Technique de la dacryo-cysto-rhinostomie par voie endonasale
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
La dacryo-cysto-rhinostomie (DCR) est l’intervention chirurgicale
destinée à traiter les sténoses lacrymonasales irréductibles.
Cette
intervention anastomose le sac lacrymal avec la fosse nasale
adjacente.
Ce court-circuit définitif du canal lacrymonasal impose de
supprimer la gouttière lacrymale.
Cette paroi osseuse est constituée
en avant d’un os épais : le processus frontal du maxillaire supérieur.
En arrière, la paroi est une simple pellicule osseuse : l’unguis.
Les critères de l’ostéotomie idéale ont été définis par plusieurs
décennies de DCR par voie externe.
L’ostéotomie doit supprimer
vers l’avant la crête lacrymale antérieure.
Elle doit être étendue vers
le bas, à la paroi interne du canal lacrymonasal.
Vers le haut, la
trépanation doit dégager le canalicule d’union.
En fin d’intervention,
on peut contrôler avec une sonde à voie lacrymale que le contact
osseux a bien disparu.
Il n’est pas nécessaire, et parfois même dangereux, d’étendre trop
l’ostéotomie.
Vers l’arrière, le muscle de Duverney s’insère sur la
crête lacrymale postérieure.
Ce muscle participe à la statique canthale médiale et au fonctionnement de la pompe lacrymale.
En
haut et en arrière du dôme du sac lacrymal, les principaux dangers
sont représentés par : le drainage du sinus frontal si celui-ci chemine
à travers les cellules ethmoïdales du groupe unciformien ; les
vaisseaux ethmoïdaux antérieurs ; la lame criblée de l’ethmoïde.
L’ostéotomie idéale doit libérer le sac lacrymal et la partie haute du
canal lacrymonasal.
Elle doit aussi rester à distance de ces structures
dangereuses.
Par voie canthale, le repérage et l’abord de la gouttière lacrymale est
simple et reproductible.
Par voie endonasale, le repérage et l’abord
de la gouttière lacrymale sont nettement plus difficiles.
Ceci
explique, qu’indépendamment des résultats, la DCR par voie
endonasale est longtemps restée marginale par rapport à la voie externe.
La voie externe, en raison de sa simplicité et de sa
reproductibilité, est encore à cette date la technique de référence.
La voie endonasale est en train de combler son retard grâce au
guidage endoscopique, au repérage des voies lacrymales à l’aide
d’une fibre transilluminatrice, et grâce à une meilleure connaissance
des rapports anatomiques existant entre le processus unciforme et
la face médiale de la gouttière lacrymale).
Ainsi, la DCR par voie endonasale profite maintenant d’une
instrumentation adaptée et surtout bénéficie d’une méthode
opératoire aussi standardisée que par voie externe.
Instrumentation
:
L’instrumentation nécessaire à la réalisation d’une DCR par voie
endonasale est largement empruntée à la chirurgie nasosinusienne.
A - VISUALISATION DU SITE OPÉRATOIRE :
Le guidage endoscopique supplante le microscope opératoire.
La
mobilité des optiques déplace plus rapidement la visée au sein de la
zone opératoire.
La visée panoramique des optiques offre un
excellent champ de vision.
Il est équivalent, voire supérieur, à celui
obtenu avec le microscope opératoire.
Le guidage endoscopique
n’autorise pas une chirurgie bimanuelle, ce qui ne constitue pas un
préjudice réel.
Les gaines lavantes-aspirantes permettent de limiter
les entrées et sorties de l’endoscopie.
La visualisation du site opératoire emploie un endoscope rigide de
4 mm de diamètre externe, avec une visée « panoview » 0°.
L’endoscope est entouré d’une chemise comportant un système
d’irrigation-aspiration.
Tout le matériel est autoclavable.
Le lavage
de l’extrémité de l’optique est déclenché par une poignée ou par
une pédale.
L’image est recueillie par une microcaméra et projetée
sur un moniteur.
B - MATÉRIEL CHIRURGICAL
:
Les instruments ne sont pas spécifiques.
Ils se composent : d’un
dilatateur à voies lacrymales ; d’une sonde à voies lacrymales ; d’une
fibre optique transilluminatrice à usage unique, une canule coagulante aspirante, un décolleur à bout mousse, une canule
d’aspiration, une pince de Blakesley fine (2 mm) à 45°, une pince
type Kocher droite sans griffe, une paire de ciseaux.
Les différentes étapes de l’ostéotomie peuvent être réalisées
mécaniquement (emporte-pièce, forage...) ou par photoablation.
Les
avantages et inconvénients de chaque instrument dépendent de
l’épaisseur de l’os à supprimer.
– Les structures osseuses minces (unguis, processus unciforme,
cellule ethmoïdale) peuvent être retirées rapidement avec n’importe
quelle pince.
Il est difficile de rivaliser dans la simplicité.
– La turbinectomie moyenne peut être effectuée simplement à l’aide
d’une paire de ciseaux ou par photoablation.
– L’ostéotomie de la partie maxillaire de la gouttière lacrymale
impose une gestion différente en raison de son épaisseur.
– Les emporte-pièce (type Kérisson...) présentent de nombreux
avantages.
Ils sont inusables, très bon marché.
Ils sont bien
adaptés à une DCR sous anesthésie locale.
Leur utilisation atraumatique devient un peu plus délicate lorsque la fosse nasale
est étroite et/ou tortueuse.
– Le forage simple est relativement bon marché mais n’est pas
sans inconvénients.
Les vapeurs d’os diminuent la visibilité peropératoire.
La rotation de la tige du foret peut éroder
l’endoscope.
Surtout, cette rotation peut brûler la muqueuse
nasale, source de synéchies.
Ce risque est plus important si la
fosse nasale est étroite.
– Dans le forage protégé, la tige du foret est incorporée
dans une gaine métallique.
Son diamètre externe est proche de
celui de l’endoscope.
Cette gaine protectrice sépare la tige du foret
de l’endoscope et surtout de la muqueuse nasale.
La gaine, à son
extrémité, laisse dépasser latéralement la fraise.
Le diamètre de la
fraise à pans est de 3 mm environ.
Ce tube protecteur comporte
son propre système d’irrigation-aspiration.
L’irrigation-aspiration
intégrée facilite la visualisation du site opératoire.
Les vapeurs
d’os sont transformées par l’irrigation en une bouillie.
Celle-ci est
aspirée par la pièce à main. Une partie du saignement ne parvient
pas à l’extrémité de l’endoscope.
Le principe du forage protégé
est un progrès indiscutable mais n’est pas sans critique :
l’irrigation qui lui est associée rend inconfortable la DCR sous
anesthésie locale.
Le prix du matériel est supérieur à celui des
emporte-pièce et du forage simple.
Cette augmentation est encore
plus importante lorsque le microtour impose le recours à du
matériel consommable (XPS-Xomedy...), que lorsqu’il en est
dépourvu (Bien Airy...).
Globalement, tous ces instruments (emporte-pièce, microtours...)
sont suffisamment performants pour réaliser l’ostéotomie du
maxillaire.
Les préférences personnelles de chaque opérateur sont
probablement aussi importantes que les caractéristiques techniques
de l’instrumentation.
Il est douteux que l’un ou l’autre puisse
vraiment peser sur les résultats.
Tous les lasers disponibles en médecine ont été essayés dans cette
application.
La photoablation est intéressante en raison de son effet
positif sur le saignement muqueux, et surtout en raison d’une
miniaturisation inégalée (et probablement inégalable) des
instruments.
Actuellement, la puissance des lasers disponibles ne
semble pas suffisante pour effectuer l’ostéotomie dans son
intégralité.
Dans la plupart des cas, il faut compléter l’ostéotomie
mécaniquement.
L’impact médiatique considérable des lasers ne doit
pas faire oublier que sa réputation d’innocuité est usurpée.
À cette date, l’intérêt thérapeutique réel du laser n’a toujours pas été évalué
objectivement dans la DCR.
L’augmentation du coût de
l’intervention est spectaculaire.
Étapes opératoires
:
L’intervention comporte les différents temps suivants.
A - PRÉPARATION DE LA FOSSE NASALE :
La fosse nasale est méchée avec une solution de Xylocaïnet à 5%
naphazolinée.
Ce produit ne dispose pas d’autorisation de mise sur
le marché (AMM) chez le petit enfant.
Le chlorhydrate de cocaïne
est plus performant encore, mais impose les précautions d’usage,
notamment chez les sujets âgés et chez les coronariens, en raison du
fort passage systémique dû à la vascularisation de la fosse nasale.
Après quelques minutes, la muqueuse nasale en regard de la zone
chirurgicale est infiltrée par une solution de Xylocaïnet à 1%
adrénalinée, 1 à 2mL suffisent.
Cette infiltration se fait devant la
partie maxillaire de la gouttière pour prévenir une pénétration intraorbitaire.
Ce geste ne semble pas souhaitable dans les reprises
de DCR.
L’infiltration est étendue à la partie antérieure du cornet moyen
lorsque qu’une turbinectomie moyenne partielle s’avère nécessaire.
B - REPÉRAGE DE LA ZONE CHIRURGICALE :
Anatomiquement, le canalicule d’union s’implante à la partie
postérieure et haute du sac lacrymal.
Si l’on introduit une fibre
optique par un canalicule jusqu’au contact osseux, la transillumination permet de dépister le dôme du sac lacrymal.
Mais
ceci impose de rester dans l’axe naturel des canalicules, et de ne pas
avoir perforé le sac lacrymal.
La transillumination du canal d’union constitue un repère
quasi constant.
À partir de la transillumination, l’ostéotomie peut
être élargie en sécurité vers l’avant et vers le bas.
Cette balise est
particulièrement appréciable pour guider les premières interventions
et dans les cas difficiles (fosse nasale déjà opérée, saignements peropératoires persistants...).
Ce repérage peropératoire vient en complément de la
tomodensitométrie préopératoire.
C - TEMPS MUQUEUX :
Une fenêtre muqueuse est découpée (au décolleur ou à la pointe
coagulante).
Le dessin est schématiquement rectangulaire, à grand
axe vertical.
La fenêtre englobe la transillumination et empiète sur
l’opercule du cornet moyen.
La muqueuse est éliminée à la pince.
D - TURBINECTOMIE MOYENNE PARTIELLE
:
Les indications de turbinectomie moyenne partielle (TMP) ne sont
pas bien codifiées actuellement : la TMP est indispensable lorsque la
tête du cornet moyen masque complètement la face interne du sac
lacrymal (moins de 5 % des cas).
La TMP est absolument inutile
lorsque la fosse nasale est large ou lorsque le cornet moyen ne gêne
pas les temps opératoires (80 % des cas).
L’indication de TMP est
difficile à rationaliser dans les cas intermédiaires.
Il semble logique
du réséquer juste la partie antérieure du cornet moyen, s’il existe un
risque de synéchie avec le canalicule d’union.
Les TMP, lorsqu’elles sont nécessaires, sont réalisées aux ciseaux.
La
tranche de section est cautérisée à la pointe coagulante monopolaire.
La photoablation du cornet moyen a été proposée mais non évaluée.
Lorsqu’elle est indiquée, la turbinectomie doit juste dégager la zone
en regard du canalicule d’union.
Il semble inutile et dangereux
de l’étendre plus en arrière.
E - OSTÉOTOMIE
:
L’ostéotomie comporte dans la majorité des cas deux temps.
1- Unciformectomie partielle antérieure
:
Un décolleur courbe, à bout mousse, rase le maxillaire supérieur
d’avant en arrière, à mi-chemin entre la transillumination du canal
d’union en haut (juste en dessous de l’opercule du cornet moyen) et
le dos du cornet inférieur en bas.Le clivage est poursuivi vers
le bas jusqu’au cornet inférieur et vers le haut jusqu’en regard de la
transillumination.
Le processus unciforme ainsi décollé est médialisé.
La languette de processus unciforme est saisie à la pince,
puis retirée.
Ceci contribue à augmenter l’espace en regard du
canalicule d’union.
Il n’est pas nécessaire de retirer la partie
horizontale et postérieure du processus unciforme.
L’unciformectomie partielle antérieure présente plusieurs intérêts :
– elle permet de repérer rapidement et presque constamment le sac
lacrymal.
Dès le clivage, on peut voir la paroi interne du sac
lacrymal mobilisée par les mouvements imprimés à la sonde à voie
lacrymale (ou la fibre transilluminatrice) ;
– elle donne accès à la face médiale de la gouttière lacrymale.
Ceci
permet de séparer l’unguis du maxillaire supérieur d’une part et du
sac lacrymal d’autre part.
L’unguis en regard du sac lacrymal est
pelé avec le décolleur à bout mousse, comme on le ferait avec une
coquille d’oeuf ;
– elle isole le bord postérieur du maxillaire en avant des structures
osseuses minces en arrière.
Ceci reproduit l’ostéotomie qui est
classique par voie externe.
2- Trépanation maxillaire :
Pour des raisons de sécurité, ce temps osseux s’effectue d’arrière en
avant.
L’ostéotomie est poursuivie jusqu’à ce que la face médiale du sac
lacrymal et la partie haute du canal lacrymonasal soient libérées.
Les dimensions de l’ostéotomie sont adaptées à la taille du sac
lacrymal.
Les bords de l’ostéotomie sont à peine plus périphériques
que le contour supposé du sac lacrymal.
En pratique, la pression
avec un doigt sur la région canthale médiale doit faire saillir
librement le sac dans la fosse nasale.
3- Remarque :
En cas d’hypodéveloppement ethmoïdal, le processus unciforme est
souvent refoulé plus en arrière, voire n’est pas articulé avec la
gouttière lacrymale.
Ceci est dépisté par les coupes axiales du
scanner.
Dans cette situation, il ne faut pas rechercher un plan de
clivage.
Il est préférable de recourir au forage en totalité.
La transillumination est particulièrement appréciable car elle permet de
centrer d’emblée la trépanation en regard du canalicule d’union.
F - TEMPS LACRYMAL
:
Le sac lacrymal est ouvert à la faux puis aux microciseaux, en
passant aux bords de l’ostéotomie.
En fin d’intervention, la face
interne du canalicule d’union doit se présenter comme une « fleur
de liseron ».
G - INTUBATION :
Il est d’usage d’associer une intubation bicanaliculonasale à la DCR
par voie endonasale.
Ses indications sont retrouvées dans les traités
de lacrymologie.
L’intérêt de l’intubation n’est pas discutable
lorsqu’une pathologie canaliculaire est associée.
En revanche, dans
les sténoses lacrymonasales simples, le bénéfice de l’intubation n’est
pas clairement démontré.
Traitement postopératoire
:
Le méchage est rare.
Il est réservé aux saignements non contrôlés
par les mesures classiques d’hémostase.
Les précautions d’usage
concernant le méchage sont à respecter.
Classiquement, le traitement postopératoire comporte une
instillation de collyres associant néomycine et dexaméthasone, une
goutte quatre fois par jour pendant 15 jours.
La fosse nasale est lavée
au sérum physiologique, quatre fois par jour pendant 15 jours.
Ce
lavage est suivi d’une pulvérisation associant vasoconstricteurs et
désinfectants locaux.
L’antibiothérapie per os systématique n’est pas nécessaire.
Résultat
:
Les résultats postopératoires de la voie endonasale apparaissent
identiques à ceux des meilleures séries de DCR par voie externe.
Les comparaisons sont encore, à cette date, difficiles à établir.
Les
études passées comparaient une méthode simple et universellement
standardisée (la voie externe) à une méthode perçue comme
aléatoire et surtout non standardisable (la voie endonasale).
Les études prospectives sont rares mais encourageantes.
Dans notre
expérience (plus de 200 cas ; 7 ans de recul pour les plus anciens),
les résultats sont meilleurs à ceux obtenus par voie externe.
Seules d’autres études prospectives randomisées permettront de
confirmer l’impression favorable de la DCR par voie endonasale
« nouvelle version ».