La personnalité paranoïaque correspond à une organisation
pathologique de la personnalité, caractérisée au premier
chef par la rigidité du fonctionnement psychique
(entêtement), la tendance interprétative et la haute opinion
que ces sujets ont d’eux-mêmes.
Sa caractérisation
est fortement liée à la description, à partir de la fin du
siècle dernier, des délires paranoïaques, la personnalité
paranoïaque apparaissant comme constituant le terrain
favorable à l’éclosion de ces délires chroniques particuliers.
En tant que personnalité pathologique, la personnalité
paranoïaque renvoie aujourd’hui à la notion de
« trouble de la personnalité » (telle que formalisée par
exemple dans le DSM IV, Diagnostic and statistical
manual of mental disorders).
D’un point de vue classique,
la notion de personnalité paranoïaque s’inscrit
dans un continuum entre, d’un côté, les traits de caractère
paranoïaque repérables cliniquement, mais ne formant
pas un système stable d’organisation et, de l’autre,
les délires paranoïaques (délires chroniques systématisés)
qui en constituent la complication évolutive majeure.
Généralités
:
A - Historique
:
Le terme de « paranoïa » (« qui pense à côté ») a été
introduit par les auteurs psychiatriques allemands du
début du XIXe siècle et utilisé dans un premier temps de façon extensive, avant d’être progressivement réservé à
la description des délires de grandeur et de persécution.
En France, les premières notations de ce qui sera
ultérieurement considéré comme caractéristique de la
personnalité paranoïaque sont retrouvées dans les
descriptions des « monomanies raisonnantes » par
Esquirol.
Par la suite, Lasègue décrit le « délire de
persécution » (1852) puis J. Falret, les « persécuteurspersécutés
» (1878).
En Allemagne, E. Kraepelin complétera cette approche
par la description, parmi les personnalités pathologiques,
des « pseudo-quérulents » se distinguant des
« quérulents » proprement dits, par l’absence d’élaboration
d’un véritable délire.
Cette unité de description,
proposant de situer dans une proximité étroite personnalité
pathologique et délire, a été reprise et développée
par la suite, notamment par l’école psychiatrique
française, avec la description de la « constitution paranoïaque
» par Dupré (1912).
L’unité du concept de
personnalité paranoïaque a néanmoins été discutée,
notamment par les auteurs allemands (E. Kretschmer
et K. Schneider), avec comme conséquence un certain
démembrement du concept de paranoïa.
Toutefois, les
classifications diagnostiques actuelles [DSM IV et CIM 10 (Classification internationale des maladies
no 10)], retiennent ce diagnostic parmi les personnalités
pathologiques, avec des critères qui correspondent pour
l’essentiel aux descriptions des auteurs classiques.
B - Épidémiologie
:
Les descriptions classiques, basées sur la continuité
entre traits de caractère, personnalité et délire,
expliquent les difficultés d’une évaluation précise
de la fréquence du trouble.
L’utilisation moderne de
définitions opératoires du trouble « personnalité
paranoïaque » a permis de préciser la fréquence de ce
diagnostic.
La prévalence du diagnostic de personnalité
paranoïaque serait ainsi de 0,5 à 2,5% en population
générale.
Ce diagnostic serait également plus souvent
retrouvé dans les groupes de sujets pris en charge au
plan psychiatrique avec une prévalence de 2 à 10 %
dans les populations vues en consultation et de 10 à
30 % chez les patients hospitalisés.
Description clinique
:
Les manifestations cliniques de la personnalité paranoïaque
sont classiquement décrites comme organisées
selon 4 traits fondamentaux : hypertrophie du moi,
méfiance, fausseté du jugement et inadaptation sociale.
Cette description, très influencée par les travaux de
l’école française, fait l’objet d’un consensus très large.
• L’hypertrophie du moi se manifeste par des sentiments
d’orgueil et de supériorité.
Considéré comme le
phénomène princeps par l’école française, ce trait est à
l’origine des manifestations cliniques rencontrées
comme l’intolérance vis-à-vis des opinions d’autrui et
des attitudes de mépris hautain.
Elle rendrait compte
également de la psychorigidité qui caractérise les paranoïaques,
convaincus d’avoir raison envers et contre
tout.
Cette psychorigidité se traduit par un entêtement
obstiné et une incapacité à revenir sur ses jugements ou
ses opinions.
Elle alimente le mépris pour autrui et
aboutit dans certains cas à de véritables attitudes
fanatiques.
• La méfiance est également une dimension fondamentale
du trouble, considérée comme la manifestation
essentielle dans les classifications modernes, DSM
notamment.
Elle est souvent perceptible dès le premier
contact avec le patient.
Elle est également repérable au
travers de nombreuses situations de la vie quotidienne.
Ces sujets ont la conviction d’être en permanence menacés
par autrui, en situation d’être exploités ou victimes
de mauvaises intentions.
Ils ont l’impression que les
autres complotent contre eux et cherchent à leur nuire.
Ces impressions n’ont besoin d’aucune preuve pour être
étayées et sont rebelles à toute argumentation tendant à
démontrer leur inanité.
Les relations à autrui sont infiltrées
par la méfiance. Les attitudes de l’entourage sont
interprétées comme autant de témoignage de l’hostilité à
laquelle ils sont en butte.
Les manifestations de manque
de confiance ou de défiance sont vécues de façon démesurée,
venant renforcer la conviction persécutoire.
Même les manifestations de sympathie sont interprétées
comme autant de critiques cachées.
Du fait de cette
méfiance qui infiltre tous les instants, les sujets paranoïaques
ont des difficultés extrêmes à établir des relations
intimes.
Ils sont réticents à se confier même à un
proche et vivent toute relation comme une menace permanente
d’agression ou d’abandon.
Soupçonneux
envers leur entourage, véritables tyrans domestiques, ils
sont en proie à des doutes permanents quant à la loyauté
de leur conjoint et de leurs amis qu’ils soumettent à une
surveillance suspicieuse, toujours à la recherche de
preuves d’infidélité.
Rancuniers, les paranoïaques ne
pardonnent que difficilement ce qui est vécu comme
insulte ou trahison et réagissent souvent par des manifestations
de colère inappropriée pouvant être violentes.
• La fausseté du jugement recouvre tout à la fois la tendance
à fonctionner sur la base d’a priori arbitraires et à
recourir à des interprétations erronées.
Ce « subjectivisme
pathologique » allié à la psychorigidité explique
l’entêtement dans l’erreur et les dérives logiques caractéristiques de ces personnalités.
Dans la conception
classique du trouble, cette dimension est retrouvée, avec
une intensité plus marquée, à la base de l’élaboration
délirante de la psychose paranoïaque.
• Les auteurs classiques ont insisté sur l’inadaptation
sociale caractérisant cette personnalité pathologique.
Difficiles à supporter, les sujets paranoïaques ont de
grandes difficultés à établir des relations sociales satisfaisantes.
Dans le milieu du travail, ils sont des subordonnés
particulièrement chatouilleux de leurs droits,
grincheux et récriminateurs, toujours prompts à
contester et à revendiquer.
En position d’autorité, ils
font preuve d’un autoritarisme rigide et d’un caractère
odieux, manifestant des exigences souvent absurdes.
Soupçonneux, hostiles ils découragent même les partenaires
les mieux intentionnés.
Facilement convaincus de
l’hostilité des autres, ils sont prompts à contre-attaquer
et, souvent quérulents, n’hésitent pas à entamer des
procédures pour obtenir réparation du préjudice dont ils
s’estiment victimes.
Manquant fondamentalement de
confiance envers autrui, ils sont soucieux de leur indépendance
et de leur autonomie les amenant à réduire les
interactions avec leur entourage.
Leur vision de la société
est empreinte d’un manichéisme caricatural qui alimente
leur opinion négative des autres, notamment sur
ceux perçus comme différents.
Dans certains cas, ces
attitudes aboutissent à des fonctionnements fanatiques,
en groupe sectaire fermé, où se retrouvent des sujets
partageant un même système de croyance paranoïaque.
Enfin, l’affectivité des sujets paranoïaques apparaît le
plus souvent inhibée.
Elle se caractérise par une froideur
et l’absence d’expression émotionnelle qui témoignent
des efforts de maîtrise déployés par ces sujets.
Il existe
en fait souvent une labilité affective importante avec, sur
un fond de tension plus ou moins intense, la possibilité
d’expressions hostiles plus ou moins ouvertement exprimées
sous forme de sarcasmes voire d’explosions de
colère et d’agressivité.
Des manifestations anxieuses
plus ou moins bien contrôlées ne sont pas rares.
Formes cliniques
:
Les distinctions entre différents profils de la personnalité
paranoïaque sont essentiellement dues aux descriptions
désormais classiques d’E. Kretschmer.
• La personnalité paranoïaque de combat correspond
au plus près aux descriptions de la constitution paranoïaque
de l’école française.
Les traits les plus saillants
sont ici la tendance sthénique aux revendications
(personnalité quérulente de Kraepelin), aux querelles et
à l’agressivité.
Ici, la rigidité et la fausseté du jugement
sont les traits les plus saillants, l’hypertrophie du moi
et la méfiance apparaissant au second plan.
• La personnalité paranoïaque de souhait se distingue
de la précédente par l’absence d’agressivité et de quérulence.
Cette description recouvre des personnalités plus
idéalistes, retrouvées chez des sujets originaux, défendant
une idée ou un idéal parfois parfaitement altruistes.
S’il existe toujours un sentiment de supériorité et une
fausseté du jugement manifestes, l’égocentrisme et l’agressivité
sont moindres que dans la personnalité de combat.
• La personnalité sensitive est très différente des 2
premières par l’absence, chez ces sujets, de dimension
agressive extériorisée, remplacée par une tendance
asthénique et dépressive marquée.
Sensibles et impressionnables,
ces sujets vivent les événements du quotidien,
notamment les situations sociales, avec une sensibilité
exacerbée (hyperesthésie des contacts sociaux).
Les
situations d’échec et de frustrations sentimentales ou
professionnelles sont en particulier vécues avec un
sentiment douloureux d’incompétence et d’humiliation.
Les traits fondamentaux de la personnalité paranoïaque
sont néanmoins présents, notamment la méfiance et la
fausseté du jugement qui alimentent les interprétations
erronées des expériences vécues.
L’inadaptation sociale
est également marquée, ces sujets étant le plus souvent
très isolés au plan affectif.
Ce type de personnalité fait le
lit d’évolutions délirantes particulières (délire de relation
des sensitifs) mêlant délire chronique systématisé, de
mécanisme interprétatif et d’évolution concentrique, et
altération dépressive de l’humeur, dont l’appartenance
au cadre des psychoses paranoïaques reste discutée ;
• D’autres formes cliniques classiques sont plus discutables
; la personnalité hystéro-paranoïaque renvoie à
des profils cliniques mêlant traits hystériques (théâtralisme,
érotisation des contacts sociaux) et traits paranoïaques
(égocentrisme, psychorigidité, agressivité et
sensitivité).
Il semble en fait que cette forme particulière
de personnalité ne corresponde pas à une structure autonome.
La personnalité schizo-paranoïaque n’a guère
plus d’autonomie que la précédente.
Si des éléments tels
que la méfiance, la tendance interprétative persécutoire
et la fausseté du jugement peuvent se
rencontrer chez des sujets schizophrènes, le processus
fondamental n’en est pas moins dissociatif et le diagnostic
celui d’une schizophrénie.
Évolution
:
A - Évolution naturelle
:
Les traits de personnalité paranoïaque sont toujours nettement
apparents dès le début de l’âge adulte.
Souvent,
néanmoins, ils sont repérables plus tôt.
Il s’agit alors d’enfants
et d’adolescents au caractère difficile, orgueilleux
et indisciplinés, supportant mal les contraintes scolaires.
Souvent autodidactes, ils ont tendance à apprendre des
matières hors programme en revendiquant leur indépendance.
Susceptibles et sûrs de leur valeur, ils n’hésitent
pas à contester les décisions du jury lors d’un échec aux
examens.
Ombrageux et autoritaires, ils ont de grandes
difficultés à nouer des relations amicales stables.
À l’âge adulte, les traits paranoïaques s’affirment.
Ils
deviennent alors ces tyrans domestiques persécuteurs ou
ces employés insupportables récriminant constamment
ou encore ces chefs détestés pour leur autoritarisme agressif.
Dans d’autres cas, ils peuvent se dévouer pour
certaines causes altruistes dans lesquelles leur idéalisme
trouve à s’exprimer sans contrainte.
Le plus souvent,
l’évolution des manifestations cliniques est fluctuante
avec des phases d’exacerbation ou de relative quiétude
symptomatique.
Avec l’âge, les traits paranoïaques s’accentuent habituellement,
du fait des modifications psychoplastiques
liées au vieillissement.
Toutefois, cette évolution est à
distinguer de l’apparition de traits de personnalité paranoïaque
(voire même d’un véritable délire de persécution
ou de préjudice de type paranoïaque) chez un sujet
âgé, indemne de tout antécédent pathologique de cet
ordre.
Dans ces cas, le diagnostic de personnalité paranoïaque
ne peut être porté, celui-ci imposant la présence
durable de cette organisation tout au long de la vie, à
partir de l’adolescence ou du début de l’âge adulte.
B - Complications évolutives
:
La conception classique de la personnalité paranoïaque
lie intimement fond de personnalité et délire paranoïaque,
le premier faisant le lit du second.
Cette relation
classique reste discutable, nombre de personnalités
paranoïaques ne connaissant jamais d’évolution délirante
et certaines psychoses paranoïaques se développant
sur des structures de personnalité différentes.
De plus,
une personnalité de type paranoïaque peut être retrouvée
chez des sujets schizophrènes ou maniaco-dépressifs.
• L’apparition d’un délire paranoïaque reste néanmoins
la complication évolutive la plus classique. Dans ces cas,
on assiste à l’invasion progressive du délire, faite de l’accentuation
au fil du temps des interprétations erronées qui
construisent pas à pas une organisation délirante structurée.
De ce fait, le délire qui complique l’évolution représente
une exagération de la personnalité de base et l’on
peut établir par exemple une continuité entre personnalité
paranoïaque de combat et délire de revendication de
type quérulent-processif, ou encore entre personnalité
paranoïaque de souhait et délire des idéalistes passionnés.
Le cas particulier des liens entre personnalité sensitive
et délire de relation des sensitifs a déjà été évoqué.
• Des épisodes psychotiques transitoires peuvent être
observés, en dehors de ces évolutions délirantes chroniques,
durant de quelques minutes à quelques heures,
dans des situations de stress particulières.
Ces épisodes,
brefs, peuvent passer inaperçus mais peuvent être également
à l’origine de réactions hétéro-agressives, voire
d’actes médico-légaux.
Ils témoignent de la mise en
oeuvre de mécanismes de défense psychotiques.
• Des passages à l’acte violents, de nature parfois médicolégale
peuvent survenir indépendamment des évolutions
délirantes.
Ils sont le plus souvent sous-tendus par des
idées de préjudices ou des sentiments de persécution et
imposent d’évaluer dans tous les cas la dangerosité
potentielle des patients paranoïaques.
• Le développement d’une dépendance à l’alcool ou à
d’autres toxiques n’est pas rare. Dans ces cas, les manifestations
cliniques de la personnalité paranoïaque sont souvent plus sévères.
En particulier, les tendances agressives
et quérulentes sont amplifiées, l’imprégnation
alcoolique favorisant également les passages à l’acte hétéro-agressifs. Les complications évolutives sont
aussi alors plus fréquentes.
• L’évolution de la personnalité paranoïaque peut,
mais rarement, être émaillée d’épisodes dépressifs.
En
effet, la sthénie habituelle des personnalités paranoïaques,
même si elle dissimule une profonde vulnérabilité
et une dépressivité certaine, apparaît comme relativement
protectrice, le recours à l’extériorisation de
l’agressivité jouant un rôle défensif face au risque
dépressif.
En revanche, la dimension asthénique des
paranoïaques sensitifs prédispose davantage, nous
l’avons vu, aux évolutions de nature dépressive.
Étiopathogénie
:
Les propositions visant à expliquer la genèse de la
personnalité paranoïaque font essentiellement appel
aux théories psychanalytiques.
Pour Freud (v. le cas Schreber), les mécanismes de projection des conflits
inconscients ont une place essentielle, leur rôle principal
étant de lutter contre des pulsions homosexuelles
latentes.
Dans ce cadre, les idées de persécution ou de
jalousie viennent symboliser cette lutte.
Par ailleurs, les
théories psychanalytiques ont insisté sur l’importance
des mécanismes de régression à des stades archaïques
du développement psychique et notamment au stade des
pulsions agressives sado-anales.
Pour Bergeret, la personnalité
paranoïaque représenterait ainsi une régression
à la première période du stade anal, correspondant
au sous-stade de réjection.
À ce titre, la personnalité
paranoïaque correspond à une structuration psychotique
de la personnalité.
Cette organisation rendrait compte de
la nature particulière de l’angoisse du paranoïaque,
angoisse de morcellement (psychotique). La relation
objectale est, elle, caractérisée par la dépendance agressive
à l’objet et saturée de crainte, de persécution et de
besoin de maîtrise.
Diagnostic
:
A - Diagnostic positif
:
Le diagnostic positif repose sur le repérage des traits
caractéristiques de la personnalité paranoïaque.
• L’hypertrophie du moi est perceptible le plus souvent
dès le premier entretien.
Imbus d’eux-mêmes, ces sujets
adoptent volontiers une attitude hautaine, présentant
leur histoire avec morgue.
La psychorigidité transparaît
également derrière l’insistance du paranoïaque à raconter
les moindres péripéties de son histoire, n’épargnant
aucun détail à l’interlocuteur qu’il cherche à convaincre
de la justesse de ses vues.
Verbeux et pointilleux, les
paranoïaques sont de ce fait des interlocuteurs rapidement
lassants.
• La méfiance est également repérable dans l’attitude
retenue du sujet, maintenant l’interlocuteur à distance.
L’alliance thérapeutique avec le paranoïaque est fragile,
prompte à achopper sur un détail interprété comme
preuve de la duplicité du médecin soupçonné de collusion
avec les adversaires.
Rancunier, le paranoïaque n’acceptera
alors que difficilement une relation avec un interlocuteur
désormais rangé dans le camp des persécuteurs potentiels.
• La fausseté du jugement est parfois clairement apparente,
le sujet énonçant des affirmations de toute évidence
contraires à la réalité et suivant des raisonnements
manifestement faux.
Dans d’autres cas, cette dimension
est plus difficile à apprécier, les déclarations du sujet
ayant une apparence de logique extrêmement convaincante
et reposant sur des faits dont il est souvent difficile
d’affirmer le caractère déréel.
Il est de ce fait souvent
prudent de ne pas s’appuyer sur les faits rapportés
(conflit professionnel, trahison conjugale, etc.).
Le
recoupement avec des témoignages extérieurs apporte
souvent des précisions utiles mais reste très délicat à
utiliser, le sujet paranoïaque ne pouvant vivre cette
« connivence » que de façon extrêmement persécutoire.
• L’inadaptation sociale, enfin, sera systématiquement
recherchée, l’isolement affectif et les difficultés relationnelles
de ces sujets étant en général facilement objectivés.
B - Utilisation des critères diagnostiques
:
Les classifications nosographiques actuelles (DSM IV
et CIM 10) proposent d’utiliser des critères diagnostiques
précis pour arriver au diagnostic de personnalité paranoïaque.
En pratique, cette façon de faire fournit un
cadre utile qui ne peut toutefois dispenser d’une
approche clinique plus fine.
La définition de la personnalité
paranoïaque par le DSM IV
privilégie la méfiance comme dimension essentielle du
trouble (critère A).
Si l’on retrouve parmi les critères
proposés les tendances interprétatives et l’inadaptation
sociale, cette approche ne retient pas l’hypertrophie du
moi comme caractéristique.
Cependant, la proximité
entre cette définition de la personnalité paranoïaque et la
conception classique reste importante.
Dans le DSM, la
personnalité paranoïaque appartient au groupe A des
troubles de la personnalité (groupe qui rassemble les
personnalités de structure psychotique) à côté des
personnalités schizotypiques et schizoïdes.
Le système classificatoire proposé par le DSM autorise à
porter simultanément plus d’un diagnostic de trouble de la
personnalité, à la condition que les critères diagnostiques
soient remplis pour chacun des diagnostics retenus.
Les
troubles de personnalité le plus souvent associés à la
personnalité paranoïaque sont les personnalités schizotypique,
schizoïde, évitante et borderline.
Les critères proposés par la CIM 10 de l’OMS
(Organisation mondiale de la santé), bien que légèrement
différents des précédents, recouvrent très largement les
mêmes notions.
La description proposée se rapproche
toutefois davantage de la conception classique, une place
plus importante étant laissée aux manifestations de
l’hypertrophie du moi (critère F).
C - Diagnostic différentiel
:
Le diagnostic différentiel doit procéder en plusieurs
étapes.
Il faut tout d’abord reconnaître la réalité du trouble
de la personnalité en éliminant d’un côté, les situations
où un certain nombre de traits du caractère paranoïaque
sont présents sans qu’il s’agisse pour autant d’une
personnalité pathologique (situations placées aux confins
de la normalité) et, de l’autre, les cas de psychose paranoïaque
authentique.
• Les limites du concept de personnalité pathologique
ont été définies de façon opératoire par les travaux
nosographiques modernes (critères diagnostiques
généraux des troubles de la personnalité du DSM IV).
Il s’agit d’une organisation stable de la personnalité.
Ses
manifestations sont repérables dans plusieurs
domaines
– mécanismes de pensée, affectivité, relation à
autrui
– et sont manifestement sans relation avec ce qui
peut être attendu au regard du milieu socioculturel
auquel appartient le sujet.
Ces modalités de fonctionnement
sont rigides, relativement constantes au fil du
temps, et envahissent de nombreuses situations de la vie
quotidienne (relations conjugales, amicales, professionnelles,
attitudes envers le médecin, etc.).
Cette organisation
de la personnalité est repérable, par l’anamnèse,
très tôt dans la vie du sujet, dès l’enfance, l’adolescence
ou, au plus tard, au début de l’âge adulte. Enfin, le
caractère pathologique de cette structure de personnalité
est attesté par la souffrance personnelle qui en est la
conséquence et (ou) par la gêne qui en découle au plan
du fonctionnement social notamment.
La situation de quasi-normalité de certains « styles » de
personnalités marquées par la seule existence de
quelques traits paranoïaques est en général assez facilement
identifiable selon ces critères, notamment du fait
de l’absence de l’inadaptation sociale, ces sujets étant
même le plus souvent remarquablement performants
dans leurs activités. Dans d’autres cas, l’expression de
traits paranoïaques peut revêtir une fonction adaptative,
dans certaines situations menaçantes par exemple.
Il s’agit là d’états réactionnels qui ne doivent pas être
diagnostiqués comme troubles de la personnalité dans la
mesure où cette organisation n’est pas ici ancienne,
durable, rigide et inadaptée.
• La distinction entre personnalité paranoïaque et
psychose paranoïaque repose principalement sur une
notion d’intensité, les mêmes dimensions cliniques se
retrouvant dans les 2 cas.
Dans le dernier, le tableau
clinique est occupé au premier plan par une élaboration
délirante, procédant par interprétation, se développant
en secteur, dont le caractère déréel est parfois néanmoins
difficile à reconnaître de prime abord.
En effet, le
discours du délirant paranoïaque conserve souvent une
apparence trompeuse de logique, reposant sur des
prémisses fausses (parfois difficiles à retrouver) mais
se déroulant de façon structurée et pseudo-logique.
De plus, le délire n’intéresse le plus souvent qu’un
secteur de l’activité psychique, le sujet restant capable
de fonctionner de façon adaptée en dehors du secteur délirant (cas par exemple des délirants quérulents
processifs).
Le caractère délirant du discours et du
comportement est, dans d’autres cas, particulièrement
délicat à affirmer, certains patients conservant une
grande maîtrise de leurs attitudes et étant parfaitement
capables de brider leurs agissements à temps pour éviter
d’être inquiétés (cas par exemple des jaloux délirants).
Toutefois, l’intensité des idées délirantes, leur caractère
de plus en plus envahissant, toute autre considération
passant au second plan, et l’importance des conséquences
sur le plan relationnel et social, conduisent le
plus souvent au diagnostic.
La seconde étape du diagnostic différentiel s’attachera à
reconnaître les autres types de troubles de la personnalité
pouvant être à l’origine de tableaux cliniques voisins.
• Les sujets présentant une personnalité schizotypique
montrent, comme les paranoïaques, une attitude méfiante,
des relations interpersonnelles distantes et une tendance
à un vécu persécutoire.
Toutefois, la personnalité schizotypique
(personnalité psychotique) se caractérise au delà
par le recours à un mode de pensée magique et une
certaine bizarrerie de comportement, absentes dans la
personnalité paranoïaque.
De façon voisine, la personnalité
schizoïde pourrait être évoquée devant la froideur et la
distance interpersonnelle habituelles chez ces sujets, mais
l’intensité du retrait social et l’émoussement affectif, entre
autres, permettent de rectifier le diagnostic.
• Les personnalités narcissiques partagent avec la
personnalité paranoïaque la tendance à adopter des
attitudes hautaines et le sentiment de leur propre importance.
Dans les 2 cas, les relations interpersonnelles
manquent d’empathie et sont perturbées par une tendance
forte à exploiter l’autre pour son propre avantage.
Toutefois, les personnalités narcissiques ne comportent
pas la méfiance et les tendances persécutoires toujours
retrouvées chez les paranoïaques.
Par ailleurs, le comportement
des sujets paranoïaques est typiquement
marqué par une distance hautaine visant à bien marquer
leur isolement par rapport aux autres, alors que les sujets
narcissiques sont davantage engagés dans des comportements
de séduction, cherchant à se faire voir sous leur
meilleur jour.
• Les sujets présentant une personnalité obsessionnelle
peuvent poser des problèmes diagnostiques délicats.
En
effet, les ruminations incessantes des obsessionnels, leur
tendance à rationaliser les moindres détails, peuvent en
imposer parfois pour la psychorigidité et la fausseté du
jugement de la structure paranoïaque.
De plus, la rigidité,
le manque d’empathie dans les relations interpersonnelles
de ces sujets s’expriment cliniquement de façon très
proche de la méfiance paranoïaque.
Cependant, on ne
retrouve pas dans ces cas la tendance persécutoire, la
volonté de défendre une conviction du paranoïaque mais
plutôt le doute et le besoin d’hypercontrôle constitutifs
de la personnalité obsessionnelle.
Le diagnostic est
toutefois particulièrement difficile avec la forme sensitive
de personnalité paranoïaque, marquée, nous l’avons vu,
par la vulnérabilité, l’indécision, l’hyperémotivité et la scrupulosité ou encore la tendance dépressive.
Il faudra dans ce cas être attentif à certains éléments plus spécifiques
de la personnalité sensitive comme l’hyperesthésie
relationnelle, distincte de l’inhibition sociale de
l’obsessionnel, ou la tendance interprétative inhérente à
la structure paranoïaque et absente dans la personnalité
obsessionnelle.
• Le déséquilibre psychique (psychopathie ou personnalité
antisociale) peut soulever des questions diagnostiques du
fait de la possibilité de comportements antisociaux chez
certains paranoïaques, comportements marqués par le
refus des contraintes et des règles sociales ainsi que par
l’incapacité à s’insérer de façon stable dans un groupe
social.
Par ailleurs, l’agressivité et la possibilité d’attitudes
hostiles ou d’actes de violence chez le paranoïaque
contribuent également à faire discuter ce diagnostic.
Il
manque cependant, dans ces cas, la psychorigidité et le
système de conviction inébranlable du paranoïaque.
De plus, le déséquilibré agit de façon le plus souvent
ouvertement utilitaire et intéressée, contrairement au
paranoïaque dont les motivations concernent plus
souvent la volonté d’être reconnu dans son bon droit ou
la vengeance d’un préjudice qu’il estime avoir subi.
• Les personnalités borderline partagent avec les
personnalités paranoïaques la difficulté à établir des
relations affectives stables, la tendance à la répétition
d’accès de colère inappropriés.
De plus, il est possible
d’observer, chez le borderline, la survenue d’idées
transitoires de persécution, dans des situations de stress.
Manquent toutefois dans ce cas, la méfiance fondamentale
du paranoïaque et l’hypertrophie du moi, la
personnalité borderline étant tout au contraire structurée
autour de l’instabilité de l’image de soi.
Les autres formes de personnalité pathologique ne
prêtent que rarement à discussion diagnostique avec la
personnalité paranoïaque.
• La personnalité histrionique pourrait être évoquée
devant la volonté de ces sujets de se placer au centre de
l’attention d’autrui et leur présentation emphatique ainsi
que par le fait de leur tendance à réagir de façon exagérée
à des événements mineurs.
L’absence toutefois de
l’ensemble des autres traits caractéristiques de la personnalité
paranoïaque d’un côté et de ceux constitutifs
de la personnalité histrionique de l’autre permet de
redresser rapidement le diagnostic.
• La personnalité évitante se caractérise fondamentalement
par une inhibition sociale marquée nettement
distincte de l’isolement hautain du paranoïaque.
Toutefois, la distinction peut être difficile entre personnalité évitante et personnalité paranoïaque sensitive,
reconnaissable aux tendances interprétatives et à
l’importance de la psychorigidité, absentes dans la
première.
• La préoccupation fondamentale de la personnalité
dépendante, centrée sur la crainte d’être abandonnée,
pourrait évoquer la suspicion paranoïaque.
Le climat de
passivité dans lequel cette crainte est vécue, l’indécision
et la tendance profonde de la personnalité dépendante à
s’en remettre à l’autre, sont très nettement différents de
ce qui peut être observé chez le paranoïaque.
• Le tempérament hyperthymique n’est pas à proprement
parler une forme de personnalité mais renvoie
plutôt à une organisation stable, constitutionnelle,
du comportement.
Cette forme particulière de tempérament
peut poser parfois des problèmes diagnostiques
avec la personnalité paranoïaque. Ces sujets sont en
effet caractérisés par une haute opinion d’eux-mêmes
les amenant à imposer leurs opinions et leurs décisions à
leur entourage.
Particulièrement actifs et entreprenants,
ils supportent difficilement la contradiction et peuvent
être sujets à des accès de colère excessifs et inappropriés.
Toutefois, ils se distinguent nettement des sujets
paranoïaques par l’absence de méfiance et de tendance
interprétative.
On ne retrouve pas non plus chez eux de
psychorigidité, le flux idéique étant plutôt habituellement
accéléré avec une tendance à la dispersion dans
des projets multiples et bouillonnants.
Enfin, les sujets hyperthymiques sont caractérisés par une grande facilité
dans les contacts sociaux, bénéficiant de qualités
d’empathie tout à fait marquées et en cela bien différents
des paranoïaques chez qui le handicap social est
toujours présent.