Lipothymie, syncope et perte de connaissance brève Cours
de cardiologie
Cest très souvent un signe fonctionnel qui justifie la
consultation de cardiologie et la syncope, si elle nest pas
le plus fréquent, en est souvent lun des plus inquiétants
parfois pour le malade, souvent pour le praticien et toujours
pour lentourage.
Elle peut en effet recouvrir des
situations diagnostiques et pronostiques très diverses qui
vont de la banale réaction vasovagale quasi « physiologique
» à la mort subite « avortée ».
Démêler le banal du
dramatique, décider labstention thérapeutique ou lintervention
lourde sera la tâche difficile qui attend le cardiologue
face à un patient qui consulte pour syncope.
Cette
tâche sera dautant plus rude que le diagnostic devra bien
souvent être fondé sur les seules données de la clinique
sans le recours considéré, en cette fin de vingtième siècle,
comme rassurant aux examens complémentaires.
Lypothymie :
Vouloir donner une définition de ce terme relève de limpossible
: aucun malade ne lemploie et aucun médecin non
plus, lun et lautre utilisant le mot « malaise ».
La question
devient insoluble lorsque lon sait quil nexiste aucun
début dexplication médicale de ce dernier terme et pourtant
des malades consultent pour « cela ».
Sans vouloir trancher
un débat qui nécessiterait des heures de discussion
pour probablement ne pas lêtre, il me semble que deux
situations méritent dêtre individualisées :
le « malaise » est dapparition progressive, de durée prolongée
et de disparition lente.
Ce terme nest alors employé
que pour « cacher » dautres symptômes médicaux plus précis
: vertiges, dyspnée, angoisse, etc.
Lorigine cardiaque
est très peu probable et, en fonction de linterrogatoire qui
reste le temps essentiel, il faut orienter le malade vers
lORL ou le psychiatre ou un autre spécialiste ;
le « malaise » est brutal, bref avec retour immédiat à un
état de conscience habituel ; lorigine cardiaque est possible,
le « malaise » nétant alors quune syncope « avortée
» et nécessitant la même conduite diagnostique.
Syncope :
A - Définition :
La syncope se définit comme une perte de connaissance
totale à début brusque responsable dune perte du tonus
postural avec retour spontané à un état de conscience normale.
Cette définition peut paraître précise mais, en fait,
elle prête à discussion sur ses quatre notions principales :
« perte de connaissance totale » élimine du cadre des syncopes
les lipothymies qui, elles, nont aucune définition
même si les médecins savent « en gros » de quoi il sagit.
La distinction entre ces deux entités est en pratique difficile
surtout chez les sujets âgés aux réponses hésitantes,
dautant que peuvent coexister chez un même patient syncope
et « malaise » qui nest alors quune forme avortée de
syncope ;
« début brusque » pose la question de la définition de
« brusque ».
Est-ce « instantané » ? mais alors nombre dauthentiques
syncopes seront considérées comme « autre
chose » et, si ce nest pas le cas, quel délai faut-il admettre
pour cette « brusquerie » ? quelques secondes et certainement
pas plus mais combien ?
« retour spontané » exclut théoriquement du cadre des
syncopes les morts subites « récupérées ».
Mais peut-on
empêcher les témoins, éventuellement formés aux gestes
de réanimation élémentaires, de porter secours à un proche
qui perd connaissance et alors artificiellement et a posteriori
de le faire entrer dans un cadre plutôt que dans un
autre ?
À mon avis, seuls les patients ayant bénéficié dun
choc électrique pour un trouble du rythme ventriculaire
dûment documenté font partie des morts subites récupérées les autres, sont des syncopes même si ils ont été
« aidés » pour reprendre connaissance ;
« retour à un état de conscience normal » est une notion
introduite pour distinguer la syncope de lépilepsie. Cette
dernière pathologie provoquant habituellement une obnubilation
de plusieurs minutes après laccès mais elle peut
se rencontrer après un arrêt circulatoire prolongé quelle
quen soit la cause.
Cette discussion na pas pour but de déboucher sur une
autre définition de la syncope qui serait tout aussi discutable
mais dinsister sur limportance de linterrogatoire
dans le diagnostic positif du symptôme lui-même.
Finalement,
linterprétation de la définition se fera soit sur un
mode « libéral » qui nélimine aucune syncope mais risque
dinclure quelques lipothymies, voire épilepsie, soit sur un
mode strict qui élimine tout ce qui nest pas syncope mais
au prix de lexclusion de quelques-unes dentre elles.
Selon
le mode choisi, qui peut varier dun malade à lautre, la
conduite diagnostique peut et devrait même être différente.
B - Épidémiologie
:
La discussion précédente a le mérite dexpliquer, au moins
partiellement, les discordances concernant lépidémiologie
de la syncope.
Si tous les auteurs, confortés par leur
pratique quotidienne, saccordent à considérer quil sagit
dun symptôme fréquent, les discordances apparaissent
lorsquil faut le chiffrer.
Seules des statistiques hospitalières
nord-américaines sont à notre disposition et elles estiment
le pourcentage de sujets admis pour syncope entre 1
et 6 % de lensemble des hospitalisés.
Ces chiffres sont
probablement du même ordre en France mais aucune donnée
précise nest jusqualors publiée.
Dans létude épidémiologique
prospective de Framingham au cours dun suivi
de 13 ans de sujets dâge adulte, une syncope survient chez
3 % des hommes et 3,5 % des femmes.
La prévalence est
clairement proportionnelle à lâge : de 0,7 % chez les
hommes de 35 à 44 ans à 5,6 % chez ceux de plus de 75 ans.
Il faut souligner que cette étude exclut les sujets jeunes et
les adolescents, si bien que la relation entre prévalence et
âge nest jusquà preuve formelle du contraire valable que
chez ladulte.
Une notion dimportance, tout au moins en gériatrie : le taux de récidive est élevé chez les sujets de
plus de 75 ans puisquil est de 30 %.
La syncope, par la perte du tonus postural quelle induit, est
responsable de chutes et donc de traumatismes.
Les chiffres
sont là concordants : ces traumatisme concernent environ un
tiers des patients mais sont de gravité variable, le plus souvent
« bénins », ils peuvent être graves (3 % de fractures du
crâne ou de la face dans une série personnelle).
La responsabilité
des syncopes dans les accidents de la voie publique
est mal connue : dans létude mentionnée ci-dessus 5 % des
patients ont eu un accident de la voie publique dont ils ont
attribué la responsabilité à la perte de connaissance.
C - Clinique :
Si le diagnostic positif dune syncope est aisé dans la majorité
des cas avec les réserves mentionnées ci-dessus, son
diagnostic étiologique est difficile et son succès est dominé
par les résultats de linterrogatoire et de lexamen clinique.
La syncope a généralement lieu en dehors de toute présence
médicale et même si ce nest pas le cas la « thérapeutique
» prend le pas sur le diagnostic.
Cest donc a posteriori,
et parfois très a posteriori, quil faut reconstituer les
circonstances qui ont entouré la perte de connaissance en
sachant que chaque détail peut compter.
Dans cette quête,
quasi policière, et comme dans toute bonne enquête, linterrogatoire
des témoins est primordiale et pourtant souvent
omis : circonstances et position du sujet avant la perte
de connaissance, durée (elle est souvent surestimée), état
du patient (pâleur, mouvements cloniques, etc.), retour de
la conscience brusque ou non, etc.
Cest toujours la question
que lon na pas posé qui était la plus importante !
Si linterrogatoire est indiscutablement le temps essentiel
de lexamen dun patient qui consulte pour syncope, lexamen
clinique en est le complément nécessaire : recherche
dun souffle cardiaque, vasculaire, prise de la pression artérielle
debout et couché à la recherche dune hypotension
orthostatique et massage sinocarotidien, gestes qui doivent
faire partie de toute enquête étiologique chez ce type de
patient.
Cette liste nest évidemment pas exhaustive et doit
évoluer en fonction de linterrogatoire (une syncope deffort
oriente vers un obstacle à léjection ventriculaire
gauche ou un trouble du rythme catécholergique) et des
premiers résultats de lexamen.
Finalement cest au moins
un diagnostic sur deux qui est fait à lissue de cette enquête
clinique sans lapport daucun examen complémentaire.
D - Examens complémentaires :
1- Électrocardiogramme (ECG) :
Il fait partie intégrante et obligatoire de lexamen dun
patient qui a fait une syncope.
Sa rentabilité diagnostique
est difficilement dissociable de celle de lexamen clinique :
un coeur lent à lauscultation correspond à une bradycardie
sur lECG.
En dehors de cette constatation évidente, il
apporte des arguments pour ou contre une origine cardiaque
: un bloc complet dune branche du faisceau de His,
un trouble de la repolarisation, des signes dhypertrophie
ventriculaire gauche, etc.
LECG est anormal dans 50%
des cas mais les signes sont souvent peu spécifiques : hémibloc antérieur gauche, cicatrice dinfarctus du myocarde,
etc.
Finalement il nest considéré comme contribuant de
façon définitive et formelle au diagnostic dune syncope
que dans 2 à 13 % des cas.
2- Enregistrement électrocardiographique
de longue durée (ELD)
:
Quil sagisse dune surveillance monitorée ou dun enregistrement
Holter, la sensibilité et la spécificité de ces tests
sont inconnues en raison du manque de critères pathologiques
bien définis et dun test de référence indépendant
du test analysé.
Dans la littérature lenregistrement électrocardiographique
de longue durée contribue de façon prépondérante
au diagnostic de syncope dans 5 à 27 % des cas
de ceux qui restent inconnus après les examens clinique et
ECG standard.
Cette large fourchette correspond au
« poids » diagnostique que chaque auteur accorde à chaque
examen.
Dintroduction plus récente et dévaluation moins complète
lenregistrement séquentiel volontaire peut incontestablement
être utile.
Ses limitations sont celles des enregistrements électrocardiographiques de longue durée mais
par rapport à ces derniers, il repousse les limites de la durée
de surveillance de 24 ou 48 heures à plusieurs jours.
Son
apport est donc maximal chez les patients dont les syncopes
sont fréquentes mais pas trop.
Lenregistrement de
lECG contemporain du symptôme est dune valeur irremplaçable
: un trouble du rythme ou de la conduction permet
un diagnostic de certitude, bien rare dans le cadre des
syncopes ; à linverse, labsence de modification du rythme
cardiaque permet de penser que la perte de connaissance
est dorigine vaso-dépressive ou dévoquer une origine psychologique.
De concept identique mais de conception différente est
lenregistreur implantable, récemment commercialisé.
En
contrepartie dune surveillance de plusieurs mois il nécessite
une implantation sous-cutanée et une impossibilité de restérilisation, doù un coût élevé.
Son principe de fonctionnement
est par ailleurs celui dun enregistreur dévénements.
3- Électrocardiographie haute amplification :
Examen non invasif, marqueur du risque de trouble du
rythme ventriculaire, son intérêt dans le cadre de lévaluation
dune syncope réside dans le fait, lorsquil est négatif
(aucun potentiel tardif), de rendre très improbable une
tachycardie ventriculaire.
Ce test nétablit pas de diagnostic
mais peut aider à sélectionner les patients chez lesquels
un trouble du rythme ventriculaire devra plus particulièrement
être recherché.
4- Exploration électrophysiologique (EEP)
:
Longtemps considérée comme lexamen du dernier recours
chez les patients hospitalisés pour syncope, sa place sest
précisée depuis lintroduction du test dinclinaison.
Il sagit
en effet dun examen invasif comportant une morbidité très
limitée mais non nulle.
Son but est daffiner limportance
des troubles conductifs ou de déclencher des troubles du
rythme que les examens non invasifs navaient pas mis en évidence.
Sa réalisation comporte lintroduction par ponction
dune grosse veine périphérique dune ou plusieurs électrodes
(en général 2) à lintérieur des cavités cardiaques pour
en enregistrer les potentiels et les stimuler.
De façon assez
schématique, lexploration électrophysiologique permet de
mettre en évidence un temps de conduction sous-hisien prolongé
que ne pouvait laisser supposer un électrocardiogramme
de surface, un trouble conductif intra-hisien, voire
de provoquer le blocage dune onde P.
Cela dans le cadre
des bradycardies ; dans celui des tachycardies, lexploration électrophysiologique peut permettre dinduire une tachycardie
atriale, jonctionnelle ou ventriculaire ignorée jusquelà.
Sa rentabilité diagnostique est cependant faible dans le
cadre des syncopes : certainement moins de 2 %.
Il faut en
effet séparer une anomalie détectée (par exemple un espace
AH long), sans signification diagnostique pour la syncope,
de celle qui au contraire en possède : une tâche qui nest pas
toujours facile et qui, là encore, dépend du « poids » que chacun
donne à chaque anomalie en fonction du contexte.
Par
exemple, un espace HV « long » chez un sujet de la cinquantaine
a une plus grande valeur pour prédire un bloc auriculo-ventriculaire que la même anomalie chez un sujet de
75 ans porteur dune cardiopathie évoluée (une tachycardie
serait, dans ce dernier cas, plus probable).
5- Test dinclinaison (TI) :
Introduit à la fin des années 80 il est devenu lun des examens
clés dans linvestigation diagnostique dune syncope.
Il consiste à maintenir en position inclinée, en général 60°,
sans bouger pendant plusieurs dizaines de minutes (habituellement
45), un sujet suspect davoir fait une syncope vasovagale.
Lintérêt de ce test est justement de reproduire
la syncope avec alors enregistrement dune brusque chute tensionnelle associée ou non à, une bradycardie parfois
extrême puisque des pauses ventriculaires supérieures à
20 secondes ont été constatées.
Environ 50 % des sujets qui
ont une syncope inexpliquée après les examens usuels ont
un TI positif.
Ladjonction de produits « facilitateurs » tels
quisoprénaline ou dérivés nitrés augmente la rentabilité
du TI à 65 % environ au prix toutefois dune perte modeste
de spécificité qui passe de 90 % environ pour un TI passif
à 75 % environ avec lisoprénaline.
La reproductibilité dun TI négatif est proche de 100 %,
celle dun TI positif dépend du délai entre les deux examens
mais se situe en moyenne à 70 %.
6- Autres tests
:
Ils ne sont mentionnés ici que pour dénoncer leur inutilité,
sauf cas très particulier, dans lévaluation dun patient souffrant
de syncope dûment diagnostiquée comme telle.
Il en
est ainsi des explorations des vaisseaux du cou, de lélectroencéphalographie
ou du scanner cérébral. Même sils
détectent des anomalies, ce ne sont pas elles qui sont la
cause de la syncope, donc pourquoi les demander !
7- Examen psychiatrique :
Bien quil ne sagisse pas dun examen complémentaire il
sera mentionné dans cette rubrique car il nécessite lintervention
dun praticien qui nest pas celui qui habituellement prend en charge le patient.
La fréquence de ces formes
« psychiatriques » de syncope est peu évaluée mais certainement
sous-estimée et il ne faut pas hésiter à avoir recours
à cette possibilité lorsque le diagnostic reste incertain.
Étiologie des syncopes :
Dans le courant des années 80 moins de 2 syncopes sur 3
recevaient un diagnostic en dépit dinvestigations exhaustives
parfois répétées.
Lintroduction du TI et une meilleure
prise en charge clinique a permis daméliorer nettement ce
chiffre et il est probable, bien quil ny ait pas de série
récente, quun diagnostic étiologique est porté dans près
de 90 % des cas.
Il ne faut cependant pas perdre de vue que
la découverte dun diagnostic nest pas toujours équivalent
à celui du diagnostic réel, surtout chez les sujets âgés.
Par
exemple, le déclenchement dune tachycardie ventriculaire
chez un patient ayant une cardiopathie est un fait capital
mais sa syncope a pu être dorigine vasovagale si le TI
est positif alors quel diagnostic choisir ?
Cela pour montrer que si labsence de diagnostic gêne, il est des cas où
son abondance nuit.
Le tableau donne les principales causes de syncope mais
na pas la prétention dêtre exhaustif. Afin de fixer les idées
sur la fréquence des principaux chapitres, les chiffres suivants
peuvent être proposés : neurocardiogéniques (50 %),
troubles du rythme ou de la conduction (15 %), cardiopathies
(10 %), hypotention orthostatique (5 %), causes
diverses (entre 5 et 10 %), restent donc 10 à 15 % de causes
« inconnues ».
Conduite diagnostique :
Elle est centrée par le résultat de linterrogatoire, de lexamen
clinique et de lECG.
Dans plus dun cas sur deux les
examens sarrêteront là puisque le diagnostic sera fait. Dans
les autres cas, cest le résultat obtenu par ces examens cliniques
qui guideront le choix et lordre des explorations
complémentaires.
Si le patient a une cardiopathie documentée,
éventuellement après la réalisation dune échocardiographie,
ou un ECG de base pathologique (par
exemple trouble conductif), alors il faut sorienter vers la
recherche dun trouble du rythme ou de la conduction : holter
et exploration électrophysiologique.
Si, par contre,
lexamen clinique est normal ainsi que lECG éventuellement
léchocardiographie, cest un TI qui devra prioritairement
être réalisé.