Pneumocystose pulmonaire chez un sujet infecté par le VIH Cours
d'infectieux
Décrite sporadiquement dans les suites de transplantation
d’organes et lors de néoplasies avant 1981, l’observation
de plus en plus fréquente de pneumocystose
pulmonaire (PCP), chez des sujets apparemment sains, a
permis d’individualiser le syndrome immunodéficitaire
acquis (sida).
L’utilisation systématique d’une prophylaxie
primaire a permis d’en diminuer la fréquence en
Europe ou aux États-Unis.
Elle représentait toujours en
France, la première pathologie d’entrée dans le sida.
Étiologie :
La pneumocystose pulmonaire est une infection opportuniste
due à Pneumocystis carinii.
Ce protozoaire unicellulaire,
à développement extracellulaire, existe sous
2 formes principales, l’une kystique, l’autre trophozoïtique
(groupé en amas).
C’est un saprophyte ubiquiste,
à mode de transmission principalement pulmonaire.
Diagnostic
:
A -
Manifestations cliniques :
Dans sa forme typique, la pneumocystose atteint
exclusivement le poumon, réalisant une pneumopathie hypoxémiante non spécifique.
Le début est généralement progressif sur une dizaine de
jours à quelques semaines, associant une toux sèche et
(ou) un décalage thermique, alors même que l’auscultation
et la gazométrie de repos sont encore normales.
En l’absence de traitement, le tableau typique apparaît,
associant dyspnée d’effort puis de repos, toux sèche peu
ou pas productive, hyperthermie à 38,5-39 °C.
Une
insuffisance respiratoire aiguë avec cyanose et polypnée
peut alors se développer au terme de l’évolution ;
parfois elle survient d’emblée.
L’auscultation pulmonaire est pauvre la plupart du
temps, pouvant retrouver des râles crépitants bilatéraux,
souvent discrets en regard des anomalies radiologiques.
Si la séropositivité est connue, l’interrogatoire doit
rechercher les antécédents liés à l’infection par le virus
de l’immunodéficience humaine, les traitements antirétroviraux,
les prophylaxies en cours, ainsi que la
dernière numération des lymphocytes CD4.
Si la séropositivité n’est pas connue, l’interrogatoire
doit rechercher un comportement à risque et l’examen
des signes évocateurs d’une infection par le virus de
l’immunodéficience humaine (VIH) : amaigrissement
récent, polyadénopathie, candidose buccale, dermite
séborrhéique, lésions cutanées ou muqueuses de
sarcome de Kaposi, diarrhée, troubles neurologiques.
De principe le diagnostic doit être évoqué chez tout sujet
présentant une pneumopathie interstitielle, ne répondant
pas à une antibiothérapie classique, et faire rechercher
une séropositivité au virus de l’immunodéficience
humaine.
À ce stade il faut pratiquer un certain nombre d’examens
complémentaires, dont obligatoirement une radiographie
pulmonaire et une mesure des gaz du sang afin
d’apprécier la gravité de l’atteinte pulmonaire.
B - Examens complémentaires :
1- Signes d’orientation :
• Radiographie du thorax : normale au début, elle
montre à un stade plus évolué un syndrome interstitiel
avec opacités réticulo-nodulaires, ou alvéolo-interstitiel
bilatéral prédominant aux bases.
L’aspect ultime est
celui de poumon blanc radiologique.
• Gaz du sang : hypoxie normale ou hypocapnie d’importance
variable témoignent d’un effet shunt, avec
baisse de la diffusion de l’oxyde de carbone, et élévation
du gradient alvéolo-artériel en oxygène au repos et à
l’exercice.
Il existe fréquemment une dissociation clinicoradiographique
et gazométrique, une radiographie pulmonaire
normale devant faire évoquer une pneumocystose
en présence d’une hypoxémie.
• Numération formule sanguine : elle objective une
lymphopénie le plus souvent < 500/mm3.
Les hématies,
les polynucléaires neutrophiles et les plaquettes sont
normaux ou abaissés.
• Lacticodéshydrogénases (LDH) sériques : leur taux
est souvent élevé.
Elles ont essentiellement un intérêt
pronostique, leur persistance malgré un traitement bien
conduit étant péjorative.
• Marqueurs d’immunodépression : une déplétion
lymphocytaire CD4 < 200/mm3 est habituelle.
Le bilan biologique doit être complété par un ionogramme
sanguin et urinaire, une créatininémie, un bilan hépatique.
2- Diagnostic positif :
Il nécessite la mise en évidence sur les prélèvements
respiratoires des kystes et trophozoïtes de P. carinii, à
l’examen direct, par la coloration appropriée de Gomori-
Grocott, ou par immunofluorescence spécifique en cas de
doute.
Le résultat est rendu en quelques heures, en tout
cas dans la journée.
• Le lavage broncho-alvéolaire (LBA) est la méthode
de référence, avec une sensibilité et une spécificité
proches de 100 %, y compris chez les patients soumis
à des aérosols prophylactiques de pentamidine.
Nécessitant l’introduction d’un fibroscope souple, il
peut se révéler de réalisation difficile chez les patients
très hypoxémiques, dont il risque d’aggraver l’état.
Dans ce cas, le lavage broncho-alvéolaire peut être réalisé
sous oxygénothérapie, voire sous ventilation assistée,
au masque ou après intubation.
• L’expectoration induite est moins invasive, mais
nettement moins sensible (50 %).
Elle demande une
technique rigoureuse (expectoration aidée par une kinésithérapie
active après aérosol de sérum physiologique),
chez un patient coopérant.
Elle ne permet pas de
diagnostiquer d’autres causes d’infection pulmonaire et
est contre-indiquée chez un patient dyspnéique, fatigué,
ayant des antécédents de pneumothorax ou de tuberculose.
L’usage d’anticorps monoclonaux permet d’en
améliorer la sensibilité. Elle devra être suivie d’un lavage broncho-alvéolaire en cas de négativité.
• Les techniques invasives, biopsie transbronchique ou
à thorax ouvert, ne sont que rarement utilisées.
Diagnostic différentiel :
C’est celui d’une pneumopathie fébrile chez un patient
immunodéprimé.
Devant un syndrome interstitiel, les diagnostics suivants
sont évoqués : toxoplasmose, cryptococcose, cytomégalovirus,
mycobactéries tuberculeuses ou atypiques.
Devant un syndrome alvéolaire, on évoque une origine
bactérienne : pneumocoque ou Hæmophilus sp. si l’infection
est communautaire, staphylocoque, Pseudomonas sp.
ou bactéries du groupe KES (Klebsiella, Enterobacter,
Serratia) si elle est nosocomiale.
Le lavage broncho-alvéolaire et (ou) un brossage protégé
donnent le diagnostic.
Traitement curatif :
A - Signes de gravité :
Il peut s’agir de signes cliniques d’épuisement (tachycardie,
polypnée, tirage), voire de signes de choc
(hypotension, marbrures).
Le principal critère de gravité de la pneumocystose
pulmonaire est la gazométrie initiale en air ambiant.
Elle permet de définir 3 niveaux de gravité : minime
(PaO2 > 70 mmHg) ; modérée (50 < PaO2 < 70 mmHg) ;
sévère (PaO2 < 50 mmHg).
La pneumocystose pulmonaire est une urgence thérapeutique,
nécessitant donc un traitement rapide, qui ne
doit en aucun cas être différé dans l’attente du lavage broncho-alvéolaire puisque P. carinii est identifié sur les
prélèvements d’origine pulmonaire pendant plusieurs
jours ou semaines, même après un traitement bien
conduit.
Il est possible de traiter en ambulatoire, par voie orale,
un patient à l’état général conservé et dont la gazométrie
est peu perturbée (PaO2 > 80 mmHg).
Dans la majorité
des cas, l’hospitalisation s’impose.
B - Traitement de référence :
1- Traitement anti-infectieux :
Le traitement de référence, en l’absence de contreindication,
est l’association triméthoprime-sulfaméthoxazole
ou cotrimoxazole (Bactrim, Eusaprim).
Il est administré par voie orale dans quelques formes
minimes, ou le plus souvent par voie intraveineuse, à la
posologie de 75 à 100 mg/kg/j de sulfaméthoxazole et
de 15 à 20 mg/kg/j de triméthoprime, sans dépasser
6 comprimés de Bactrim Forte, ou 12 ampoules de
Bactrim en intraveineux, à raison de 3 à 4 ampoules
toutes les 6 ou 8 h à passer en 1 h, diluées dans 500 cm3
de sérum glucosé isotonique.
Le traitement doit être poursuivi 3 semaines en moyenne,
systématiquement relayé par un traitement de prévention
secondaire.
2- Oxygénothérapie :
Elle est réalisée par sonde nasale selon la gazométrie.
3- Hospitalisation en réanimation :
Elle est impérative d’emblée si l’hypoxémie est sévère
(PaO2 < 50 mmHg, fréquence respiratoire > 30/min),
ou en cas d’aggravation secondaire.
4- Corticothérapie :
Elle diminue la mortalité des pneumocystoses pulmonaires
sévères quand elle est débutée précocement
(48 h).
Elle limite la réaction inflammatoire alvéolaire,
et réduirait le nombre de réactions allergiques au cotrimoxazole.
Elle est indiquée en présence d’une PaO2 < 70 mmHg en
air ambiant.
La posologie est variable et décroissante sur
21 jours (prednisone : 80 mg/j sur 5 j, 40 mg/j sur 5 j,
20 mg/j sur 11 j).
5- Traitements adjuvants :
La pose d’une voie d’abord veineuse est souvent
nécessaire.
Compte tenu des troubles de la perméabilité alvéolocapillaire, il convient d’éviter une surcharge
volémique.
L’acide folinique en intraveineux (50 mg, 2 fois par
semaine) vise à diminuer la toxicité du cotrimoxazole.
La kinésithérapie respiratoire est systématique.
Le nursage
est adapté à l’état du patient.
6- Traitement antirétroviral :
Il peut être poursuivi pendant le traitement de la pneumocystose
pulmonaire, sauf manifestations d’intolérance
(neutropénie sévère).
Si le patient n’a pas de traitement antirétroviral, celui-ci doit être débuté de préférence
à la fin du traitement d’attaque de la pneumocystose pulmonaire.
7- Déclaration :
La survenue d’une pneumocystose inaugurale doit faire
remplir une déclaration obligatoire.
C - En cas d’allergie au cotrimoxazole :
En cas de réaction modérée (rash, prurit…), certains
poursuivent le traitement par le cotrimoxazole en
ajoutant des antihistaminiques, antiémétiques, antipyrétiques
voire des corticoïdes.
En cas de réaction sévère (décollement cutané bulleux
à type de syndrome de
Lyell, Stevens-Johnson, neutropénie…)
ou de contre-indications, il est immédiatement
arrêté ou il n’est pas débuté.
Plusieurs autres possibilités
thérapeutiques sont disponibles.
1- Iséthionate de pentamidine (Pentacarinat)
:
Il est aussi efficace par voie intraveineuse que le cotrimoxazole,
mais le risque de complications toxiques
graves fait réserver cette modalité thérapeutique aux
pneumocystoses pulmonaires sévères, à la posologie de 2 à 3 mg/kg/j en perfusion lente de 3 à 4 h, sous
surveillance médicale.
Administré sous forme d’aérosols quotidiens à la
posologie de 300 mg/j, sa tolérance est bonne mais la
lenteur de la réponse clinique et le taux élevé de
récidives font réserver cette modalité thérapeutique
aux pneumocystoses pulmonaires peu hypoxémiantes.
En pratique, il est essentiellement utilisé en traitement
de relais, après amélioration clinique.
2- Atovaquone (Wellvone)
:
À la posologie de 750 mg x 3/j, disponible en suspension
buvable, elle est utilisée de plus en plus souvent en
seconde intention en cas de pneumocystose pulmonaire
peu sévère avec allergie au cotrimoxazole, à la place de
la pentamidine.
3- Autres produits moins utilisés :
Cela concerne l’association triméthoprime et diaminodiphénylsulfone
; clindamycine et primaquine, en cas de
pneumocystose peu à modérément sévère ; l’éflornithine
(400 mg/kg/j en intraveineux) ; l’association trimétrexate
(Neutrexin) (30 mg/m2/j en intraveineux) et acide folinique.
D - Surveillance :
1- Efficacité du traitement :
Elle est appréciée quotidiennement sur les signes :
– cliniques : régression de la fièvre, de la dyspnée et
de la toux, amélioration du poids, de l’état général, de
l’index de Karnofsky ;
– biologiques : amélioration de l’hypoxie, normalisation
de la déshydrogénase lactique (LDH) ;
– radiologiques : amélioration à partir de la 1ere semaine,
mais normalisation seulement à la fin du traitement.
2- Tolérance du traitement :
La fréquence des effets secondaires médicamenteux
est très élevée chez les sidéens (de 50 à 80 % pour le cotrimoxazole) et ils doivent être recherchés systématiquement.
• Cotrimoxazole : les effets secondaires, cutanés ou
hématologiques, sont fréquents mais rarement graves.
Les phénomènes d’allergie immédiate sont exceptionnels
(urticaire, oedème de Quincke, choc anaphylactique) et
font interrompre le traitement.
Dans près de 50 % des
cas, on observe des manifestations d’intolérance, qui
surviennent classiquement entre le 8e et le 10e jour,
associant de la fièvre et un rash cutané d’intensités
variables.
Le traitement peut dans ce cas être poursuivi
sous surveillance, les symptômes régressant spontanément
en quelques jours dans la moitié des cas.
La survenue
de décollements cutanés et (ou) muqueux doit faire
immédiatement interrompre le traitement.
Plus rarement, on peut observer des hépatites cytolytiques,
des anomalies de la formule sanguine (neutropénie,
anémie, thrombopénie), une hyperkaliémie, une
insuffisance rénale.
• Pentamidine : l’administration par voie intraveineuse
doit se faire impérativement en milieu hospitalier du fait
de sa toxicité importante : malaise lors de la perfusion
(hypotension), voire choc ; surveillance de la glycémie
(hypoglycémies ou hyperglycémies fréquentes, diabète
parfois irréversible à l’arrêt du traitement), de la fonction
pancréatique (pancréatite aiguë), de la fonction
rénale (insuffisance rénale) et de l’électrocardiogramme
(torsades de pointes).
L’administration par aérosol peut déclencher une toux
ou un bronchospasme, qui peuvent être prévenus par
administration préalable d’un bronchodilatateur.
Traitement prophylactique :
Il protège efficacement de la pneumocystose pulmonaire
(mais n’éradique pas P. carinii qui donne rarement
d’autres localisations : peau, oeil, thyroïde, coeur…).
La
généralisation du traitement prophylactique devrait faire
diminuer, voire disparaître la pneumocystose pulmonaire.
On distingue la prophylaxie primaire qui vise à empêcher
la survenue du 1er épisode de pneumocystose pulmonaire,
et la prophylaxie secondaire qui prévient les rechutes.
A - Prophylaxie primaire :
1- Indications
:
Elle est indiquée chez tout patient séropositif :
– ayant moins de 200 lymphocytes CD4/mm3 ou un
pourcentage de lymphocytes CD4 inférieur à 15 % ;
– quelle que soit la numération des lymphocytes CD4,
lorsqu’une chimiothérapie ou une corticothérapie sont
prescrites ;
– ayant fait une autre infection opportuniste.
2- Modalités
:
Deux traitements sont recommandés :
• triméthoprime-sulfaméthoxazole (Bactrim Forte) :
à la posologie de 1 comprimé par jour (160/800 mg),
c’est le traitement le plus efficace, qui protège également
contre la toxoplasmose cérébrale.
Ses effets secondaires
obligent près de 50 % des patients à l’interrompre,
et à utiliser le second traitement.
La dose de un demi ou
1 comprimé, 1 jour sur 2 est probablement aussi efficace,
mais n’apporte pas une sécurité suffisante vis-à-vis de la
toxoplasmose ;
• pentamidine (Pentacarinat) : cette prévention, moins
efficace que le cotrimoxazole, est très bien tolérée.
Elle est inefficace en prévention de la toxoplasmose.
Elle est indiquée en cas d’allergie sévère aux sulfamides,
à raison de 1 aérosol de 300 mg/mois, précédé de
2 bouffées de salbutamol (Ventoline), dilué dans 6 cm3
d’eau distillée, diffusé en 30 min à un débit de 6 L/min
par un aérosol Respigard II.
• Un autre traitement efficace est l’association pyriméthamine-
sulfadoxine (Fansidar), à raison de 2 comprimés
1 fois par semaine, mais son utilisation est limitée
par le risque d’allergie croisée avec le cotrimoxazole.
B - Prophylaxie secondaire
:
Elle doit être systématique sous peine de récidive certaine.
Elle fait diminuer le taux de rechutes à 1 an de 60 à
5-15 %.
Le traitement dépend de celui reçu par le patient
en traitement d’attaque.
Si le cotrimoxazole a été bien
toléré, il est poursuivi à la dose de 1 comprimé de
Bactrim Forte par jour.
En cas d’intolérance aux sulfamides,
des aérosols mensuels relaient la pentamidine
parentérale.
La prophylaxie secondaire peut être interrompue si le
traitement antirétroviral induit une remontée significative
des CD4 de façon prolongée, en pratique supérieure à
200/mm3 pendant au moins 1 an.
Évolution et pronostic :
En l’absence de traitement, la pneumocystose pulmonaire
est constamment mortelle par insuffisance
respiratoire aiguë.
Sous traitement, l’évolution est le plus souvent
favorable.
Si une aggravation transitoire clinique et
radiologique s’observe classiquement jusqu’au 5e jour,
l’amélioration clinique est nette à partir du 10e jour.
L’absence d’amélioration doit faire rechercher une autre
affection associée.
Un 1er épisode de pneumocystose pulmonaire modérée
est de bon pronostic (70 à 90 % de survie).
Les pneumocystoses
pulmonaires nécessitant un passage en réanimation
ont une mortalité de 50 %.
Les récidives nécessitant une
prise en charge en réanimation ont une mortalité de 90 %.
Conclusion :
La survenue d’une pneumocystose pulmonaire marque
un tournant évolutif dans l’infection par le virus de
l’immunodéficience humaine, car elle signe le passage
au stade C de la classification des CDC (Centers for
Disease Control) c’est-à-dire un syndrome immunodéficitaire
acquis déclaré.
Elle impose, si ce n’est déjà
fait, de débuter un traitement antirétroviral, et de prévoir
une surveillance régulière du patient afin de dépister
d’autres infections opportunistes.