Les hypertensions gravidiques représentent un groupe d’affections
dont la nature et les mécanismes restent imparfaitement classifiés.
Une telle situation concerne 10 à 15 % des femmes enceintes, ce qui
est considérable.
Elle représente par ailleurs, sous nos climats, la
première cause de morbidité et de mortalité périnatales.
« Maladie des hypothèses », la prééclampsie a été aussi une
« maladie des dogmes » et nombre de vérités successives et
contradictoires ont été défendues avec une rare passion, au mépris
de tout étayage scientifique.
Avec le temps cependant, la recherche
physiopathologique a beaucoup progressé et des acquis essentiels
ont pu être obtenus.
Lorsque nous avons rédigé la précédente
édition de cette revue générale, quelques pièces éparses d’un puzzle
nouveau pouvaient être présentées.
Aujourd’hui, le puzzle n’est
certes pas complet, mais une logique d’ensemble se dessine de plus
en plus clairement.
Définitions et classification
:
Le terme d’hypertension gravidique regroupe des entités très
disparates.
Nous en envisageons successivement les faits cliniques
d’observation, puis les classifications qui en sont proposées.
A - SYMPTÔMES
:
Les désordres hypertensifs de la grossesse s’articulent autour de
deux symptômes principaux, hypertension et protéinurie.
Le
troisième symptôme classique, les oedèmes, est aujourd’hui
abandonné dans les classifications.
1- Hypertension
:
La définition de l’hypertension au cours de la grossesse n’est pas
aussi claire qu’en d’autres circonstances, puisque la pression
artérielle (Pa) baisse physiologiquement en début de grossesse.
Une Pa diastolique supérieure ou égale à 90 mmHg à au moins deux
mesures successives séparées d’au moins 4 heures est le critère
habituellement admis.
L’ancienne définition fondée sur une
augmentation de 30 mmHg ou plus à deux examens successifs n’est
plus retenue aujourd’hui.
La Pa systolique, bien plus labile chez la
femme enceinte, est un critère fragile.
Néanmoins, la dernière
recommandation du National High Blood Pressure Education
Program (NHBPEP), dont un groupe de travail sur l’hypertension
artérielle au cours de la grossesse a publié un rapport en 2000,
stipule des valeurs de 140 mmHg pour la systolique ou 90 mmHg
pour la diastolique.
Nous faisons régulièrement référence à cette
recommandation dans la mesure où elle fait autorité.
Les mesures de la Pa sont délicates chez la femme enceinte en raison
de sa labilité (rappelons que le débit cardiaque est accru de 30 %).
Il
est essentiel de pratiquer ces mesures sur un sujet aussi détendu
que possible, et à distance de l’examen gynécologique.
La position
la plus usitée est la position assise, après quelques minutes de mise
au calme et de conversation.
Des débats sans fin concernent le choix
de la phase IV ou V de Korotkoff.
Cette dernière a actuellement la
faveur, mais pas l’unanimité.
Les chiffres tensionnels sont très variables chez un même sujet, pour
cette raison les mesures doivent être itératives.
Dans cette variabilité
intervient le facteur de stress, dont la participation peut être
grossièrement estimée en mesurant la fréquence cardiaque.
Mais un
important facteur de variation est aussi introduit par le rythme
nycthéméral, très marqué, mais aussi inversé lors des hypertensions,
avec un maximum nocturne.
La mesure ambulatoire de pression artérielle (MAPA) n’est pas
reconnue comme critère du diagnostic.
Dans quelques cas, elle peut
néanmoins aider à reconnaître les hypertensions dites « de la blouse blanche ».
Les valeurs de normalité dans la grossesse en sont à peu
près établies.
Aucune valeur prédictive n’a pu lui être attribuée
jusqu’à présent.
2- Protéinurie
:
La protéinurie est, elle aussi, définie très diversement.
Dans la
pratique obstétricale (surtout outre-Atlantique), sa quantification se
limite souvent à un nombre de « croix » à la bandelette, estimation
entachée de nombreuses erreurs. Un recueil des 24 heures n’est
malheureusement que rarement effectué.
La protéinurie est dite
« significative » si elle excède 1 g/L sur un échantillon ou 0,3 g sur
les urines de 24 heures.
Une telle protéinurie vient se surajouter à l’hypertension dans
quelque 10 % des cas.
Elle ne la précède pas, mais lui succède
pratiquement toujours, constituant le tableau de la prééclampsie.
Les quelques
exceptions à cette règle révèlent habituellement des néphropathies
antérieures méconnues.
Cette
protéinurie est de type glomérulaire et comporte une albuminurie
prédominante.
3- OEdèmes :
Ce troisième élément de la triade symptomatique caractérisant la
prééclampsie n’entre plus dans une définition pathologique
aujourd’hui. De fait, des oedèmes surviennent à un moment ou
un autre dans 80 % des grossesses normales.
Il n’en reste pas moins que des oedèmes diffus, touchant les
membres inférieurs, mais aussi les mains (signe de la bague) et la
face, peuvent représenter un signe d’alarme, surtout s’ils sont
majeurs et de constitution brutale.
B - CLASSIFICATION
:
L’apparition d’une hypertension au cours d’une grossesse n’a pas
une signification univoque.
Une première classification rationnelle
en a été publiée en 1972 sous l’égide de l’American College of
Obstetricians and Gynecologists (ACOG) ; elle a subi par la suite
des modifications mineures.
Une autre classification a été proposée
en 1988 par un comité de la Société internationale pour l’étude de
l’hypertension de la grossesse (ISSHP).
La dernière en date est
celle du NHBPEP dont nous avons déjà évoqué le récent rapport.
C’est celle-ci que nous résumons ici, pour des raisons d’actualité
plus que de fiabilité ou de nouveauté.
En réalité, toutes tournent
autour des mêmes termes et comportent les mêmes faiblesses.
1- Classification du NHBPEP
:
Cette classification sépare les hypertensions de la grossesse en quatre
grandes catégories.
– Hypertension chronique : il s’agit d’une hypertension qui est
présente avant la grossesse, ou constatée avant la 20e semaine de
grossesse.
La valeur seuil de définition de l’hypertension est
140/90 mmHg.
Toute hypertension constatée durant la grossesse et
qui ne disparaît pas en post-partum relève de la même rubrique.
– Prééclampsie-éclampsie : c’est un syndrome spécifique de l’état
gravide.
Il apparaît le plus souvent après la 20e semaine et associe
hypertension et protéinurie, selon les valeurs seuils indiquées plus
haut.
Les auteurs reconnaissent qu’aux valeurs seuils, la spécificité de
cette définition est médiocre.
Le « niveau de certitude du
diagnostic » est plus élevé en cas de Pa systolique de 160 mmHg ou
plus, Pa diastolique de 110 mmHg ou plus, protéinurie de 2 g/24 h
ou plus, créatininémie de 12 mg/L ou plus, thrombopénie, céphalées
ou troubles visuels, douleur en barre épigastrique.
Ces critères
définissent en réalité les formes graves de la prééclampsie, assorties
d’un risque particulièrement élevé d’accidents maternels et/ou
foetaux.
L’éclampsie consiste en la survenue, chez une femme prééclamptique, de convulsions sans autre cause individualisable.
– Prééclampsie surajoutée : c’est l’apparition d’une protéinurie
significative chez une femme atteinte d’une hypertension chronique.
Le pronostic rejoint alors celui de la prééclampsie.
Le même
diagnostic est admis en cas de majoration brutale d’une
hypertension jusqu’alors sans problème, de thrombopénie ou de
cytolyse hépatique.
– Hypertension gestationnelle (ou gravidique) : il s’agit d’une
hypertension constatée pour la première fois après la 20e semaine.
Puisque la protéinurie peut toujours apparaître secondairement, ce
diagnostic n’est définitivement établi qu’en post-partum.
Si par
ailleurs l’hypertension régresse complètement dans les 12 semaines
qui suivent l’accouchement, il s’agit d’une hypertension transitoire
de la grossesse.
Nous mentionnons enfin le tableau particulier (non inclus dans cette
classification) de la protéinurie sans hypertension, ou au moins la
précédant largement.
Une protéinurie discrète peut relever de la
seule augmentation physiologique de la filtration glomérulaire. Une
protéinurie supérieure à 1 g/24 h relève très probablement d’une
néphropathie autonome, découverte à l’occasion de la grossesse.
2- Situation confuse
:
Si les définitions données plus haut sont supposées faire autorité,
elles ne sauraient satisfaire ni le clinicien ni le chercheur.
La
littérature fait du reste état de définitions largement divergentes qui
rendent les études difficilement comparables entre elles.
Qui plus
est, diverses sociétés scientifiques nationales ont établi leur propre
classification et défini leurs propres critères, ce qui génère une
confusion considérable.
Il est vrai que le même vocable désigne des situations dont la gravité
peut être très différente.
Les classificateurs reconnaissent avoir
cherché des définitions « minimalistes » pour éviter les erreurs de
diagnostic par défaut, quitte à en faire par excès.
Cette attitude
suggère des « correctifs ».
Ainsi l’on parle d’hypertension « sévère » si :
– la Pa diastolique est mesurée ne serait-ce qu’une fois à 120 mmHg
ou plus ;
– ou si elle est mesurée à 110 mmHg ou plus à au moins deux
occasions séparées de plus de 4 heures.
De même, la prééclampsie est séparée en deux formes, « légère » et
« sévère ».
La distinction est d’importance car si le pronostic de la
première n’est pas trop éloigné de celui d’une hypertension
gravidique simple, celui de la seconde est d’une extrême gravité et
nécessite des mesures thérapeutiques immédiates, doublées du
recours à une maternité de niveau 3.
Malheureusement, il n’existe
pas de critères stricts pour tracer la limite entre ces deux formes, et
chacun peut donc se référer à son seul jugement personnel.
Dans ce désordre, le rapport du NHBPEP admet qu’il faudrait une
définition réservée à la recherche (ne prenant en compte que les
formes majeures de valeur pronostique sans ambiguïté), et une autre
réservée à la clinique (admettant des formes moins graves et moins
différenciées) !
Weinstein a décrit, en 1982, un syndrome essentiellement biologique
qu’il a nommé HELLP, associant une hémolyse intravasculaire
modérée, une élévation des transaminases (le plus souvent modérée,
deux à quatre fois la normale), et une thrombopénie s’aggravant
progressivement.
Les signes cliniques en surviennent dans le
troisième trimestre et associent un malaise général (90 %), une
douleur en barre épigastrique, ou limitée à l’hypocondre droit
(90 %), des nausées et vomissements (50 %).
Ce syndrome est associé
à un très mauvais pronostic foetal, voire maternel et, en dépit de
quelques tentatives thérapeutiques héroïques (immunoglobulines
[Ig], échanges plasmatiques...), la plupart des auteurs s’accordent à
considérer comme seule issue une terminaison rapide de la
grossesse.
Ce syndrome est mentionné ici car il est souvent (mais pas toujours)
associé à une hypertension et une protéinurie.
Il a ainsi été considéré alternativement, soit comme une complication de la prééclampsie,
soit comme une variante symptomatique de celle-ci.
Sa pathogénie
demeure l’objet de spéculations.
Épidémiologie
:
L’incidence de l’hypertension gravidique est estimée entre 10 et 15 %
des grossesses.
La fréquence en est voisine dans la plupart des pays
d’Europe et aux États-Unis, hormis quelques études qui
surévaluent cette fréquence du fait d’une définition plus laxiste.
Quelque 10 % de ces femmes (2 à 3 % de la population) ont une prééclampsie (selon la définition ci-dessus).
Le pourcentage de prééclampsie, et surtout de prééclampsie grave, est en fait bien plus
variable suivant les pays, avec une incidence nettement plus élevée
dans les pays en voie de développement.
La prééclampsie est
assortie d’une mortalité maternelle, variable suivant les pays, entre
0,1 et 5 pour 1 000 cas, voire plus. Cette mortalité est largement
concentrée chez les patientes ayant un syndrome HELLP.
Même
si l’éclampsie (crise convulsive) est devenue un accident rare
(0,56‰ naissances), du moins sous nos climats, elle reste une
éventualité particulièrement grave.
Une mortalité maternelle de 5 %
a été rapportée en Australie en cas d’éclampsie.
Les hypertensions gravidiques apparaissent volontiers dès la
première grossesse, l’âge de celle-ci n’étant pas fondamentalement
différent de celui des grossesses normales.
La classique distribution
en « double-bosse » (un pic chez les très jeunes femmes de moins de
20 ans, un second pic au-delà de 37-40 ans) n’est plus observée
actuellement sous nos climats, mais le reste dans certains pays en
voie de développement.
En France, la fréquence de l’hypertension et de la prééclampsie ne
diffère pas suivant les groupes ethniques. Des données plus
discordantes ont été rapportées aux États-Unis.
Les différences
entre catégories socioprofessionnelles sont modestes et les catégories
dites « défavorisées » ne sont pas plus exposées que d’autres.
Dans
une étude française, il a été observé une fréquence en excès chez les
cadres supérieurs et professions libérales, mais aussi chez les
personnels de service, par rapport aux employées de bureau et de
commerce, ou aux ouvrières.
La fréquence apparaissait plus basse
chez les femmes « sans profession ».
Ces faits permettent de
supposer que le risque d’avoir une hypertension gravidique soit
plus élevé chez les femmes qui ont une activité physique ou
intellectuelle importante, et/ou une couverture sociale médiocre.
L’obésité est un facteur favorisant retrouvé dans toutes les études.
De même, la fréquence de la prééclampsie est plus basse chez les
fumeuses.
L’explication de ce dernier fait n’est pas connue.
Tableaux cliniques
:
Ils sont de présentation et de gravité diverses.
D’après
Friedman et Neff, indique le risque relatif de mort foetale en
fonction du degré de l’hypertension et de la protéinurie.
On voit
clairement sur ce tableau que l’hypertension, tant qu’elle est isolée,
s’accompagne d’une majoration modeste du risque foetal.
Il en est
de même d’une protéinurie isolée.
Ce sont les tableaux associant les
valeurs maximales de ces deux paramètres qui comportent un risque
foetal majeur.
Ce risque foetal va habituellement de pair avec le
risque de complications maternelles.
A - HYPERTENSION SIMPLE
:
Une hypertension isolée au cours de la grossesse n’obère donc que
modestement le pronostic de celle-ci, avec un risque relatif variant
de 1 à 3.
Selon les classifications ci-dessus, cette hypertension peut
être « gravidique » ou « chronique » ; la différence n’est pas toujours
aisée à faire sur l’instant, même si le classique critère des
20 semaines est habituellement utilisé comme repérage.
Quelques
études assignent un pronostic un peu plus péjoratif aux
hypertensions gravidiques, d’autres aux hypertensions chroniques.
Ces hypertensions sont presque toujours asymptomatiques.
Il
convient cependant de ne pas oublier que ce type de situation n’est
pas figé, et qu’à tout moment une protéinurie peut venir compléter
le tableau, majorant alors sensiblement le risque.
B - PRÉÉCLAMPSIE « MODÉRÉE »
:
Dès lors qu’une protéinurie significative est associée à
l’hypertension, le risque se situe à un niveau nettement plus élevé.
Il demeure modeste lorsque les chiffres tensionnels sont
modérément élevés et facilement contrôlables, coexistant
habituellement avec une protéinurie de moins de 1 g/24 h.
Dans ces
cas, une surveillance renforcée, tant foetale que maternelle, est
néanmoins nécessaire.
Il n’est pas exceptionnel qu’une issue
prématurée de la grossesse s’avère indiquée, soit du fait d’un
ralentissement ou d’un arrêt de la croissance foetale, soit du fait
d’une quelconque menace sur le pronostic maternel.
C - PRÉÉCLAMPSIE « GRAVE »
:
Tout différent est le tableau de la prééclampsie « grave ».
L’hypertension est alors majeure, menaçante, et remarquablement
insensible aux traitements antihypertenseurs.
La protéinurie est de
plusieurs grammes, voire dizaines de grammes par 24 heures, avec
un syndrome néphrotique.
Il existe habituellement des oedèmes
diffus, infiltrant les membres supérieurs et inférieurs, les lombes, la
face.
La croissance foetale se ralentit puis s’interrompt.
Les patientes
sont souvent céphalalgiques et photophobiques. C’est dans de tels
cas qu’un syndrome HELLP vient souvent compléter le tableau, et
la thrombopénie, rapidement progressive, crée une menace majeure
à court terme.
Dans cette situation, la seule issue est la terminaison
de la grossesse, presque toujours par une césarienne.
Cette décision
est relativement aisée si le terme est suffisamment avancé pour
permettre une chance raisonnable de survie du nouveau-né dans
des conditions de sécurité acceptables.
Dans le cas contraire, on peut
être tenté de temporiser pour obtenir un peu plus de maturité
foetale, mais cette temporisation ne se fait qu’au prix d’une
majoration de l’hypotrophie, et le risque de complications
maternelles est alors très élevé.
L’extrême gravité de la situation
peut parfois justifier une césarienne dite « de sauvetage maternel »
sur un enfant non viable.
C’est bien entendu dans de tels cas que les complications
maternelles hémodynamiques (oedème pulmonaire...) ou
l’insuffisance rénale aiguë apparaissent le plus volontiers ; c’est
également dans ces cas que le pronostic vital maternel est le plus
sévèrement menacé.
C - ACCIDENT INAUGURAL
:
Dans le cas précédemment décrit, peuvent survenir des accidents
maternels ou foetaux, compliquant une situation dont la gravité était
déjà patente.
Il est d’autres circonstances dans lesquelles une grossesse qui semblait normale (ou si peu pathologique) tourne
brusquement au drame lorsque survient un hématome rétroplacentaire (HRP) ou une éclampsie, souvent doublés d’une
mort foetale.
C’est alors après l’accident que surviennent
l’hypertension, la protéinurie, et tout le cortège de complications
maternelles qui vont en majorer la gravité. Notons également que
près d’un tiers des syndrome HELLP et un quart des éclampsies
surviennent dans le post-partum.
D - COMPLICATIONS
:
Nous venons de le voir, le risque encouru est à la fois maternel et
foetal.
Pour la mère, c’est la possible survenue d’un HRP ou d’une
éclampsie.
Rappelons qu’ils sont souvent accompagnés d’une coagulopathie de consommation (coagulation intravasculaire
disséminée [CIVD]) majeure, surtout en cas de syndrome HELLP, et
peuvent être suivis d’une insuffisance rénale aiguë, voire d’une
nécrose corticale.
C’est dire que pour rares qu’ils soient devenus, ils
gardent une signification pronostique très sérieuse, voire
dramatique.
Ainsi, dans une série de 442 grossesses avec syndrome HELLP, Sibai et al font état d’une CIVD dans 21 % des cas, d’un
HRP dans 16 %, d’une insuffisance rénale aiguë dans 7,7 %, d’un
oedème pulmonaire dans 6 % ; 55 % des patientes ont nécessité des
transfusions et 2 % ont eu une laparotomie en raison d’un syndrome
hémorragique.
La mortalité maternelle a été de 1,1 %.
Pour le foetus, le risque est celui d’un retard, voire d’un arrêt de la
croissance par défaut de perfusion, aboutissant au maximum à la
mort in utero.
Nous renvoyons le lecteur au traité de gynécologieobstétrique
pour une description détaillée de ces complications.
Physiopathologie
:
A - MODÈLES EXPÉRIMENTAUX
:
L’hypertension gravidique n’est presque jamais observée
spontanément dans le règne animal et il est difficile d’obtenir un
modèle expérimental ayant quelques points communs avec la
maladie observée dans l’espèce humaine.
1- Modèles d’hypertension
:
Chez les rats génétiquement hypertendus, gestation et parturition
ne sont pas affectées par l’hypertension.
Celle-ci tend d’ailleurs à
s’estomper durant la gestation.
La morphologie placentaire et rénale
des animaux gestants est normale, de même que le poids des
nouveau-nés.
Dans l’ensemble, les études expérimentales consistant à créer une
hypertension (essentiellement sténose artérielle rénale, ou perfusion
de vasopresseurs) chez l’animal gestant ont montré une poursuite
normale de la gestation et l’absence de conséquences de
l’hypertension sur la survie ou le poids de naissance des petits.
Le
débit sanguin utéroplacentaire n’était pas altéré, ou de manière très
transitoire.
Ces données retirent quelque crédit à l’idée selon laquelle
l’élévation des chiffres tensionnels serait la cause d’un
dysfonctionnement placentaire ou d’une souffrance foetale.
Il faut
relever cependant que dans un modèle de sténose artérielle rénale,
le débit sanguin utérin s’est avéré très dépendant du niveau de la Pa, et très sensible à une réduction de celle-ci par des produits
antihypertenseurs.
2- Modèles d’ischémie placentaire
:
Une ischémie placentaire aiguë peut être aisément produite par la
ligature des artères utérines.
Cette manoeuvre entraîne une
hypertension, une protéinurie et la mort foetale.
Hypertension et
protéinurie disparaissent aussitôt après la parturition.
Abitbol et al ont réalisé un modèle d’ischémie placentaire chronique chez la
guenon et chez la lapine, par striction de l’aorte sous-rénale au
moyen d’un clamp gonflable dont la pression peut être réglée de
l’extérieur.
Une réduction de 40 % du débit sanguin entraîne une
hypertension artérielle immédiate, et une protéinurie apparaît au
cinquième jour.
La lésion rénale observée est superposable à la lésion
dite « endothéliose » observée dans la maladie humaine.
Ce
syndrome est réversible si le clamp est relâché après un laps de
temps suffisamment court.
Enfin, il n’apparaît que chez l’animal en
gestation, la même manoeuvre n’ayant aucun effet sur l’animal non
gravide.
3- Inflammation et endotoxines
:
Une injection d’endotoxine bactérienne permet de reproduire d’assez
près chez l’animal les manifestations d’une prééclampsie.
De très
faibles doses doivent être injectées, sous peine de choc et d’arrêt de
la gestation.
Dans ces conditions, on observe chez l’animal gestant
une augmentation de la Pa, une protéinurie, une coagulopathie et
des dépôts glomérulaires de fibrinogène avec infiltration
monocytaire.
Il y a
simultanément une activation des polynucléaires circulants, et
l’ensemble reproduit un modèle complet de réaction inflammatoire.
La même
manoeuvre est inopérante chez l’animal non gestant.
4- Transgenèse
:
Takimoto et al ont rapporté un modèle fascinant de prééclampsie
chez des souris transgéniques pour des composants du système
rénine-angiotensine humain.
Le croisement d’une femelle porteuse
du transgène de l’angiotensinogène avec un mâle porteur du
transgène de la rénine (rien ne se produit si c’est l’inverse) aboutit à une
hypertension sévère en fin de gestation, avec une protéinurie et
perte foetale fréquente.
Les lésions histologiques rénales sont
comparables à celles décrites dans l’espèce humaine.
Enfin, le tout
est régressif après la parturition.
B - CLÉ : TROUBLE DE LA PLACENTATION
1- Étapes précoces de la placentation : physiologie
La reconnaissance du fait que le primum movens des pathologies
hypertensives de la grossesse était une anomalie très précoce de la
placentation a stimulé considérablement les recherches sur les
mécanismes et les possibles anomalies de celle-ci.
La placentation dite « hémochoriale » telle qu’elle a lieu dans
l’espèce humaine requiert une connexion entre le placenta naissant
et les vaisseaux maternels.
Ces derniers doivent par ailleurs acquérir un calibre suffisant pour assurer le débit sanguin nécessaire à des
échanges de bonne qualité.
Cette connexion s’opère par une invasion
des structures maternelles par le trophoblaste, qui se comporte un
peu comme une tumeur invasive.
L’une des particularités de ce
phénomène est qu’il est normalement autolimité, ce qui suppose de
puissants facteurs de régulation. Les principales exceptions à cette
autolimitation sont les môles hydatiformes et le choriocarcinome.
La môle résultant d’une diploïdie pour le génome paternel induit
une prééclampsie et une invasion trophoblastique agressive, de type
néoplasique.
Quelques jours à peine après la fécondation, le cytotrophoblaste
villeux se différencie en périphérie du blastocyste en
syncytiotrophoblaste aux propriétés très invasives, qui permet la
pénétration et l’ancrage du blastocyste dans l’endomètre.
Puis le cytotrophoblaste extravilleux colonise la masse syncytiale et envahit
la decidua jusqu’aux artères spiralées.
C’est la première phase,
interstitielle, d’invasion trophoblastique.
La seconde phase, plus
tardive, est l’invasion endovasculaire des artères spiralées du
myomètre, qui va remonter jusqu’au tiers environ de celui-ci.
Durant
cette phase, les cellules trophoblastiques subissent une profonde
transformation leur conférant un phénotype de type endothélial.
Cette invasion est une condition indispensable à l’établissement
d’une circulation maternofoetale convenable.
L’invasion se fait grâce à des enzymes protéolytiques,
principalement des métalloprotéases.
Sa progression est initiée et
contrôlée par divers facteurs de croissance et cytokines.
Dans tous
ces phénomènes, la tension en oxygène ainsi que la production de
NO semblent jouer un rôle majeur, ainsi peut-être que des facteurs
hémodynamiques directs.
La decidua est infiltrée par de nombreuses cellules.
Si les
lymphocytes B et T y sont relativement rares, les monocytes/
macrophages et les cellules natural killer (NK) y sont d’une
particulière abondance.
Le trophoblaste extravilleux (et lui seul)
exprime une combinaison particulière de molécules du human
leukocyte antigen (HLA) de classe I, HLA C, E et G (le HLA G est
totalement spécifique du trophoblaste).
Les cellules NK qui infiltrent
la decidua sont en contact étroit avec le trophoblaste invasif et
contiennent des récepteurs qui reconnaissent ces antigènes HLA I.
Cette interaction pourrait être un élément clé de la régulation de
l’invasion, par une modulation de l’effet cytolytique des cellules NK.
Le HLA G signale la présence du placenta et protège le
trophoblaste en inhibant l’effet lytique des NK.
Contrairement à
l’immunité dite adaptative des cellules T et B, qui reconnaissent le
self du non-self, cette immunité « native » reconnaît le missing self
puisque les cellules NK ne sont cytotoxiques qu’en l’absence du
HLA G.
Il est aussi à remarquer que ce phénomène doit prendre en compte
des composants paternels dont l’agression doit être évitée pour
empêcher le rejet de l’allogreffe foetale.
Ce pourrait être le rôle
dévolu au HLA C.
De leur côté, les monocytes favorisent une apoptose du trophoblaste,
via le tumor necrosis factor (TNF) alpha.
Celle-ci est certainement un autre
élément régulateur essentiel.
Toujours est-il que les artères spiralées du myomètre sont colonisées
vers 15 semaines par du trophoblaste qui remplace l’endothélium
(acquisition des cadhérines spécifiques) et détruit les structures
musculaires.
Ces artères sont donc transformées en chenaux dont le
diamètre est multiplié par 4 à 6, et qui n’ont plus de fonction
résistive mais seulement conductive.
Cette « transformation » des
artères spiralées est manifestement une condition indispensable à
une irrigation suffisante du placenta et du foetus.
2- Anomalie de l’invasion trophoblastique
:
L’existence d’une anomalie de cette invasion trophoblastique a été
une étape majeure dans la compréhension physiopathologique de la prééclampsie.
Il a été montré dès les années 1970 sur des biopsies
de lit placentaire que l’invasion trophoblastique est défectueuse
lorsqu’une prééclampsie doit survenir dans le troisième trimestre,
ou lors de retards de croissance foetaux isolés.
Cette anomalie
consiste, soit en une absence de transformation des artères spiralées,
soit en une transformation incomplète sur une longueur insuffisante.
Cette anomalie de placentation précède donc de plusieurs mois les
premières manifestations d’hypertension ou de protéinurie, mais
tout porte à croire que dès ce moment, la partie est jouée.
La
vascularisation du placenta étant insuffisante, l’ischémie se
développe progressivement, et c’est seulement à partir d’un seuil
critique d’ischémie, atteint bien plus tardivement, qu’apparaît
l’hypertension.
3- Inflammation
:
De nombreux arguments suggèrent qu’une réaction inflammatoire
modérée, impliquant le placenta mais aussi d’autres structures
vasculaires de l’organisme maternel, serait présente dans la
grossesse normale.
Cette réaction apparaît considérablement
majorée, et plus diffuse encore, dans la prééclampsie.
Cette dernière
représenterait en quelque sorte une « décompensation » de cette
réaction inflammatoire due, soit à un stimulus immunologique trop
intense, soit à une réaction maternelle exagérée.
Ce processus
inflammatoire serait étroitement lié à l’infiltration cellulaire déjà
évoquée dans le placenta, et les anomalies qui concourent à
l’insuffisance de l’invasion trophoblastique en seraient un stimulus
puissant.
On admet, sans preuve bien solide, que le facteur
déclenchant de cette réaction inflammatoire serait immunologique.
4- Libération de cellules trophoblastiques
:
Le placenta, à la fois ischémique et inflammatoire, libère dans la
circulation maternelle une quantité très accrue de cellules
trophoblastiques nécrosées, éventuellement dégradées et limitées à
des vésicules ; ce fait est bien acquis.
In vitro, ces vésicules sont
capables d’inhiber puissamment la prolifération de cellules
endothéliales et même de rompre la couche cellulaire de la
culture.
L’hypothèse a donc été émise que ces cellules ou vésicules
libérées en large excès par un placenta ischémique et en apoptose
provoqueraient des ruptures endothéliales, majorées encore par
l’activation des monocytes (et des polynucléaires, via le TNF a),
déclenchant la cascade classique de vasoconstriction, activation de
l’hémostase, etc.
5- Peroxydation lipidique et radicaux libres
:
Dans ce phénomène de souffrance endothéliale, un rôle important a
été attribué au stress oxydatif, dont les manifestations apparaissent
aussi bien à l’échelon placentaire que systémique.
Le taux circulant
des acides gras libres est très précocement augmenté avant une prééclampsie, et l’incorporation de ces acides gras dans les cellules
endothéliales est accrue.
Le sérum de ces patientes a une activité lipolytique élevée.
Des anomalies lipidiques maternelles
pourraient potentialiser la génération de radicaux libres.
C - FACTEURS ÉTIOLOGIQUES DE L’INSUFFISANCE
PLACENTAIRE
:
Son mécanisme a peu de chances d’être univoque. Il est au contraire
hautement probable que ce soit à cette étape que s’expriment la
diversité et l’hétérogénéité de la maladie « hypertension
gravidique ».
Les hypothèses envisagées ci-dessous ne sont donc pas
exclusives les unes des autres, et d’autres hypothèses encore seront
sans doute formulées dans les années à venir.
1- Hypothèse mécanique
:
Dans cette hypothèse, la plus ancienne et la plus simple de toutes,
l’ischémie placentaire résulterait de la compression mécanique de
l’aorte et/ou des artères utérines par l’utérus.
Le rôle favorisant bien
connu de la gémellarité et de l’hydramnios serait ainsi facilement
expliqué.
La preuve artériographique directe d’une réduction
importante du calibre de l’aorte sous-rénale pendant la grossesse a
d’ailleurs été apportée dans quelques cas anecdotiques.
2- Pathologie vasculaire préexistante
:
Nombre de patientes atteintes d’hypertension gravidique sont en fait
porteuses de lourds facteurs de risques vasculaires, au plan génétique et/ou métabolique.
Ces patientes ont toutes les raisons
d’avoir des altérations vasculaires préalables à la grossesse. De fait,
des lésions vasculaires rénales, parfois impressionnantes, ont été
trouvées histologiquement, alors même que les patientes étaient normotendues.
On peut aisément concevoir que de telles lésions
vasculaires, probablement ubiquitaires, soient un obstacle majeur à
une placentation normale.
Dans ce cas, la répétition des accidents
au fil des grossesses successives se comprendrait sans peine.
3- Pathologie thrombophilique préexistante
:
Dekker et al ont rapporté une fréquence très accrue de
pathologies thrombophiliques chez des jeunes femmes atteintes de
prééclampsie précoce et sévère.
Ces anomalies étaient
principalement un anticoagulant circulant ou antiphospholipide, un
déficit en protéine C ou S, une résistance à la protéine C activée
(dite mutation Leiden du facteur V), ou une hyperhomocystéinémie.
Une mutation du gène codant la prothrombine (facteur II) a été plus
tard ajoutée à la liste.
Ces données ont été assez largement recoupées
par divers auteurs, et certains admettent que plus de 50 % des
femmes ayant présenté une prééclampsie sévère seraient porteuses d’au moins une
de ces anomalies.
S’il paraît probable que ces anomalies peuvent être impliquées dans
la genèse d’une prééclampsie, au moins au titre de facteur
aggravant, il faut néanmoins se souvenir que la distribution
géographique de ces mutations est très variable, et n’est en rien
parallèle à celle de la prééclampsie.
4- Facteurs immunologiques
:
Le foetus, dont le capital génétique est pour moitié d’origine
paternelle, représente l’équivalent d’une greffe semi-allogénique,
dont la survie requiert un état de tolérance immunitaire maternelle.
Au cours de la grossesse, il existe une reconnaissance par la mère
d’antigènes paternels et une immunisation contre ces antigènes.
Ainsi, 20 % des primipares et 50 % des multipares ont des anticorps
circulants dirigés contre des composants du HLA paternel.
Un
système de facilitation humorale a ainsi été mis en évidence et
largement étudié dans les années 1970.
Ce mécanisme a été trouvé
totalement absent dans les cas d’avortements itératifs et fortement
diminué dans la prééclampsie.
Un second facteur de tolérance serait l’induction de cellules T
suppressives.
Un rôle supplémentaire pourrait être joué par le
passage de lymphocytes foetaux (probablement T suppresseurs) dans
la circulation maternelle.
Enfin, nous avons évoqué plus haut
l’importance accordée actuellement aux cellules NK et à leur
interaction avec les antigènes HLA I portés par le trophoblaste.
Le
HLA G, peu polymorphe et spécifique du placenta, signalerait la
présence de celui-ci et inhiberait la cytotoxicité.
Le HLA C traduirait
surtout un signal allogénique d’origine paternelle, et le E
déclencherait l’effet inhibiteur des cellules NK. En définitive, la
cytotoxicité dépendrait de la balance et de l’interaction entre ces trois
éléments.
Le défaut d’invasion trophoblastique, et donc la prééclampsie,
pourrait être lié à une agression immune du placenta.
Dans les
années 1970, a été largement développée l’idée d’une absence de
facilitation immunologique humorale en cas de degré élevé
d’histocompatibilité entre père et mère.
Ce fait expliquerait pour une
part la constatation que l’hypertension gravidique apparaissant pour
la première fois chez une multipare est souvent associée à un
changement de partenaire, et également que des transfusions
préalables se soient montrées douées d’un effet protecteur vis-à-vis
de l’hypertension gravidique.
Même si cette idée est passée de
mode aujourd’hui, des publications viennent périodiquement
rappeler que les faits constatés il y a 20 ou 30 ans sont toujours
exacts.
Le processus d’immunisation antipaternelle est probablement un
peu plus subtil que ce qui était imaginé à l’époque, mais sa présence
et son importance demeurent.
Le degré et le mode d’exposition au
sperme semblent y jouer le rôle prédominant.
Robillard et al ont
montré que le risque de prééclampsie est plus élevé en cas de
conception précoce dans un couple récent qu’en cas de conception
plus tardive dans un couple établi depuis plus longtemps,
phénomène qualifié peu poétiquement de « durée de la cohabitation
sexuelle ».
De même, en cas d’insémination artificielle, le risque
de prééclampsie est plus élevé si le sperme provient d’un donneur
étranger plutôt que du conjoint.
La pratique de la fellation, selon
plusieurs auteurs, serait associée à une meilleure protection contre
la prééclampsie que les seuls rapports sexuels par voie vaginale.
Selon certains auteurs également, l’usage d’une contraceptionbarrière
telle que des préservatifs serait associé à une incidence
accrue de prééclampsie.
5- Aspects génétiques
:
Une certaine agrégation familiale des cas de prééclampsie est
classiquement admise.
Chez certaines patientes ayant eu une
éclampsie, on retrouve des soeurs, la mère, ou une grand-mère ayant
eu le même accident.
Une analyse soigneuse de ces familles avait
naguère permis d’estimer qu’il s’agirait d’une transmission monogénique.
De nos jours, l’éclampsie se fait rare.
La maladie
« hypertension gravidique » est bien plus hétérogène qu’on ne le
pensait à l’époque, et les données des études génétiques
apparaissent moins claires.
Tout laisse penser au contraire que divers
gènes impliqués dans la régulation de la Pa, la régulation du volume
plasmatique, le remodelage vasculaire, et divers facteurs plus
spécifiquement placentaires, interviennent à des titres divers comme
« gènes de susceptibilité » de la prééclampsie.
Les études de cohorte suggèrent bien une transmission génétique de
la prééclampsie.
Ainsi, Cincotta et Brennecke ont étudié 368 jeunes
primipares.
Dix-huit d’entre elles avaient leur mère ou une soeur
(ou les deux) ayant eu une prééclampsie.
Parmi ces 18 femmes, cinq
(27,8 %) ont eu une prééclampsie, contre 29 (8,3 %) de celles qui
n’avaient pas d’antécédents familiaux, ce qui correspond à un risque
relatif de 3,4 (intervalle de confiance [IC] 95 % : 1,5-7,6).
Ce risque
est encore plus élevé pour la prééclampsie « grave ».
Arngrimsson
et al ont étudié 94 familles islandaises (population très homogène)
sur quatre générations dans la descendance de femmes ayant eu une
prééclampsie grave ou une éclampsie dans les années 1931 à 1947.
La fréquence de la prééclampsie a été plus élevée (23 %) chez les
filles que chez les belles-filles (10 %) des patientes atteintes.
La
prédisposition était transmise aussi bien par les hommes que par les
femmes.
Néanmoins, dans une étude de 99 couples de jumelles monozygotes,
dix ont développé une prééclampsie et tel n’a été le cas pour aucune
de leurs jumelles.
Sur une série plus étendue, les mêmes auteurs
ont estimé la transmission génétique de la prééclampsie à 0 % et
celle de l’hypertension gravidique à 25 %.
Des résultats
contradictoires ont cependant été rapportés.
Peu nombreux sont les gènes-candidats plausibles. Une association
entre la prééclampsie et le variant M235T du gène de
l’angiotensinogène a été rapportée, mais n’a pas été retrouvée par
tous les auteurs.
Néanmoins, cette mutation semble associée à une
moindre dilatation des artères spiralées, ce qui établirait un lien
entre une anomalie génétique et le défaut d’invasion trophoblastique.
Nous avons évoqué les anomalies thrombophiliques volontiers associées à la prééclampsie.
La mutation Leiden du facteur V a été la plus étudiée et les résultats
ont été quelque peu discordants.
Nous noterons par ailleurs que
cette mutation, assez fréquente en Europe, est virtuellement absente
dans d’autres contrées (Japon) où l’incidence de la prééclampsie
n’est pas plus basse.
Les études génomiques ont permis des suggestions assez diverses.
La plus consistante porte sur la région du chromosome 7q36, codant
la eNOS.
Un tel gène de susceptibilité serait physiologiquement
très pertinent.
6- Aux confins entre immunologie et génétique : le père
La prééclampsie n’est pas simplement le problème d’un individu,
c’est aussi celui d’un couple.
Le père peut intervenir dans la genèse
de cette pathologie de deux manières : un « conflit » immunologique
entre père et mère, ou la transmission paternelle d’un gène (ou autre
facteur) responsable du dysfonctionnement placentaire.
Lie et al, s’appuyant sur un registre des naissances norvégien de
1,7 million d’entrées, ont étudié les grossesses suivant une grossesse préeclamptique selon les individus impliqués.
Lorsqu’une grossesse
a été prééclamptique dans un couple, une nouvelle procréation entre
le même père et une femme différente double pratiquement le risque
de prééclampsie pour cette dernière.
Le risque de prééclampsie est
également accru dans les mêmes proportions chez la demi-soeur
d’une femme ayant eu elle-même une prééclampsie, si les deux
femmes sont de même père et de mère différente.
D’autres publications montrent qu’un homme issu d’une grossesse prééclamptique majore le risque de prééclampsie pour son épouse.
Dizon-Townson et al ont trouvé une fréquence élevée de mutation
Leiden en cas de fausses couches itératives avec nécrose placentaire.
La mutation était présente plus souvent dans l’acide
désoxyribonucléique (ADN) foetal que dans l’ADN maternel,
indiquant clairement que dans certains cas, le gène était d’origine
paternelle.
D - CONSÉQUENCES DE L’INSUFFISANCE PLACENTAIRE
:
Laissant de côté les conséquences foetales de l’insuffisance
placentaire, nous nous limitons à l’étude des mécanismes par
lesquels l’insuffisance placentaire est responsable d’une
hypertension, d’une maladie rénale à la fois anatomique et
fonctionnelle, et d’une CIVD.
1- Dysfonction endothéliale
:
La réduction de la perfusion placentaire consécutive à une
implantation défectueuse est suivie d’une cascade d’anomalies qui
témoignent d’une altération des fonctions endothéliales :
– une augmentation de la sensibilité aux hormones pressives : celle-ci
est connue de très longue date, manifestée entre autres par la perte
de « l’état réfractaire » à l’angiotensine, qui caractérise la grossesse
normale ;
– une activation de l’hémostase : la fréquence et l’étendue des dépôts
de fibrine dans le placenta et dans de nombreux organes ont fait
suspecter très précocement le rôle de troubles de l’hémostase dans
les manifestations de l’hypertension gravidique.
La prééclampsie a
ainsi été assimilée à un état de CIVD, et c’est cette dernière qui
expliquerait les manifestations polyviscérales observées, en
particulier au niveau du rein, du foie (syndrome HELLP), c’est elle
également qui expliquerait l’éclampsie.
En fait, à la lumière de
travaux plus récents, une véritable CIVD semble rare, si tant est
qu’elle existe, dans la prééclampsie.
En revanche, une activation
plaquettaire précoce est certaine. Une telle stimulation est
compatible avec une altération endothéliale précoce. Elle pourrait
entraîner une activation secondaire de la coagulation et de la
fibrinolyse ;
– une production de prostacycline diminuée : il existe, très tôt
également, un déséquilibre de la production des eicosanoïdes.
Au
cours d’une grossesse normale, les productions de prostacycline et
de thromboxane A2 sont toutes deux vivement stimulées, avec
cependant un rapport très en faveur de la prostacycline.
Cette
stimulation est mise en évidence par une augmentation considérable
du taux de leurs métabolites, aussi bien dans le sérum que dans
l’urine.
Cela suggère que leur stimulation est un phénomène global
dans l’organisme.
De fait, la production de prostacycline est accrue
dans tous les territoires de la circulation, la production rénale est
également accrue et l’unité utéroplacentaire en synthétise
d’abondantes quantités.
Le mécanisme de cette stimulation est
actuellement inconnu et s’intègre dans une interrégulation complexe
de tous les systèmes hormonaux à activité vasomotrice directe ou
indirecte.
Toujours est-il que la production accrue de prostacycline
joue manifestement un rôle primordial dans la vasodilatation
systémique et rénale qui caractérise l’hémodynamique de la femme
enceinte.
Elle contre-balance largement l’effet vasoconstricteur et
procoagulant qui est celui du thromboxane.
Lors des grossesses avec hypertension, la stimulation du thromboxane est sensiblement identique à celle observée dans les
grossesses normales, alors que la prostacycline est peu ou pas
stimulée.
Le rapport est donc alors en faveur du thromboxane, c’est-à-dire de l’élément vasoconstricteur et procoagulant.
Cette anomalie
témoigne probablement d’un trouble fonctionnel des endothéliums,
qui sont les principaux responsables de la production de prostacycline ;
– l’apparition de marqueurs biochimiques : des arguments
supplémentaires en faveur de cette hypothèse sont apportés par
l’élévation du taux circulant de fibronectine et de facteur VIII,
marqueurs de lésion endothéliale ;
– un activateur endothélial ?
Certains auteurs ont mis en évidence
dans le plasma des patientes prééclamptiques une substance capable
d’induire une forte production de platelet derived growth factor
(PDGF) dans des cellules endothéliales en culture, témoignant d’une
intense activation de ces cellules.
2- Hypertension
:
C’est dans ce contexte de dysfonction endothéliale qu’il convient
d’intégrer la vasoconstriction systémique et l’hypertension qui en
résulte.
L’hypertension est principalement due à la perte de la vasodilatation
caractéristique de la grossesse normale et à l’apparition, au contraire,
d’une vasoconstriction. Normalement, la grossesse est caractérisée
par un état réfractaire aux hormones pressives et singulièrement
l’angiotensine II ; cette situation disparaît avant l’émergence
d’une prééclampsie.
Un test à l’angiotensine a même été utilisé en
prédiction de la prééclampsie.
Le mécanisme de la vasoconstriction reste débattu. Le déséquilibre
entre prostacycline et thromboxane y joue certainement un rôle
important.
Il est possible également que le potentiel vasoconstricteur
d’autres substances (angiotensine, endothéline) soit amplifié par une
baisse d’activité de la NO synthase.
Les cellules endothéliales
elles-mêmes peuvent être altérées par l’action de cytokines proinflammatoires
(TNF a) et par un stress oxydatif accru.
Les études hémodynamiques ont été peu nombreuses et leurs
résultats sont contradictoires.
La grossesse normale est accompagnée
d’une augmentation de quelque 30 % du débit cardiaque.
En dépit
de celle-ci, la vasodilatation est telle que la Pa baisse
physiologiquement.
Le débit cardiaque reste généralement élevé dans les hypertensions
bénignes, mais s’abaisse dans la prééclampsie sévère.
Le volume plasmatique (normalement accru de près de 50 %) est
très abaissé dans les formes sévères, voire effondré dans les formes
dites « toxémie gravidique » avec protéinurie importante et retard
de croissance foetale.
Cette contraction volémique est en
corrélation directe avec le poids de naissance de l’enfant.
Elle
pourrait résulter, soit de la vasoconstriction elle-même, soit d’un
trouble plus subtil de l’excrétion sodée.
D’autres facteurs encore pourraient jouer un rôle dans la genèse ou
l’entretien de l’hypertension, le système nerveux sympathique, le
facteur atrial natriurétique, des facteurs calciotropiques, le
métabolisme du magnésium.
3- Néphropathie
:
* Données fonctionnelles
:
+ Fonction rénale
:
L’évolution de la fonction rénale au cours de la grossesse normale a
fait l’objet de nombreuses revues dont nous retiendrons
essentiellement celles de Davison et d’Atherton.
Il existe
normalement un accroissement d’environ 50 % du flux plasmatique
rénal.
La filtration glomérulaire évolue d’une manière sensiblement
parallèle, conduisant à une clairance de la créatinine de l’ordre de
180 mL/min.
Ces deux paramètres sont généralement diminués
dans l’hypertension gravidique.
La diminution est le plus souvent
de l’ordre de 25 %, c’est-à-dire que les valeurs observées sont encore
au-dessus de celles considérées comme normales avant la grossesse.
Dans les formes les plus sévères, la filtration glomérulaire peut
cependant être beaucoup plus basse, et l’insuffisance rénale aiguë
est une complication heureusement rare, mais habituellement d’une
extrême gravité, de la prééclampsie sévère ou du syndrome HELLP.
+ Bilan du sodium
:
Comme mentionné plus haut, une rétention de 900 à 1 000 mEq de
sodium se produit au fil de la grossesse.
Elle est nécessaire à
l’expansion volémique.
Elle s’opère en dépit de l’augmentation de
filtration glomérulaire, ce qui suppose un ajustement majeur de la
réabsorption sodée.
L’expansion volémique est défectueuse, voire
absente, dans les formes graves de l’hypertension gravidique.
Cette
anomalie est parfois, mais pas toujours, associée à un volume
extracellulaire globalement abaissé.
Un trouble de la perméabilité
vasculaire peut intervenir, contribuant à la formation des oedèmes.
+ Excrétion rénale de l’acide urique
:
Au cours de la grossesse normale, l’uricémie s’abaisse de 30 % en
moyenne, alors que s’élèvent aussi bien la clairance et l’excrétion
fractionnelle de l’acide urique.
Une hyperuricémie est associée aux
formes graves de l’hypertension gravidique.
Elle est proportionnelle
à la sévérité de l’atteinte anatomique rénale et représente un index
réputé du pronostic foetal.
De fait, il existe une corrélation
négative entre les variations de l’uricémie et celles du volume
plasmatique, suggérant que la baisse de la clairance de l’acide
urique reflète la réponse physiologique du rein à l’hypovolémie.
* Données
anatomiques :
Les lésions
constatées peuvent être regroupées sous trois rubriques.
+ Endothéliose glomérulaire
:
C’est la lésion la plus anciennement décrite. Elle a été considérée
par la plupart des auteurs comme spécifique de la « prééclampsie ».
Elle est composée d’un gonflement des cellules endothéliales
glomérulaires, d’un épaississement irrégulier des membranes
basales et d’une fusion des pédicelles épithéliales.
Des dépôts sousendothéliaux
de fibrinogène peuvent être observés.
Quelques
auteurs ont mis en évidence par l’immunofluorescence des dépôts
d’IgG ou IgM.
La caractéristique essentielle de l’endothéliose
glomérulaire est son entière réversibilité en quelques semaines après
l’accouchement.
Tout au plus peut-elle laisser quelques infimes
irrégularités pariétales ou un discret épaississement du mésangium,
dont la signification pathologique est douteuse.
+ Lésions vasculaires
:
Elles sont probablement moins fréquentes, mais il est certain qu’elles
ont été largement sous-estimées dans le passé.
Il peut s’agir, soit
d’une endartérite fibroélastique, parfois sévère, touchant les artères
corticales de moyen calibre, soit de dépôts hyalins, éventuellement
occlusifs, dans la paroi des artérioles.
Dans l’ensemble, ces lésions
sont très similaires à celles observées après plusieurs années
d’hypertension artérielle permanente.
Elles sont souvent en contraste
frappant avec la normotension des patientes, et la brève période
hypertensive qui a marqué la fin de la grossesse.
Dans notre
expérience, ces lésions sont très souvent annonciatrices d’une
hypertension permanente à terme d’environ 5 ans.
+ Néphropathies indépendantes de la grossesse
:
Diverses néphropathies, surtout glomérulaires, peuvent être
découvertes à l’occasion d’une hypertension gravidique : hyalinose
segmentaire et focale, maladie de Berger, glomérulonéphrite
membranoproliférative, etc. Ces lésions sont manifestement
indépendantes de la grossesse, l’ont probablement précédée, et en
tout cas lui survivent.
Certaines observations indiquent néanmoins
que des lésions d’hyalinose segmentaire et focale peuvent se
constituer durant la prééclampsie elle-même.
En dehors de ce cas
très particulier, les néphropathies préexistantes peuvent être révélées
par une protéinurie de découverte précoce dans la grossesse,
souvent sans hypertension.
Elles sont alors facilement suspectées.
Dans nombre de cas en revanche, le tableau clinique réalisé est celui
d’une hypertension avec protéinurie n’apparaissant que dans le
troisième trimestre.
La persistance de la protéinurie plusieurs mois
après l’accouchement peut être alors le seul symptôme évocateur,
encore peut-il manquer.
On comprend que le diagnostic reste
souvent méconnu dans ces cas, si l’indication d’une biopsie rénale
n’a pas été posée.
4- Hémostase
:
Une thrombopénie est de loin l’anomalie hématologique la plus
fréquente dans les hypertensions de la grossesse.
Elle est modeste
dans la plupart des cas ; néanmoins, la baisse du compte des
plaquettes au-dessous (parfois très au-dessous) de 100 000/mm3 est
la marque des formes graves, nécessitant en général une intervention
rapide.
Elle peut s’accompagner de l’apparition de produits de
dégradation de la fibrine, voire de tous les stigmates d’une CIVD.
La coexistence d’une antithrombine III diminuée et d’une
fibronectine augmentée suggère qu’une souffrance endothéliale y est
associée.
5- Foie
:
Des anomalies histologiques du foie (hémorragies périportales,
lésions ischémiques et dépôts de fibrine) ont été rapportées sur des
séries autopsiques bien avant la description du syndrome HELLP.
Les anomalies hépatiques vont de la cytolyse modérée à un
hématome sous-capsulaire, voire une rupture hépatique, dont point
n’est besoin de souligner la gravité.
6- Cerveau :
L’éclampsie (phase convulsive de la prééclampsie) reste une
complication majeure.
Elle est le plus souvent attribuée à une
ischémie focale par dépôts de fibrine et/ou vasoconstriction.
Le classique oedème cérébral ou l’encéphalopathie hypertensive sont
des mécanismes bien plus improbables, d’autant que nombre
d’éclampsies apparaissent avec une hypertension bien modeste,
voire sans hypertension.
Divers aspects ont été décrits depuis l’usage
du scanner ou de l’imagerie par résonance magnétique (IRM).
La
localisation souvent postérieure de ces lésions expliquerait la
fréquence des troubles visuels précurseurs.
Surveillance d’une femme enceinte
hypertendue
:
Si le pronostic foetal des hypertensions de la grossesse n’a cessé de
s’améliorer depuis une vingtaine d’années, la précision de la
surveillance en est certainement un facteur primordial.
Le but de
cette surveillance est d’obtenir une prédiction, aussi à distance
possible, du risque de complications, avant tout élément clinique.
Ainsi, les décisions thérapeutiques peuvent être prises dans des
conditions optimales.
A - SURVEILLANCE CLINIQUE MATERNELLE
:
Une surveillance clinique accrue est nécessaire chez ces patientes en
raison, d’une part du risque de complications maternelles, d’autre
part des décisions thérapeutiques qui peuvent en découler.
L’idée
d’une surveillance pluridisciplinaire, associant (ou alternant) gynécologue-obstétricien et médecin spécialisé, s’est peu à peu
imposée dans tous les centres préoccupés par cette pathologie.
Compte tenu de la fréquence des hypertensions gravidiques et de
leur gravité très inégale, s’est également imposée l’idée d’une
hiérarchisation des soins, conduisant la patiente, en fonction du
degré de risque estimé, vers des centres de plus en plus équipés et
spécialisés.
Nous ne nous étendrons pas ici sur la surveillance de la Pa et des
divers paramètres cardiovasculaires.
Nous nous focalisons sur les
éléments du pronostic de la grossesse, dont la valeur est
décisionnelle.
B - SIGNES FOETAUX
:
Les symptômes d’une souffrance foetale chronique sont d’une
importance primordiale dans la surveillance d’une hypertension
gravidique.
Il est bien évident qu’une stagnation de la hauteur
utérine ou un ralentissement de la croissance foetale lors des
contrôles échographiques sont lourds de conséquences, aussi bien
diagnostiques que thérapeutiques.
C - VÉLOCIMÉTRIE DOPPLER
:
L’apparition de la surveillance par doppler chez les femmes
enceintes a représenté un progrès majeur.
L’exploration au niveau
de l’artère ombilicale permet d’apprécier la vélocité sanguine dans
le compartiment foetal.
Celle-ci reflète assez bien le « bien-être
foetal ».
Son altération est toujours associée à un retard de croissance
foetale et annonce bien souvent un accident sévère.
L’exploration des
artères utérines donne des renseignements sur le versant maternel
de la circulation.
Son altération est habituellement le témoin d’un
état vasculaire maternel déficient.
Une telle situation serait associée
à un risque accru d’HRP.
Enfin l’exploration des territoires
vasculaires cérébraux du foetus met en évidence les réflexes
autorégulateurs de défense.
Son altération témoigne d’une
souffrance foetale aiguë et souvent d’une complication imminente.
Aussi, ce dernier examen représente-t-il souvent un élément
décisionnel pour l’obstétricien.
D - SIGNES BIOLOGIQUES
:
La protéinurie demeure le principal stigmate biologique à traquer.
Cette surveillance se fait en routine par des bandelettes réactives,
mais une quantification en laboratoire devient indispensable dès que
la recherche est positive.
Une surveillance de l’hémostase, pour le moins du compte des
plaquettes, est habituellement effectuée.
Une thrombopénie est
toujours un élément de pronostic péjoratif, et peut conduire à des
décisions thérapeutiques urgentes.
Une surveillance régulière des transaminases permet de dépister
précocement l’apparition d’un syndrome HELLP.
La créatinine doit être périodiquement vérifiée, surtout si une
protéinurie est apparue.
La mesure du volume plasmatique dans la prédiction de
l’hypotrophie foetale a été supplantée par le doppler et n’est plus
guère utilisée de nos jours.
Un simple hématocrite en donne une
estimation grossière.
Un hématocrite supérieur à 38 % témoigne
régulièrement d’une hémoconcentration avec hypovolémie.
Cette
situation peut néanmoins être masquée par une anémie d’autre
cause.
L’uricémie a été longtemps un autre grand marqueur du risque de
complications à court terme.
Pour la plupart des auteurs, la valeur
de 350 µmol/L représente un seuil critique au-delà duquel le risque
de mort in utero augmente de façon presque linéaire, approchant
100 % à partir de 600 µmol/L.
En cas de doute sur les valeurs
antérieures, c’est essentiellement le gradient d’uricémie au fil des
dosages successifs qui doit être pris en considération.
En fait, si
l’uricémie est un marqueur de forte spécificité, sa sensibilité est
faible et donc la valeur qui lui est attribuée a beaucoup diminué.
Là
encore, les données de l’examen doppler apportent des
renseignements plus sensibles et fiables.
Traitement
:
La thérapeutique de l’hypertension gravidique n’est pas le point le
moins débattu et c’est assurément le plus décevant.
Le problème le
plus controversé est celui de l’opportunité et des modalités d’un
traitement antihypertenseur.
A - MESURES GÉNÉRALES
:
Le repos physique et psychique est l’une des rares mesures dont
l’utilité ne fasse aucun doute. Le repos au lit, de préférence en
décubitus latéral gauche, abaisse les chiffres tensionnels, est souvent
associé à une décroissance de l’uricémie et semble bénéfique à la
croissance foetale.
L’explication donnée en est le dégagement de
l’aorte et de la veine cave inférieure, qui augmenterait le débit
sanguin utérin et le débit cardiaque.
Ce mode thérapeutique est
évidemment tributaire des possibilités matérielles de la patiente
(conditions de logement, présence d’autres enfants...).
B - TRAITEMENT MÉDICAL DE L’HYPERTENSION
ARTÉRIELLE :
Si l’on se réfère à ce qui a été dit plus haut du rôle initiateur de
l’ischémie placentaire, dont l’hypertension ne serait qu’une
conséquence, il n’est pas évident que le traitement antihypertenseur
soit bénéfique ni au placenta, ni à la croissance foetale.
On peut, au
contraire, soupçonner qu’un abaissement de la pression au sein d’un
circuit résistif conduise à une baisse du débit, ce qui serait le
contraire du but recherché.
1- Données animales
:
Expérimentalement, divers médicaments antihypertenseurs ont été
utilisés par Brinkman et Assali chez l’animal hypertendu gravide.
Une réduction abrupte de la Pa, telle qu’elle est obtenue avec une
injection de diazoxide, est accompagnée d’une chute
impressionnante du débit sanguin utérin.
Il en est de même après
l’injection intraveineuse de furosémide. En revanche, l’abaissement
progressif de la Pa par de la méthyldopa n’altère que peu le débit
utérin.
Si cet abaissement de pression est accompagné d’une
augmentation du débit cardiaque, comme c’est le cas avec
l’hydralazine, le débit utérin est totalement respecté, voire un peu amélioré.
2- Hypertension
artérielle chronique ou hypertension artérielle gravidique modérée :
Il s’agit de
situations dans lesquelles le pronostic obstétrical est le plus
souvent favorable.
Le traitement
antihypertenseur dans ces situations n’apporte aucun bénéfice.
Une méta-analyse de ces études a été réalisée par Magee et al.
Elle montre que dans l’ensemble, le traitement a quelques effets
positifs chez la mère : moins d’hypertensions dépassant 160/100, et
moins d’hospitalisations.
En revanche, il n’a aucun effet sur le
pronostic de la grossesse et sur le pronostic foetal en particulier.
Au
contraire, il y a une tendance à une plus forte incidence de
l’hypotrophie foetale sous traitement.
Von Dadelszen et al ont
précisé dans une autre méta-analyse qu’il existe une corrélation
significative entre la baisse de Pa et le pourcentage d’enfants
hypotrophes.
Ce fait avait déjà été constaté dans quelques études
individuelles où le traitement en cause était un bêtabloquant.
Magee
et al ont confirmé le fait en reprenant spécifiquement ces études.
L’effet des variations de pression sous bêtabloquant a été
occasionnellement documenté à court terme par le doppler
ombilical.
Enfin, la comparaison entre différentes classes
d’antihypertenseurs n’a montré aucun avantage décisif d’une classe
par rapport à une autre.
Il est à noter une étude, restée isolée, indiquant que l’usage d’un
bêtabloquant chez des patientes à débit cardiaque très élevé pourrait
avoir un effet bénéfique et même prévenir la prééclampsie.
La conclusion est que le traitement antihypertenseur apporte un très
modeste bénéfice maternel dont l’intérêt pratique n’est pas évident.
Les hospitalisations en excès en l’absence de traitement ne sont pas
dues à une complication objective mais à la seule inquiétude
médicale.
Le traitement antihypertenseur n’améliore en rien le
pronostic foetal, mais peut au contraire être responsable
d’hypotrophie s’il est trop intense.
Il faut cependant convenir avec Sibai que les effectifs des études n’ont jamais été suffisants pour
qu’un effet sur la mort foetale ou l’HRP (incidence de l’ordre de 2 %)
puisse être mis en évidence.
En effet, une réduction de 50 % de l’un
de ces accidents demanderait un effectif de 2 000 patientes par
groupe.
Aucune étude n’a atteint un tel effectif et la méta-analyse
n’est pas forcément une méthode infaillible pour pallier cette
insuffisance.
Même si l’on admet cette marge d’incertitude, le
traitement antihypertenseur dans ces indications n’est
manifestement pas un acte thérapeutique bien intéressant.
3- Hypertensions sévères
:
Le cas est ici beaucoup moins simple dans la mesure où il n’y a pas
eu d’études contrôlées, pour des raisons évidentes.
Le raisonnement
par analogie avec d’autres hypertensions indique que le bénéfice
d’un traitement pour une hypertension de courte durée chez une
femme jeune n’est probablement pas négligeable, même s’il n’est
pas majeur.
Ce traitement est susceptible d’éviter des complications
maternelles, au premier rang desquelles l’oedème pulmonaire.
La
classique assertion du risque d’accident vasculaire cérébral est peu
crédible dans ce même raisonnement par analogie.
En effet, les cas
en sont rares et l’imputabilité des chiffres tensionnels n’a jamais été
convenablement étayée.
Néanmoins, la pratique générale est de
traiter ces hypertensions dès lors que les chiffres dépassent
régulièrement 160 à 180 et/ou 110 mmHg.
Il est certainement aussi
important que précédemment, voire plus encore, d’agir avec doigté,
et de ne pas ramener les chiffres au-dessous de 140 et 90 mmHg.
4- Quels médicaments antihypertenseurs ?
Les diurétiques, largement utilisés en un temps, sont aujourd’hui
complètement abandonnés.
En effet, ils diminuent le volume
plasmatique, déjà souvent déficitaire, et peuvent de ce fait aggraver
la souffrance foetale chronique.
Ils diminuent la perfusion placentaire
et de nombreuses études cliniques ont montré qu’ils étaient associés
à des poids de naissance plus bas.
Les antihypertenseurs centraux (méthyldopa, clonidine) ont été
largement utilisés dans la grossesse.
Ce sont certainement les
produits pour lesquels l’expérience est la plus grande et le recul le
plus long.
Leur efficacité est convenable et leur innocuité semble
largement établie.
Ce sont également les seuls pour lesquels on
dispose d’une surveillance pédiatrique sur des années, démontrant
l’absence d’effets indésirables à long terme chez les enfants, tant en
ce qui concerne la croissance que la performance intellectuelle et
scolaire.
L’hydralazine bénéficie d’un recul comparable. Son efficacité est
remarquable à doses assez élevées et elle a de plus l’avantage
théorique de ne pas franchir, ou très peu, la barrière placentaire.
Malheureusement, la contre-partie de cette efficacité est une
tolérance clinique médiocre (palpitations, céphalées intenses
pouvant en imposer pour une menace d’éclampsie), due à
l’augmentation du débit cardiaque déjà élevé chez ces patientes, et
qui en limite l’usage.
La prazosine est également utilisée.
Elle jouit même d’une faveur
certaine aux États-Unis.
Son efficacité antihypertensive est bonne et
sa tolérance sans problème.
Comme l’hydralazine, la prazosine a une
forte liaison protéique et son passage transplacentaire est faible.
Les bêtabloquants sont largement utilisés dans la grossesse.
Contrairement à ce que l’on pouvait craindre, ils n’augmentent pas
la motricité utérine.
Comme ils franchissent le placenta, ils
comportent en principe un risque d’hypoglycémie, de
bronchospasme et de bradycardie néonataux.
En fait, au fil des
années, ce risque est apparu plus théorique que réel, et les avantages
du traitement bêtabloquant semblent l’emporter sur ce risque.
Ces
données rassurantes ne changent rien à ce qui a été dit plus haut du
risque d’hypotrophie si le traitement est trop intense.
Il est par
ailleurs évident qu’il convient d’assurer une surveillance néonatale
très soigneuse des enfants nés sous bêtabloquants, surtout s’ils sont
prématurés et hypotrophes.
Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion sont responsables chez
l’animal d’une fréquence accrue de morts foetales.
Ce risque n’est
pas apparu dans les observations humaines rapportées, mais
celles-ci restent anecdotiques.
En revanche, des complications
néonatales ont été rapportées, en particulier des anuries, dont
plusieurs ont été mortelles.
Ces produits sont contre-indiqués
dans les deux derniers trimestres de la grossesse.
À noter en revanche qu’aucune tératogénicité n’a été observée.
Aucune
inquiétude particulière n’est donc justifiée lorsqu’une grossesse
débute sous un médicament de cette classe.
Enfin à ce jour, tout
indique que les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine II ont
les mêmes effets que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et en
partagent la contre-indication.
Les bloqueurs calciques sont très utilisés, du moins en France, chez
la femme enceinte. Pourtant, leur dossier est remarquablement
pauvre.
Il y a peu de certitudes sur leur absence de tératogénicité.
Leur action tocolytique, précieuse en cas de menace d’accouchement
prématuré, peut être source de difficultés lors de l’accouchement,
voire en post-partum.
Seules de solides études, qui manquent encore
à ce jour, pourraient leur conférer un niveau de preuve raisonnable.
5- Diététique
:
Le régime désodé a été largement utilisé pendant plusieurs dizaines
d’années et l’on y a même vu en un temps une panacée.
La preuve
de son inutilité et même de sa nocivité a été apportée en 1958 par
une remarquable étude de Robinson, et après d’innombrables
tergiversations, la communauté scientifique internationale l’a banni
définitivement de la panoplie des mesures utiles chez une femme
enceinte au début des années 1970.
En effet, il limite l’expansion volémique et risque donc de majorer la souffrance foetale ; il n’a par
ailleurs aucun effet préventif de la prééclampsie comme on l’avait
escompté en un temps.
Le doute qui subsiste encore chez quelquesuns
après 40 ans de preuves est donc difficilement compréhensible !
La plupart des autres tentatives de manipulation diététique se sont
avérées infructueuses et ont été abandonnées à leur tour.
L’intérêt
d’un apport calcique accru demeure débattu, mais garde des
partisans convaincus.
Il est probablement utile au moins dans les
populations à apport calcique carencé.
C - PRÉÉCLAMPSIE SÉVÈRE
:
Nous ne nous attardons guère sur ce sujet, qui relève en fait d’unités
de réanimation spécialisées.
La sévérité habituelle de l’hypertension
rend son traitement indiscutable.
Celui-ci est généralement
parentéral.
Le nombre de médicaments utilisables est ici plus limité.
Si aux États-Unis l’hydralazine reste le traitement favori, d’autres
produits sont plus utilisés en Europe.
Une méta-analyse récente n’a
montré aucune supériorité de l’hydralazine sur les autres
médicaments d’usage parentéral.
Le labétalol a été l’objet de
nombreuses études de bonne qualité, et son efficacité aussi bien que
son innocuité peuvent être tenues pour certaines.
L’urapidil a été
moins étudié, mais semble se comparer favorablement à
l’hydralazine.
La nicardipine, grand favori en France, n’a donné lieu
à aucune étude contrôlée acceptable.
Enfin, les formes rapides de nifédipine, proposées en un temps, sont actuellement contreindiquées
dans tout traitement antihypertenseur selon l’ensemble
des recommandations, françaises et internationales.
Ce traitement doit être conduit avec douceur malgré la gravité de la
situation.
Un palier doit être atteint en quelques heures visant à une
diastolique qui ne soit pas inférieure à 100 mmHg.
Une décroissance
aux alentours de 90 mmHg ne doit être faite que secondairement et
plus lentement.
Un traitement trop agressif expose aussi bien à des
complications maternelles qu’à une mort foetale rapide.
Certaines mesures d’appoint ont été proposées dans les formes très
sévères.
Leur efficacité est difficile à juger car elles sont appliquées
tardivement, dans des indications où le pronostic est généralement
très péjoratif. Ainsi, l’héparinothérapie et l’expansion du volume
plasmatique ont été utilisées avec des fortunes diverses.
Leurs
indications doivent être mûrement pesées en milieu spécialisé.
D - TRAITEMENT OBSTÉTRICAL
:
Tout ce qui vient d’être exposé indique clairement que le traitement
médical de l’hypertension gravidique est le plus souvent décevant.
Il ne change rien aux formes dont le pronostic est spontanément
bénin, et ne permet de gagner que très peu de terrain dans les
formes sévères.
Si le pronostic maternel et foetal dans l’hypertension
gravidique s’est amélioré de manière importante depuis deux
décennies, ce n’est donc pas lui qui peut en être crédité, mais les
progrès réguliers qui ont été réalisés en matière de surveillance et
de tactique obstétricale.
L’arrêt de la grossesse est en effet la seule
mesure qui mette fin aux manifestations hypertensives et protéinuriques maternelles.
C’est donc cette décision qui doit être
prise sans hésitation dans les formes graves lorsque s’annonce une
souffrance foetale, sans placer dans le traitement médical un espoir
qui a toutes les chances d’être déçu.
Agir ainsi n’est cependant
possible qu’à un terme suffisamment avancé pour que le risque
néonatal soit acceptable.
Et sur ce point, les progrès réguliers de la
néonatologie ont permis d’aborder presque sereinement des
extractions foetales à des termes inconcevables il y a encore peu.
C’est avant ce terme limite que toutes les ressources médicales
doivent être mises en jeu, dans le but de gagner quelques précieuses
semaines de maturité foetale.
Nous ne nous étendons pas ici sur les
méthodes obstétricales, pas plus que nous n’envisageons le
traitement de l’éclampsie et de l’HRP.
Traitements préventifs
:
Si le primum movens de l’hypertension gravidique est l’ischémie
placentaire, la déception apportée par le traitement médical n’est
pas surprenante conceptuellement, puisqu’il s’agit d’un traitement
symptomatique, agissant en aval du phénomène moteur.
Agir sur ce
phénomène n’est concevable qu’à titre préventif, avant que les
lésions placentaires irréversibles soient constituées et
qu’apparaissent les symptômes qui en sont la conséquence.
A - PRINCIPES
:
Idéalement, un traitement préventif devrait :
– être institué très précocement, c’est-à-dire lorsque les anomalies
dues à l’invasion trophoblastique défectueuse commencent à
apparaître ;
– avoir une action antithrombotique, voire peut-être
anti-inflammatoire ;
– rétablir la balance convenable entre prostacycline et thromboxane,
par une inhibition relativement sélective de ce dernier.
L’aspirine à faible dose représente une solution cohérente du
problème.
Elle exerce sur les artères placentaires in vitro une action
comparable à celle montrée dans d’autres systèmes-inhibition de la
synthèse de thromboxane avec respect relatif de celle de
prostacycline.
In vivo, de faibles doses d’aspirine entraînent, chez la
femme enceinte, une réduction de l’élimination urinaire de thromboxane B2, sans modification de l’élimination de 6-kétoprostaglandine
F1a.
La production de thromboxane est également
inhibée chez le foetus.
B - ÉTUDES
:
Nous avons rapporté en 1985 une première étude contrôlée de
traitement par l’aspirine au cours de grossesses « à haut risque » du
fait d’antécédents obstétricaux pathologiques.
Cette étude pilote
avait montré une prévention pratiquement totale de la prééclampsie
et du retard de croissance foetale.
Dans les années qui ont suivi,
plusieurs autres études contrôlées sont venues corroborer la nôtre.
Ces études avaient toutes en commun d’avoir impliqué, en dépit de
critères d’inclusion très différents, des patientes à risque élevé.
En
témoigne pour chacune le taux élevé de prééclampsie et d’accidents
foetaux dans la série témoin.
Une seconde série d’études, à très vaste échelle, a été entreprise, sur
des patientes cette fois-ci non ou très peu sélectionnées.
Deux études
américaines, impliquant des primipares non sélectionnées, ont
confirmé une prévention significative de la prééclampsie.
Deux
autres études n’ont pas montré d’effet. Elles ont impliqué des patientes sélectionnées sur la base d’un risque qualifié de « moyen »,
avec des critères assez flous.
Les patientes jugées à risque élevé en
étaient exclues car à l’époque, la conviction était acquise que le
traitement par l’aspirine apportait à ces dernières un bénéfice très
réel.
Témoigne de cette « contre-sélection » le pronostic
particulièrement favorable des grossesses, y compris dans la série
témoin.
En revanche, ces études ont permis d’acquérir des données
extrêmement rassurantes sur la sécurité d’emploi de l’aspirine, tant
pour la mère que pour l’enfant.
Ces dernières études, en particulier la gigantesque étude CLASP
avec ses presque 10 000 patientes, ont néanmoins jeté le trouble dans
les esprits et l’utilité de l’aspirine a été remise en doute.
La
publication de Caritis et al a achevé de semer le trouble car elle a
concerné des patientes à haut risque (hypertendues, diabétiques,
grossesses gémellaires, antécédents de prééclampsie...).
L’incidence
de la prééclampsie a été de l’ordre de 20 %, aussi bien dans le
groupe témoin que sous aspirine.
Après cette publication, quelques
auteurs (principalement les plus enthousiastes auparavant) ont
considéré que l’affaire était close et l’aspirine inefficace.
C - ASPIRINE, MODE D’EMPLOI
:
Sans entrer dans
le détail de l’argumentation, il est apparu que les récentes études
négatives avaient pâti d’une sélection très hétérogène, de délais
d’instauration du traitement allant jusqu’à 32 semaines et de doses
d’aspirine trop basses (en général 60 mg/j).
Il en ressort que globalement, en dépit des études
négatives d’effectifs considérables, le traitement demeure actif sur la
croissance foetale (une dernière méta-analyse pratiquée après la
publication de Caritis et al montre que cette situation est toujours
inchangée).
Si la dose d’aspirine est au moins égale à 100 mg/j,
l’efficacité apparaît très supérieure, et même un effet significatif sur
la mortalité périnatale est observé, ce qu’aucune étude individuelle
n’avait montré, du fait de l’heureuse rareté de cette complication.
L’efficacité est également très renforcée si le traitement est commencé
avant 17 semaines.
Quoi qu’il en soit, les odds-ratios apparaissant dans cette métaanalyse
parlent d’eux-mêmes contre l’accusation d’inefficacité ou
d’efficacité marginale dont l’aspirine est aujourd’hui l’objet.
Une
étude rétrospective des patientes ayant reçu de l’aspirine dans notre
département a confirmé l’importance décisive d’un traitement
précoce et montré qu’un allongement du temps de saignement sous
aspirine était également un facteur important de succès de ce
traitement.
Par analogie avec d’autres situations où l’aspirine s’est avérée
efficace, un traitement de plus en plus précoce, voire préconceptionnel, pourrait être envisagé.
L’adjonction de faibles
doses de corticoïdes est une autre possibilité.
Ces attitudes
relèvent pour le moment, soit d’observations anecdotiques, soit de
courtes séries, et ne sauraient donc être recommandées à plus large
échelle avant que des preuves plus consistantes aient été apportées.
L’association d’aspirine et d’héparine, ou la substitution de l’aspirine
par l’héparine, est également discutée, avec un niveau de preuve
qui reste encore très en deçà du minimum souhaitable.
Néanmoins,
ces différentes hypothèses en cours de test laissent entrevoir la
possibilité de sérieux changements de stratégie dans la prochaine
décennie.
D - PRÉDIRE POUR POUVOIR PRÉVENIR
:
Le fait de disposer d’un traitement préventif pose le problème de
ses indications.
La nécessité d’un traitement très précoce, largement
antérieur à tout symptôme maternel, centre la question sur une
prédiction précoce.
Ce problème n’est pas résolu à l’heure actuelle.
La connaissance des antécédents de la patiente a montré une bonne
efficacité, mais d’une part elle reste relativement empirique, d’autre
part elle n’est applicable qu’après que des accidents se soient déjà
produits, ce qui n’est pas satisfaisant.
Nous ne disposons d’aucun
marqueur biochimique fiable à un stade aussi précoce.
Certains
travaux laissent espérer qu’une étude doppler pourrait avoir une
bonne valeur discriminative entre les primipares qui auront ou non
une prééclampsie.
Cette
discrimination, si elle semble se confirmer, demeure actuellement
plus tardive que le terme souhaitable de début du traitement.
Cette prédiction
précoce demeure donc l’un des principaux challenges dans les années
à venir.
L’avenir à long
terme :
A - PRONOSTIC
OBSTÉTRICAL :
La tradition
veut que les patientes ayant eu une hypertension isolée et/ou
précoce au cours d’une grossesse soient exposées à une récidive
presque systématique au fil des grossesses suivantes.
Ce fait, bien
qu’inconstant, s’explique aisément par le fait que ces patientes ont
un risque vasculaire élevé et un terrain familial d’hypertension.
Cela n’implique pas nécessairement une
aggravation du pronostic de ces grossesses, ces hypertensions
restant généralement bénignes.
Plus débattue est la signification qu’il faut accorder à la prééclampsie
« pure » de la primipare. Nous avons étudié les grossesses
ultérieures chez 221 patientes qui étaient dans ce cas.
On peut constater que
moins de 30 % des grossesses sont normales.
La moitié d’entre elles
sont marquées par une hypertension isolée, et la récidive de la prééclampsie elle-même n’est pas exceptionnelle.
Par ailleurs, chez
ces patientes, la survenue d’accidents majeurs (HRP, mort foetale,
retard de croissance) est, elle aussi, d’une fréquence très supérieure
aux normes.
Il ne s’agit donc manifestement pas d’une pathologie
spécifique de la première grossesse et ne faisant courir aucun risque
pour les grossesses ultérieures.
Il convient d’en tenir le plus grand
compte pour la gestion de ces grossesses.
Sibai et al ont étudié les grossesses ultérieures de 406 femmes
ayant eu une prééclampsie sévère de la primipare. Une prééclampsie est apparue lors de la seconde grossesse dans 46 %
des cas (contre 7,6 % dans une population contrôle appariée).
Les
mêmes auteurs ont étudié 223 patientes ayant eu une éclampsie ;
22 % des grossesses ultérieures ont été compliquées de prééclampsie,
1,9 % par une éclampsie, 2,5 % par un HRP, 2,7 % se sont terminées
par une mort foetale.
Dans cette étude, le risque pour les grossesses
était nettement plus élevé chez les femmes dont l’éclampsie avait eu
lieu avant 30 semaines.
Pour notre part, nous n’avons pas constaté
cette différence entre prééclampsies précoces et tardives.
D’autres études, portant sur des effectifs moindres, ont confirmé que
les femmes ayant eu une prééclampsie lors de la première grossesse
sont fortement exposées à des grossesses compliquées
ultérieurement.
B - PRONOSTIC VASCULAIRE
:
La survenue d’une hypertension au cours de la grossesse a, en
réalité, peu de chances d’être indépendante du risque vasculaire de
fond, et par conséquent l’avenir vasculaire de ces jeunes femmes y
est inscrit.
Nous avons étudié l’avenir tensionnel
de 941 patientes ayant bénéficié d’un bilan 3 mois après une
hypertension de la grossesse.
Parmi elles, 33 % sont restées hypertendues par
la suite (26 % si l’on se limite à celles connues comme normotendues
avant la grossesse).
Ce chiffre est en large excès sur celui de la
population témoin qui compte 1,79 % de femmes hypertendues dans
cette tranche d’âge.
Parmi les patientes qui sont restées
hypertendues, 78 % étaient primipares et 40 % avaient eu une
hypertension du troisième trimestre, avec (20 %) ou sans (20 %)
protéinurie.
Les différents facteurs de risque évoqués plus haut
étaient répartis de manière identique entre primipares et multipares,
et entre hypertensions précoces et tardives.
Un suivi prolongé a
montré que 20 % des patientes qui étaient restées normotendues
après la grossesse sont devenues hypertendues dans les années qui
ont suivi.
Fisher et al ont étudié l’incidence d’une hypertension artérielle
ultérieure chez les patientes ayant présenté une prééclampsie
« pure » de la primipare, ce diagnostic clinique étant confirmé par
l’absence de toute autre lésion en histologie rénale.
Cette fréquence
est similaire à celle observée dans la population témoin féminine de
même âge.
En revanche, si l’on isole de cette population témoin les
femmes ayant eu une ou plusieurs grossesses, toutes normotensives, la fréquence
de l’hypertension est extrêmement basse.
Cela
revient à dire que les hypertendues sont, dans cette tranche d’âge,
des femmes qui ont eu une hypertension gravidique ou bien qui
n’ont pas eu de grossesses.
Sibai et al ont également montré une fréquence très accrue de
l’hypertension permanente chez les femmes ayant eu une prééclampsie, surtout si celle-ci avait été précoce (avant
30 semaines) ou récidivante.
D’autres études rétrospectives de très longue durée ont confirmé ces
faits.
Il est impossible ici de ne pas évoquer la grande étude
longitudinale de Chesley, unique par sa durée (plus de 40 ans !),
qui a montré que la mortalité cardiovasculaire des femmes ayant eu
une éclampsie dans le passé était très accrue, plus élevée encore
lorsqu’il s’agissait d’une multipare que lorsqu’il s’agissait d’une
primipare.
En d’autres termes, il peut être tenu pour certain que l’hypertension
au cours de la grossesse (prééclamptique ou non, première grossesse
ou non) démasque dans un très grand nombre de cas une tendance
hypertensive qui se révélera à plus ou moins long terme.
Ce fait est
essentiel pour le suivi médical ultérieur de ces jeunes femmes.
Conclusion
:
L’hypertension de la grossesse est fréquente et reste une cause majeure
de mortalité et morbidité maternelle et foetale.
C’est de loin la première
cause dans les pays développés et la troisième dans les pays en voie de
développement (après l’infection et l’hémorragie).
La connaissance de sa
physiopathologie, encore incomplète, est actuellement en progrès
rapides et une certaine logique d’ensemble se dessine progressivement.
Pour la résumer en deux mots, la base en est un trouble, très précoce, de
l’invasion trophoblastique, compromettant l’apport sanguin à l’unité foetoplacentaire, avec pour conséquence une pathologie diffuse de
l’endothélium.
Cette dernière est responsable d’une vasoconstriction
intense et d’une tendance thrombotique qui conditionne les diverses
manifestations ou complications viscérales.
Le traitement symptomatique de l’hypertension n’apporte aucune
amélioration au pronostic de ces grossesses, mais peut protéger les
mères contre des accidents aigus si l’hypertension est particulièrement
sévère. Les traitements préventifs, en particulier l’aspirine à faible dose,
à condition d’être utilisés très tôt dans la grossesse, peuvent améliorer
sensiblement le pronostic.
Enfin, nombre des patientes ayant souffert de
cette affection auront des accidents récidivants au fil des grossesses, et
sont de futures hypertendues.