Les manifestations de l’angoisse sont nombreuses, mais
la description du phénomène est assez univoque et
comporte toujours un double versant : une peur sans
objet avec sentiment pénible d’attente et d’appréhension
vague d’un danger imprécis, un cortège de sensations
physiques de constriction et d’oppression.
Par rapport à l’angoisse, l’anxiété aurait une connotation
de moindre intensité avec moindre envahissement par
des symptômes physiques.
Il est devenu d’usage courant
d’employer ces 2 termes presque indifféremment à l’instar
des psychiatres anglo-américains qui n’en disposent
que d’un (anxiety).
L’angoisse « normale » est une expérience commune et
universelle bien que variable selon les individus.
Chacun
a pu connaître le sentiment douloureux de crainte, d’anticipation
pénible, cette impression d’incertitude soit liée
à une situation, soit portant sur un domaine plus abstrait
et plus vaste, celui de l’avenir en général ou de la signification
des phénomènes.
La limite entre anxiété normale et pathologique est difficile
à situer.
Pour un médecin, la notion à retenir est celle de
la tolérance de l’individu et de sa perception de l’anxiété
comme une souffrance.
C’est ce qui fonde la terminologie
de névrose d’angoisse.
Angoisse vient des termes grecs retenus par Hippocrate
« ancho » signifiant serrer, presser et « argon » traduisant
la lutte de l’âme.
Pour l’Académie française en 1684, l’angoisse n’est
qu’un terme vague désignant « toute grande affection de
l’esprit » ; pour le créateur du terme de névrose luimême,
McCullen en 1787, l’anxiété reste un phénomène
très secondaire.
Ce n’est qu’avec P. Janet et surtout
S. Freud (1895-1926) que le concept de névrose
d’angoisse va prendre toute sa dimension descriptive et
compréhensive.
Depuis, l’évolution des courants de pensée, le développement
des approches comportementalistes et de la
neurophysiologie ont contribué au démembrement du
concept de névrose.
La Classification internationale des
troubles mentaux, dans sa dixième révision élaborée en
1993 et toujours d’actualité, a abandonné la distinction
traditionnelle entre névrose et psychose. Néanmoins, le
terme névrotique continue à être utilisé.
Actuellement, la plupart des auteurs ne considèrent plus
la névrose d’angoisse comme une entité individualisée
mais s’accordent à préférer la dichotomie suivante :
trouble anxiété généralisée pour désigner l’anxiété de
fond et trouble panique pour désigner les états anxieux
aigus plus ou moins récurrents.
Le taux de prévalence est évalué à 3% pour le trouble
anxiété généralisée et à 1,5 % pour le trouble panique.
Diagnostic
:
A - Clinique
:
1- Trouble anxiété généralisée
:
L’anxiété est ici un état de fond, la symptomatologie est
plus discrète mais souvent continue depuis plusieurs
années.
Le malade décrit une tension psychique douloureuse,
vague entraînant un sentiment de menace permanente.
L’anxiété se fixe sur tel ou tel souci auquel elle apporte
une vision d’un pessimisme exagéré.
Elle peut également
se traduire par une douleur morale, un désarroi,
une inquiétude excessive, voire un sentiment de dévalorisation.
Il peut exister également une hyperémotivité,
une hyperactivité, une labilité émotionnelle.
Le sujet peut éprouver un sentiment d’attente craintive
en redoutant de manière non fondée un malheur à venir
pour lui-même ou son entourage.
Tout événement extérieur peut réactiver l’angoisse.
Néanmoins, l’angoisse reste sensible à la réassurance.
Il est capital de souligner la difficulté qu’éprouve le
malade à contrôler ses préoccupations psychiques et
l’altération du fonctionnement social qui résulte souvent
de cette maladie.
Les symptômes somatiques peuvent être regroupés en
3 catégories :
• Les symptômes en rapport avec la tension motrice :
tremblements émotionnels, douleurs musculaires,
fébrilité, fatigabilité, hyperréflectivité tendineuse.
• Les symptômes en rapport avec l’hyperexcitabilité :
oppression respiratoire, éréthisme cardiaque, sueurs,
lipothymies, pollakiurie…
• Les symptômes en rapport avec la chronicité des
pensées morbides : troubles du sommeil (retard à l’endormissement,
cauchemars, hypersomnie), baisse de la
libido, asthénie, inhibition douloureuse devant toute
prise de décision.
2- Trouble panique
:
C’est un état anxieux durable constitué par la présence
d’accès aigus d’angoisse (ou attaques de panique) récurrents
et inattendus suivi de préoccupations persistantes
concernant la crainte de récidives ou les conséquences
des accès aigus.
Les attaques de panique sont des manifestations
paroxystiques à début brutal, d’une durée de quelques
minutes à quelques heures, la fin étant volontiers aussi
brutale que le début.
Elles peuvent survenir à tout
moment dans le nycthémère de manière souvent
imprévisible mais il peut exister un facteur déclenchant
tel que l’abus de psychostimulants, un effort physique
chez un sujet prédisposé, une modification métabolique
(perfusion de lactate), l’exposition à une situation
redoutée, etc.
On distingue 4 groupes de symptômes :
• Les symptômes psychiques associent sensation de
danger, de catastrophe voire de mort imminente,
amplification péjorative des stimulus ambiants,
déréalisation (sensation de transformation de l’ambiance),
dépersonnalisation (sensations corporelles
bizarres, impression de transformation corporelle),
perplexité, voire introspection excessive, incapacité
à fixer l’attention, sensation d’impuissance à agir,
à penser.
• Les symptômes psychomoteurs se manifestent sous
forme d’une inhibition ou d’une perte d’initiative pouvant
aller du ralentissement jusqu’à la stupeur anxieuse.
À l’opposé, ils peuvent se traduire par une incapacité à
rester assis ou en place, un comportement désordonné
avec pleurs et cris.
• Les symptômes physiques sont souvent intenses
mais pas toujours objectifs. Ils peuvent concerner
divers appareils et sont résumés dans le tableau.
• Les symptômes neurovégétatifs les plus fréquemment
rencontrés sont : sueur, pâleur, rougeur du visage,
bouffées de chaleur, mains moites, sécheresse de la
bouche.
B - Instruments psychométriques
:
Le diagnostic de l’anxiété est essentiellement clinique.
Néanmoins, 3 types d’instruments psychométriques permettent
d’évaluer ou de dépister un état anxieux.
Les inventaires de psychopathologie générale permettent
de repérer un trouble anxieux émergeant.
Les plus utilisés
sont les tests projectifs : Rorschach, TAT (Thematic
apperception test) et le MMPI (Minesota multiphasic
personality inventory).
Deux autres types d’instruments sont également utilisables
non pas à visée diagnostique mais pour repérer un
trait anxieux et mesurer son évolution au cours du
temps.
On distingue des autoquestionnaires spécifiques de l’anxiété [échelle AMDP-anxiété (Association pour
la méthodologie et la documentation en psychiatrie),
inventaire d’anxiété trait-état de Spielberger] et des
échelles d’hétéro-évaluation dont les plus utilisées dans
cette pathologie sont celles de Hamilton et de Covi.
C - Classifications
:
Deux classifications internationales sont actuellement
couramment utilisées :
Diagnostic and statistic manuel
(DSM-IV) développé par l’American psychiatric association
et la Classification internationale des troubles
mentaux et des troubles du comportement (CIM-10) élaborée
par l’Organisation mondiale de la santé.
Ces classifications proposent des descriptions cliniques,
systèmes de critères et directives pour le diagnostic.
D - Diagnostic différentiel
:
• Les situations de peur ou d’anxiété « normale »
surviennent lors de soucis, inquiétudes, séparations,
deuils, stress…
• Les troubles anxieux induits par une substance :
cocaïne, amphétamines, cannabis, caféine ou lors du
sevrage de barbituriques ou alcoolique…
• Les troubles anxieux liés à une affection médicale
générale (souvent responsable d’anxiété aiguë) : cardiopathies
(atteinte des coronaires, trouble du rythme,
prolapsus mitral), dysthyroïdies, hyperparathyroïdie,
phéochromocytome, crises convulsives temporales,
hypoglycémie, asthme, spasmophilie.
• Les troubles anxieux associés à d’autres troubles
psychiatriques :
– anxiété « fondamentale » du psychotique ;
– anxiété lors des troubles dépressifs ; ici la comorbidité
(association des deux troubles) est fréquente ;
– anxiété associée à d’autres troubles névrotiques :
lutte anxieuse récurrente de l’obsessionnel compulsif,
anxiété situationnelle du phobique, anxiété
« réactionnelle » ou crise théâtrale de l’hystérique,
anxiété à expression corporelle dans le trouble somatisation,
peur irrationnelle d’avoir une maladie grave de
l’hyponcondriaque, peur irrationnelle de prendre du
poids de l’anorexique ;
– anxiété séquellaire d’un état de stress post-traumatique.
Traitement
:
A - Trouble anxiété généralisée
:
Le traitement sera toujours fonction de plusieurs paramètres
: intensité, persistance dans le temps (caractère
intermittent ou continu), retentissement fonctionnel des
symptômes, attentes du patient et effets des éventuels
traitements antérieurs.
Quelques mesures hygiéno-diététiques sont toujours un préambule : diminution de la consommation de substances
excitantes, de café, de tabac, d’alcool.
• Parmi les tranquilisants, les benzodiazépines sont
toutes à peu près d’égale efficacité avec les inconvénients
liés à leur utilisation prolongée (surconsommation,
dépendance, troubles mnésiques, troubles
de la concentration, somnolence, effets paradoxaux
de type désinhibition, irritabilité, confusion).
À l’occasion
d’un traitement prolongé et en recherchant le
minimum de sédation, on peut proposer : le clorazépate
(Tranxène) ou le prazépam (Lysanxia) à la dose pour
les 2 de 3 fois 10 mg/j.
• La buspirone (Buspar) est un anxiolytique original
dépourvu d’effets sédatifs mais à l’efficacité différée et
inconstante.
• Certains antidépresseurs sont également efficaces
dans cette indication et en dehors même de toute pathologie
dépressive associée et peuvent constituer une alternative
thérapeutique.
Leur utilisation est encore assez
peu documentée.
Leurs effets seraient retardés et s’obtiennent
à des doses inférieures à celles en usage pour le
traitement de la dépression.
La venlafaxine (Effexor),
nouvelle molécule mixte (sérotoninergique et noradrénergique),
a récemment obtenu l’autorisation de mise
sur le marché (AMM) dans cette indication à la dose
moyenne de 100 mg/j.
• La psychothérapie est toujours indiquée en association
aux médicaments.
Plusieurs techniques sont envisageables
du simple soutien lors des consultations médicales aux
relaxations et à des stratégies plus complexes, notamment cognitivo-comportementales.
La durée du traitement au long cours de l’anxiété est
toujours de plusieurs mois.
L’opportunité du maintien
du traitement doit être constamment réévaluée.
L’objectif de la thérapeutique étant, au-delà de la simple
amélioration symptomatique, la réapparition du bienêtre
et la diminution du handicap social.
B - Trouble de panique
:
1- Traitement immédiat
:
La crise aiguë d’angoisse est un état douloureux tant au
plan physique que psychique. Son traitement est donc
une urgence médicale.
Il convient tout d’abord d’isoler le patient de l’entourage
et de le reassurer sur l’absence de gravité et le caractère
transitoire du trouble.
Il faut faire cesser l’hyperventilation
en lui proposant de respirer de manière ample et lente,
le cas échéant en respirant dans un sac quelques
instants.
Les tranquillisants constituent la seule thérapeutique
médicamenteuse.
Les benzodiazépines sont particulièrement
indiquées.
La voie orale ou sublinguale est préférable
à la voie intramusculaire.
En effet, la voie intramusculaire
a un effet pharmacologique plus lent.
L’injection peut
être vécue soit comme néfaste en dramatisant la situation
ou au contraire de manière particulièrement sécurisante
en médicalisant davantage le geste thérapeutique.
Toutes les benzodiazépines peuvent être utilisées.
On
peut proposer par exemple : 10 à 50 mg de clorazépate
(Tranxène) ou 3 à 6 mg de bromazépam (Lexomil) à
renouveler si nécessaire.
2- Traitement prophylactique de la récurrence
:
• Les benzodiazépines sont indiquées avec les mêmes
précautions d’emploi citées dans le chapitre précédent.
L’alprazolam (Xanax) à des doses de 2 à 8 mg/j a été
particulièrement documenté dans cette indication. La
durée du traitement est de plusieurs mois en recherchant
toujours la dose minimale efficace.
• Les antidépresseurs sont également efficaces.
Les
antidépresseurs tricycliques doivent être introduits à
dose progressive.
Ils ont l’inconvénient de leurs effets
secondaires nombreux, notamment atropiniques.
Deux antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la
sérotonine (IRS), la paroxétine (Deroxat) et le citalopram
(Séropram), ont actuellement l’autorisation de mise sur
le marché dans cette indication à des doses pour les
2 de 20 à 60 mg/j.
La durée du traitement recommandée
est d’au moins 1 an.
• La psychothérapie, là encore, en dehors de la psychothérapie
de soutien, fait appel essentiellement aux
stratégies cognitivo-comportementales ou plus rarement
d’inspiration psychanalytique dans le cas où sont associés
des troubles de la personnalité ou d’autres symptômes
névrotiques. Elle sera utilement associée aux médicaments.