Classes III squelettiques (Suite)
Cours de Médecine Dentaire
Étiopathogénie des classes III
:
Quelle est la part de l’inné et de l’acquis ?
Le débat n’est pas encore bien
tranché.
A - Qu’ont pensé et écrit nos prédécesseurs ?
1- Cause héréditaire :
Izard dit : « La prognathie inférieure est la mieux connue des
malformations héréditaires : celle de la famille des Habsbourg a été étudiée
par Galippe (1905), Rubrecht (1910-1930) et Mayoral (1933).
Rubrecht, en particulier, a pu suivre les Habsbourg pendant trois siècles et a
établi un intéressant arbre généalogique.
Il a montré que, à côté de la prognathie mandibulaire vraie, existait des cas de fausses prognathies
caractérisées par un arrêt de développement de la mâchoire supérieure.
Un
type de prognathe très prononcé est celui de Charles Quint ; Rubrecht a
montré que cette prognathie ne peut être due à des causes acquises, habitude
enfantine, rachitisme... mais qu’elle est bien conforme à la théorie
mendélienne de l’hérédité ».
2- En dehors de cette cause héréditaire pure
:
Izard distingue :
– les prognathismes par déformation linguale, par macroglossie, quand la
langue se cantonne au niveau de l’arcade inférieure, provoquant ainsi une
augmentation de volume de la langue avec prognathie ;
– les prognathies par acromégalie : l’hypertrophie mandibulaire est
manifeste.
C’est une macrognathie avec augmentation de tous les diamètres
de la mandibule ;
– les prognathismes par obstacle oropharyngé ; par leur volume, les
amygdales hyperthophiques ferment l’espace en arrière du palais postérieur.
Pour respirer, l’enfant déplace sa mandibule vers l’avant.
Cette antéposition
mandibulaire se transforme plus tard en prognathie mandibulaire.
Tout est dit !
B - Que pensent nos contemporains ?
Permettez-moi de rapporter un entretien avec J Delaire.
« Contrairement à ce que croient beaucoup de gens, les classes III, à de très
rares exceptions, ne sont pas génétiquement programmées et impossibles à
corriger.
Même dans les cas où il existe une nette prédisposition typologique,
le sujet traité suffisamment tôt peut avoir des adaptations suffisantes pour
terminer avec un bon équilibre facial (le plus souvent de type transfrontal).
Un sujet dont la typologie s’accompagne d’une face haute est prédisposé à
des déformations mandibulaires d’autant plus importantes que la face est plus
longue et d’autant plus fréquentes qu’elle subit des effets déformants
provenant des dysfonctions.
Cela se comprend facilement en prenant pour exemple les immeubles : celui
dont la base au sol est grande, et la hauteur petite, est moins sensible aux
influences extérieures, donc moins facilement déformé.
Au contraire, celui
dont la base est étroite et la hauteur très élevée, sera beaucoup plus facilement
déformé, et cette déformation sera d’autant plus visible que la hauteur sera
plus grande (si la tour de Pise ne mesurait que quelques mètres, on ne verrait
pas qu’elle est penchée).
Une face haute et raccourcie sagittalement fait donc plus facilement une
classe III.
À noter que cette typologie « architecturale » n’est pas toujours héréditaire.
Elle peut aussi être d’origine posturale.
C’est le cas par exemple de certaines
antépositions avec abaissement des ATM dues à des attitudes posturales
cervicocéphaliques particulières.
Dans les typologies crâniennes prédisposant aux types faciaux (et à certaines
dysmorphoses), il faut donc distinguer les typologies constitutionnelles
(familiales, raciales) ou acquises (secondaires à des dysfonctions posturales).
Ces dernières peuvent elles-mêmes résulter de troubles de la ventilation
aérienne supérieure, de défauts visuels, plus sûrement d’avancée vertébrale,
etc. »
Talmant pense que la posture du massif hyolingual est réglée pour libérer
le carrefour oesophagien.
La hiérarchisation des fonctions pour répondre à la
loi de survie de l’organisme donne la priorité à la respiration.
Cette contrainte
respiratoire est un facteur essentiel de la posture mandibulaire et aussi la
composante fondamentale de la posture linguale.
« La nécessité d’assurer un calibre suffisant à l’étage buccal des voies
aériennes impose de porter la langue en avant activement, si ce n’est
consciemment. »
Voici donc confirmé le rôle étiologique de la langue dans la genèse des classes III.
C - Synthèse et conclusion :
Gysel montre des reproductions de portraits de Charles Quint et de son
frère Ferdinand, tous deux adolescents. Ils ont une prognathie mandibulaire.
Sur les portraits à l’âge adulte de ces mêmes personnages, Gysel dit « la
prognathie de Charles s’est accentuée, alors que chez Ferdinand elle a été
compensée ».
Cet exemple historique devrait mettre tout le monde d’accord.
Pourquoi
Ferdinand a-t-il compensé sa prognathie mandibulaire ?
On peut supposer
qu’à un moment de son adolescence sa ventilation s’est améliorée, et il a alors
changé ses postures cervicale et linguale.
La langue a pris une position haute
et a permis au maxillaire de mieux grandir.
On peut donc en conclure que les classes III sont :
– soit de causes héréditaires ;
– soit de causes fonctionnelles ;
– mais il peut y avoir intrication des deux, sachant qu’en génétique polyfactorielle la pénétrance est incomplète et l’expressivité variable.
Thérapeutique
:
A - Masque orthopédique :
Dans la plupart des cas, c’est la thérapeutique de choix de la classe III.
La
technique a été décrite par Delaire et bien codifiée par Verdon et
Salagnac.
La revue des différents traités d’orthodontie : Chateau, Bassigny,
Bolender, Benauwt et Lorette, McNamara et Brudon, Profitt,
Graber et Vanarsdall, Graber, Rakosi et Petrovic confirme cette
thérapeutique en nuançant parfois les indications.
Elle consiste en l’application d’une force orthopédique postéroantérieure sur
un appui facial antérieur, par l’intermédiaire d’élastiques reliés à un double
arc interne scellé sur les premières molaires maxillaires.
1- Technique
:
* Appareil externe
:
Il existe plusieurs types de masques orthopédiques ; le plus classique est fait
d’un appui frontal relié à une mentonnière par des tiges métalliques.
Au
niveau de la ligne commissurale, est soudé un arceau qui permet d’accrocher
les élastiques.
Il peut s’adapter dans le sens de la hauteur et de la largeur.
Si
c’est nécessaire, l’appui frontal peut être galbé au front de l’enfant auquel il
est ainsi parfaitement adapté.
Les adolescents semblent préférer un autre type
de masque qui comporte une tige verticale médiane avec une bande frontale
et une mentonnière articulée.
* Appareil intrabuccal
:
Il est fait de deux arcs très rigides en 10/10e, soudés sur deux bagues molaires.
L’arc palatin est ajusté au collet des dents ; il est le plus haut possible pour ne
pas interférer avec l’occlusion ; il a une forme globalement ogivale, suivant
la forme de l’arcade.
L’arc vestibulaire doit être mis au moins à 1 mmen avant
de la face vestibulaire des dents pour permettre l’expansion du prémaxillaire.
Comme l’arc palatin, il ne doit pas être festonné et suit la forme de l’arcade.
À
la face distale de la latérale, sera soudé un crochet horizontal courbé vers
l’arrière qui permettra d’accrocher les élastiques.
Une perle médiane, ajoutée
au double arc, peut permettre de rééduquer la langue qui s’interpose en
permanence entre les arcades dentaires.
* Autre appareil interne
:
Les tractions peuvent être exercées sur plaque ou gouttière scellée.
Elles
avancent bien le maxillaire mais empêchent (au moins temporairement)
l’expansion de sa partie antérieure.
La technique de la gouttière scellée décrite
par Amoric aurait l’avantage de la rapidité, étant donné la suppression de
l’interférence occlusale, mais a l’inconvénient du scellement (pour une durée
indéterminée au départ) avec les risques pour le tissu dentaire !
Quant aux tractions sur appareil multiattaches, elles agissent plus sur les dents
que sur la base maxillaire et produisent davantage de mouvements parasites
des dents.
* Force développée par les élastiques
:
Les élastiques seront mis en charge de chaque côté pour symétriser les forces
qui seront variables suivant l’âge de l’enfant.
S’il s’agit d’un enfant de 5 ans, la force sera faible : environ 150 à 200 g de
chaque côté.
S’il s’agit d’un enfant plus âgé, on pourra appliquer de 300 à
400 g de chaque côté.
Le grand principe est de rester au-dessous du seuil douloureux, sinon l’enfant
portera difficilement sa force extraorale.
Les tractions violentes seront donc
proscrites.
Il faut aussi éviter des pressions trop importantes sur le menton qui peuvent
amener des lésions cutanées de celui-ci, qui imposent un arrêt momentané des
tractions, donc un retard dans le traitement.
Les tractions devront être toujours obliques vers le bas et l’avant.
Pour éviter
une extrusion des molaires et une ouverture de l’occlusion, il est souhaitable
de réaliser une plicature de l’arc vestibulaire au niveau des canines, qui relève
l’arc externe au-dessus des collets des incisives supérieures.
* Durée journalière du port de l’appareil extraoral
:
Elle sera uniquement nocturne.
Ce port nocturne est absolument suffisant pour
obtenir un déplacement du maxillaire.
Des tractions douces et constantes sont
préférables à des tractions brutales qui sont douloureuses et qui provoquent
une sidération des zones de croissance et donc un effet paradoxal négatif.
* Temps de traitement
:
Il est évidemment variable.
Si l’on agit tôt, le déplacement est extrêmement
rapide et il se voit lors de la consultation de contrôle 6 semaines après.
Chez
ces jeunes enfants, la durée moyenne de traitement est de 6 mois ; chez les
enfants plus âgés, elle sera en moyenne de deux semestres,
exceptionnellement trois semestres vers 13 ou 14 ans.
Le masque, s’il est bien porté, est toujours effıcace.
2- Conduite du traitement
:
* Quand arrêter les tractions ?
Jusqu’où faut-il tirer ?
Il faut toujours hypercorriger le déplacement maxillaire de quelques
millimètres.
Le repère clinique n’est pas la correction de l’occlusion des
incisives centrales, mais celui des molaires et surtout des latérales.
Il faut que
ces dernières aient largement passé l’occlusion.
Il semble qu’il n’y ait pas
danger à trop tirer vers l’avant car, à un moment donné, le système se bloque.
L’hypercorrection est nécessaire car, au cours des mois suivants, il existera
toujours un petit recul.
Il est conseillé, une fois que le résultat sera acquis
(celui-ci sera contrôlé à l’aide d’une téléradiographie de profil), de stabiliser
encore pendant 2 mois le déplacement à l’aide de tractions moins fortes que
précédemment.
Dans tous les cas il faut, non seulement obtenir l’avancée du
maxillaire, mais aussi le bon développement de ses parties antérolatérales.
* Après l’arrêt des tractions
:
Il faut vérifier la normalisation des postures et des fonctions (surtout la
ventilation nasale).
On constate souvent avec bonheur que la thérapeutique
orthopédique elle-même, en modifiant l’occlusion, a transformé les fonctions mandibulolinguales aboutissant à un meilleur équilibre fonctionnel.
Cette
normalisation des fonctions est alors capable secondairement d’agir sur le
squelette et d’aboutir à une complète harmonie morphofonctionnelle.
Si ces fonctions ne sont pas normalisées, il faut :
– soit faire une expansion maxillaire pour obtenir impérativement une bonne
ventilation nasale ;
– soit engager une rééducation de la déglutition ;
– soit mettre en place un appareil fonctionnel tel l’appareil Bionator de
Balters ou l’appareil de Fränkel ; Salagnac décrit un élévateur fonctionnel
lingual ; on peut également employer l’enveloppe linguale nocturne de
Bonnet ; cette thérapeutique d’appareillage après le traitement
orthopédique est sécuritaire, mais elle a cependant l’inconvénient de rallonger
le traitement.
Delaire recommande d’associer un traitement fonctionnel le jour,
l’appareil étant placé aussitôt après la suppression des tractions nocturnes.
Une autre solution tout à fait licite consiste à hypercorriger les déplacements
et à surveiller l’enfant sans plus aucune thérapeutique, et reprendre
éventuellement une activation par masque quelques années après si la
croissance mandibulaire a rattrapé la croissance maxillaire, ce qui arrive dans
les classes III héréditaires au moment du pic de croissance.
On arrive ainsi à
stabiliser ces dysmorphoses.
Ce type de traitement est parfaitement accepté par les enfants et les parents
qui ont été prévenus au départ qu’il s’agissait d’un traitement agissant sur la
croissance.
Il faudra évidemment, et ceci est capital, suivre régulièrement l’enfant deux
fois par an au minimum, après l’arrêt des tractions, et ceci jusqu’à la fin de la
croissance, en réalisant de temps en temps des téléradiographies de contrôle.
B - Autre thérapeutique :
– Dans son traité, Izard, dès 1930, proposait des tractions intermaxillaires
de classe III sur arcs bibagues.
Ces tractions n’ont évidemment qu’une action
alvéolaire, sauf si le traitement est entrepris très tôt.
Il permet alors une
normalisation de l’occlusion incisive qui devient fonctionnelle, permettant
alors une croissance du prémaxillaire.
– Thérapeutiques fonctionnelles : l’appareil de Fränkel III ou de Balters ou
l’enveloppe linguale nocturne.
– Fronde mentonnière : elle est injustement décriée actuellement.
Elle peut
être utilisée avant l’âge de 4 ans si l’on voit des enfants présentant une classe III. Il s’agit d’une fronde souple reliée à un casque par des élastiques.
L’action
de cette fronde est efficace et Izard disait déjà en 1930 : « si on néglige ce
traitement précoce, la prognathie avec déformation osseuse se constitue
progressivement ».
Les auteurs japonais utilisent celle-ci avec des forces orthopédiques chez
des patients beaucoup plus âgés.
Indications thérapeutiques
:
A - Quand traiter ?
1- Le plus tôt possible en denture temporaire :
Il y a une certaine émotion scientifique à lire ce qu’ont écrit des médecins
stomatologistes tels que Lebourg et Izard en 1930.
Lebourg disait, dans une communication à la Société de stomatologie :
« Mais dès maintenant nous pensons que, d’une façon très générale, une date
doit être retenue dans l’apparition des synarthroses de la face : c’est celle qui
correspond à l’éruption de la dent de 6 ans.
C’est vraisemblablement vers cet
âge que la plupart des os de la face se fixent et s’engrènent.
Cela d’ailleurs ne
peut nous surprendre, car nous savons que, du point de vue orthopédique,
c’est avant cette époque que le massif facial se montre le plus malléable aux
efforts mécaniques de l’orthodontiste ».
Izard disait dans la troisième édition de son livre (1950) : « Souvent, la rétrognathie supérieure est diagnostiquée prognathie mandibulaire.
D’un
autre côté, ces deux déformations sont fréquemment associées chez les sujets
jeunes.
Il faut donc préciser la part de ce qui revient à chacune d’elles...
La
nécessité de son traitement est absolue ; il faut de plus intervenir aussitôt que
possible.
Vers la troisième ou quatrième année, on observe surtout la simple
antéposition mandibulaire : elle est facile à réduire...
La cause des rétrognathies du maxillaire est un arrêt de développement de celui-ci qui, si
on le laisse évoluer, va créer une prognathie mandibulaire. »
Ces quelques phrases reflètent une pensée de précurseurs géniaux quant à
l’intelligence de la croissance.
Aujourd’hui, tous les auteurs qui se sont intéressés au traitement des classes III disent qu’il faut agir très tôt : Delaire, Verdon, Salagnac,
Chateau, Graber, McNamara, Profitt, Vesse, Petit et
Deshayes.
Il faut donc traiter les classes III très précocement ; ainsi, leur mauvaise
réputation thérapeutique disparaîtra.
2- Pourquoi traiter tôt ?
Tout simplement parce que, dans le jeune âge, les anomalies installées sont
peu importantes.
Elles sont donc plus faciles à réduire. Les signes
radiologiques sont d’ailleurs peu marqués ; ils ne sont pas encore fixés
anatomiquement car essentiellement de cause fonctionnelle.
Par ailleurs, on sait qu’un des facteurs les plus importants de la croissance
maxillaire est la « frappe » mandibulaire ; c’est ce phénomène de marteau sur
l’enclume qui va développer celui-ci.
En cas d’articulé incisif inverse, la
croissance maxillaire est insuffisamment sollicitée ; cela explique facilement
qu’il restera donc en place alors que la mandibule va poursuivre
inexorablement sa croissance... en abandonnant le maxillaire.
Le rétablissement de la fonction sécante incisive est fondamental.
Celui-ci
développe le maxillaire, l’exopériface et le sinus frontal.
McNamara justifie en ces termes l’intervention précoce par masque
orthopédique : « dans cette thérapeutique, comme on intervient sur un patient
très jeune, les résultats du traitement par le masque facial sont incorporés par
la suite dans sa future croissance ».
Dans un autre livre : «
Nous sommes d’accord avec Graber, Sakamoto,
Sugawara qui plaident pour le traitement des malpositions de classe III aussi
tôt que cela est possible ».
Loreille confirme ceci en disant : « il devient évident qu’il est possible d’agir
sur les causes d’un grand nombre de dysmorphoses faciales, à condition
qu’une intervention précoce permette d’agir sur les causes d’altération de la
croissance ».
Il y a une autre justification au traitement précoce : l’inversion d’articulé
incisif peut provoquer des lésions parodontales importantes au niveau des
incisives mandibulaires.
Le traitement précoce préviendra une chirurgie
parodontale de réparation.
3- Séquence thérapeutique
:
La période idéale est donc la denture temporaire.
Il faut traiter dès que l’on
voit l’enfant.
Il nous arrive de traiter des enfants à 4 ans, le problème étant à
cet âge d’ « apprivoiser » l’enfant (Saint-Exupéry).
L’impossibilité réelle
est la non-rétention des molaires de lait. Ensuite, on peut traiter l’enfant de
5 à 12 ans ; le traitement sera d’autant plus long que le traitement sera
commencé tard.
Après 13-14 ans, il ne semble pas que l’on puisse obtenir des
actions maxillaires.
On obtiendra habituellement des adaptations alvéolaires.
Ce sont des mouvements de tiroir des procès alvéolaires.
Ces traitements sont
licites si les décalages ne sont pas importants et si le visage est équilibré ; s’il
y a un déficit esthétique, il est préférable d’avoir recours à la chirurgie.
En résumé, si les traitements sont commencés tôt, il n’y pas plus besoin
d’avoir recours à la chirurgie ; ce serait manquer à son rôle de thérapeute que
de reporter ce traitement à plus tard si, par chance, l’enfant est vu jeune.
Qui
oserait ne pas traiter ces jeunes enfants et laisser la croissance mandibulaire
inexorablement continuer ?
B - Comment traiter ?
Nous avons insisté sur la nécessité d’un diagnostic précis.
1- Si le problème est alvéolaire
:
Toutes les thérapeutiques fonctionnelles sont efficaces.
Par exemple, dans une rétroalvéolie supérieure globale, souvent associée à une proalvéolie
mandibulaire globale (anomalie toujours fonctionnelle), le fait de normaliser
la position de la langue va réduire les malpositions du rempart alvéolaire.
En
effet, en position haute, la langue va développer le maxillaire comme elle
quitte son lit lingual, la proalvéole inférieure globale et les versions incisives
peuvent spontanément disparaître.
2- Si le problème est squelettique :
Il en est tout autrement.
Dans les classes III, il y a beaucoup d’insuffisance maxillaire ; c’est donc
l’indication de choix des tractions postéroantérieures sur masque.
Quant au problème mandibulaire, il est rare de voir une hypertrophie
mandibulaire isolée.
Souvent, la mandibule est allongée par bascule en avant
du ramus, ouverture de l’angle mandibulaire, allongement du corpus
d’origine fonctionnelle.
Mais il y a, presque toujours associée, une
insuffisance maxillaire.
Le masque agit très bien au niveau de l’insuffisance
maxillaire mais il a une action certaine sur les causes fonctionnelles de la promandibulie.
C’est pourquoi nous utilisons personnellement le masque pour traiter toutes
les classes III avec des résultats que l’on ne peut toujours prévoir précisément,
mais qui sont d’autant plus constants que l’enfant est vu jeune.
Cependant, il y a dans cette attitude thérapeutique un apparent paradoxe qui
n’a pas échappé à McNamara :
«
Parmi les trois stratégies de traitement proposées ci-dessus (Frankel 3,
fronde mentonnière orthopédique, masque facial), notre avis est que le
masque orthopédique a les plus larges indications et donne les résultats les
plus spectaculaires dans la plus petite période de temps.
C’est pourquoi le
masque orthopédique est devenu notre choix thérapeutique habituel pour la
plupart des patients porteurs de classe III vus en denture temporaire, ou plus
tard en denture mixte.
Le choix d’un seul type de traitement pour les jeunes patients qui présentent
une large variété de classe III dentaire et squelettique semble à première vue
paradoxal, surtout en se référant à la discussion des malocclusions de classe
II (dans laquelle l’idée directrice est de focaliser le traitement en fonction des
éléments de malocclusion)...
Après plus d’une décade d’utilisation de cette thérapeutique, nous avons
trouvé, qu’en fait, le masque facial est efficace chez la plupart des patients
présentant une classe III, parce que l’appareil s’applique quasiment sur toutes
les parties qui constituent la malocclusion de classe III ; par exemple,
rétrusion maxillaire, prognathisme mandibulaire.
Par conséquent, ce
protocole de traitement peut être appliqué à la plupart des classes III
débutantes, sans se soucier de l’étiologie spécifique.»
Cette opinion assez forte, venant d’outre-Atlantique, méritait d’être
mentionnée.
Elle ne fait que confirmer l’impression clinique que nous avons
acquise depuis 20 ans.
C - Qui traiter ?
Toutes les classes III !
Au plus tôt, elles seront traitées, meilleur sera le résultat.
Si le praticien sait être attentif à l’examen clinique de l’insuffisant maxillaire,
il en découvrira plus souvent dans sa consultation.
Le diagnostic
de manque de développement de l’étage moyen porté sur l’examen du visage
sera rarement pris en défaut par l’examen endobuccal.
Il y a toujours un
trouble de l’occlusion associé (ne serait-ce que la linguoposition des latérales).
L’analyse téléradiographique confirmera la classe III.
Cette thérapeutique
d’indication purement esthétique au départ donne toujours un bon résultat car
elle aura avancé un maxillaire en léger retrait ; ceci rajeunit toujours un visage.
D - Contre-indication, inconvénient du masque :
À notre avis, il n’y a aucune contre-indication à ce traitement.
Il s’agit d’une
thérapeutique qui, si elle est maniée selon la technique qui est maintenant bien
codifiée, s’avère toujours efficace.
Cette thérapeutique n’a aucun inconvénient car, contrairement à d’autres
(extractions par exemple), elle ne crée rien d’irréversible.
On peut toujours
reprendre ce traitement et y associer un autre traitement sans problème
particulier.
Cette thérapeutique est simple, efficace.
Elle peut être employée
en toute sécurité et innocuité.
Il n’y a aucun problème parodontal provoqué par les tractions sur les molaires
comme l’attestent les radiographies panoramiques régulièrement pratiquées.
De même, nous n’avons jamais constaté de répercussion néfaste sur l’état
anatomique et fonctionnel des ATM.
Les seuls phénomènes de dysfonction
qui ont pu être observés étaient en réalité secondaires à un nouvel articulé non
physiologique, lorsque les rapports sagittaux n’avaient pas été suffisamment
corrigés.
E - Classes III - Multiattaches - Extractions
:
1- Traitement multiattaches :
Quelle que soit la technique employée, le traitement agit sur les éléments
dentoalvéolaires, mais pas sur les bases osseuses.
Il n’y donc pas d’indication
de traitement multiattaches dans les classes III avant la fin de la croissance.
Le problème du décalage des bases osseuses ayant été résolu, on peut se
retrouver en classe I squelettique, avec des malpositions dentaires qu’il faudra
traiter de façon classique.
Il n’y a pas à nos yeux de spécificité
du traitement de la classe III squelettique en technique multiattaches.
2- Extractions :
Il n’y a pas d’indication habituelle d’extractions dans les classes III ; cela sera
développé dans les formes cliniques.
Il s’agit souvent de fausses
dysharmonies par manque de place dans le prémaxillaire.
Il existe, en
revanche, des vraies dysharmonies dentomaxillaires qu’il faudra traiter par
extractions de quatre prémolaires.
Le traitement multiattaches classique
corrigera le problème.
On a pu proposer, et cela est exceptionnel, l’extraction d’une incisive
inférieure.
Souvent il s’agit d’une incisive qui s’est expulsée elle-même.
Elle
n’est licite que dans les classes III où le manque de place est faible et limité à
la mandibule, et cela uniquement chez l’adolescent ou l’adulte jeune ; ceci ne
doit jamais être fait chez les enfants.
On peut proposer l’extraction de deux prémolaires mandibulaires ; dans ce
cas particulier de l’enfant qui est en fin de croissance : le masque n’a plus
beaucoup d’action.
Le problème esthétique est résolu mais il existe une
occlusion en bout à bout.
L’extraction de ces deux dents permettra le recul du
groupe incisivocanin et normalisera ainsi l’occlusion antérieure.
Cette
indication d’exception ne contentera pas les occlusodontistes, mais elle peut
permettre de finir un cas difficile.
Ceci ne provoque pas immanquablement
des troubles de l’ATM !
3- Multiattaches pour préparation à la chirurgie
:
Il ne faut pas tomber dans l’excès inverse et refuser toute chirurgie.
Il y a un
moment où le temps orthodontique est passé ; si l’enfant est venu trop tard, si
la thérapeutique par masque a été un échec ; si le décalage des bases
squelettiques est important, de même que le déficit esthétique, il faudra
adresser le patient en consultation de chirurgie maxillofaciale.
Le travail de l’orthodontiste sera alors de préparer les arcades dentaires pour
l’intervention et de supprimer éventuellement les compensations alvéolaires
existantes.
Aucune technique multiattaches n’est meilleure que l’autre ; c’est
sa maîtrise par le praticien qui en fait sa valeur.
F - Chirurgie et classe III :
1-
Chirurgie complémentaire
:
Si le traitement orthopédique et la rééducation des fonctions orofaciales ne
donnent pas les résultats escomptés, il ne faut pas hésiter à faire appel à la
chirurgie.
* Frein de la langue
:
Serré, il empêche la montée de celle-ci au niveau du palais, perturbant la
croissance maxillaire.
Il faudra faire pratiquer très tôt une plastie de ce frein,
non une simple résection mais une plastie en Z afin d’éviter une cicatrice
rétractile.
Ce geste simple, associé à une rééducation ou à un élévateur lingual
nocturne suffit souvent à redonner à la langue toute sa puissance
d’« emboutissage » du maxillaire.
Il ne faut pas entraver la langue : « qui est l’équivalent d’un appareil orthodontique permanent » (Decoster cité par Cornaert).
Cas particulier d’obstruction nasopharyngée par des amygdales,
des végétations ou une cloison très déviée
Lorsque l’hypertrophie des amygdales et des végétations adénoïdes gêne trop
la ventilation nasale, elle provoque une avancée du complexe mandibulolingual ; la ventilation devient buccale.
Ceci favorise le
développement de la dysmorphose de classe III.
Dans ce cas d’amygdalite
chronique avec sclérose du tissu amygdalien et hypertrophie des végétations
adénoïdes, leur ablation chirurgicale est licite ; de même que l’intervention
sur la cloison lorsque celle-ci est très déviée suite à un traumatisme.
* Macroglossie
:
S’il existe une réelle macroglossie, une glossoplastie réductrice sera indiquée
(Benoist).
* Excès de hauteur symphysaire
:
Si l’importance de la hauteur de la symphyse mentonnière est excessive et
responsable d’une inocclusion labiale avec crispation des muscles
labiomentonniers, une génioplastie fonctionnelle est indiquée.
Elle permettra
de retrouver un contact bilabial nécessaire pour la stabilité de la correction
effectuée.
* Fentes labio-maxillo-palatines
:
Dans les fentes labio-maxillo-palatines sont indiquées toutes celles pouvant
améliorer les postures, les fonctions : des muscles des lèvres, de la langue, du
voile et du pharynx, la ventilation nasale, la déglutition et la mastication.
2- Chirurgie des bases osseuses :
En fonction de ce qui a été dit, cette chirurgie ne doit plus être
intégrée dans le plan de traitement de la classe III si l’enfant est vu tôt.
En
revanche, s’il se présente à 12-13 ans, si le décalage est important, il serait
illusoire d’obtenir une action squelettique suffisante par le seul traitement
orthopédique ; la chirurgie sera indiquée (cf Merville, Vincent, Jaquet).
Dans quelques cas exceptionnels, la thérapeutique par masque n’a pas donné
de résultat tangible.
La croissance n’a jamais pu être rattrapée.
Ce sont le plus
souvent des formes héréditaires avec prédisposition crânienne à la classe III.
Il faut alors, sans s’enferrer dans un rattrapage orthodontique, poser
l’indication chirurgicale d’ostéotomie des maxillaires.
3- Cas particulier de l’acromégalie :
La cause de l’hypersécrétion d’hormones de croissance étant supprimée
(intervention sur l’adénome de l’hypophyse), la maladie se stabilise et l’on
peut alors s’occuper du prognathisme dont le traitement ne peut être que
chirurgical.
Traitement des formes cliniques
:
A - Problème du « respirateur buccal »
:
Le problème de la ventilation est fondamental.
En effet, l’enfant qui ventile
par la bouche a une langue basse car il ne peut ventiler par le nez (il faut bien
qu’il respire par quelque part !).
En conséquence, ses maxillaires ne se
développent pas, ni dans le sens transversal, ni dans le sens antéropostérieur.
Il existe donc une endo-brachy-maxillie qui, suivant son importance,
entraînera plus ou moins une déviation mandibulaire.
Celle-ci, au départ
fonctionnelle, deviendra anatomique par adaptation de la croissance si elle
n’est pas corrigée à temps.
Les plus grosses endognathies n’entraînent pas de déviation mandibulaire.
L’arcade maxillaire est inscrite dans l’arc mandibulaire ; ceci signe souvent
une étroitesse des fosses nasales.
Ces endognathies sont traitées par un vérin disjoncteur qui distend lentement
et progressivement (5 à 6 semaines) la suture maxillopalatine qui est ouverte
encore tardivement.
Il n’y a aucune indication à faire des disjonctions rapides
ou ultrarapides qui ont pour inconvénient de traumatiser cette suture et par
conséquent d’entraîner une sclérose secondaire.
Chez l’enfant très jeune,
celle-ci peut être faite par l’appareil quad hélix, mais nous préférons le vérin
disjoncteur.
Le résultat de cette distension suturale est spectaculaire, car les parents et
l’enfant signalent eux-mêmes le passage de la ventilation buccale à la
ventilation nasale.
La langue se met alors spontanément en position haute et
va ainsi maintenir et continuer le développement maxillaire.
La résolution de ce problème ventilatoire est impérative, sinon la récidive de
la malformation est quasi certaine.
Le traitement de la classe III par des tractions postéroantérieures sera entrepris
ensuite et l’on pourra ainsi être sûr de la stabilité du résultat.
Si ce traitement
est urgent, il vaut mieux prévoir sur le vérin disjoncteur des crochets
antérieurs qui permettront d’accrocher des élastiques.
Sinon, on attendra la
consolidation de la disjonction pendant 6 mois.
Le vérin disjoncteur sera
remplacé alors par un double arc bibagues.
Cette deuxième solution est
sûrement la meilleure car aucun appareil orthodontique ne peut tout faire ;
chacun a sa spécificité.
En résumé, l’utilisation d’un vérin disjoncteur a deux avantages importants :
il résout de façon stable un problème transversal, mais il améliore aussi de
façon spectaculaire le problème ventilatoire de l’enfant.
B - Insuffisance prémaxillaire - Fausse dysharmonie dentomaxillaire - Mésialisation des secteurs latéraux
:
Dans les classes III, il existe souvent une insuffisance de place dans les régions
antérolatérales de l’arcade maxillaire, ce qui ne permet pas l’éruption normale
des canines.
Ceci est souvent interprété comme la conséquence d’une mésialisation des secteurs prémolomolaires sous l’influence des tractions.
En
fait, le manque de place résulte de l’hypodéveloppement de la région
prémaxillaire provoqué dans la période de denture temporaire par l’inversion
de l’occlusion antérieure.
Il est donc formellement contre-indiqué d’extraire
des premières prémolaires maxillaires, car cela accentue encore
l’hypodéveloppement de la partie antérieure du maxillaire.
En effet, il ne faut
pas négliger le rôle morphogénétique de la dent.
Celle-ci et son support sont
un des moteurs du développement maxillaire.
La place nécessaire pour les
canines devra être obtenue par d’autres moyens.
Cela donnera en outre à
l’enfant un sourire plein, gage d’une bonne esthétique.
Parmi ces insuffisances alvéolodentaires du maxillaire, on distinguera quatre
entités cliniques :
– étroitesse transversale qui pourra être résolue par une expansion palatine ;
– normoposition des secteurs latéraux avec bout à bout incisif : ce sont ces
insuffisances prémaxillaires qui seront traitées par traction extraorale limitée
au bloc incisif supérieur à l’aide d’un arc sectionnel lourd solidarisé sur les
quatre incisives maxillaires (Salagnac) ;
– mésialisation des secteurs latéraux et insuffisance prémaxillaire qui seront
traitées par l’intermédiaire d’une force extraorale, avec crochets antérieurs
qui permettront de relier, par des élastiques, les quatre incisives à la partie
antérieure de la force extraorale qui « distalera » les molaires.
C - Problème particulier
:
L’agénésie des incisives latérales peut être associée à une classe III.
Dans ce
cas bien particulier, il faut éviter de rapprocher les incisives centrales et les
canines car cela réduit l’arc antérieur du prémaxillaire.
Il faut au contraire
recréer les diastèmes des latérales absentes qui seront remplacées
ultérieurement par des prothèses ou des implants.
En cas d’infraclusion antérieure, il n’est pas contre-indiqué d’utiliser le
masque relié au double arc, mais il faudra réaliser une forte courbure de l’arc
vestibulaire au niveau canin, de façon à éviter l’extrusion des molaires ; les
tractions élastiques devront être bien obliques vers le bas.
Certaines classes III squelettiques sont compensées par une forte proalvéolie
supérieure qui est l’objet de la consultation.
L’angle interincisif très fermé
altère à long terme le pronostic parodontal de ces incisives supérieures.
Il est alors licite de mettre en place le masque qui va avancer le maxillaire.
Les incisives vont ensuite reculer spontanément, modifiant ainsi l’angle
d’attaque avec les incisives mandibulaires.
Cette indication fonctionnelle a
des conséquences esthétiques importantes car la partie moyenne du visage de
l’enfant sera modifiée.
D - Problème de la disjonction et de l’expansion :
Elle ne devra pas être systématique car, dans certains cas, l’endognathie
maxillaire résulte seulement du décalage sagittal des arcades.
On peut le
vérifier en mettant en occlusion les moulages dentaires : si l’occlusion est
satisfaisante, le fait d’avancer le maxillaire corrigera le trouble transversal.
S’il existe un trouble ventilatoire associé, l’écartement des molaires dans ce
cas particulier aura tendance à provoquer une avancée mandibulaire néfaste
au traitement (ce qui, à l’inverse, est bénéfique dans les classes II).
Il faudra
alors faire une expansion maxillaire antérieure du secteur canin et prémolaire
qui agit électivement sur les orifices piriformes.
S’il existe une endognathie importante et un trouble ventilatoire associé, il
faut faire une disjonction semi-rapide.
E - Traitement des formes cliniques rares
:
1- Séquelle de fente labio-maxillo-palatine :
La tendance à la rétromaxillie qui apparaît précocement est une indication à
l’utilisation des tractions postéro-antérieures sur masque.
Cependant, ce
traitement est difficile car il est entravé par l’état cicatriciel de la région
palatine, ptérygoïdienne, pharyngée et par toutes les dysfonctions.
Bien
souvent, une révision chirurgicale complète de l’équilibre musculaire labionasal (chéilorhinoplastie fonctionnelle) sera nécessaire avant le
traitement orthopédique.
En effet, les séquelles que présentent ces patients
sont plus liées aux dysfonctions qu’à la rétromaxillie.
Le traitement sera alors entrepris dans de bien meilleures conditions et
donnera de bien meilleurs résultats.
Le masque peut aussi servir à effectuer des tractions divergentes sur les deux
fragments maxillaires pour corriger leur conjonction.
On peut également
effectuer des tractions postéroantérieures sur les incisives pour développer le
maxillaire.
L’essentiel est, dans tous les cas, de retrouver un bon verrou incisif et une
bonne fonction de ventilation, de manducation et de mimique faciale qui
stimuleront la croissance antérieure du maxillaire.
2- Syndrome de Binder :
C’est un ensemble malformatif congénital caractérisé par une hypoplasie maxillonasale, associée à d’autres malformations vertébrales, cardiaques et
oculaires.
Le recul du maxillaire, qui est associé à l’hypoplasie prémaxillaire, sera
corrigé par des tractions postéroantérieures.
Ensuite, il faudra réaliser une
chirurgie complémentaire de réinsertion des muscles nasolabiaux sur une
néo-épine nasale antérieure. Dans le meilleur des cas, cette thérapeutique
redonnera une croissance subnormale au prémaxillaire.
Résultats
:
A - Clinique :
1- Exobuccal :
C’est tout d’abord, et en premier, un changement clinique que le praticien
remarque au bout de quelques mois quand l’enfant entre dans la salle
d’orthodontie.
L’esthétique de l’enfant a totalement changé.
* Pour la famille
:
Les mamans expriment très bien cette modification totale de l’équilibre et de
l’expression du visage de leur enfant, remarquée par l’entourage.
Il est évident
lorsque l’on compare les différentes photos de famille :
« .. Il a les joues pleines.
Il y a un changement important au niveau du nez, au
niveau des lèvres, la bouche est belle.
C’est plus rempli.
Son visage a rajeuni,
s’est affiné.
Il est plus doux, plus éveillé.
Ce n’était pas très flatteur d’avoir le
menton en avant. »
« Son visage a changé mais c’est par de petites choses : elle n’a plus ce sourire
avec effacement de la lèvre supérieure.
Il n’y a plus de creux ; son visage est
plus arrondi, plus harmonieux ; c’est plus beau...»
« Ce traitement lui a complètement changé le visage ; ses dents du haut sont
plus visibles, son sourire est beaucoup plus joli ; il paraît beaucoup plus vif,
plus éveillé...»
« Elle est redevenue normale.
C’était difficile pour elle car elle avait du mal à
parler, à manger ; elle ne pouvait pas croquer, ni couper ses aliments.
Son
visage est plus régulier, son petit menton avançait ; il était pointu, en galoche. Cela a disparu ; elle est plus jolie...»
« Cela lui a transformé tout son visage qui est remonté, plus plein.
Tout a
changé ; le sourire est différent.
On a l’impression qu’il a plus d’yeux
qu’avant.
Cela lui a changé son regard, ses yeux sont plus vifs ; on les
remarque.
Il a une expression différente...»
* Pour le praticien
:
Ce changement important du visage de l’enfant est comparable au
changement obtenu après une ostéotomie de Le Fort I chez l’adulte, le patient
étant revu 2 mois après l’intervention.
Le visage s’est totalement remodelé, tout s’est rééquilibré, ce n’est pas
seulement le changement de la position d’un maxillaire, c’est une
harmonisation de la face.
C’est une transformation chirurgicale du visage sans
chirurgie.
Les plis nasogéniens s’adoucissent, l’étage moyen se comble ainsi que les
régions malaires et sous-orbitaires.
La lèvre supérieure s’avance, son vermillon est plus visible.
La crête phyltrale apparaît.
Il y a une amélioration
de l’équilibre de celle-ci dans l’ensemble naso-labio-mentonnier.
La
concavité du profil diminue, redonnant une meilleure harmonie.
Cette métamorphose du visage de l’enfant change son expression, son regard.
Il devient plus beau.
Cette modification esthétique spectaculaire n’est pas un
des moindres effets de cette thérapeutique.
* Au bout de combien de temps ?
Ce résultat apparaît le plus souvent rapidement, d’un mois à l’autre, après un
certain temps de traction.
On a l’impression « qu’à un moment les sutures
lâchent », que le maxillaire s’est avancé.
Ceci apparaît environ vers le
troisième ou quatrième mois pour les enfants de 5 à 6 ans, le septième ou
huitième mois pour les enfants de 8 à 10 ans, et plus tard chez les enfants de
12 ans.
2- Endobuccal :
Le maxillaire s’avance, l’occlusion se normalise, ce qui permet aux enfants
de couper les aliments, de mieux parler, manger, croquer.
Ils se servent enfin
de leurs dents antérieures maxillaires.
Après les tractions, l’occlusion s’est
normalisée dans les trois sens de l’espace.
Sens antéropostérieur (profil) : le recouvrement incisif est obtenu ou même
est dépassé ; c’est une normalisation de l’occlusion incisivocanine.
Il faut que
les latérales, vues de profil, aient largement passé les incisives inférieures.
Sens transversal (de face) : les adaptations sont très visibles ; la rétrognathie
maxillaire corrigée fait disparaître le décalage transversal qui avait été
constaté lors du premier examen.
Il y a une adaptation fonctionnelle qui
permet une meilleure intercuspidation des secteurs latéraux (si l’on a bien pris
soin d’éloigner l’arc vestibulaire de la face vestibulaire des dents).
Sens vertical : il faut obtenir un bon recouvrement vertical.
Si la thérapeutique
est bien menée, il n’y a aucune ouverture de l’occlusion.
On a l’impression
que le fait d’avancer le maxillaire redonne plus de place dans la cavité buccale
pour la langue.
Les enfants n’ont plus cette interposition permanente et très
disgracieuse de la langue entre les arcades dentaires.
B - Modification du squelette
:
L’étude du retentissement sur l’ensemble du massif facial des tractions postéroantérieures met en évidence deux types de modifications que l’on
observe par comparaison des clichés de profil avant et après traitement.
1- Modification immédiate :
Le maxillaire a changé d’orientation par rapport à la base du crâne.
Ceci peut
s’étudier par les valeurs SNA, SNB, SND, mais plutôt par l’angle Cl/fm.
Cet
angle peut varier de 1° à 4°.
Les variations les plus importantes s’observent
chez les sujets jeunes, avant 9 ans.
La zone alvéolaire
maxillaire s’allonge en moyenne de 3 mm.
Ceci redonne de la place pour les
dents ; il ne faut donc pas extraire de prémolaires chez les insuffisants
maxillaires.
À la mandibule, au niveau de la région condylienne, il y a un freinage de la
croissance.
La mandibule recule et s’abaisse, l’angle se ferme.
Au niveau de l’occlusion : il apparaît une amélioration spontanée de
l’orientation des incisives maxillaires par rapport au plan palatin.
Ces
modifications immédiates retentissent sur les fonctions labiales, linguales,
masticatoires occlusales qui a leur tour modifient, progressivement et
favorablement le squelette facial.
2- Modifications secondaires structurales :
Elles s’observent dans les mois et les années suivantes et sont le reflet de
l’activité de nouvelles fonctions orofaciales.
Au maxillaire : par l’aspect radiologique du pilier canin qui se modifie il
apparaît plus dense et plus complet.
C’est le reflet de la fonction incisivocanine retrouvée.
La région alvéolaire du point
A se remodèle avec
modification de la concavité ; l’orifice piriforme modifie sa courbure.
À la mandibule : au niveau du condyle, il a un changement de la direction de
croissance dans le sens de la verticalisation (rotation antérieure) ; cette
réorientation de croissance entraîne à long terme une transformation de la
mandibule.
Au niveau du corps apparaît un remodelage de la concavité de la
face antérieure de la symphyse (point B) sous l’action de la lèvre.
Le
changement de forme consécutif aux tractions entraîne de nouvelles
conditions d’activité des différents fonctions orofaciales.
Au niveau des sinus de la face : la normalisation de l’occlusion va développer
les sinus maxillaires et les sinus frontaux.
Les réactions secondaires sont très importantes à observer, puisqu’elles
témoignent de la normalité de fonctionnement du nouvel équilibre craniofacial.
Quant aux modifications obtenues par les traitements fonctionnels autres que
le masque, ces appareils n’agissent guère que sur les procès alvéolaires, ce
que confirme Profitt : « la plupart des appareils fonctionnels (Frankel 3 -
fronde mentonnière) n’ont pas d’action sur la taille du maxillaire, mais ils
corrigent la malocclusion en versant vestibulairement les incisives
maxillaires et en rétractant les incisives mandibulaires ».
C - Recul - Évolution - Pronostic
:
1- Préambule :
Nous avons 20 ans de recul ; Delaire va bientôt célébrer les 30 ans du
masque !
Peut-on appeler récidive une reprise de la croissance mandibulaire ?
Nous avons vu plus haut que l’aggravation de la promandibulie avec l’âge
était une constante.
La stabilisation de la dysmorphose est donc déjà un gage
d’efficacité de la thérapeutique.
Dans notre expérience, plus les traitements sont commencés tôt, plus ils sont
faciles, et plus ils sont stables. Cette impression est corroborée par les résultats
des études faites par Delaire et McNamara.
Ce travail nous a donné l’occasion de réétudier tous nos cas traités.
Nous
n’avons quasiment pas trouvé de prognathie mandibulaire vraie.
La plupart
des cas sont des rétromaxillies.
Ceci confirme les statistiques vues au début de ce travail.
Il y a une explication
à cet autre paradoxe apparent : comme nous traitons très tôt les patients, la prognathie mandibulaire (qui est souvent fonctionnelle) n’a pas le temps
d’apparaître.
La normalisation des fonctions favorisée par le traitement de
repositionnement maxillaire est capable d’améliorer et de stabiliser la classe III.
Spontanément alors l’organisme retrouve sa meilleure direction de
croissance.
Une adaptation se produit qui remodèle de façon parfaite le visage
de l’enfant car l’équilibre morphologique et fonctionnel est retrouvé.
2- Évolution - Surveillance
:
Il faut une surveillance régulière.
Les tractions ne doivent être arrêtées que
lorsque le résultat est bien acquis, contrôlé radiologiquement et que les
fonctions, en particulier la ventilation, sont normalisées.
Le résultat doit être
stabilisé pendant 3 à 4 mois.
La normalisation des fonctions doit être obtenue
(surtout la fonction ventilatoire).
Pour une grande majorité d’enfants, il n’y aura eu qu’un seul épisode de
tractions.
La stabilité est excellente.
Le résultat par le masque a permis le
rétablissement d’un type facial corrigé et équilibré, parfaitement stable.
Pour
d’autres, le processus anormal de croissance a repris ses droits.
La mandibule
se remet à avancer plus vite que le maxillaire ; ceci correspond d’ailleurs
toujours à une croissance staturale importante (« sauts » de Loreille).
Il faut
alors reprendre les tractions rapidement ; il ne faut pas hésiter.
Les tractions
suffisent en général à stabiliser le processus.
Surveiller minutieusement la croissance, essayer de la maîtriser, cela fait
partie de la thérapeutique.
Les parents ont été prévenus, comme les enfants, et
ceux-ci acceptent sans problème la nécessité d’une deuxième partie au
traitement.
Ce n’est pas un échec ; c’est une suite possible du traitement.
Ils acceptent d’autant mieux que ce sont surtout dans les cas héréditaires que
l’on a ce type de difficultés.
L’un des parents porteur de l’anomalie comprend
cette difficulté et la nécessité de la correction.
Il faudra également surveiller au cours de toute la croissance la mise en place
de toutes les dents, le calage de l’occlusion et faire le moins d’extractions de
dents possible.
Nous avons plusieurs enfants dont la seule thérapeutique a été le traitement
par masque sans aucun autre traitement orthodontique.
Le processus
fonctionnel normal ayant été « réenclenché », tout s’est organisé simplement.
La nature a repris ses droits et le meilleur appareil orthodontique, à savoir la
langue, a fait son travail.
Il existe malgré tout quelques rares cas où l’on a l’impression de toujours
courir après la croissance : s’il n’y a pas de déficit esthétique, on peut finir le
cas orthodontiquement.
Si le déficit esthétique est marqué, il ne faut pas hésiter à faire appel à la
chirurgie.
Ceci est devenu dans notre pratique une exception.
3- Pronostic :
La prédictibilité du traitement est difficile.
On pourra s’aider de la valeur
pronostique des signes crâniens de prédisposition à la classe III :
raccourcissement du champ craniofacial global ou partiel ; changement
d’angulation de la base du crâne.
Il faut les connaître, mais n’en être pas pour
autant pessimiste car la thérapeutique par masque nous étonne tous les jours.
L’étude des téléradiographies à long terme montre des adaptations et des
remodelages faciaux importants dont le contrôle nous échappe.
L’important
a été de réenclencher le processus de croissance maxillaire qui était stoppé, et
ceci par le rétablissement du verrou incisif qui stimule la projection antérieure
du maxillaire.
D - Classe III et mauvaise réputation thérapeutique
:
Il faut le reconnaître, les classes III ont une mauvaise réputation
thérapeutique, de difficulté, de récidive inéluctable, de longueur, d’hérédité...
Cette mauvaise réputation n’était pas usurpée.
À quoi cela tient-il ?
Essayons d’analyser les périodes thérapeutiques de ces
30 dernières années.
1-
Période d’incertitude thérapeutique :
L’orthodontiste essayait seul de résoudre le problème.
Un professeur
d’université, connu pour sa mesure, a dit dans un cours que les classes III
étaient le « scandale de l’orthodontie ».
En effet, on commençait par mettre un appareillage orthopédique, auquel on
ne croyait pas trop.
On changeait d’appareil, car celui-ci ne donnait pas de
résultat.
On faisait alors des extractions, on compensait plus ou moins le
décalage avec un traitement multiattaches qui était long et difficile...
La croissance continuait et on finissait par dire aux parents « qu’en désespoir
de cause » et après avoir tout essayé, seule la chirurgie pouvait résoudre le
problème.
Cette chirurgie se faisait dans de mauvaises conditions car tout le
monde était fatigué et il fallait, pour que le résultat de l’opération soit stable,
décompenser les axes dentaires : nouveau traitement orthodontique !
Les résultats esthétiques étaient de toute façon mauvais, car les extractions
maxillaires avaient rétréci le maxillaire qui était déjà trop petit...
2- Période de dialogue
:
Les chirurgiens maxillofaciaux qui opéraient les prognathismes avaient
besoin des orthodontistes pour préparer les arcades dentaires.
Cela a,
incontestablement, diminué les récidives postopératoires.
Les orthodontistes ont eu besoin des chirurgiens maxillofaciaux pour
résoudre le problème des classes III.
Un dialogue fructueux de part et d’autre s’est instauré.
Mais, dans certaines écoles, actuellement, l’intervention chirurgicale est
systématiquement intégrée dans le plan de traitement de la classe III !
C’est un excès.
3- Maintenant nous sommes à l’ère de l’interception précoce
:
Le traitement orthopédique précoce est la clef de la réussite et de la simplicité
du traitement des classes III.
Il doit être entrepris le plus tôt possible, dès que
l’on voit l’enfant.
C’est ainsi qu’il donnera les meilleurs résultats, le plus
souvent spectaculaires.
Ainsi, dans les années futures, l’interception précoce devrait rendre
exceptionnel le recours à la chirurgie.
Nous avons voulu démontrer :
- que la classe III est un syndrome multiforme dans lequel la
rétromaxillie est beaucoup plus impliquée que de promandibulie ;
- que les nouvelles conceptions sur la croissance craniofaciale
apportent des éléments intéressants permettant de comprendre la
genèse des dysmorphoses et celles-ci seront mieux analysées à l’aide
de l’analyse architecturale et structurale ;
- que le diagnostic de la classe III est clinique, l’orthodontiste comme le
médecin doit être avant tout un clinicien ;
- que la thérapeutique la plus adaptée est le masque orthopédique ;
- que le résultat esthétique et fonctionnel est spectaculaire, et surtout
que l’intervention précoce est la clef de la réussite et de la facilité de ce
traitement.
Notre but sera atteint si le lecteur fait un essai de traitement précoce
d’une dysmorphose de classe III.
Il n’y a aucune raison pour qu’il ne
puisse obtenir les résultats que nous avons montrés.
Ce traitement précoce étant « intégré » par l’orthodontiste, il ne sera
plus nécessaire d’intégrer la chirurgie dans le plan de traitement.
Il faut changer les mentalités sur l’appréhension globale de la classe III
squelettique.
Ce traitement n’est pas aussi difficile que certains le pensent.