Mélanome et ganglion sentinelle Cours de Chirurgie
Introduction
:
Le mélanome est la plus grave des tumeurs cutanées.
Son
incidence est en augmentation constante avec dix nouveaux cas par
an pour 100 000, en France.
Il reste un défi thérapeutique, car malgré
l’importance des moyens investis dans la recherche, la survie à 5 ans
n’est pas modifiée.
Si, pour les mélanomes inférieurs à 0,76 mm, le contrôle chirurgical
est excellent (survie à 5 ans : 96 %), il n’en est pas de même pour les
mélanomes plus épais où le risque métastatique et la survie sont
directement corrélés à l’indice de Breslow.
En effet, le mélanome se caractérise surtout par son potentiel
métastatique.
Hors, aucun traitement général n’a fait à ce jour la
preuve de son efficacité et l’arme thérapeutique principale en 2001
demeure la chirurgie.
Concept du ganglion sentinelle
:
La voie de dissémination systémique est surtout lymphatique mais
aussi hématogène.
La réalisation de curages ganglionnaires
systématiques retrouve 20 % de métastases occultes et n’a aucun
bénéfice en matière de survie.
Par ailleurs, les curages présentent une morbidité, maximale en inguino-iliaque :
lymphorrhée, lymphoedème, infection et douleurs neurologiques.
Dans ces conditions, la réalisation de curages ganglionnaires
systématiques a été abandonnée.
Schématiquement, en carcinologie, deux raisons amènent à réaliser
un curage ganglionnaire systématique : soit le curage a une valeur
thérapeutique prouvée, soit il participe au staging de la tumeur qui
débouche sur un schéma thérapeutique dont l’efficacité est prouvée.
Or, dans le cadre du mélanome, aucune de ces propositions n’a été
clairement établie.
Le principe du ganglion sentinelle est de réaliser l’exérèse du
premier bassin de drainage du mélanome dans le but de dépister
les micrométastases chez les patients N-clinique et de leur proposer,
en plus d’un curage, un traitement adjuvant.
Bien qu’aucun
traitement n’ait montré à ce jour de réelle efficacité, la recherche du
ganglion sentinelle conserve néanmoins plusieurs intérêts.
En effet,
la négativité du ganglion sentinelle présente un intérêt pronostique
majeur et permet de rassurer les patients.
La positivité du ganglion
sentinelle permet de réaliser un curage précoce, avant l’apparition de métastases cliniques, mais sans que le bénéfice sur la survie ne
soit encore démontré.
D’ailleurs, l’analyse de la pièce de curage
retrouve des ganglions supplémentaires positifs dans moins de 20 %
des cas.
Surtout, le procédé du ganglion sentinelle permet de réaliser des
groupes homogènes de patients chez qui on peut proposer un
traitement adjuvant, dans le cadre d’études contrôlées.
En effet, il
semble que la principale source d’échec des travaux prospectifs
antérieurs réside dans ce manque de finesse de sélection des
patients.
Protocole technique utilisé à l’hôpital
Saint-Louis :
A - CRITÈRES D’INCLUSION
:
– Patients de plus de 18 ans.
– Exérèse récente (moins de 3 semaines) d’un mélanome cutané de
plus de 1,5 mm de Breslow et/ou signes de régression et/ou
ulcération et/ou Clark IV ou V avant toute reprise chirurgicale.
B - CRITÈRES DE NON-INCLUSION
:
– Refus du patient.
– Grossesse.
– Mélanome des muqueuses ou oculaire.
– Métastases.
– Exérèse initiale large ou avec reconstruction à l’aide d’un lambeau
de rotation (modification du drainage lymphatique).
C - PROTOCOLE SCINTIGRAPHIQUE
:
– Le protocole scintigraphique doit être réalisé entre 4 heures et
24 heures avant l’intervention.
Pour une intervention prévue le
matin, le protocole scintigraphique est réalisé la veille ou le matin
même.
– Deux heures avant l’examen scintigraphique, prémédication et
application au niveau du site tumoral d’une pommade analgésique
locale.
– Installation du patient sur le lit de la caméra de façon à inclure
dans le champ l’ensemble (ou au moins les plus probables) des sites
de drainage lymphatique possibles.
Pour les mélanomes du
tronc, l’ensemble des aires ganglionnaires inguinales, axillaires, voire
sous-clavières, doivent être étudiées.
Pour les mélanomes des
membres inférieurs, les aires poplitées et inguinales doivent être
explorées.
Pour les mélanomes des membres supérieurs, les aires épitrochléennes et axillaires doivent être analysées.
Pour les
mélanomes de la tête et du cou, les territoires parotidiens, prétragiens, rétroauriculaires, occipitaux, sous-mentaux, sousmaxillaires,
jugulocarotidiens, spinaux et axillaires (mélanomes de
la base du cou) sont examinés.
– Injection, par le médecin nucléaire, de colloïde marqué au
technétium 99m (Kit Nano CISt de CIS bio).
Quatre préparations de
500 à 800 µCi au maximum sont injectées en péritumoral ou en
péricicatriciel, aux quatre points cardinaux, en intradermique strict.
– Une acquisition dynamique est réalisée immédiatement avec une
image toutes les 20 secondes pendant 30 minutes, en incluant tous
les sites de drainage possibles de la tumeur (matrice 128 X 128).
Si
ceux-ci ne peuvent pas être inclus ensemble dans le champ de la
caméra, une acquisition statique est ensuite réalisée.
– Dès l’obtention de l’image (ou des images) pouvant correspondre
au ganglion sentinelle, celle-ci est repérée sur la peau en regard avec
un feutre indélébile en s’aidant d’un crayon cobalt.
– Dans les rares cas où aucun ganglion sentinelle n’est visualisé lors
des deux acquisitions dynamiques, des clichés statiques (matrice 128 X 128 ou 256
X 256 ; prétemps de 10 minutes ou précomptes de
200 kcps [kilocoups par seconde]) sont acquis de manière itérative
toutes les 30 minutes jusqu’à l’obtention d’une image pouvant
correspondre à un ganglion sentinelle.
– Le ganglion sentinelle est défini scintigraphiquement comme le
premier foyer hyperfixant détecté au niveau de l’aire de drainage
théorique de la tumeur.
Le plus souvent, la migration lymphatique
du traceur est visualisée sous la forme d’une traînée reliant le site
d’injection au ganglion sentinelle.
D’autres points hyperfixants
peuvent être individualisés en aval sur la même voie de drainage
lymphatique, mais ils ne correspondent pas à un ganglion sentinelle.
– Lorsque deux ou plusieurs images pouvant correspondre à des
ganglions sont individualisées, avec des voies de drainage
différentes au niveau d’une même aire ganglionnaire, elles sont
considérées comme autant de ganglions sentinelles.
– Lorsque la migration radioactive est retrouvée dans plusieurs aires
ganglionnaires différentes, les ganglions sentinelles sont définis
comme ci-dessus.
D - PROTOCOLE CHIRURGICAL
:
– Au début de notre expérience, nous procédions en plus à
l’injection péritumorale de colorant type Patent Blue V.
Cette
injection douloureuse devait être réalisée 30 minutes avant
l’intervention et souvent avant l’anesthésie générale.
L’exérèse du
ganglion était guidée par la sonde de détection radioactive et par la
coloration bleue du ganglion.
Quelques exceptionnelles
complications à type de choc anaphylactique ont été rapportées.
Cette méthode colorimétrique a été abandonnée par nous et par la
plupart des équipes devant la fiabilité de la méthode scintigraphique.
– L’intervention est le plus souvent réalisée sous anesthésie
générale.
Cette anesthésie générale est le plus souvent indiquée par
les marges de sécurité complémentaires dans le cadre du traitement
du mélanome (2 à 3 cm) et par la réalisation d’une greffe cutanée.
Autant il est possible de rechercher un ganglion inguinal sous
anesthésie locale, autant l’anesthésie générale s’impose pour les aires
cervicales et axillaires.
– La recherche du ganglion sentinelle est guidée par une sonde de
détection gamma avec dispositif électronique de lecture (comptage
en nombre de coups par seconde).
– Le signal radioactif est relevé au niveau du site d’injection.
– L’intervention commence par l’exérèse du site tumoral, surtout
lorsqu’il est proche de l’aire ganglionnaire de drainage, afin que
l’hypersignal du site d’injection n’interfère pas avec la recherche du
ganglion sentinelle.
– La sonde gamma mesure et recherche le signal maximal au niveau
du marquage cutané au feutre dans l’aire ganglionnaire concernée.
– Une incision est réalisée en regard et la dissection est
réalisée progressivement guidée par le signal de la sonde gamma
, jusqu’à l’exposition d’un ganglion siège d’un comptage
radioactif significatif, c’est-à-dire au moins supérieur à deux fois la
valeur du bruit de fond.
La valeur est vérifiée sur le ganglion
ex vivo loin de toute zone radioactive.
Un comptage est
réalisé dans le site d’adénectomie afin de vérifier la disparition d’un
taux de radioactivité significatif.
Le ganglion est adressé frais
en anatomopathologie.
La zone est suturée avec, si besoin, un
système de drainage aspiratif.
E - PROTOCOLE ANATOMOPATHOLOGIQUE
:
La micrométastase ganglionnaire est définie histologiquement par
l’envahissement partiel du ganglion par un amas de cellules
néoplasiques, mesurant moins de 2 mm, sous la forme d’emboles
sous-capsulaires et/ou de microfoyers dans la corticale.
Le ganglion sentinelle a fait l’objet de nombreuses publications mais
aucun protocole d’étude anatomopathologique n’a été validé.
La technique d’étude doit tenir compte de la rentabilité des moyens
diagnostiques (examen macroscopique, nombre de coupes
histologiques, étude immunohistochimique).
La plupart des auteurs
s’entendent sur la nécessité d’un double examen histologique et immunohistochimique.
Ainsi, l’analyse en histologie standard
(hématéine-éosine-safran [HES]) n’identifierait que 73 % des
micrométastases tandis que l’immunohistochimie,
utilisant des anticorps dirigés contre les antigènes du mélanome
(protéine S100, HMB-45 ou MART-1), permettrait de dépister 10 à
30 % de micrométastases supplémentaires.
L’examen anatomopathologique est parfois complété par une étude
en biologie moléculaire.
La recherche de micrométastase peut être
effectuée par reverse transcriptase-polymerase chain reaction (RT-PCR).
Cette technique est basée sur la détection de l’acide ribonucléique
(ARN) messager du gène de la tyrosinase transcrit spécifiquement
dans les mélanocytes.
Plus sensible mais moins spécifique que
l’immunohistochimie, la RT-PCR est une technique prometteuse, en
cours d’évaluation.
Discussion
:
La technique de recherche du ganglion sentinelle est actuellement
validée par méthode isotopique, éventuellement complétée par
méthode colorimétrique.
La morbidité en est faible et il existe de
très faibles faux négatifs lors des contrôles par curage.
Le
point est mis sur l’existence d’une courbe d’apprentissage.
Le taux de détection du ganglion sentinelle est supérieur à 93 %,
avec cependant des difficultés topographiques dans la région cervicofaciale et plus particulièrement parotidienne.
La recherche du ganglion sentinelle a remis en cause l’anatomie
classique en mettant en évidence des voies de drainage atypiques,
notamment dans les localisations cervicofaciales et tronculaires.
L’atteinte du ganglion sentinelle au cours du mélanome est un
facteur majeur à la fois en termes de survie sans récidive et de survie
globale, indépendamment de l’épaisseur et de l’ulcération de la
tumeur primitive.
Le risque que le ganglion sentinelle soit positif atteint 50 % pour un
indice de Breslow entre 3,0 et 3,9 mm avec des facteurs péjoratifs :
ulcération, index mitotique élevé, invasion vasculaire.
La découverte d’un ganglion sentinelle positif est suivie par la
réalisation d’un curage, dont le taux de ganglions supplémentaires
positifs est inférieur à 20 %.
La preuve de l’intérêt thérapeutique
d’une telle stratégie n’est pas démontrée.
Gershenwald s’est intéressé aux récurrences des patients (10 %)
avec ganglion sentinelle négatif et à l’intérêt d’une nouvelle analyse
histologique a posteriori.
La relecture des lames en histologie
standard et en immunohistochimie retrouve que 80 % des ganglions
étaient positifs, ce qui permet d’insister sur la nécessité d’une bonne
technique anatomopathologique.
Conclusion
:
La procédure du ganglion sentinelle est une technique difficile
nécessitant une collaboration multidisciplinaire entre services de
dermatologie, chirurgie plastique, médecine nucléaire et
anatomopathologie.
Sur le plan chirurgical, elle nécessite une période
d’apprentissage avant d’obtenir un taux de détection maximal.
Sur le
plan anatomopathologique, elle nécessite l’utilisation de techniques
d’immunohistochimie et de RT-PCR.
Elle ne peut donc être réalisée que
dans des centres spécialisés participant à des protocoles de recherche
thérapeutique portant sur l’efficacité de la méthode ou d’un traitement
médical adjuvant.
Elle n’a pas fait la preuve de son efficacité thérapeutique, en l’absence de
traitement adjuvant réellement efficace.
En revanche, la valeur
pronostique est prouvée.
La procédure du ganglion sentinelle dans le mélanome ne peut donc pas
être considérée comme partie intégrante du traitement standard.
Elle
doit, pour l’instant, être réalisée dans le cadre strict d’études cliniques.