A - Pression intra-oculaire normale
et hyperpression intra-oculaire :
La pression intra-oculaire (PIO) se mesure facilement
au cabinet de l’ophtalmologiste, en quelques secondes,
soit à l’aide d’un tonomètre annexé à la lampe à fente,
soit par un appareil à projection d’air indépendant des
autres instruments d’examen ophtalmologique.
Elle est
comprise normalement entre 10 et 20 mmHg et peut
présenter de petites variations (de 2 à 5 mmHg) au cours
du nycthémère.
Une hyperpression intra-oculaire (21 mmHg) est retrouvée
dans plus de 90 % des cas de glaucome primitif à angle
ouvert.
Elle paraît être la cause la plus fréquente du
glaucome, bien qu’il soit possible d’avoir une pression intra-oculaire très élevée et ne jamais développer de
glaucome (« hyperpression intra-oculaire isolée »), ou
qu’à l’inverse un glaucome authentique puisse exister
avec une pression intra-oculaire apparemment physiologique
(« glaucome à pression normale »).
L’élévation de la pression intra-oculaire dans le glaucome
primitif à angle ouvert est la conséquence d’une perturbation
de l’excrétion de l’humeur aqueuse au niveau du
trabéculum.
Il faut rappeler le trajet de l’humeur aqueuse
dans le globe oculaire :
– celle-ci est sécrétée par les procès ciliaires, glandes
situées derrière l’iris, au niveau du corps ciliaire ;
– elle passe de la chambre postérieure (entre cristallin et
iris) à la chambre antérieure (entre iris et cornée) par
la pupille ;
– elle est enfin évacuée dans l’angle irido-cornéen par
ce filtre d’excrétion microscopique qu’est le trabéculum.
Celui-ci rejoint un canal circulaire intrascléral, le
canal de Schlemm, qui lui-même s’évacue par de
multiples canaux collecteurs vers les veines de l’orbite.
Les mécanismes intimes de la perturbation trabéculaire
dans le glaucome primitif à angle ouvert sont encore peu
connus : collapsus des espaces intercellulaires, déficience
des pompes trabéculaires, altération du film protéinoglucidique
recouvrant les cellules du trabéculum…?
En
tout cas, lorsque l’ophtalmologiste examine l’angle irido-cornéen, celui-ci est normalement ouvert et aucune
modification anatomique n’est observable.
B - Altération de la papille optique
dans le glaucome :
La pierre de touche du glaucome est la papille ou tête du
nerf optique.
Les fibres optiques (axones des cellules
ganglionnaires rétiniennes) s’y regroupent pour former le nerf optique.
C’est ici qu’elles sont agressées dans le
glaucome, pour être progressivement détruites.
La cause
précise de cette perte cellulaire reste hypothétique.
La
pression intra-oculaire en excès peut écraser directement
les fibres optiques et stopper le flux axoplasmique,
ou écraser leurs vaisseaux nourriciers, ou encore
déstructurer les tissus de soutien entre lesquels cheminent
ces fibres.
Lorsque la pression intra-oculaire n’est
pas anormalement élevée, il est vraisemblable qu’une
chute de la perfusion oculaire (en cas de vasospasme par
exemple) soit directement à l’origine de cette perte
cellulaire progressive.
Quoi qu’il en soit, il existe une
grande disparité individuelle concernant la tolérance
de la papille vis-à-vis de la valeur de la pression intraoculaire.
Sur le plan fonctionnel, cette perte s’exprime par l’apparition
et la multiplication de scotomes dans le champ
visuel.
À l’examen du fond d’oeil, la papille devient
pâle, atrophique et elle se creuse progressivement.
Ainsi
se forme une excavation papillaire ou, lorsqu’existe déjà
une excavation physiologique constitutionnelle, celle-ci
s’élargit anormalement.
Diagnostic
:
Le glaucome primitif à angle ouvert atteint préférentiellement
les adultes de plus de 40 ans et un peu plus
souvent les hommes que les femmes.
Les deux yeux
sont habituellement touchés, souvent à un stade évolutif
différent.
C’est une maladie fréquente : on peut dire
qu’il y a en France environ 500 000 personnes suivies et
traitées pour ce type de glaucome et autant de glaucomateux
inconnus.
Ainsi une fraction équivalente à
1 à 2% de la population générale (plus de 10 % après
80 ans !) est directement concernée par cette affection.
Des antécédents familiaux sont fréquemment retrouvés.
La mise en évidence des gènes responsables est en
cours.
La transmission du glaucome primitif à angle
ouvert peut atteindre 50 % dans certaines familles.
Il est
donc impératif d’alerter tous les patients glaucomateux
sur cette possibilité, et de conseiller à l’ensemble de
leurs ascendants, descendants et collatéraux d’être examinés
pour dépister les cas encore inconnus.
A - Modes de découverte
:
Dans la majorité des cas, la maladie est découverte
–
parfois à un stade très évolué
– au cours du dépistage
systématique que fait l’ophtalmologiste lors d’une
consultation pour des problèmes de réfraction (changement
de verres de lunettes ou presbytie débutante), ou
pour tout autre problème oculaire sans rapport avec le
glaucome.
En revanche, il est rare de voir arriver des sujets venant
spécialement pour ce dépistage (inquiétés par des
parents atteints, des amis, des articles de presse) ou à
cause des signes fonctionnels liés au glaucome (perceptions
des scotomes, chute de l’acuité visuelle).
B - Symptômes
:
Les trois signes qui caractérisent la maladie sont des
signes d’examen : une hyperpression intra-oculaire
habituelle, la présence de scotomes (ou déficits périmétriques)
au relevé du champ visuel et la constatation
d’une excavation papillaire pathologique.
Il n’y a ni
douleur, ni rougeur oculaire, et l’acuité visuelle ne
s’effondre qu’au stade ultime de la maladie, ce qui
confère à celle-ci un caractère particulièrement
insidieux et sournois.
1- Déficits périmétriques :
La recherche des déficits glaucomateux a largement
bénéficié du développement de la périmétrie statique (le
test est fixe en une zone donnée du champ visuel, sa
luminance augmentant ou diminuant) au détriment de la
périmétrie cinétique de la classique coupole de
Goldmann.
Par ailleurs, l’adjonction de l’ordinateur
permet maintenant une comparaison plus fiable de tracés
successifs, en fournissant des indices quantitatifs.
Pendant très longtemps, le patient n’a pas conscience de
cette altération du champ visuel, puisqu’elle débute
toujours en dehors du champ visuel central (et n’altère
alors pas la valeur de l’acuité visuelle) et qu’elle se
constitue sur de nombreuses années, très progressivement.
Puis les déficits périmétriques vont s’élargir, se
multiplier et se rejoindre tout en devenant de plus en
plus profonds.
2- Excavation papillaire glaucomateuse :
Elle est facilement observable au fond d’oeil, creusement
progressif, faisant disparaître de façon centrifuge
l’anneau rosé regroupant les fibres optiques à l’entrée
dans le nerf optique.
Les vaisseaux émergents se retrouvent
progressivement plaqués au bord de la papille.
De
petites hémorragies papillaires fugaces peuvent accompagner
cette évolution.
3- Examen direct de la chambre antérieure :
À l’aide de la lampe à fente, l’ophtalmologiste note
parfois des anomalies oculaires plus fréquentes dans le
glaucome primitif à angle ouvert que dans la population
générale : excès de pigments (« dispersion pigmentaire »),
dépôts dits exfoliatifs.
Il constate, à l’aide d’un verre de
contact spécifique (« gonioscopie »), que l’angle iridocornéen
est normalement ouvert.
C - Glaucome primitif à angle ouvert
« à pression normale » :
Dans certaines circonstances, le globe oculaire présente
à la fois une excavation papillaire pathologique et des
altérations du champ visuel typiques de glaucome alors
que la pression intra-oculaire n’est jamais supérieure à
20 mmHg (après plusieurs mesures faites à différents
moments de la journée).
La mesure de la pression intraoculaire
peut ainsi être mise en défaut et ignorer la
présence d’un glaucome, bien qu’elle reste le test le plus fiable pour dépister la maladie au cours d’un examen
ophtalmologique de routine.
Ces cas, souvent diagnostiqués
à un stade évolué, pourraient représenter au moins
5 % de l’ensemble des glaucomes à angle ouvert.
Un
grand nombre d’entre eux réagit favorablement à
l’abaissement de la pression intra-oculaire (par exemple
en la faisant passer de 16 à 12 mmHg), ce qui confirmerait
une tolérance pressionnelle plus faible chez les
sujets développant ce type particulier de glaucome primitif
à angle ouvert. Ailleurs, l’abaissement pressionnel
ne suffit pas à stopper ou freiner la maladie.
Certains cas
de glaucome à pression normale s’intègrent à un syndrome vasospastique, s’associant avec une fréquence anormale
à une acrocyanose ou un terrain migraineux, et pouvant
alors réagir favorablement à la prescription d’inhibiteurs
calciques, telle la nifédipine.
D - Diagnostic différentiel :
1- Hyperpression intra-oculaire isolée
:
Un globe oculaire peut garder toute la vie durant une
pression intra-oculaire supérieure à 20 mmHg, et ne
jamais développer de glaucome. Cette situation non
pathologique concerne près de 10 % d’une population
d’âge adulte.
En d’autres termes, un patient qui a une
hyperpression intra-oculaire a plus de chances de ne
jamais présenter de dégradation glaucomateuse que d’en
développer une.
Certains tests très sensibles (analyseurs
de papilles et de fibres optiques, vision des contrastes…)
peuvent parfois révéler des lésions glaucomateuses passées
inaperçues au relevé du champ visuel et à l’observation
simple de la papille.
Pour l’ophtalmologiste, tout le
problème est de savoir s’il faut abaisser la pression intra-oculaire ou se contenter d’une simple surveillance.
2- Déficits périmétriques non glaucomateux
:
Toute la pathologie oculo-cérébrale peut créer des
atteintes périmétriques, depuis une opacité cornéenne jusqu’à
une nécrose occipitale mais les déficits glaucomateux
sont suffisamment typiques pour permettre d’éviter
habituellement une confusion diagnostique.
Par ailleurs,
le relevé de faux positifs est fréquent (alors qu’en fait le
champ visuel est indemne), et l’ophtalmologiste doit
confronter l’aspect de l’atteinte papillaire à celui des
scotomes pour dépister les incohérences, habituellement
provoquées par l’incompréhension de l’examen.
3- Excavations physiologiques :
En réalité, la constatation d’une excavation constitutionnelle
est fréquente dans les yeux normaux et, dans le
glaucome, il serait préférable de parler d’élargissement
de l’excavation physiologique.
Pour l’ophtalmologiste,
toute la difficulté est de savoir si l’excavation qu’il
constate est innée ou acquise et correspond donc à une
destruction glaucomateuse.
4- Autres glaucomes :
Ils sont constamment associés à une hyperpression intra-oculaire.
• Le glaucome primitif par fermeture de l’angle, plus
rare (1 cas pour 4 cas de glaucome primitif à angle
ouvert), survient classiquement sur un mode aigu : très
forte pression intra-oculaire en quelques minutes (souvent
> 60 mmHg), rougeur et douleur oculaires, nausées
et vomissements. Mais il peut être moins bruyant cliniquement.
Il survient préférentiellement chez des sujets
âgés hypermétropes et peut être déclenché par une prise
médicamenteuse dilatant la pupille (sympathomimétiques
ou parasympatholytiques, par voie locale ou
générale).
Ces substances ne risquent pas d’aggraver, en
revanche, un glaucome primitif à angle ouvert.
• Le glaucome congénital atteint préférentiellement les
enfants de moins 3 ans en créant de « trop gros yeux »,
avec des signes locaux irritatifs.
Des formes tardives
sont cependant possibles, ne s’exprimant qu’à la puberté
ou plus tard.
• Les glaucomes secondaires, inflammatoires, traumatiques, néovasculaires, postopératoires.
Un glaucome
cortisonique peut survenir chez certains sujets prédisposés
génétiquement, traités par une corticothérapie
locale ou générale au long cours.
Celle-ci n’est pas
formellement contre-indiquée chez les sujets déjà
atteints d’un glaucome primitif à angle ouvert, mais la
surveillance de l’état oculaire doit être renforcée.
Évolution
:
En l’absence de traitement, les déficits périmétriques
s’aggravent d’année en année. Au stade ultime, il ne persiste
plus qu’un îlot central de vision, qui se rétrécit
–
altérant enfin l’acuité visuelle
– pour disparaître
définitivement.
Le patient n’a plus que quelques
perceptions lumineuses en périphérie mais, en pratique,
il sera aveugle. La papille est alors totalement excavée.
Un certain nombre de paramètres peuvent précipiter
cette évolution :
– le niveau de la pression intra-oculaire naturellement ;
– des antécédents familiaux de glaucome ;
– la race noire ;
– la coexistence d’une myopie forte ;
– la présence d’une artériopathie systémique (hypertension
artérielle, diabète sucré, dyslipidémie, terrain
vasospastique) ;
– l’hypotension artérielle primitive ou iatrogénique peut
également aggraver rapidement un glaucome, par la
chute de la perfusion oculaire qu’elle provoque.
Un traitement bien conduit et bien contrôlé doit permettre
de freiner cette évolution, mais pas toujours de la
stopper dans les formes très évoluées.
La surveillance
d’un glaucome traité et apparemment équilibré sur le
plan pressionnel nécessite deux contrôles annuels,
incluant en particulier le relevé du champ visuel, test le
plus fiable pour confirmer ou non la stabilité du glaucome.
En cas d’hyperpression intra-oculaire, la fréquence des
contrôles oculaires
– comme la décision éventuelle de
traiter
– sera très variable en fonction du niveau pressionnel
et de la présence (ou pas) des facteurs de risque
énoncés ci-dessus.
Principes du traitement
:
En excluant les cas exceptionnels où un inhibiteur
calcique peut être prescrit (glaucome à pression normale
avec vasospasme) et en attendant d’éventuels neuroprotecteurs
efficaces, le seul traitement du glaucome
primitif à angle ouvert demeure l'abaissement de la
pression intra-oculaire.
Le traitement médical vient en
première intention.
Lorsqu’il ne permet plus d’abaisser
suffisamment la pression intra-oculaire et de stopper la
progression des déficits du champ visuel, un traitement au
laser et (ou) un geste chirurgical deviennent impératifs.
A - Thérapeutiques médicamenteuses :
L’ophtalmologiste dispose de 6 familles thérapeutiques,
toutes sous forme de collyres, pour abaisser la pression intra-oculaire.
• Les collyres b-bloquants (timolol et dérivés), dont la
tolérance est habituellement parfaite, ne doivent être
instillés qu’une ou deux fois dans la journée et représentent
encore la prescription de première intention. Ils
agissent en diminuant la sécrétion de l’humeur aqueuse.
Les contre-indications générales des b-bloquants
demeurent toutefois, en raison du passage systémique :
asthme, troubles de la conduction cardiaque, maladie de
Raynaud…
• Les récents dérivés de la clonidine, dits a2-agonistes,
abaissent la pression intra-oculaire en diminuant la
sécrétion de l’humeur aqueuse par un mécanisme qui
complète celui des b-bloquants.
Ils sont instillés 2 fois
par jour et sont globalement bien tolérés.
• Les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique sont
maintenant disponibles par voie locale
– alors que la
prescription d’acétazolamide (Diamox) per os a longtemps
été le seul mode d’administration possible de ce
type de molécule
– ce qui améliore singulièrement leur
tolérance, en particulier métabolique.
Ils doivent être
instillés 2 ou 3 fois par jour.
Ils diminuent également la
sécrétion de l’humeur aqueuse.
• Les collyres aux prostaglandines (Xalatan) sont
disponibles depuis peu, très efficaces sur l’abaissement
pressionnel, avec une seule instillation quotidienne.
Parfaitement bien tolérés tant localement que sur le plan
systémique, ils peuvent toutefois augmenter la pigmentation
de l’iris dans les yeux de couleur hétérogène, mais
cet effet irréversible n’est qu’esthétique.
Ils agissent en
augmentant l’excrétion de l’humeur aqueuse.
• Les collyres myotiques (essentiellement la pilocarpine)
et les collyres sympathomimétiques (adrénaline et
précurseurs) sont les plus anciens.
Ils agissent en
augmentant l’excrétion trabéculaire de l’humeur aqueuse.
Ils sont souvent mal tolérés et devraient progressivement
disparaître du traitement du glaucome.
Ces collyres peuvent naturellement être associés pour
renforcer l’abaissement pressionnel, mais la prescription
de plus de 3 collyres différents augmente considérablement
les risques d’intolérance sans bénéfice pressionnel
notable.
B - Laser
:
La technique appelée trabéculoplastie utilise l’énergie
thermique fournie par le laser à l’argon.
En 2 séances
faites en ambulatoire, avec une simple analgésie de
contact, une centaine d’impacts est placée sur la circonférence
du trabéculum, améliorant ainsi l’évacuation de
l’humeur aqueuse vers le canal de Schlemm.
Un abaissement
pressionnel moyen de 6 à 10 mmHg est généralement
obtenu ; les échecs immédiats de la technique
sont de l’ordre de 10 %.
Les résultats à long terme donnent
50 % de bons résultats persistant à 5 ans, 10 à 20 % au
bout de 10 ans.
Cette technique, très utile pour les sujets
âgés, doit être considérée comme un complément au
traitement médical, car il est rare qu’elle permette de
suspendre totalement les instillations de collyres.
C - Chirurgie :
L’intervention de choix dans le glaucome primitif à
angle ouvert est la trabéculectomie.
Elle consiste à
enlever sous la conjonctive, après dissection de la sclérotique,
quelques millimètres de trabéculum afin de permettre
à l’humeur aqueuse d’être directement drainée
vers les espaces sous-conjonctivaux.
La trabéculectomie
donne d’excellents résultats, durables, et permet de
suspendre habituellement le traitement médical en
totalité.
Elle risque toutefois de précipiter l’apparition
d’une cataracte ou de provoquer certaines complications
(hypotonie majeure, infection) interdisant sa
réalisation systématique.
Elle a été récemment améliorée
en une technique encore plus minutieuse, la sclérectomie
profonde, de réalisation difficile mais dont les suites
sont très simples.