A - Standards pour l’évaluation statique
du gabarit foetal :
1- Caractéristiques de l’échantillon de référence
:
Les standards présentés ici concernent 1 359 foetus, âgés de 10 à 42 SA,
mesurés entre 1995 et 1997 à la maternité régionale de Nancy (France).
L’étude rétrospective a été effectuée par tirage au sort des dossiers
médicaux, en ne prenant en compte qu’un seul examen par sujet
(données transversales).
Les courbes standards ont été établies sur la
base des critères méthodologiques exposés ci-dessus.
2- Courbes de percentiles
:
Ces courbes
correspondent à des percentiles lissés ; le modèle d’ajustement est, selon
les cas, un modèle de régression polynômiale d’ordre 2 ou 3 (voir cidessous).
Pour faciliter le diagnostic des microcéphalies prénatales et
des micromélies, les courbes de croissance du PC et de la LF sont aussi
représentées sous forme de moyenne et écarts types et
sous forme de multiple de la médiane pour LF.
3- Équations des courbes d’ajustement des percentiles
:
Pour permettre leur utilisation avec un autre jeu de données (population
différente).
Comme les distributions des variables ne sont pas
gaussiennes, les équations de lissage sont différentes d’un percentile à
l’autre.
4- Valeurs des moyennes, « écarts types » et percentiles
:
Ces valeurs sont reproduites pour chaque semaine de gestation et pour
chaque variable.
Le terme « écart type » est volontairement indiqué entre guillemets,
parce qu’il correspond à l’écart type d’une population « théorique »
ayant la même moyenne que l’échantillon de référence, mais une
distribution normale, symétrique, ce qui n’est pas le cas de nos variables.
5- Analyse des courbes standards de croissance des différents
paramètres ; comparaison avec les autres standards
de la littérature ; intérêt médical :
* Diamètre bipariétal
:
La courbe est d’allure curviligne.
La dispersion des valeurs
augmente peu jusqu’à 23-24 SA et beaucoup plus au-delà.
Elle
s’infléchit en fin de gestation.
La distribution de la population est
pratiquement symétrique par rapport à la médiane.
L’écart type croît
régulièrement avec l’âge.
D’une étude à l’autre, les différences sont très faibles, de l’ordre du
millimètre.
Ces valeurs de référence sont fiables si l’on tient compte de
l’erreur absolue sur les mesures (environ 1 mm).
Elles sont constantes
d’une population à l’autre, à la différence des paramètres abdominaux et
de la LF.
* Diamètre abdominal transverse
:
La variabilité croît énormément avec l’âge, surtout après 25 SA.
Elle est plus élevée que pour toute autre dimension corporelle.
Les normes les plus anciennes sont inférieures de 1 à 3 mm aux
normes actuelles dans toutes les classes d’âge en raison du choix d’un
plan de coupe situé plus bas.
La différence sexuelle de croissance du DAT est statistiquement
significative dès 25 SA pour Lévi et al, mais seulement dans les
dernières semaines de gestation pour Guihard-Costa et Droullé.
À
terme, la différence entre moyennes atteint 3,6 mm.
Elle est supérieure à
la précision des mesures : on peut donc affirmer que le DAT présente une
différence sexuelle en fin de gestation.
* Longueur fémorale
:
La LF n’est pas une variable distribuée normalement, mais l’écart type
varie peu avec l’âge.
La croissance du fémur est identique dans
les deux sexes.
L’étude comparative de « groupes ethniques » est à
interpréter avec prudence en raison de l’imprécision de la définition de
ces groupes (pour Vialet et al, le fémur des foetus « africains » est
significativement plus grand que celui des foetus « européens » tout au
long de la gestation).
Le fémur est l’os long le plus corrélé à la taille. Miller et al ont montré
la corrélation de la LF au « poids de naissance relatif » (poids de
naissance réel rapporté au poids de naissance attendu défini par des
courbes standards).
La LF est affectée de façon inconstante, à des degrés et des âges très
variables, dans les RCIU.
Classiquement la LF n’est que peu affectée
dans les RCIU modérés et tardifs.
Selon Abramowicz et al, elle ne
présente pas de différence significative entre foetus présentant un RCIU
asymétrique et foetus normaux, ni entre foetus macrosomes et foetus
normaux.
Pour Hadlock, l’atteinte précoce du fémur dans un RCIU
est évocatrice d’une anomalie chromosomique.
Certains sujets, dont la
taille reste dans les limites de la normale, peuvent présenter une brachymélie relative : il faut tenir compte du morphotype, étudier le
contexte familial.
La LF est habituellement suffisante au dépistage de la plupart des
chondrodysplasies.
Toute suspicion de maladie osseuse
constitutionnelle doit entraîner la réalisation des mesures de tous les
segments de membres accessibles.
Toute LF inférieure à 3 déviations
standards (DS) doit faire suspecter un nanisme.
* Périmètre crânien
:
La courbe montre une croissance quasi linéaire jusque 22 SA environ
puis curviligne.
L’écart type varie peu avec l’âge.
Dans les grandes séries, il apparaît une différence sexuelle significative
de PC dès 35 SA.
Elle est d’environ 6 mm à terme. Fescina et al remarquent que le PC échographique est toujours
inférieur au PC mesuré au ruban métrique (8 à 10 mmde différence chez
le foetus à terme).
La croissance du PC, mieux que celle du DBP, est représentative de la
croissance volumique et pondérale du cerveau foetal.
Leur étude
longitudinale présente un intérêt pour toute la période périnatale.
L’une et l’autre ne sont pas affectées dans les RCIU dysharmonieux.
Les
paramètres céphaliques, par définition, ne sont nettement affectés que
dans les RCIU symétriques.
Ils peuvent l’être, à un moindre degré, dans
les asymétriques (ceux-ci représentent environ deux tiers des cas).
La
spécificité du PC est meilleure parce qu’il pondère l’influence de la
forme du crâne en compensant notamment l’influence des
dolichocrânies.
* Périmètre abdominal
:
La variabilité croît énormément avec l’âge, surtout après 25 SA.
Elle est plus élevée que pour toute autre dimension corporelle.
B - Standards pour l’évaluation dynamique
de la croissance foetale : vitesses de croissance
Ces standards sont représentés sous forme de courbe de « vitesse
moyenne » encadrée de deux courbes délimitant un intervalle de
confiance de 95 %.
On ne peut en aucun cas considérer la courbe
inférieure comme représentative de celle des foetus dont la croissance
est la plus lente.
De même, la courbe moyenne ne correspond pas aux
foetus à vitesse de croissance « moyenne », ni la courbe supérieure aux foetus dont la croissance est la plus rapide.
L’intervalle de confiance
délimite en fait une zone à l’intérieur de laquelle les vitesses de
croissance des foetus normaux peuvent varier.
D’autres standards de vitesse de croissance ont été obtenus par
dérivation de courbes d’ajustement de données longitudinales.
Les
modèles d’ajustement des données longitudinales sont souvent des
modèles calculés globalement sur l’ensemble des données, comme la
régression polynômiale.
Leur dérivation ne met en évidence qu’un
ou deux points d’inflexion, à la différence de notre méthode qui rend
mieux compte des variations successives des vitesses de croissance au
cours de la gestation.
En revanche, ils fournissent une appréciation
commode du « taux de croissance moyen » de chaque paramètre
biométrique en fonction du délai entre deux mesures.
Analyse des courbes de vitesse de croissance des dimensions
linéaires :
La comparaison des courbes de vitesse de croissance des trois variables
permet de mettre en évidence plusieurs phases de
croissance.
* Pics de vitesse de croissance vers 15 SA
:
Les vitesses de croissance des dimensions linéaires diminuent
globalement tout au long de la gestation. Leurs maxima de vitesse se
situent à la fin du premier trimestre, où un pic de vitesse de croissance
est visible sur les courbes, en moyenne vers 15 SA.
Le fait que la vitesse
de croissance moyenne soit maximale vers 15 SA signifie que le rythme
de croissance très rapide qui caractérise la période embryonnaire se
prolonge durant tout le premier trimestre gestationnel.
* Vitesses de croissance au second trimestre
:
Durant le second trimestre, la direction globale des
différentes courbes de vitesse de croissance reste la même : il n’existe ni
accélération, ni rupture de pente importante.
Le second trimestre
gestationnel apparaît donc comme une période de croissance
biométrique stable et continue, probablement liée à une stabilité des
modalités physiologiques de la croissance.
* Vitesses de croissance au troisième trimestre
:
Le troisième trimestre est marqué par de brusques changements de
vitesse de croissance (accélérations et décélérations).
+ Ruptures de pente (décélérations brusques) au cours du troisième
trimestre :
La vitesse de croissance des trois variables (DAT, DBP, LF) chute au
cours du troisième trimestre.
Cette décélération brusque a également été
observée pour d’autres dimensions foetales : le poids du corps, le
poids et les dimensions du cerveau à l’exception du cervelet, le PC.
En dehors du DBPdont la vitesse de croissance chute au début
du troisième trimestre, cette brusque décélération a lieu vers 35 SA.
+ Reprise de croissance en fin de gestation
:
À partir de 38-39 SA, une relance de la vitesse moyenne de croissance
est observée pour le PC, le DBP, la LF.
La période de gestation qui va de 35 SA à 41 SA apparaît donc comme
une période charnière où les modifications du rythme de croissance sont
liées à la naissance prochaine du foetus.
La chute brutale des vitesses de
croissance, suivie d’une nouvelle accélération, pourrait traduire les
rapports complexes et ambivalents du foetus et du milieu intra-utérin
durant cette période : après 35 SA, les conditions de milieu semblent
plutôt défavorables à la croissance foetale qui peut présenter cependant
une reprise de croissance rapide.
C - Rythmes de croissance moyens
et rythmes de croissance individuels :
de la population à l’individu
1- Courbes standards de croissance et courbes de croissance
individuelles : un même modèle ?
L’utilisation des courbes standards pour la surveillance foetale soustend
souvent un préjugé implicite : tous les foetus eutrophiques
possèdent les mêmes types de courbe de croissance, la variabilité
interindividuelle restant faible.
Dans cette hypothèse, les trajectoires
individuelles de croissance sont parallèles à la courbe standard
moyenne, toute déviation par rapport à cette dernière étant par définition
anormale, et peut-être à risque pathologique.
Cette conception se trouve
remise en question par les résultats d’une étude de la variabilité de
croissance menée sur un échantillon de foetus normaux.
2- Variabilité individuelle : de la population à l’individu
Nous décrivons ici les résultats d’une étude de la variabilité individuelle
des rythmes de croissance, réalisée sur un échantillon de foetus
normaux.
* Caractéristiques de l’échantillon et méthode d’étude
de la variabilité
:
Un groupe de 24 sujets (14 filles et dix garçons) nés à terme, en
présentation céphalique, eutrophiques et ne présentant ni pathologie, ni
malformation à la naissance, a été mesuré depuis 7 SA jusqu’à 1 mois
postnatal.
Au cours de la gestation, chaque sujet fut mesuré cinq fois par le même
opérateur, avec le même échographe.
Trois variables ont fait l’objet
d’une étude de variabilité : le DBP, le DAT et la LF.
* Évaluation de la variabilité
:
+ Comparaison des courbes de croissance individuelles.
Les courbes des 24 foetus ont été comparées les unes aux autres, et
également avec la courbe standard provenant de la même population.
Pour préserver la lisibilité des figures, seulement quatre sujets y sont
représentés.
Ces quatre sujets ont été choisis en raison de la grande
diversité de leurs trajectoires de croissance, comme illustration de la
variabilité des rythmes de croissance foetale.
La comparaison de toutes les courbes individuelles de croissance a
permis de distinguer deux périodes :
– au cours des deux premiers trimestres, la croissance du DBP, du DAT
et de la LF est linéaire chez tous les sujets ; les courbes de croissance des
24 sujets sont groupées et leurs trajectoires de croissance parallèles ;
l’allure des courbes individuelles est semblable à celle de la courbe de
référence standard ;
– au cours du troisième trimestre apparaît une grande diversité de
trajectoires de croissance ; les percentiles des courbes de
référence s’infléchissent en fin de troisième trimestre ; ceci signifie
qu’en moyenne la croissance du DBP, du DAT et du fémur ralentit en fin
de gestation ; cependant, ce ralentissement ne se produit pas chez tous
les foetus normaux : chez un certain nombre de foetus, les vitesses de
croissance des différentes variables ne diminuent pas en fin de gestation
(dans notre échantillon cette éventualité concerne neuf sujets sur 24 pour
le DAT et deux sur 24 pour le DBP) ; il existe même un certain nombre
de sujets pour lesquels la croissance de certains paramètres biométriques
s’accélère en fin de gestation (c’est notamment le cas de trois sujets sur
24 pour le DAT) ; de plus, même lorsqu’il existe un ralentissement de la
croissance, son ampleur et l’âge auquel il survient sont différents d’un
individu à l’autre.
+ Variabilité des vitesses de croissance
:
Pour chacune des trois variables, les vitesses de croissance entre deux
mensurations successives ont été calculées pour chaque sujet au cours
des intervalles suivants : 12-26, 26-34, 34-37,37-39 SA.
Les
distributions des vitesses de croissance dans chaque intervalle sont
représentées sous forme de « boîtes ».
La vitesse de croissance moyenne du DBP décroît tout au long de la
gestation.
La variabilité augmente avec l’âge, mais dans une
moindre proportion que dans le cas du DAT : l’augmentation de la
variance n’est statistiquement significative qu’entre les intervalles
12-26 et 26-34 SA.
La vitesse de croissance moyenne du DAT diminue jusqu’à
l’intervalle 37-39 SA.
Dans le même temps, la variabilité interindividuelle
croît considérablement (la hauteur des boîtes augmente).
Cette
augmentation de la variabilité a été testée par un test F : les différences entre
les variances des distributions dans les intervalles successifs sont toutes
significatives (p < 0,05).
La vitesse de croissance moyenne du fémur décroît régulièrement tout
au long de la gestation.
La variance augmente significativement
d’un intervalle à l’autre, sauf pour le dernier intervalle (37-39 SA).
* Trajectoires individuelles de croissance et modélisation
:
Dans l’étude décrite ci-dessus, les profils de croissance apparaissent
étonnamment diversifiés d’un individu à l’autre.
Cependant, l’amplitude
de cette variabilité n’est pas constante au cours de la gestation.
Globalement, au cours des deux premiers trimestres gestationnels, la
dispersion des courbes est faible, même si les potentiels individuels de
croissance restent inconnus.
Au cours de ces deux trimestres, il est
légitime d’ajuster chaque ensemble de données individuelles avec le
même modèle mathématique, par exemple celui de Deter et al.
Au cours du troisième trimestre gestationnel, et singulièrement dans les
5 ou 6 dernières semaines de grossesse, une grande diversité de
dynamiques de croissance de chaque paramètre apparaît.
On observe
également une dissociation des vitesses relatives de croissance des
différents paramètres biométriques chez un même individu
(changements de proportions).
En effet, si pour l’ensemble de la
population on peut observer un ralentissement de la croissance des trois
paramètres DAT, DBP et LF en fin de gestation, ce n’est pas le cas chez
un certain nombre de foetus, dont les vitesses de croissance sont soit
stables, soit en augmentation, pour un seul ou pour l’ensemble des
paramètres biométriques.
La diversité des dynamiques de croissance
individuelles rend en tous cas impossible l’utilisation d’un modèle
mathématique unique d’ajustement des données biométriques en fin de
gestation pour chaque paramètre.
La variabilité des trajectoires de croissance en fin de gestation ne peut
être imputée à des causes pathologiques, puisqu’il s’agit de foetus bien
portants et eutrophiques à la naissance.
Elle doit être considérée comme
la manifestation de la variation normale de la croissance foetale, liée à
des différences individuelles de potentialité de croissance.
Cette
variabilité de croissance peut être liée à des différences d’adaptation aux
modifications rapides de l’environnement métabolique et endocrine
maternel en fin de gestation.
Mais ces résultats suggèrent également que
les différences « héréditaires » de potentiel de croissance peuvent jouer
un rôle fondamental en fin de gestation.
Les études biométriques qui
concernent, non pas des paramètres biométriques isolés mais un
« gabarit global », permettent de redéfinir des seuils de normalité sur des
critères généraux qui peuvent tenir compte des potentialités héréditaires
de chaque individu.
Le poids estimé et les « scores » biométriques
combinant plusieurs mensurations linéaires sont représentatifs du
gabarit.
* Implications pratiques de la variabilité individuelle pour le suivi
de la croissance foetale :
Une conséquence pratique de l’augmentation de la variabilité en fin de
gestation est qu’il est hasardeux de prédire les caractéristiques
biométriques d’un nouveau-né à terme, à partir d’échographies
pratiquées dans les deux derniers mois de gestation.
Par exemple, en cas
de croissance « normale », il serait faux d’extrapoler les mesures
effectuées à la dernière échographie (habituellement 34 SA) pour en
déduire le degré de corpulence du nouveau-né.
Même lorsque la dernière
échographie est effectuée vers 37 SA, des changements de rythme de
croissance peuvent encore se produire et modifier les caractéristiques
biométriques finales du foetus.
Ceci fait douter de l’intérêt de la
biométrie échographique du troisième trimestre à 31 ou 34 SAdans les
populations à bas risque.
À l’inverse, une déviation modérée de la croissance, détectée après
34 SA, peut parfois se corriger dans les dernières semaines.
En d’autres
termes, jusqu’à 34 SA, l’observation des courbes individuelles de
croissance permet avec certitude une interprétation rétrospective de la
dynamique de croissance foetale.
En prospectif, au deuxième trimestre,
le taux de croissance de ce trimestre est à peu près prévisible. Après 34
SA, les mêmes courbes ne peuvent plus être extrapolées.
En résumé, dans la population à bas risque, la surveillance biométrique
échographique ne présente pas d’intérêt après 34 SA, sauf s’il apparaît
une altération de la dynamique de croissance d’un ou de plusieurs
paramètres au deuxième trimestre.
Dans la population à haut risque, le
problème se pose de trouver un intervalle suffisant entre deux mesures
pour que toute altération de la dynamique de croissance soit
significative.
Le problème se pose également de déterminer le paramètre
biométrique le plus pertinent pour assurer cette surveillance : si le poids
estimé est le plus utilisé, le gain pondéral pourrait fournir une évaluation
plus sûre.
En tout état de cause, en fin de gestation, la conduite
obstétricale est argumentée par d’autres moyens que la biométrie
échographique.