C’est une maladie de la retraite : l’âge moyen des patients
est de 65 ans, 2/3 des cas ont plus de 60 ans lors du diagnostic
; les cas observés avant 40 ans sont exceptionnels.
Il existe une discrète prédominance masculine (61 %).
A - Manifestations cliniques
:
1- Latence clinique :
La maladie est souvent et longtemps cliniquement latente.
Plus de la moitié des cas sont révélés fortuitement, à l’occasion
de la prescription d’un hémogramme chez un adulte
en bonne santé apparente, par une hyperlymphocytose
variable, habituellement comprise entre 5 000/mm3 et
50 000/mm3, mais atteignant parfois plusieurs centaines
de milliers de lymphocytes par mm3.
La latence symptomatique
de l’hyperlymphocytose sanguine, même quand
elle atteint ces valeurs, est remarquable.
Les patients
expriment parfois dans ces circonstances une sensation de
lassitude physique.
Une fébricule, des sueurs, un amaigrissement
sont inhabituels et doivent faire suspecter une
complication intercurrente ou évolutive de la maladie.
2- Adénopathies :
Les adénopathies superficielles sont décelées par la palpation
des aires cervicales, sus-claviculaires, axillaires
et inguinales.
Leur présence est inconstante.
Les ganglions
sont traditionnellement bilatéraux, longtemps de
volume modéré, symétriques, indolores, non compressifs.
L’atteinte simultanée de plusieurs de ces aires a une
incidence pronostique.
Les adénopathies profondes ne sont pas systématiquement
étudiées en raison de leur caractère habituellement asymptomatique
et de la rareté des manifestations compressives.
Le médiastin, traditionnellement indemne en apparence
sur les clichés de thorax de face et profil, recèle souvent
des adénopathies s’il est examiné par tomodensitométrie :
les ganglions sont observés dans les chaînes médiastinales
paratrachéales, principalement au sein de la loge de Baréty
et de la fenêtre aorto-pulmonaire.
Elles sont rarement
volumineuses (1-2 cm), et jamais compressives, sauf en
cas de transformation (syndrome de Richter).
Les adénopathies rétropéritonéales ont longtemps été étudiées par la
lymphographie.
Cet examen a pour intérêt de fournir des
images de ganglions pathologiques assez précises, où le
fin piqueté d’un ganglion normal est remplacé par un
piqueté plus ou moins grossier ; l’existence d’images lacunaires
est inhabituelle sauf s’il existe une transformation
en syndrome de Richter.
En outre, la persistance du produit
de contraste au sein des ganglions atteints permet un
suivi évolutif des lésions pendant plusieurs mois.
Malgré
une moins bonne définition des images ganglionnaires
pathologiques, la tomodensitométrie s’est imposée aujourd’hui
face à la lymphographie pour l’exploration des
chaînes ganglionnaires abdominales et pelviennes, en raison
de la plus grande facilité de réalisation.
3- Splénomégalie
:
Une splénomégalie est souvent associée aux adénopathies.
Elle peut parfois être isolée : cette présentation a pour réputation
d’être de meilleur pronostic, ou du moins d’évoluer
de façon lente.
Cependant, le caractère volumineux de la
splénomégalie est parfois l’indice d’une forme plus agressive
dite prolymphocytaire, ou d’autres maladies lymphoprolifératives
chroniques, qui peuvent prêter à confusion
surtout si l’hémogramme n’a pas été examiné avec attention
au microscope par un cytologiste expérimenté.
4- Autres signes d’intumescence lymphoïde :
L’augmentation de volume des amygdales pharyngées
est fréquente mais n’engendre que très rarement une dysphagie
ou des signes de compression locale.
L’infiltration lymphoïde est en réalité présente dans la plupart
des tissus mais elle reste généralement asymptomatique.
Il est fréquent qu’elle soit décrite au sein d’un prélèvement
biopsique pratiqué pour d’autres raisons sur une
lésion prostatique, pulmonaire, digestive, etc..
Le risque
est d’attribuer trop facilement à ces infiltrats de lymphocytes
un rôle lésionnel tumoral spécifique.
Il existe toutefois
des observations de localisations parenchymateuses
symptomatiques : rénales avec protéinurie et syndrome néphrotique, cutanées à type de papules infiltrées, pulmonaires
interstitielles ou pleurales, ostéolytiques, méningées.
Ces observations sont exceptionnelles.
B - Examens morphologiques :
1- Hémogramme :
Il montre une augmentation absolue du nombre des
petits lymphocytes que rien ne permet de distinguer de
lymphocytes normaux.
Cette augmentation peut être
discrète au début, comprise entre 5 000 et 10 000/mm3,
ou considérable dès le premier examen, dépassant les
100 000/mm3.
L’examen des frottis de sang montre la
présence habituelle de cadavres nucléaires ou « ombres
de Gümprecht ».
L’hyperlymphocytose n’a pas de
conséquence symptomatique propre ; en particulier le
phénomène de leucostase n’a guère de réalité, sauf dans
de très rares cas lorsqu’elle dépasse 500 000/mm3.
Il est
toutefois possible, dans les formes hyperlymphocytaires,
de déceler des modifications du rapport ventilation-
perfusion si on utilise des méthodes sensibles.
En
revanche, l’hyperlymphocytose peut engendrer des artéfacts
de dosages biologiques : les gaz du sang peuvent
être modifiés par une consommation excessive d’oxygène
artéfactuelle in vitro si on ne prend pas soin de réfrigérer
la seringue de prélèvement, de la maintenir à +4°C
et de pratiquer l’examen sans délai.
De même, une
hypoglycémie factice par consommation de glucose in
vitro est possible si le tube de prélèvement ne contient
pas de fluorure de sodium (ce produit bloque la chaîne
respiratoire mitochondriale, donc la glycolyse aérobie).
Dans la majorité des cas, la numération des granulocytes
(si on prend le soin de l’exprimer en valeur absolue), des
hématies et des plaquettes montre des valeurs normales.
La constatation d’une anémie ou d’une thrombopénie
est rare lors du diagnostic.
Leur présence modifie le pronostic
de la maladie et justifie d’en préciser si possible
le mécanisme car les mesures thérapeutiques qui s’imposent
dans ces cas ne sont pas univoques.
2- Myélogramme
:
Il montre une infiltration par des petits lymphocytes,
constante dans cette affection, supérieure à 30 %.
Cette
infiltration est habituellement importante en pourcentage ce qui rend aléatoire l’appréciation de la richesse des
autres lignées.
Cette restriction explique la difficulté
d’interprétation du myélogramme en cas d’anémie ou de
thrombopénie associée.
3- Biopsie médullaire :
Histologiquement l’infiltration peut prendre plusieurs
aspects : interstitielle modérée, en nodules, diffuse plus
ou moins dense et parsemée de renforcements focaux.
La densité de cette infiltration n’a pas de traduction évidente
sur la production hématopoïétique normale.
En
revanche, elle a une incidence sur le pronostic global de
la maladie : les formes à infiltration dense et diffuse ont
une évolution moins favorable que celles à infiltration
interstitielle ou nodulaire.
4- Adénogramme
:
Il montrerait un frottis dense et monomorphe de petits
lymphocytes.
5- Examen anatomopathologique ganglionnaire :
L’examen histologique d’un ganglion, qui est la clé du
diagnostic des lymphomes non hodgkiniens, n’a pas fait
l’objet d’études systématiques dans la leucémie lymphoïde
chronique, peut-être parce que la maladie est d’abord
sanguine et médullaire dans son expression hématologique.
Il arrive que par discrétion ou méconnaissance des
signes hématologiques (hémogramme), ces ganglions
fassent l’objet d’un examen anatomopathologique après
adénectomie : l’aspect est celui d’une prolifération diffuse
et monomorphe de petits lymphocytes, effaçant l’architecture
normale du ganglion lymphatique, constituant
parfois des ébauches de pseudo-follicules.
Les anatomopathologistes
classent cet aspect comme un lymphome lymphocytique ou à petits lymphocytes bien différenciés.
Ces équivalences nosologiques sont utiles à connaître.
C - Examens immunologiques :
Ils permettent de préciser la nature des lymphocytes
constituant la prolifération et l’existence, fréquente, de
manifestation de déficit immunitaire et d’auto-immunité.
1- Immunophénotype lymphocytaire
:
Ce sont des lymphocytes B monoclonaux.
L’étude des
immunoglobulines de membrane retrouve toujours un
seul type de chaîne légère, kappa ou lambda. Les chaînes
lourdes sont très généralement de type mu (IgM), parfois
de type delta (IgD), souvent les 2 types associés.
Les
types alpha ou gamma (IgA ou IgG) sont exceptionnels.
L’un des signes les plus fidèles de la maladie est la diminution
de densité des immunoglobulines de membrane
par rapport aux lymphocytes B normaux.
Plus récemment, la disponibilité des anticorps monoclonaux
de spécificité étroite a permis de reconnaître sur leur
membrane la coexpression d’antigènes de différenciation
B classiques (CD19, CD20), et d’un antigène classiquement
exprimé par les lymphocytes T et d’une sous-population
B restreinte (CD5).
Cette coexpression CD19-CD5
est un signe très fidèle de la maladie.
L’expression des
antigènes CD10 et CD25 est négative.
Sauf exception,
l’intérêt diagnostique de ces marqueurs est inversement
proportionnel à l’expérience cytologique du spécialiste en
hématologie ayant procédé à l’examen de l’hémogramme.
Ils peuvent être cependant utiles pour distinguer la leucémie
lymphoïde chronique de proliférations lymphoïdes
chroniques morphologiquement proches mais nosologiquement
distinctes.
La prolifération est très rarement de type T : ces formes sont
de classement controversé et correspondent plus souvent à
l’aspect d’une leucémie à grands lymphocytes granuleux.
2- Immunité humorale :
Une hypogammaglobulinémie est fréquente. Elle peut
être dissociée, ou porter sur les 3 principales classes
d’immunoglobulines (IgG, IgA, IgM).
Le déficit d’anticorps
est aussi illustré par la baisse des hémagglutinines
naturelles anti-A et -B, la difficulté d’observer une séroconversion
vis-à-vis d’un antigène notamment vaccinal.
Il est possible mais rare de déceler un pic monoclonal IgM sérique, témoignant de formes de passage avec la
macroglobulinémie de Waldenström (5 % des cas).
3- Immunité cellulaire :
Les altérations quantitatives des sous-populations de
lymphocytes T, en particulier CD4, sont discrètes au
début de la maladie, puis s’affirment au cours de l’évolution.
Il est toutefois difficile de faire la part de l’altération
spontanée et des effets des traitements.
Qualitativement, un défaut de coopération cellulaire B/T
est mis en évidence par le défaut d’expression de certains
antigènes de membrane spécifiquement impliqués
dans cette fonction.
D -
Caryotype
:
L’étude du caryotype se heurte à la difficulté d’obtenir
des mitoses analysables et requiert l’usage de procédés
mitogènes laborieux.
Dans ces cas, les anomalies cytogénétiques
les plus habituelles sont une anomalie du
bras long du chromosome 13(q14) et une trisomie 12.
L’introduction récente de techniques comme la fluorescence
par hybridation interphasique facilite l’identification
de cette anomalie.
E
- Diagnostic pratique
:
La majorité de ces examens ne sont pas indispensables
au diagnostic de la maladie en pratique clinique, et n’ont
d’intérêt que dans le cadre d’études prospectives de
cette maladie.
En pratique, le diagnostic reste basé sur des arguments
simples : chez un adulte, une hyperlymphocytose chronique
à petits lymphocytes, dépassant 5 000/mm3 pendant
plusieurs mois, faite de petits lymphocytes d’aspect normal
est un critère majeur si l’examen morphologique est
effectué par un spécialiste compétent.
Il est classique d’y
associer la démonstration d’une infiltration de la moelle
osseuse par ces mêmes cellules, critère exceptionnellement
en défaut si la lymphocytose est significative.
L’intérêt d’une étude immunophénotypique est lié à la
possibilité de confusion avec certaines formes de lymphomes
non hodgkiniens (formes leucémiques de lymphomes
folliculaires, de lymphomes du manteau, de lymphomes
spléniques à lymphocytes dits villeux) et de
formes frontières avec la macroglobulinémie de
Waldenström ou de leucémies dites prolymphocytaires :
les meilleurs critères en faveur de la leucémie lymphoïde
chronique sont la coexpression CD19/CD5, la faible densité des immunoglobulines
de membrane, l’expression de l’antigène CD23, l’absence
d’expression de CD10 et de CD25.
Ce profil
d’expression des marqueurs de membrane est utilisé par certains
pour établir un score destiné à apprécier la vraisemblance du
diagnostic.
Évolution
:
L’évolution de la maladie est variable : certains cas évoluent
lentement ou restent remarquablement stables pendant
de très longues périodes (parfois plusieurs dizaines
d’années), d’autres s’aggravent en quelques mois.
L’évolution est émaillée de complications infectieuses,
tumorales, auto-immunes et d’insuffisance médullaire.
A - Infections
:
Elles sont la cause la plus habituelle d’hospitalisation et
de mortalité chez ces patients.
Elles dépendent de la granulocytopénie,
de l’altération spontanée ou iatrogénique
des défenses cellulaires et humorales.
Ces facteurs favorisants
se combinent souvent.
Les infections bactériennes sont surtout bronchopulmonaires,
favorisées par l’hypogammaglobulinémie et la
granulocytopénie progressives : leur répétition peut faire
le lit de bronchectasies qui évoluent pour leur propre
compte, favorisant la répétition des épisodes infectieux.
Les infections virales, mycobactériennes et à protozoaires
dépendent surtout de l’altération de l’immunité cellulaire,
qu’elle soit spontanée ou iatrogénique : la diminution du
taux sanguin des lymphocytes CD4 est particulièrement
marquée avec des médicaments comme la fludarabine, les
corticoïdes, et les anticorps monoclonaux en cours d’évaluation
(anti-CD52).
Les virus en cause sont notamment
du groupe herpès : zona, herpès péri-orificiels récidivants,
pneumopathies à cytomégalovirus.
La tuberculose n’est pas rare, notamment dans la population
de patients âgés ayant souvent échappé à la vaccination
obligatoire par le BCG.
Les protozooses (Toxoplasma gondii, Pneumocystis
carinii) sont parfois observées à un stade terminal.
Les
infections à champignons : Candida, Aspergillus, Cryptococcus
ont un tropisme pulmonaire, parfois neuroméningé
ou septicémique : ces cas ne sont le plus souvent
décelés que post mortem.
B - Progression tumorale
:
Les signes d’intumescence lymphoïde restent, pendant
longtemps, peu prononcés chez la majorité des patients.
Dans les cas où les adénopathies sont volumineuses dès
le diagnostic ou le deviennent en cours d’évolution, le
type anatomopathologique de la prolifération ne se
modifie guère : les ganglions gardent un aspect d’infiltration
diffuse par des petits lymphocytes.
Avec le temps, un contingent de cellules lymphoïdes nucléolées (prolymphocytes) apparaît dans le sang, la
moelle et les ganglions de la plupart des patients mais ces
cellules restent minoritaires (< 20 %) : elles ne doivent
pas faire parler de transformation aiguë.
Ces cas doivent
être distingués des leucémies dites prolymphocytaires B
dont le diagnostic est évoqué par une proportion de prolymphocytes
d’emblée importante dans le sang (> 50 %).
Une transformation histologique (syndrome de Richter)
est rare.
Elle doit être évoquée si les adénopathies deviennent volumineuses, compressives, sensibles ou s’accompagnent
de manifestations inflammatoires locales ou
générales (fièvre, sueurs, amaigrissement).
La monotonie
histologique ou cytologique du ganglion est alors modifiée
par une prolifération à grandes cellules d’aspect immunoblastique ou rappelant les cellules de Sternberg.
C - Auto-immunité
:
Des manifestations d’auto-immunité peuvent révéler la
maladie ou en compliquer l’évolution.
Elles sont dominées
par l’auto-immunité anti-érythrocytaire.
Celle-ci
peut être limitée à un test de Coombs direct positif, sans
excès d’hémolyse.
La fréquence réelle des cas d’anémie hémolytique autoimmune
est estimée entre 5 et 10 %.
Cette complication
est rarement révélatrice de la leucémie lymphoïde chronique,
plus souvent détectée en cours d’évolution, et
semble favorisée par l’immunodépression et l’usage de
certains traitements (en particulier la fludarabine) chez
des patients préalablement multitraités.
La majorité des
cas sont des anticorps de type chaud, anti-Rh.
Les cas
d’anticorps froids sont plus rares.
Cette complication
aggrave le pronostic de la maladie principalement par
les traitements qu’elle rend nécessaires (corticoïdes
dans les formes à anticorps chauds, immunosuppresseurs
en cas de corticodépendance ou de corticorésistance et
dans les formes à anticorps froids).
Certains cas d’anémie arégénérative dépendent d’un
mécanisme d’érythroblastopénie probablement autoimmune.
Ce mécanisme est difficile à démontrer sur ce
terrain : le test de Coombs direct est en général positif,
mais il n’y a pas d’hyperhémolyse patente.
L’examen de
la moelle osseuse montre peu d’érythroblastes (< 5%)
mais ce critère est d’interprétation difficile en présence
d’une infiltration lymphocytaire importante.
La correction
fréquente de l’anémie par un traitement immunodépresseur
non cytostatique (ciclosporine par exemple)
renforce l’hypothèse d’une manifestation d’auto-immunité
anti-érythroblastique dans ces cas.
Les autre manifestations d’auto-immunité sont beaucoup
plus rares : quelques cas de purpura thrombopénique
auto-immun, ou d’association à une polyarthrite rhumatoïde,
un syndrome de Gougerot-Sjögren, une maladie lupique sont signalés, mais restent
anecdotiques.
D - Insuffisance médullaire :
Les
manifestations d’insuffisance médullaire peuvent être présentes
d’emblée lors du diagnostic : en réalité, il est vraisemblable
que les cytopénies précoces (stades C initiaux) dépendent de
mécanismes complexes et encore incomplètement compris
(inhibition de maturation médullaire dépendant de cytokines,
auto-immunité).
L’insuffisance médullaire est plus souvent une manifestation
tardive, dépendante des traitements multiples reçus par les
patients.
Elle en
limite l’usage et engendre ses complications propres :
infections, hémorragies, dépendance transfusionnelle.
Pronostic :
Certains
critères pronostiques ont une valeur prédictive sur la survie
globale.
A - Classifications à visée pronostique :
De nombreux
travaux ont été consacrés à l’identification de critères
pronostiques, dont émergent les classifications par stades :
elles ont pour avantage la simplicité d’application pratique
(ces classifications ne requièrent que des données cliniques et
un hémogramme) et la reproductibilité.
Deux
classifications se partagent les faveurs des cliniciens : la classification
en 3 stades ABC, mise au point en France par J.-L.
Binet et al., a la faveur des hématologistes français ; la
classification en 5 stades, mise au point aux États-Unis
par K Rai et al., a davantage celle des Anglo-Saxons.
En appliquant la classification ABC, la médiane de survie des patients de stade A est supérieure à 120 mois et
se rapproche, pour les sujets de plus de 60 ans, de la survie
d’une population saine de même âge.
La médiane
des patients de stade B est de l’ordre de 70 mois, celle
des patients de stade C est de l’ordre de 40 mois.
B - Autres critères pronostiques :
L’identification de critères pronostiques validés est un
des objectifs actuels de la recherche clinique.
Le délai
de doublement de la lymphocytose sanguine inférieur à
12 mois, une infiltration médullaire de type diffus en
biopsie, une augmentation dans le sérum de la fraction
soluble du récepteur CD23 ou du taux de bêta-2 microglobuline,
l’existence d’anomalies cytogénétiques,
notamment de 11q et 17p ont une valeur pronostique
défavorable.
L’intérêt de ces critères pronostiques par
rapport à celui des classifications ci-dessus est en cours
d’évaluation.
Principes du traitement
:
Il n’y a pas d’exemple connu de malade guéri de cette
affection.
Les traitements actuels permettent de faire
régresser les manifestations d’intumescence lymphoïde
chez la plupart des patients : même dans les cas où l’on
observe une régression tumorale complète (disparition
des manifestations cliniques d’intumescence lymphoïde,
des lymphocytes pathologiques du sang, de la moelle
osseuse), on peut détecter la présence de cellules clonales
résiduelles chez tous les patients en utilisant des
méthodes ultrasensibles (PCR) amplifiant les régions
variables des gènes des chaînes lourdes d’immunoglobulines,
spécifiques du clone, et en les répétant au
besoin.
L’objectif des recherches thérapeutiques actuelles se
fonde sur l’hypothèse selon laquelle la réduction tumorale
la plus complète possible (disparition de toute maladie
résiduelle appréciable) produit un bénéfice en terme
de survie.
Les médianes de survie actuelles sont en effet
difficilement acceptables pour une forte proportion de
patients encore « jeunes » atteints de leucémie lymphoïde
chronique de stades B ou C.
A - Stade A :
Ces patients ne doivent pas être traités, sauf progression
symptomatique : leur survie globale, proche de celle
d’une population saine de même âge, n’en est pas modifiée.
Surtout, l’administration de Chloraminophène
pourrait à la longue favoriser l’apparition de résistances
thérapeutiques en cas de progression de la maladie ;
l’augmentation d’incidence des cancers n’étant cependant
pas encore formellement démontrée.
B - Stades B et C
:
L’objectif du traitement est d’obtenir et de maintenir une
régression tumorale la plus complète possible au prix
d’une toxicité la plus faible possible.
Le choix du traitement
dans ces cas est encore débattu, et plusieurs essais
en cours tentent d’évaluer les avantages et inconvénients
respectifs de chacun d’entre eux.
1- Traitements disponibles :
• Chloraminophène (gélules à 2 mg) : c’est le médicament
le plus anciennement employé.
On l’utilise soit
en prescription continue à la dose de 0,1 mg/kg/j, soit en
prescription discontinue à la dose de 0,25 mg/j, 5 jours de
suite, toutes les 4 semaines en association avec de la prednisone.
Une réponse est observée en 6 à 9 mois, comportant
dans la majorité des cas une régression de la lymphocytose,
dans un tiers des cas une régression partielle ou
totale des signes cliniques (adénopathie et splénomégalie),
mais l’infiltration médullaire persiste dans tous les
cas.
Certains auteurs proposent dans des essais prospectifs
d’utiliser de fortes doses continues (10 mg/m2/j) jusqu’à
obtention d’une réponse maximale ; le délai de
réponse est plus court et le taux de réponse supérieur.
• Polychimiothérapies : la plus éprouvée associe
adriamycine (25 mg/m2), cyclophosphamide, vincristine
et prednisone (CHOP).
Administrée mensuellement,
elle procure une régression partielle ou complète des
signes cliniques et d’hémogramme dans 75 % des cas,
une normalisation médullaire dans 10 % des cas.
La
tolérance est convenable, l’alopécie est l’effet secondaire
le plus habituel.
Le risque de cardiomyopathie
dépendante de l’adriamycine est très faible si les
contre-indications cardiaques sont respectées, celui de
neuropathie sensitivo-motrice dépendante de la vincristine
est faible si la surveillance neurologique des
patients est régulière.
• Fludarabine (ampoules injectables i.v. à 50 mg) : cet
analogue purinique est utilisé en cures mensuelles à la
dose de 25 mg/m2, 5 jours de suite.
Les réponses sont
comparables à celles obtenues par l’association ci-dessus.
Les effets secondaires sont différents : l’alopécie est
exceptionnelle, mais les effets immunosuppresseurs
sont plus marqués (déplétion prolongée des lymphocytes
CD4).
Ce médicament favorise l’apparition d’anémies
hémolytiques auto-immunes, surtout chez les
patients multitraités.
2- Traitements en cours d’évaluation :
• Immunothérapie : elle utilise des anticorps monoclonaux
dirigés contre certains des antigènes de ces cellules
(CD52, CD20).
Ce type de traitement est actuellement
évalué et semble prometteur pour compléter l’effet
d’une chimiothérapie initiale.
• Traitements intensifs : des chimiothérapies fortes
suivies d’autogreffe de moelle donnent des résultats
encourageants chez les patients jeunes, en particulier
dans des cas de résistance aux traitements classiques.
L’effet bénéfique semble surtout celui du conditionnement
par irradiation totale.
On étudie actuellement
la place de ces méthodes thérapeutiques chez les sujets
dont l’âge est compatible avec la morbidité de ces traitements
.
C - Traitements symptomatiques
:
Les traitements symptomatiques ont une importance primordiale
: antibiothérapie précise et adaptée si possible
en cas d’infection bactérienne, gammaglobulines préventives
pour certains.
Les vaccins atténués sont contreindiqués.
Les vaccinations antigrippales ne sont pas
réellement contre-indiquées mais ont une efficacité
incertaine.
Les vaccins antitétanique et antipoliomyélitique
sont utilisés sans appréhension.
Certains cas d’anémie peuvent justifier un traitement
spécifique : c’est le cas d’une hémolyse auto-immune,
justifiant une corticothérapie forte (1 mg/kg/j) et prolongée
plusieurs semaines.
Dans le cas d’une érythroblastopénie
auto-immune, les corticoïdes, les immunodépresseurs
(ciclosporine) ont des succès à leur actif.
L’irradiation de la rate à dose faible (5-10 Gy) en cas de
volumineuse splénomégalie peut être un appoint utile.