré d’accentuation de myélofibrose collagène en biopsie médullaire, on peut observer une
métaplasie nette, modérée ou absente.
À l’inverse, une métaplasie érythropoïétique modérée peut exister sans qu’on puisse déceler la
myélofibrose sur l’échantillon de biopsie médullaire étudié à la même
période.
Cette évolution n’est sans doute pas constante ou régulièrement
progressive, car elle peut manquer chez certains patients pendant des
intervalles de 2 à 6 ans.
Les données isotopiques plus récentes obtenues en combinant l’étude de la
scintigraphie médullaire aux colloïdes de technétium et à la transferrine
marquée à l’indium permettent d’observer, aux phases évoluées de maladie
de Vaquez, une captation du technétium diminuée ou absente, traduisant
l’anomalie du stroma médullaire.
La scintigraphie à l’indium montre
l’extension de la captation dans les territoires médullaires périphériques et par
la rate, traduction de la métaplasie myéloïde.
La distinction entre spent-phase
et MMPP repose sur des nuances concernant le degré de l’extension aux
territoires médullaires et l’ampleur de la fixation splénique.
Le flou qui
entoure ces divers stades évolutifs plaide donc en faveur de l’abandon de
frontières rigides entre phase érythrocytaire active, polyglobulie dépassée et
splénomégalie myéloïde postpolyglobulique, et redonne une valeur relative à
l’entité « syndrome myéloprolifératif transitionnel » proposée par Pettit.
+ Origine de la fibrose
:
Il n’est pas sans importance de rappeler ici ce qui est connu de la pathogénie
de la myélofibrose dans la maladie de Vaquez.
C’est un phénomène
secondaire.
Les fibroblastes ne sont pas la descendance du clone anormal, ils
sont polyclonaux et quand il existe une anomalie cytogénétique, elle est
absente du noyau des fibroblastes.
Les cellules responsables du développement de la myélofibrose sont
stimulées par des médiateurs libérés par la prolifération du clone myéloïde.
Le PDGF (platelet derived growth factor), facteur de croissance des
fibroblastes et des cellules musculaires lisses, a été longtemps tenu pour le
principal responsable de cette stimulation.
L’hypothèse du relargage massif
de ce facteur de croissance dans le microenvironnement médullaire est
renforcée par l’existence d’altérations morphologiques et fonctionnelles des
granules alpha- des mégacaryocytes au cours des syndromes
myéloprolifératifs, et par l’existence d’une myélofibrose au cours du
syndrome constitutionnel des plaquettes grises où existe un relargage
prématuré du contenu des granules alpha par les mégacaryocytes.
Plus récemment, le rôle des deux autres peptides d’origine mégacaryocytaire
dans le développement de la myélofibrose a été mis en évidence.
Le TGF
(tumour growth factor) bêta, doué d’une forte activité fibrosante mais
également angiogénique, pourrait expliquer l’angiogenèse observée dans la
moelle.
Le rôle du FGFb (fibroblastic growth factor basique), également
impliqué dans la prolifération des fibroblastes et synthétisé par les
mégacaryocytes a été évoqué.
Le rôle de l’EGF (epidermal growth factor)
et du PDGF est actuellement considéré comme mineur comparé à celui du
TGF bêta.
+ Questions restant posées concernant la myélofibrose :
Elles sont d’ordre clinique et concernent la fréquence, les délais d’apparition
et les facteurs favorisant sa constitution.
Les délais d’apparition vont de
quelques mois à 6 ans 1/2 (étude portant sur 13 biopsies médullaires
initialement normales et répétées à une ou plusieurs reprises ultérieurement).
La fréquence de la survenue d’un tableau de MMPP est de 8,7 %au bout d’un
délai moyen de 8 ans, sans différence selon le bras de traitement (32P, saignées,
chlorambucil) dans l’étude du PVSG.
Les fréquences indiquées par les
études anglaise et française montrent une progression rapide du
pourcentage de patients victimes de cette évolution au fur et à mesure que
s’allonge la période de surveillance, de l’ordre de 17 % après 10 ans, 25 %
après 15 ans, 50 % après 20 ans.
L’incidence des traitements sur le développement de cette fibrose est toujours
l’objet de controverses.
Les fréquences précédemment citées sont celles qui
correspondent aux patients traités par myélosuppression, qu’il s’agisse de 32P,
d’hydroxyurée ou d’une association de saignées et d’un traitement
myélosuppresseur discontinu.
Dans une série récemment publiée par Najean,
il apparaît au contraire qu’un traitement ne comportant que des saignées est
susceptible d’accélérer le processus, d’augmenter la fréquence de la
myélofibrose, aboutissant à des chiffres de 50 % de patients ayant développé
cette complication dans un délai inferieur à 6 ans.
Aucun traitement myélosuppresseur ne semble capable à l’heure actuelle de prévenir cette grave
complication.
Le pipobroman (Vercytet) en revanche, dans deux études,
l’une à vrai dire rétrospective et l’autre ne comportant pas encore un recul
suffisant, a été cité comme susceptible de diminuer la fréquence de cette
myélofibrose, indiquant donc la nécessité d’études prospectives pour le
confirmer.
* Transformation en leucémie aiguë :
+ Données clinicobiologiques :
La grande majorité des transformations de polyglobulie de Vaquez sont des
leucémies aiguës non lymphoblastiques.
Il s’agit souvent de formes
difficilement classables selon les critères du groupe FAB (franco-américanobritannique).
Néanmoins, tous les types de leucémie aiguë myéloblastique
peuvent se rencontrer et il n’existe pas de fréquence particulière
d’érythroleucémies.
De rares cas de leucémies aiguës lymphoblastiques ou
de leucémies aiguës biphénotypiques ont également été rapportés.
Le
développement d’un tableau de myélodysplasie précédant une leucémie aiguë
franche est signalé avec une fréquence variable de 5 % à 50 %.
Il s’agit
la plupart du temps d’un tableau d’anémie réfractaire avec excès de blastes.
Les anomalies cytogénétiques sont fréquentes à cette phase de leucémie aiguë
ou de myélodysplasie.
C’est souvent à ce stade que sont observées des
monosomies 5 et 7 et les délétions 5q- et 7q- ; une délétion terminale du bras
court du chromosome 12 avec un point de cassure en p11-p12 a été associée
à l’effet mutagène du 32P ou du chlorambucil.
En fait, de multiples anomalies ont été décrites à cette phase.
Deux situations
semblent se dégager d’une analyse combinant cytogénétique d’une part,
données hématologiques et cliniques d’autre part.
Certaines leucémies aiguës
comportent des anomalies cytogénétiques simples, souvent connues de
longue date, que l’on peut considérer comme des marqueurs de la
polyglobulie elle-même.
La leucémie aiguë associée à ces anomalies simples est généralement
d’apparition brutale, habituellement classable selon les critères du groupe FAB.
Elle peut alors comporter des anomalies cytogénétiques qui
correspondent à ce classement et qui sont en général apparues tardivement.
À
l’inverse, les caryotypes complexes, instables, comportant une monosomie
7, 5 ou une délétion 5q- ou 7q- sont associés à une installation progressive de
la leucémie aiguë.
Cette leucémie succède souvent à une phase de myélodysplasie, est souvent inclassable et comporte la participation de
plusieurs lignées cellulaires.
+ Traitement et pronostic :
Le traitement de ces transformations reste très décevant. Plusieurs facteurs
cumulés contribuent à ce mauvais pronostic.
Il s’agit le plus souvent de
patients âgés, victimes de complications vasculaires survenues ou aggravées
au cours de la phase chronique de la PV.
De plus, ces leucémies aiguës sont de
phénotype immature, avec des anomalies cytogénétiques défavorables, et
surviennent après de longues années d’exposition à des traitements
myélosuppresseurs.
Dès lors, ces patients ne bénéficient que rarement de
traitements adaptés à la gravité de la situation.
Bien souvent, le traitement est
simplement palliatif (transfusions, antibiotiques).
Le risque de transformation leucémique pose une question fondamentale
concernant le pronostic et le traitement de la maladie de Vaquez.
Est-ce une
maladie essentiellement bénigne, évoluant naturellement au bout d’un certain
temps vers la myélofibrose et au cours de laquelle le risque de leucémie aiguë
est avant tout une conséquence du traitement alkylant ou radiomimétique ?
Au contraire est-ce une maladie maligne dans laquelle l’expression finale de
l’expansion du clone de cellules hématopoïétiques est une leucémie aiguë ?
Une très longue expérience de cette maladie, même si elle ne permet pas de
trancher définitivement entre les deux propositions précédentes, indique que
chacune d’elles comporte une part de vérité.