La défaillance hépatocellulaire, menace vitale, à très court ou à plus
long terme selon son origine, reste un défi thérapeutique.
Au cours
des dernières décennies, de multiples tentatives de suppléance ont
échoué.
De nombreux dispositifs ont été imaginés et testés dans des
conditions cliniques, d’ailleurs très variées.
Ces différents systèmes
(hémodialyse, hémoperfusion, plasmaphérèse, échange plasmatique,
circulations croisées ou perfusions sur foie isolé) n’ont pas permis
d’améliorer la survie des patients.
Ces échecs sont explicables soit
par des raisons immunologiques, dans le cas par exemple des
perfusions de foie de porc, soit par des raisons physiologiques ou
biologiques lorsque des hépatocytes isolés furent utilisés en
l’absence de support convenable pour ces cellules.
En effet, ces
techniques ne permettent pas de suppléer aux nombreuses fonctions
métaboliques de synthèse et de transformation ou ne le permettent
pas sur un temps suffisant.
Cette démarche a été rapidement
supplantée par le succès incontestable de la transplantation
d’organe.
Place de la suppléance hépatique
:
Diverses situations cliniques menacent le pronostic vital par
insuffisance hépatocellulaire :
– la défaillance hépatocellulaire aiguë critique émaillant ou
terminant l’évolution d’une hépatopathie chronique pourrait profiter
d’une assistance temporaire, soit afin de protéger le patient des
conséquences d’une décompensation aiguë avant restauration, soit
afin de l’amener à la transplantation dans des conditions plus
favorables ; quoiqu’il en soit, les désordres architecturaux
irréversibles, source d’hypertension portale et de carcinome
hépatocellulaire, ne permettront pas de mener le patient à la
guérison par cette seule assistance ;
– à titre beaucoup plus exceptionnel, certains traumatismes
hépatiques majeurs pourraient bénéficier d’une suppléance
temporaire ;
– des résections hépatiques extrêmes pourraient aussi être
envisagées sous couvert d’une assistance temporaire, le temps de la
régénération ;
– lors de la non-fonction primaire du greffon parfois observée après
transplantation hépatique, une assistance temporaire, à l’instar de la
transplantation rénale, autoriserait à temporiser, voire à éviter
l’indication d’une retransplantation, grâce au délai ainsi permis pour
attendre une reprise retardée de la fonction hépatique ; faute de cette
reprise, ou de façon délibérée, cette stratégie aurait l’avantage de ne
pas imposer le recours dans certaines circonstances à des greffons
« limites » ;
– c’est incontestablement l’hépatite fulminante ou subfulminante
qui représenterait la principale indication d’une suppléance
transitoire ; d’origine toxique ou virale, elle survient sur un organe
précédemment sain ; si la réanimation moderne peut suppléer aux
principales défaillances biologiques engendrées par cette
circonstance, elle n’est cependant pas à même de lutter contre les
désordres cérébraux qui sont la principale cause de décès ; c’est sur
cette indication que portera tout principalement cet exposé.
Moyens actuels d’assistance
ou de suppléance :
A - TRANSPLANTATION ORTHOTOPIQUE TOTALE
:
À l’heure actuelle, la transplantation hépatique orthotopique est le
seul traitement qui ait prouvé son efficacité devant une insuffisance
hépatique aiguë.
Cependant, il s’agit d’une intervention lourde,
coûteuse, dont les taux de morbidité et de mortalité ne sont pas
négligeables.
En outre, la transplantation souffre de la pénurie
d’organe, aggravée dans cette indication par l’urgence de la
demande.
De nombreux malades décèdent avant de pouvoir
bénéficier d’un greffon disponible.
Ainsi, si le taux de réussite de la
greffe à 1 an est de 68% (ce qui est bien inférieur aux 80-90 %
obtenus dans d’autres indications de greffe), en réalité, en intention
de traiter, prenant en compte les décès sur liste d’attente en superurgence,
ce taux tombe à 57 %.
En outre, malgré le succès de la
transplantation, certains malades conservent les séquelles de leur
état neurologique prégreffe.
En l’absence de transplantation, 80 %
des patients en état d’hépatite fulminante décèdent. Mais, malgré la
mise au point de scores prédictifs, certaines transplantations sont
réalisées par « excès involontaire » chez des patients qui auraient pu
spontanément guérir.
À terme, le patient transplanté reste tributaire
d’une surveillance médicale étroite et contraignante tandis que le
traitement immunosuppresseur, qui d’ailleurs n’évite pas, parfois,
la détérioration tardive du greffon, soumet le patient aux risques
des nombreuses complications de l’immunosuppression prolongée.
Pourtant, dans la majorité des cas, cette greffe ne tire son indication
que de la nécessité de prévenir le passage au cap critique de la
détérioration cérébrale tandis que, à quelques heures ou jours près,
la plupart des foies détériorés sont susceptibles de régénérer.
B - TRANSPLANTATION ORTHOTOPIQUE
PARTIELLE TEMPORAIRE
:
Beaucoup de ces inconvénients peuvent être contournés par la
technique de la transplantation orthotopique partielle auxiliaire
temporaire.
Elle permet l’abandon du greffon après régénération
de la portion du foie natif laissée en place.
Intervention difficile,
demandant la disponibilité et l’expertise de deux équipes
chirurgicales, elle n’est pas non plus dénuée de risques immédiats.
Elle aussi est soumise aux contraintes de la disponibilité du greffon
en urgence.
C - INFUSION D’HÉPATOCYTES
:
Un concept très élégant vient d’être développé à Richmond,
université de Virginie.
Un contingent d’hépatocytes humains, isolés à partir de greffons non
retenus pour la greffe d’organe, a été infusé dans l’artère splénique
par voie rétrograde à cinq patients en encéphalopathie grade III-IV.
Les hépatocytes étaient soit fraîchement isolés (un patient), soit congelés-décongelés (quatre patients).
Ils étaient testés pour leur
réponse à l’induction de l’expression du gène P450. Un traitement
immunosuppresseur était institué par corticoïdes et ciclosporine.
Les
faits marquants de cette expérience clinique ont été :
– la diminution très significative (p = 0,0005) de l’ammoniémie ;
– la diminution ou le maintien à bas niveau de la pression
intracrânienne.
Trois patients ont pu recevoir une greffe d’organe avec succès.
Un
patient est décédé d’une complication hémorragique liée au
monitorage de la pression intracrânienne.
Un patient est décédé des
complications infectieuses abdominales préexistantes.
Cette
expérience n’est toutefois pas totalement convaincante :
– le nombre
d’hépatocytes transplantés paraît insuffisant (2,2 à 17 x 107),
mais une infusion plus importante est-elle possible si l’on veut
éviter l’hypertension portale ou la migration pulmonaire ?
– la viabilité des cellules était modeste (58 %) ;
– le nombre de patients est faible ;
– aucune des survies n’a été acquise sans le recours à une
transplantation d’organe ;
– dans deux cas sur trois, la greffe d’organe a été pratiquée très
précocement (j2-j3) ; dans le troisième cas (une intoxication
médicamenteuse), le maintien en vie durant 10 jours est
probablement un témoin de l’efficacité de la procédure, même si,
durant tout ce délai, le niveau du facteur V est resté à 15 %.
D - FOIE BIOARTIFICIEL INTERNE
:
Une autre démarche, encore expérimentale, consiste en un foie bioartificiel « interne » constitué d’hépatocytes allo- ou
xénogéniques, contenus dans une enceinte biocompatible et
implantés dans la cavité péritonéale.
Cette membrane semiperméable,
constituée d’un hydrogel à porosité déterminée, assure
le support à l’attachement nécessaire des cellules ainsi que leurs
échanges bioénergétiques avec le milieu extérieur environnant.
La
membrane constitue en outre la barrière immunitaire indispensable.
Des résultats très encourageants ont été obtenus sur le petit rongeur,
l’insuffisance hépatique étant toutefois instituée quelques jours après
l’implantation.
Dans le contexte de la suppléance hépatique en
urgence, cette méthode se heurte à l’obstacle de la nécessité d’une
période d’« installation » et de récupération fonctionnelle des
hépatocytes, probablement de plusieurs jours, peu compatible avec
l’impératif d’une action métabolique immédiate.
En outre, les
cellules transplantées peuvent être soumises, comme le foie natif, au
risque de destruction par l’agent toxique ou infectieux responsable
de l’insuffisance hépatique.
Des implantations itératives pourraient
donc s’avérer nécessaires. Enfin, l’application chez l’homme
nécessitera une gestion du conditionnement à beaucoup plus grande
échelle, dont la faisabilité reste à déterminer.
Quelques équipes, enfin, persistent depuis plusieurs années dans
leur projet de mise au point d’un foie hybride bioartificiel
extracorporel.
C’est ce concept qui sera développé au cours de cette
présentation.
Foie bioartificiel extracorporel
:
A - OBJECTIFS
:
Concept d’hybride biotechnologique basé sur la réunion d’une
enceinte biocompatible et d’hépatocytes isolés, son objectif principal
est d’assurer la survie du patient en insuffisance hépatique, avec, ou
mieux, sans transplantation.
Le second objectif est de corriger
l’encéphalopathie métabolique en la réversant et, mieux encore, en
la prévenant. Celle-ci, de mécanisme complexe, résulte de
l’accumulation dans l’organisme de molécules toxiques.
Très
certainement conséquences de la non-détoxification par un foie
devenu incompétent, ces molécules de petite taille (elles sont
dialysables) peuvent aussi provenir de la nécrose hépatocytaire.
Elles
sont responsables d’un oedème cérébral, d’une augmentation de la
pression intracrânienne et d’un ralentissement circulatoire cérébral.
Le foie bioartificiel se veut agir comme une véritable épuration
extracorporelle, temporaire, instituée de façon intermittente ou
continue, avec la détoxification comme objectif principal.
Ceci
suppose le maintien à un niveau fonctionnel élevé d’une quantité
importante de cellules durant toute la durée du traitement, soit
probablement plusieurs jours.
B - CAHIER DES CHARGES
:
La disponibilité permanente est la contrainte prioritaire.
Elle
conditionne au premier chef le choix des cellules.
Les hépatocytes
doivent être immédiatement fonctionnels et en quantité suffisante.
1- Quels hépatocytes ?
* Hépatocytes humains
:
Bien que pourvus d’une concordance immunologique tissulaire, ils
sont, comme tout greffon, la cible d’une réaction immunitaire de
type allogénique.
Ils disposent cependant d’une concordance immunologique, biologique et physiologique à l’égard des molécules
sécrétées et des récepteurs membranaires.
Leur statut viral est
strictement vérifiable. Mais la source d’hépatocytes humains
normaux est très limitée.
Ces cellules ne se divisent pas en culture,
du moins les cellules adultes disposant de toute la maturité
fonctionnelle.
Cet obstacle avait détourné les travaux vers d’autres
sources.
Actuellement, les réserves sécuritaires, de plus en plus
pressantes, émises à l’encontre des cellules xénogéniques, doivent faire
sérieusement envisager le retour à ces hépatocytes humains.
* Hépatocytes humains transformés
:
Bénéficiant d’une partie des qualités des précédentes, ces cellules,
issues de lignées d’hépatoblastomes (HepG2, C3A), conservent un
pouvoir illimité de prolifération en culture, rendant ainsi possible
une production de masse.
Cependant, elles ne disposent pas de
toutes les capacités métaboliques des hépatocytes normaux, telles
que l’uréogenèse et certaines fonctions isoenzymes P-450
dépendantes, et sont considérées comme moins performantes que
les hépatocytes de porc.
Surtout, sur le plan du risque
oncologique, leur usage chez l’homme est éthiquement discutable.
Implantées dans le secteur extracapillaire d’un bioréacteur à fibres
creuses, il a été montré que des nodules de cellules tumorales
avaient franchi la barrière de cette fibre à 100 kDa du seuil de
coupure.
Aucun défaut mécanique n’a été décelé sur les fibres.
Ceci laisse présager qu’aussi bien des protéines issues de ces cellules,
mais des cellules tumorales elles-mêmes, peuvent migrer vers le
patient branché au bioréacteur.
En outre, on ne peut non plus
exclure que des fragments génomiques de ces cellules ne puissent
s’intégrer au génome des hépatocytes réplicatifs du foie natif.
* Hépatocytes humains immortalisés
:
Autre source possible inépuisable de cellules allogéniques, ils
procèdent d’une technologie expérimentale qui demandera encore
plusieurs années de mise au point.
* Hépatocytes xénogéniques
:
Beaucoup d’auteurs s’accordent sur l’intérêt, dans cette stratégie de
production de masse et de disponibilité, du recours aux hépatocytes
d’origine animale.
Le porc, bien que phylogéniquement éloigné de
l’homme, apparaît comme le mieux adapté, source permanente et
illimitée de très grandes quantités de cellules.
Sur le plan sécuritaire,
deux préoccupations principales doivent faire l’objet d’un devoir de
précaution.
L’aspect microbiologique et le risque de xénozoonoses
ont motivé une réflexion d’experts à l’échelon de diverses nations
mais aussi lors d’une récente conférence de l’Organisation mondiale
de la santé à Genève.
Si la xénogreffe, en général, ne fait pas
véritablement l’objet d’un moratoire, des recommandations très
strictes ont été émises.
Par exemple, les animaux devront provenir
d’élevages protégés produisant des animaux exempts d’organismes
pathogènes spécifiés. En France, ces élevages sont d’ores et déjà
opérationnels.
Cependant, à ce jour, des interrogations persistent sur
la transmission à l’homme de rétrovirus porcins endogènes et
du virus de l’hépatite E.
La seconde préoccupation est d’ordre
immunologique.
Ce n’est pas tant la destruction des hépatocytes
porcins par les anticorps antixénogéniques préformés du patient.
En
effet, les bioréacteurs sont conçus, à des degrés d’ailleurs variés, aux
fins d’immunoprotéger les hépatocytes.
Il faut en revanche craindre
les possibles conséquences de l’immunisation du patient à l’encontre
de molécules porcines délivrées par le bioréacteur, comme ce qui a
été observé dans les perfusions croisées de foie de porc chez
l’homme ou par infusion de surnageant d’hépatocytes de porc
chez le rat.
Une forme indirecte de présentation antigénique a
montré son importance dans certaines xénoréponses.
L’activation
de cellules T pourrait produire des cytokines de type interleukine I
ou tumour necrosis factor, néfastes aussi bien au patient qu’aux
hépatocytes.
Quoiqu’il en soit, diverses techniques ont été décrites pour
l’isolement et la purification en masse d’hépatocytes porcins viables,
selon des procédures programmables et respectueuses des bonnes
pratiques, et ce pour l’obtention de plusieurs centaines de milliards
de cellules par animal et avec une source a priori illimitée d’animaux.
Ces hépatocytes de porc ont fait l’objet d’une évaluation
très complète de leurs aptitudes métaboliques et très spécialement
de leurs fonctions de détoxification.
2- Stockage des hépatocytes
:
L’isolement et la purification des hépatocytes ne peuvent se
concevoir que très en amont de la mise en place de la procédure
clinique, ne serait-ce que pour répondre à l’urgence. Dès lors, un
stockage et une préservation des cellules sont requis.
Sauf pour les
hépatocytes transformés, ce qui en ferait l’intérêt essentiel, il n’est
pas possible de cultiver plus de quelques jours les hépatocytes
humains normaux.
Une culture plus prolongée des hépatocytes
porcins semblerait possible, avec prolifération.
Néanmoins, ces
cultures de masse supposent une gestion et un équipement de
laboratoire considérables, susceptibles d’en limiter l’usage à grande
échelle.
Leur stockage par congélation paraît mieux adapté : durée
du stockage illimitée manipulation a minima des lots, traçabilité des
cellules et surtout possibilité de transport sur sites cliniques.
À cet
égard, la congélation et le transport du matériel cryopréservé
pourraient concerner, selon sa configuration, le bioréacteur au
complet, préchargé et prêt à l’emploi.
La congélation d’hépatocytes
de différentes espèces a été réalisée avec succès.
La décongélation
provoque cependant une perte d’environ 30 %. L’embillage dans
l’alginate aurait un effet protecteur.
3- Quelle masse hépatocytaire nécessaire ?
Les données acquises par les hépatectomies élargies chez l’homme
ont montré que 10 à 30 % de masse hépatocytaire résiduelle
suffisaient à assurer l’autonomie fonctionnelle hépatique et la survie
du patient.
Une expérience clinique de foie bioartificiel a montré
que 100 g d’hépatocytes étaient aptes à réduire le niveau
d’encéphalopathie.
Considérons ce besoin à une moyenne de 20 %
d’un foie adulte de 1 250 g.
Il conviendrait de charger le bioréacteur
avec au moins 250 g de tissu hépatique (essentiellement constitué
d’hépatocytes).
La dissociation de ce tissu hépatique produit
25 X 106 hépatocytes.
Ainsi, en première approche, le bioréacteur
serait chargé de 6,25 X 109 d’hépatocytes.
La dissociation d’un foie
de porc de 30 kg fournit 50 à 100 X 109 cellules, soit de quoi fournir
de huit à 16 bioréacteurs.
Ces données restent toutefois très
théoriques car les conditions de fonctionnement des hépatocytes
dans la portion résiduelle d’un foie entier sont très évidemment
optimisées eu égard aux manipulations qui auront précédé la mise
en action des hépatocytes isolés dans un bioréacteur.
En outre, au
cours d’une hépatite fulminante, la nécrose hépatocytaire du foie
natif augmente très certainement les besoins de détoxification du
plasma par le foie bioartificiel.
La charge hépatocytaire du
bioréacteur reste donc, à ce jour, très hypothétique.
Elle devra, à
l’avenir, faire l’objet d’ajustements selon les résultats des premiers
essais cliniques.
La configuration de certains des bioréacteurs déjà
développés risque de n’être plus adaptée en termes de contenance.
4- Quel bioréacteur et quel support ?
La configuration d’un foie bioartificiel avec suspension cellulaire
simple est désormais obsolète.
Les hépatocytes perdent toute
fonction en quelques heures. Après dissociation et stockage, la
viabilité et la fonctionnalité des hépatocytes doivent être maintenues
pendant la période de la procédure clinique.
Ceci nécessite que dans
le bioréacteur les hépatocytes disposent d’un support auquel ils
doivent adhérer rapidement et durablement.
Les modèles de bioréacteur
à fibres creuses réalisant des membranes capillaires ont été les
premiers développés dès lors que le principe d’immobilisation et
d’attachement des hépatocytes a été acquis.
Une enceinte
ouverte par deux ports contient une multitude de fibres creuses
indépendantes et elles-mêmes ouvertes à deux ports.
Dans les modèles de UCLA, de Houston et de Providence,
les hépatocytes occupent le secteur extracapillaire et le perfusat
circule dans le secteur intracapillaire ; les hépatocytes se fixent soit
directement sur ces fibres, soit à la surface externe de microporteurs qui se présentent sous forme de microbilles
constituées de collagène-dextran.
Les hépatocytes
transformés utilisés dans le modèle de Houston sont maintenus en
culture dans le bioréacteur jusqu’à usage thérapeutique.
Dans le
modèle de Minneapolis, le perfusat circule en
extracapillaire et les cellules occupent le secteur intracapillaire ; ici,
les hépatocytes sont immobilisés en tridimensionnel dans un gel de
collagène.
Ce système de fibres creuses microporeuses crée une séparation
semi-perméable entre le sang ou le plasma ciculants et les
hépatocytes.
La porosité est adaptée aux exigences biologiques du
système.
Ce cut-off fixe la taille des molécules susceptibles de
traverser.
Plus cette membrane est sélective, notamment à l’égard
des immunoglobulines (150 kD), plus le volume traité dans le
compartiment hépatocytaire (transfert de masse) est réduit.
La
circulation transmembranaire de ces systèmes est donc réduite.
Le modèle allemand de Berlin, plus élaboré, entrecroise de façon
indépendante, dans un conteneur thermostaté, quatre réseaux de
membranes capillaires installées en faisceaux et entre lesquels sont
répartis les hépatocytes.
Ceux-ci s’attachent à la paroi de ces fibres
et se distribuent en tridimensionnel sous forme d’agrégats dans le
secteur extracapillaire.
Chacune des multiples fibres creuses, par
spécialité, ne concerne qu’un lot réduit d’hépatocytes et chaque
groupe d’hépatocytes a dans son environnement proche les quatre
spécialités de fibres : les deux premiers réseaux sont celui du inflow
et celui du outflow du perfusat ; le troisième assure l’apport en
oxygène ; le dernier sert d’habitat à une coculture de cellules
endothéliales sinusoïdales.
Le bioréacteur ainsi préparé sert
de support de culture jusqu’à usage thérapeutique.
Celle-ci a pu être
maintenue jusqu’à 30 jours avec des hépatocytes de porc.
L’avantage
immédiatement évident de ce modèle sur les précédents est sa
grande contenance puisqu’il est susceptible d’accueillir 700 g
d’hépatocytes.
Le modèle néerlandais d’Amsterdam associe dans l’enceinte :
– une matrice 3D spiralée accueillant les hépatocytes ;
– un réseau de membranes capillaires distribuant l’oxygène et
rejetant le gaz carbonique ;
– un secteur extracapillaire de distribution du perfusat,
lequel est donc en contact avec les hépatocytes.
Ici encore, les hépatocytes de porc sont entretenus en culture dans le bioréacteur.
On peut s’interroger sur l’incidence de ce contact dans
un système allo- ou surtout xénogénique, ce que les auteurs n’ont
pas encore testé.
Un dernier projet, préalablement testé dans un modèle de déficit
enzymatique, s’affranchit des coûteux bioréacteurs à fibres creuses et de leurs multiples limites. Une enceinte thermostatée est
chargée d’hépatocytes allo- ou xénogéniques préalablement
immobilisés dans des microbilles d’alginate.
Ce gel stable assure un
excellent support tridimensionnel.
Il sert de membrane
microporeuse qui permet tous les échanges métaboliques
souhaitables ainsi qu’une parfaite immuno-isolation (cut-off entre
50 et 60 kDa).
Chaque microbille de 1 mm de diamètre contient
environ 800 à 1 000 hépatocytes.
Les billes chargées des hépatocytes
sont fabriquées par coextrusion.
De façon certes encore artisanale,
plus de 500 mL de billes sont produites en 10 minutes.
Après
l’isolation et l’embillage, les cellules sont stockées par congélation.
Cette cryopréservation des hépatocytes ainsi conditionnés préserve
les fonctions hépatocytaires à un niveau élevé.
Grâce à une large
trappe d’accès, le bioréacteur peut être très aisément chargé.
Il peut
contenir jusqu’à 1 000 mL de billes soit environ 10 X 109
hépatocytes, donc une « puissance biologique » considérable.
Les billes d’alginate
sont en suspension dans un flux pluridirectionnel de plasma.
La
circulation s’effectue par cycles où se succèdent des phases de
quelques minutes, alternant remplissage, brassage puis vidange avec
retour au patient du plasma traité.
La séparation plasmatique est
réalisée en continu grâce à un dispositif par centrifugation (Cobe- Spectra).
Un système de réserve volumique est interposé entre le
séparateur et le bioréacteur afin de réguler et d’équilibrer les entrées et
sorties du patient.
5- Quel perfusat, sang total ou plasma ?
Des arguments plaident en faveur de l’usage du sang total :
– réduction de coût ;
– réduction du « volume mort » nécessaire au remplissage des
différentes tubulures et enceintes ;
– simplification du circuit.
Les avantages du plasma sont, à l’inverse, multiples :
– réduction de l’hémolyse et de la consommation plaquettaire ;
– baisse des besoins en anticoagulant (chez des patients dont
l’hémostase est déjà défaillante) ;
– augmentation des débits de perfusion du bioréacteur par
recirculation du plasma, sans augmentation des débits de sang total
dans le séparateur plasmatique ;
– meilleure adéquation entre optimisation de la détoxification
plasmatique (en volume par unité de temps) et gestion de
l’hémodynamique précaire du patient ;
– absence de contact intercellulaire entre hépatocytes et cellules
immunocompétentes du receveur.
6- Quelle durée de traitement ?
Trois critères vont conditionner ce paramètre.
* Longévité des cellules dans cet environnement artificiel
:
Dans les différents modèles développés, ce paramètre reste mal
évalué.
Les fonctions de détoxification des hépatocytes, après leur
séjour dans le bioréacteur et au décours d’une procédure
thérapeutique, clinique ou expérimentale sont peu approfondies
dans les publications.
Dans le modèle d’hépatocytes en billes
d’alginate, testé avec des hépatocytes de porc sur un animal de
même espèce, ces fonctions sont préservées après 12 heures de
procédure (données personnelles).
* Effets secondaires ou délétères
:
Ces effets, notamment dans un système xénogénique, pourraient
s’avérer durée-dépendants.
Immunisation antiprotéines de porc,
libération de cytokines, consommation de facteurs de coagulation,
retentissement hémodynamique d’une séparation plasmatique
prolongée, etc, relèvent des critères d’évaluation des essais de phase
I.
Ces données manquent ou restent partielles dans les travaux
publiés à ce jour.
C’est dans ce souci d’efficacité et de précaution que la stratégie de
séances à durée limitée (6 heures) et éventuellement répétitives a été
privilégiée par certains.
Dans deux essais
cliniques (et
Gerlach, données non publiées), un traitement prolongé en continu,
respectivement 18-38 heures et 3-72 heures jusqu’à disponibilité d’un
greffon, a été appliqué, sans changement de bioréacteur et sans effet
secondaire notable.
* Objectifs
:
Le traitement répond à deux objectifs : soit attendre, dans des
conditions de survie, un greffon de bonne qualité, soit attendre la
régénération hépatique.
Dans le premier cas, la durée du traitement
est exceptionnellement supérieure à 72 heures.
En revanche, les
délais de régénération d’un foie en nécrose aiguë sont imprévisibles.
L’évolution de la fonction hépatique, du stade de la menace vitale
immédiate jusqu’à sa restauration, doit faire envisager le recours au
foie bioartificiel pendant probablement plusieurs jours.
Nombre de
malades en hépatite fulminante décèdent dans des délais inférieurs à
72 heures, faute de greffon donc de régénération.
En outre, chez
les patients qui ont bénéficié d’un greffon partiel auxiliaire,
plusieurs semaines sont nécessaires avant de pouvoir retirer ce
greffon. Serat-
il possible de maintenir les patients sous foie bioartificiel pendant
ces délais ?
C - ESSAIS IN VIVO CHEZ L’ANIMAL
:
L’évaluation de ces procédés sur des modèles animaux est restée
curieusement très modeste.
Cette démarche en termes de faisabilité
et d’innocuité a été approchée très incomplètement.
Sur le plan de
l’efficacité, les expérimentations ont été imparfaites en termes de
méthodologie et très insuffisantes en termes de critères de jugement.
Il est vrai que, en ce domaine, le principal obstacle est la quasiimpossibilité
de modéliser expérimentalement chez l’animal, petit
rongeur ou gros mammifère, une insuffisance hépatique aiguë
(fulminante ou subfulminante) superposable à celles observées chez
l’homme.
Il convient, en effet, de conjuguer un taux de mortalité
élevé et une capacité de régénération spontanée.
1- Modèle UCLA
:
– Comparaison de sept chiens traités et de six contrôles dans un
modèle d’insuffisance hépatique aiguë ischémique.
– Bioréacteur à fibres creuses chargé d’hépatocytes de porc sur
microporteurs, en extracapillaire.
– Différence significative (p < 0,05) en termes d’ammoniémie et de
temps de Quick.
– Aucune évaluation ni de l’encéphalopathie (animaux sous
anesthésie) ni de la survie (sacrifice après 6 heures de traitement).
2- Modèle Houston
:
– Comparaison de cinq chiens traités et de huit contrôles dans un
modèle d’insuffisance hépatique aiguë toxique (acétaminophène).
– Bioréacteur à fibres creuses chargé d’hépatocytes transformés, en
extracapillaire.
– Décès de tous les animaux contrôles entre 32 et 48 heures et d’un
seul des cinq traités.
3- Modèle Minneapolis
:
– Comparaison de cinq chiens traités et de cinq contrôles dans un
modèle d’insuffisance hépatique aiguë toxique (galactosamine).
– Bioréacteur à fibres creuses chargé d’hépatocytes de porc, en
intracapillaire dans un gel de collagène.
– Aucune survie après 36 heures dans le groupe contrôle contre
80 % à 47 heures dans le groupe traité.
4- Modèle Providence, Rhode Island
:
– Comparaison de 11 lapins traités et de 13 contrôles dans un
modèle d’insuffisance hépatique aiguë toxique (galactosamine).
– Bioréacteur à fibres creuses chargé d’hépatocytes de lapin, en
extracapillaire.
– Différence peu significative dans le délai de survenue de
l’encéphalopathie (p < 0,06), plus significative dans l’absence
d’encéphalopathie après 50 heures (p < 0,03) et modeste dans la
survie après 80 heures : 36 % versus 10 % (p < 0,04).
5- Modèle Amsterdam
:
– Comparaison de six rats traités et de huit contrôles dans un
modèle d’insuffisance hépatique aigüe ischémique.
– Bioréacteur à réseaux de fibres creuses, chargé d’hépatocytes de
porc sur matrice extracapillaire hélicoïdale.
– Survie significativent améliorée dans le groupe traité : 11,3 ±
2,4 heures versus 5,2 ± 1,9 heures (p < 0,001).
6- Modèle Berlin (travaux non publiés)
:
– Comparaison de quatre porcs traités et de trois contrôles dans un
modèle d’insuffisance hépatique aiguë par hépatectomie.
– Bioréacteur à réseaux de fibres creuses, chargé d’hépatocytes de
porc en extracapillaire.
– Prolongation de survie dans le groupe traité : 47,8 ± 8 heures
versus 17,3 ± 9 heures.
7- Modèle Rennes (travaux non publiés ;
résultats des étapes d’optimisation du bioréacteur
et de la masse hépatocytaire) :
– Comparaison de porcs traités et de contrôles dans un modèle
d’insuffisance hépatique aiguë ischémique.
– Bioréacteur à suspension de billes d’alginate, chargé d’hépatocytes
de porc.
– Maintien à niveau normal de la pression intracrânienne au-delà
de 13 heures (versus 9 heures).
D - PREMIERS ESSAIS CHEZ L’HOMME
:
1- Modèle «Hepat-Assist » de UCLA
:
Chaque cartouche
était chargée de 4 à 6 X 109 hépatocytes de porc congelés. Les scéances duraient de 6 à 7 heures ; elles se répétaient jusqu’à
obtention d’un greffon.
Tous les patients ont bien toléré le traitement
dont l’efficacité a été jugée sur :
– l’amélioration de l’état neurologique ;
– la baisse de la pression intracrânienne (p < 0,005) ;
– la baisse de l’ammoniémie (p < 0,03).
En 1997, l’expérience de cette équipe comportait 31 cas (incluant
les sept premiers).
Les patients inclus dans l’étude ont été répartis
en trois groupes :
– groupe I : 18 malades en hépatite fulminante répondant aux
critères de transplantation élective, dont quatre étaient victimes
d’une intoxication au paracétamol ;
– groupe II : trois patients en non-fonction primaire du greffon ;
– groupe III : dix patients en décompensation aiguë sur
hépatopathie chronique et ne répondant pas aux critères de
transplantation en urgence.
Cinquante-quatre séances de 6 à 7 heures ont été dispensées.
Dans
le groupe I, 16 patients ont pu être transplantés, un est décédé d’une
pancréatite aiguë associée, un a suvécu sans transplantation.
Dans
le groupe II, les trois patients ont été retransplantés. Dans le groupe
III, huit patients sont décédés à échéance et deux ont pu être
conduits jusqu’à une transplantation.
La seule réalité objective de ce
traitement fut la baisse de la pression intracrânienne et
l’amélioration de la pression de perfusion cérébrale.
De façon moins
significative, une baisse de l’ammoniémie fut observée.
Au terme de
ce travail, les auteurs annonçaient l’initiation d’un essai contrôlé,
sans résultat publié à ce jour.
Ce modèle a été également testé par une équipe française sur huit
patients.
Chaque patient a été branché au foie bioartificiel pour
une période de 6 heures chaque jour, jusqu’à obtention d’un greffon.
Respectivement, trois, trois et deux patients ont bénéficié de une,
deux et trois scéances.
L’effet le plus positif fut l’amélioration du
score de Glasgow (7 à 10) et de l’ammoniémie (125 à 100 ímol/L)
mais seulement au décours de la première scéance.
Toutefois,
quelques accidents hémorragiques ont été déplorés.
Les huit patients
ont été transplantés.
Un patient est décédé le lendemain d’un
accident hémorragique en rapport avec la prise de pression
intracrânienne.
2- Modèle « Hepatix » de Houston
(200 g d’hépatocytes transformés C3A) :
Il a fait l’objet de deux études cliniques distinctes : l’une par les
inventeurs du modèle, l’autre à l’occasion d’un essai contrôlépilote
par l’équipe du King’s College de Londres.
La première série a comporté 11 patients traités entre 1991 et 1994.
Dix étaient victimes d’une hépatite fulminante et un patient était anhépatique au décours d’une non-fonction primaire après
transplantation.
Aucun effet délétère du traitement ne fut observé.
Il
n’est fait mention dans ces travaux que de très peu de données
chiffrées témoignant de l’efficacité thérapeutique.
L’étude du King’s College
a inclus 24 patients pendant 1 an.
Il s’est agi de
12 femmes et de 12 hommes, âgés de 14 à 65 ans (moyenne 30 ans).
Les patients ont été
distingués en deux groupes selon leur état clinique à l’entrée dans
l’étude : groupe I, patients ne rassemblant pas les critères de
transplantation, avec des chances de guérison entre 30 et 50 % ;
groupe II, indication à une transplantation en urgence.
Chacun des deux
groupes a fait l’objet d’une séparation entre patients du lot traité
et ceux du lot contrôle.
Aucune
différence significative n’a été notée entre groupe traité et groupe
contrôle, ni en survie, ni en critères cliniques, ni en critères
biologiques.
Les 17 patients
victimes d’une hépatite fulminante au paracétamol ont fait l’objet
d’une analyse distincte.
Sans être statistiquement significatif, l’effet sur l’encéphalopathie
semble se manifester dans le groupe traité : sept des huit patients
ont amélioré ou stabilisé leur encéphalopathie contre trois sur neuf
dans le groupe contrôle.
3- Expérience berlinoise
:
Elle a concerné six patients qui, à ce jour, n’ont pas fait l’objet de
publication.
Conclusion
:
Concept séduisant, le foie bioartificiel extracorporel demeure à ce jour
du domaine expérimental. La configuration du dispositif demande à être
optimisée.
Le choix des hépatocytes, le contrôle et le maintien de leurs
fonctions doivent faire l’objet d’une meilleure évaluation.
Leur
disponibilité et leur stockage doivent répondre à l’objectif d’une gestion
à grande échelle.
Des laboratoires de thérapie cellulaire vont devoir être
conçus afin d’assurer transfert et développement de l’étape de recherche
à celle de la pratique clinique.
Il conviendra, en effet, de traiter ces
dispositifs médicaux selon les recommandations des bonnes pratiques et
en assurant un contrôle de qualité et une veille sanitaire.
Cette innovation thérapeutique n’a été, curieusement, que très peu
validée expérimentalement sur le gros animal. Les quelques essais
cliniques paraissent anticipés.
À ce propos, les patients publiés à ce jour,
même récemment, ont été traités il y a déjà plusieurs années, sans séries
récentes.
Ceci signifierait-il que certains projets ont été ou pourraient
être abandonnés, tels quels, ou profondément modifiés ?
Cette démarche novatrice, si elle reste encore hypothétique, semble
toutefois devoir aboutir comme en témoignent beaucoup d’indicateurs
issus de la recherche.
À ce jour, le fait clinique le plus notable relevé
dans les quelques études de phase I-II est une tolérance satisfaisante sur
de brèves périodes.
La procédure systématiquement interrompue dès la
disponibilité d’un greffon ne permet pas de démontrer avec certitude un
possible effet de suppléance hépatique.
Dans ces premières approches
cliniques, l’objectif principal (et parfois un peu ambigu) était d’assurer
un relais avant qu’une transplantation ne soit possible.
Dorénavant, si
l’on veut prouver l’efficience de ces dispositifs, les essais cliniques
devront répondre aux exigences d’une méthodologie rigoureuse. Dans le
cadre de l’hépatite fulminante, indication de référence, il conviendra de
prendre en compte l’incertitude évolutive spontanée de cette pathologie.
L’objectif principal et les éventuels objectifs secondaires devront être
clairement annoncés.
Pourtant, on peut pressentir que cet objectif
principal ne sera évident ni à formuler ni à valider.
Sera-ce le seul
succès d’un relais avant la transplantation, ce qui pourrait en réduire
les mérites potentiels ?
À l’inverse, pourra-t-on éthiquement, devant
une efficacité évidente, et refusant un greffon, prolonger l’épuration
extracorporelle, jusqu’à la limite soit de la guérison, soit de la
transplantation devenue à nouveau nécessaire ?
Si cette efficacité était
prouvée, avec mais surtout sans transplantation, la méthode pourrait
susciter des essais concernant d’autres causes d’insuffisance hépatique.