Analgésie en chirurgie thoracique Cours de Chirurgie
Introduction
:
L’analgésie en chirurgie thoracique, répondant à la demande des
patients et permettant de réduire les complications postopératoires,
ne peut plus être éludée.
Elle doit être efficace dès le réveil et être
poursuivie 3 à 5 jours, cette période étant plus réduite lorsque
l’opéré a bénéficié d’une minithoracotomie ou d’une thoracoscopie.
De très nombreuses techniques, administration parentérale
d’antalgiques ou techniques d’analgésie locorégionale, sont
proposées.
Elles peuvent être associées, ce qui améliore le
résultat tout en en diminuant les effets secondaires.
Le choix d’une
stratégie d’analgésie dépend de plusieurs éléments : le souhait du
patient (après qu’il a été informé des risques et bénéfices de chaque
technique), le type d’intervention, la pathologie du patient, les
possibilités de surveillance de la structure de soins.
Une stratégie
d’analgésie doit donc être proposée au malade dès la consultation préanesthésique.
Douleur
:
COMPOSANTES DE LA DOULEUR
:
Après thoracotomie, les origines de la douleur sont multiples et
correspondent à des niveaux d’innervation très étendus.
Ceci
explique le caractère parfois imparfait de l’analgésie procurée par
certaines techniques locorégionales.
1- Douleurs d’origine pariétale
:
La plaie opératoire, les muscles intercostaux du quatrième ou
cinquième espace intercostal, ainsi que les espaces de drainage
(huitième ou 11e espace intercostal) constituent les principales
sources douloureuses.
Une douleur osseuse liée à une éventuelle
fracture de côte peut s’y ajouter.
Les afférences de tous ces éléments
transitent par les nerfs intercostaux.
L’étirement par l’écarteur des ligaments costotransverses,
costovertébraux et des muscles paravertébraux peut être responsable
de dorsalgies intenses.
Les afférences de cette douleur transitent par
les rameaux primaires postérieurs de la racine médullaire.
La section des muscles de l’épaule, grand dorsal, trapèze, rhomboïde
et grand dentelé, entraînent une douleur postopératoire lors de la
mobilisation de l’épaule ou du bras ; l’innervation de ces muscles
est d’origine cervicale (C5-C6).
2- Douleurs d’origine viscérale
:
L’irritation pleurale, liée aux manipulations chirurgicales, aux
drains, à un épanchement sanguin ou encore à une substance
chimique (lors d’un talcage), entraîne une douleur d’intensité
variable, constamment majorée par les mouvements respiratoires et
la toux.
Cette douleur aiguë, médiée par les nerfs intercostaux, peut
être aussi invalidante que celle due à l’incision.
La plèvre viscérale ne joue aucun rôle dans la douleur
postopératoire, son innervation étant sympathique.
3- Douleurs projetées
:
Deux types de douleurs projetées, douleurs de la face antérieure du
thorax et de l’épaule, peuvent se retrouver après chirurgie thoracique.
Les douleurs de la face antérieure du thorax peuvent
être liées à une irritation de la muqueuse bronchique. Les douleurs
projetées de l’épaule sont classiquement attribuées à une irritation
pleurale ou diaphragmatique.
L’origine diaphragmatique est mieux
connue : la stimulation des fibres phréniques entraîne une réponse
excitatrice des neurones du faisceau spinothalamique homolatéral
de C3 à D6 ; l’anesthésie du nerf phrénique prévient la survenue
d’une douleur de l’épaule.
Il est cependant probable que le
mécanisme de cette douleur projetée de l’épaule soit plus complexe
et fasse intervenir des structures supraspinales.
Analgésie parentérale
:
A - MORPHINE
:
Molécule de référence, elle appartient à la classe 3 des antalgiques
selon la classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
1- Administration de morphine par voie sous-cutanée
:
L’administration systématique de morphine par voie sous-cutanée
est recommandée à la posologie de 5 à 10mg toutes les 4 heures.
Cependant, l’administration intramusculaire ou sous-cutanée d’un
morphinique a plusieurs limites : pic d’action survenant environ
1 heure après l’injection, posologie fixe ne tenant pas compte de la
demande de chaque patient, marge thérapeutique faible avec des
risques de sous- ou de surdosage.
2- Analgésie intraveineuse contrôlée par le patient
(ACP) ou analgésie autocontrôlée
:
Ses modalités d’utilisation et de surveillance, ses effets secondaires
n’ont pas de particularité en chirurgie thoracique.
Le schéma
habituel de prescription comprend des bolus de 1 à 2mg de
morphine avec un délai de 7 à 10 minutes entre deux bolus sans
« dose plafond » tant que le patient séjourne dans une unité où la
surveillance est constante.
Les données suivantes ont été recueillies
sur une série de patients juste après une thoracotomie postérolatérale : dose nécessaire de titration de 17 ± 10 mg (m ±
écart-type), dose autoadministrée de 71 ± 30 mg de morphine
(valeurs extrêmes de 1,5 et de 106 mg) durant les 24 premières
heures, score de douleur au repos inférieur à 30 mm (sur une échelle
visuelle analogique comprise entre 0 et 100 mm) obtenu de façon
stable après 4 à 6 heures, le score de douleur à l’effort restant de
l’ordre de 50 à 60 mm.
Les jours suivants, la posologie
est réajustée lors d’un examen biquotidien.
La facilité de mise en oeuvre de l’ACP explique que cette technique
soit largement prescrite bien que son efficacité soit incomplète,
notamment à l’effort.
Ceci limite la participation de l’opéré à la
kinésithérapie.
B - ADJUVANTS
:
Une analgésie associant des médicaments de classes différentes
(analgésie balancée ou analgésie multimodale) améliore l’effet
obtenu.
Elle permet de diminuer les doses de chacun d’entre eux,
notamment celle des morphiniques.
Ainsi, l’ACP doit-elle être associée à l’administration d’un antalgique périphérique (classe 1
de l’OMS) de préférence de manière systématique, parfois en
recours.
1- Paracétamol
:
Le paracétamol, recommandé pour les patients qui subissent une
chirurgie de surface peu douloureuse, est largement prescrit,
compte tenu de l’absence d’effets indésirables. Son efficacité n’a pas
été démontrée en chirurgie thoracique.
2- Anti-inflammatoires non stéroïdiens
:
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens ont un effet d’épargne
morphinique démontré et d’amélioration de la qualité de l’analgésie,
en particulier à la douleur provoquée.
Largement prescrits après les
actes chirurgicaux à forte composante inflammatoire (chirurgie de
surface, dentaire, oto-rhino-laryngologique, orthopédique), ils ont un
effet bénéfique démontré après thoracotomie et
thoracoscopie.
Les anti-inflammatoires non stéroïdiens ont leur
place dans une analgésie balancée parentérale (paracétamol +
antalgique central faible ou morphine + anti-inflammatoire non
stéroïdien) ou comme complément d’une analgésie locorégionale
(blocs intercostaux ou analgésie péridurale pour traiter des
composantes douloureuses provenant de territoires non couverts par
ces techniques, comme une douleur d’épaule).
Plusieurs études ont montré l’absence d’effet délétère d’une
perfusion prolongée de diclofénac ou de kétorolac sur
l’hémostase et la fonction rénale ainsi que le très faible risque
hémorragique si le traitement est de courte durée.
Cependant, la
prescription d’un anti-inflammatoire non stéroïdien doit respecter
strictement ses contre-indications (antécédents gastro-intestinaux,
insuffisance rénale, hypovolémie, âge supérieur à 75 ans...), avoir une durée
maximale de 5 jours par voie orale et de 48 heures pour la voie
intraveineuse et être interrompue dès les premiers signes
d’intolérance (gastralgie, saignement).
Certains
auteurs ne prescrivent pas d’anticoagulant, à titre de
prophylaxie de maladie thromboembolique, lorsque l’opéré reçoit
un anti-inflammatoire non stéroïdien.
L’utilisation en tant qu’antalgiques postopératoires des
inhibiteurs sélectifs de la cyclo-oxygénase-2 est débutante ;
aucun essai n’a été réalisé après thoracotomie.
3- Kétamine
:
La kétamine inhibe de manière non compétitive les récepteurs
N-méthyl-D-aspartate (NMDA).
Son interaction avec les morphinomimétiques est complexe avec, notamment, une limitation
de l’hyperalgésie.
Les principaux effets observés sont une
diminution significative de la consommation de morphinique
et une amélioration de la qualité de l’analgésie.
À la posologie
recommandée de 0,15 mg/kg par voie intraveineuse, les effets
secondaires psychodysleptiques sont rares.
De plus, la kétamine
pourrait réduire le risque de douleur chronique après
thoracotomie.
C - AUTRES ANTALGIQUES
:
La place des antalgiques centraux faibles (classe 2 de l’OMS) est
limitée.
Le tramadol (Topalgict) réduit de manière significative la
douleur dans les 24 premières heures postopératoires.
Le néfopam (Acupant) a un effet analgésique médiocre après
thoracotomie, inférieur à celui de la nalbuphine (Nubaint).
Analgésie locorégionale
:
A - ANALGÉSIE PÉRIDURALE
:
L’administration péridurale lombaire de morphine ou de fentanyl
n’a pas sa place après chirurgie thoracique ; son effet analgésique
est proche de l’ACP par voie intraveineuse avec un risque
respiratoire retardé pour la morphine et précoce pour le fentanyl.
L’administration péridurale thoracique d’un morphinique et d’un
anesthésique local assure l’analgésie la plus efficace après
thoracotomie.
Plusieurs essais cliniques ont montré l’intérêt d’une
telle association, chaque classe de médicament ayant un
point d’impact différent.
La réduction de la posologie de chacun des
produits diminue le risque d’effets secondaires ; l’absence de
nausées et vomissements permet la reprise plus rapide de
l’alimentation orale.
Elle facilite la mobilisation précoce et la
rééducation.
Par ailleurs, il ne faut pas omettre les bénéfices de
l’anesthésie péridurale thoracique aux plans cardiovasculaire, gastrointestinal
et métabolique.
1- Technique
:
Le niveau de ponction doit être proche de l’espace intercostal incisé
(D4-D5 ou D5-D6) afin de limiter le volume d’anesthésique local
perfusé et donc l’extension du bloc sympathique.
La ponction est
plus simple à réaliser par voie paramédiane que par voie médiane.
Le cathéter est tunnellisé sur quelques centimètres pour améliorer
sa fixation.
La position haute du cathéter explique la survenue
possible d’un syndrome de Claude Bernard-Horner et d’une parésie
des membres supérieurs.
Le risque d’hématome péridural contre-indique l’injection
préopératoire d’anticoagulants et oblige à pratiquer une fenêtre
thérapeutique lors du retrait du cathéter péridural ; aucune étude
n’a porté sur le risque induit par cette pratique en chirurgie
thoracique alors que l’analgésie péridurale basse diminue l’incidence
des thromboses veineuses postopératoires après chirurgie
vasculaire et chez les patients opérés de fracture de l’extrémité
supérieure du fémur.
On peut recommander la conduite
suivante : dernière injection d’héparine de bas poids moléculaire 24
heures avant l’heure programmée de la ponction, première injection
postopératoire 4 à 8 heures après la fin de l’intervention chirurgicale
et retrait du cathéter péridural effectué à distance des injections.
2- Schéma thérapeutique
:
La bupivacaïne est l’anesthésique local de référence.
La ropivacaïne,
moins cardiotoxique et entraînant moins de bloc moteur, tend
à la remplacer, d’autant que sa présentation en poche de 200 mL
(ropivacaïne à 0,2 %) supprime les dilutions et réduit le risque
septique lié aux manipulations.
La perfusion d’anesthésique local
est préférée à la répétition des bolus : analgésie et hémodynamique
plus stables, risque toxique réduit.
La morphine, le fentanyl et le sufentanil peuvent tous trois être
administrés.
Certains auteurs privilégient l’usage de la morphine du
fait de l’extension céphalique (migration dans le liquide
céphalorachidien), d’autres celui des molécules liposolubles qui ont
une action plus rapide et un risque plus faible de dépression
respiratoire retardée.
Le profil pharmacodynamique de la
morphine en explique la prescription en perfusion continue alors
que celui des morphiniques liposolubles correspond mieux à une ACP.
Comme pour les anesthésiques locaux, il est possible qu’il
existe un « effet volume », un volume plus important accroissant le
nombre de récepteurs opiacés en contact avec la solution.
Un tel
effet a été observé chez l’animal uniquement pour une faible dose
de sufentanil.
* Administration péridurale continue
:
Parmi les multiples schémas posologiques proposés, certains
peuvent être retenus :
– perfusion de 5 mL.h–1 de bupivacaïne à 0,25 % et de 0,2 mg.h–1 de
morphine ;
– perfusion de 4 à 10 mL.h–1 de bupivacaïne à 0,125 % ou de
ropivacaïne à 0,2 % et de fentanyl (4,5 µg.mL–1) ;
– perfusion de 6 à 8 mL.h–1 d’une solution de bupivacaïne à 0,125 %
et de sufentanil (0,7 µg.mL–1) ;
– perfusion de 4 à 20 mL.h–1 d’une solution de bupivacaïne à 0,1 %
et de sufentanil (1 µg.mL–1).
En pratique, l’adaptation du débit à l’effet obtenu est plus
importante que le choix d’une concentration donnée.
En effet, il est
souvent nécessaire d’accroître dans le temps le débit perfusé car
l’extension de l’analgésie a tendance à régresser.
Une série importante de 1 324 patients, ayant reçu 5 mL.h–1 d’une
association de bupivacaïne à 0,1 % et de fentanyl (1 µg.mL–1) a été
rapportée.
Un tel schéma posologique permet d’assurer une
analgésie de bonne qualité dans la presque totalité des cas.
Les effets
secondaires ont été observés le plus souvent le premier jour
postopératoire : prurit (14 %), nausées (11 %), hypotension (2,4 %),
parésie des membres inférieurs (1 %).
Une sédation est survenue
dans 3,3 % des cas le premier jour ; elle a régressé avec la réduction
de la perfusion péridurale.
Une injection de naloxone n’a été
nécessaire que chez un seul des 1 324 patients chez lequel la
posologie prescrite avait été dépassée. Seul le risque de rétention
d’urines reste fréquent.
* Administration péridurale contrôlée par le patient
:
L’analgésie péridurale thoracique peut également être administrée
sur le mode contrôlé par le patient (PCEA) dans le but d’obtenir
une adaptation permanente de la posologie aux besoins.
Deux
séries ont été rapportées sur des patients opérés du thorax,
deux autres comprennent un plus grand nombre de patients ayant
subi tous types d’interventions.
Le schéma posologique suivant
peut être proposé : association de ropivacaïne à 0,2 % et de
sufentanil (0,75 µg.mL–1), perfusion de 5 mL.h–1 et bolus de 3 mL
avec une période d’interdiction de 20 minutes.
3- Adjuvants de l’analgésie péridurale
:
L’adrénaline est un adjuvant utile à l’association bupivacaïnefentanyl
; la réduction de la résorption du fentanyl améliore la
qualité de l’analgésie et réduit les concentrations plasmatiques.
La clonidine améliore la qualité de l’analgésie péridurale associant
bupivacaïne et fentanyl au prix d’une instabilité hémodynamique et
d’une sédation.
Il paraît plus licite de proposer d’associer la clonidine seule aux anesthésiques locaux.
Une douleur de l’épaule homolatérale au côté de l’intervention est
signalée très fréquemment après pneumonectomie ou lobectomie,
même en présence d’une analgésie péridurale thoracique bien
conduite.
Plusieurs explications ont été avancées : irritation pleurale
due aux drains, irritation phrénique, voire lésion chirurgicale de
la réflexion pleurale du nerf phrénique, origine sympathique,
étirement peropératoire prolongé du bras du côté opéré, attrition
musculaire.
L’infiltration du nerf phrénique à son émergence susdiaphragmatique
réduit des deux tiers le risque de survenue d’une
douleur de l’épaule et oriente vers une douleur projetée d’origine
diaphragmatique.
Plusieurs solutions thérapeutiques ont été
proposées : modification de la solution administrée (augmentation
du volume, prescription de morphine qui a un effet plus étendu que
celui d’un morphinique liposoluble), prescription d’un antiinflammatoire
non stéroïdien, association à un bloc du plexus
brachial ou du ganglion stellaire.
B - ADMINISTRATION INTRATHÉCALE DE MORPHINIQUE
:
Après un engouement initial dans les années 1980, trois raisons
expliquent que l’administration intrathécale de morphinique (ou
rachianalgésie) ait été abandonnée : le risque prolongé de dépression
respiratoire, le délai d’installation important et la durée limitée de
l’analgésie.
Le regain d’intérêt pour cette technique s’explique par
des réponses appropriées : posologie inférieure à 0,5 mg de
morphine (réduction du risque respiratoire), adjonction d’un
morphinique liposoluble (réduction du délai d’action), association
avec une ACP (prolongation de l’analgésie sans rupture).
L’injection intrathécale de 0,5 mg de morphine et de 50 µg de
sufentanil (indication hors autorisation de mise sur le marché
[AMM]) permet d’obtenir une analgésie plus précoce et plus
importante durant les 10 premières heures postopératoires que celle
obtenue par l’administration autocontrôlée de morphine.
L’existence d’une rétention d’urines est presque constante et
il faut recommander le maintien du patient dans la salle de
surveillance postinterventionnelle pendant la première nuit
postopératoire.
Les contre-indications de la technique sont rares et comprennent
essentiellement les contre-indications d’une ponction dure-mérienne.
Par ailleurs, la rachianalgésie conduit à modifier le schéma de
prophylaxie de la maladie thromboembolique, comme cela a été
indiqué pour l’analgésie péridurale.
C - BLOC INTERCOSTAL ET BLOC PARAVERTÉBRAL
:
Ces blocs, qui procurent une analgésie s’étendant sur plusieurs
métamères, diffèrent par leur espace de diffusion : diffusion
extrapleurale et paravertébrale pour le bloc intercostal, diffusion
uniquement paravertébrale pour le second.
La composante
extrapleurale intéresse les nerfs intercostaux ; la composante paravertébrale intéresse les racines médullaires, la chaîne
sympathique et les rameaux primaires postérieurs.
Ceux-ci
transmettent les influx douloureux dus à l’étirement des muscles
spinaux postérieurs, des ligaments des articulations costovertébrales
et costotransverses.
* Analgésie intercostale
:
L’injection intercostale de 15 à 20 mL d’un anesthésique local
procure une anesthésie qui s’étend en moyenne sur trois métamères
(de zéro à six) et une hypoesthésie sur sept métamères (de six à
neuf), dont les deux tiers vers le bas.
Les techniques usuelles
comprennent l’injection unique d’un anesthésique local en fin
d’intervention ou sa perfusion par l’intermédiaire d’un cathéter
placé chirurgicalement ou à l’aveugle dans un espace proche de
l’incision.
Elles ont une limite importante liée à l’incision intercostale
qui modifie l’effet obtenu : alors que la diffusion paravertébrale reste
identique, la diffusion extrapleurale est réduite, la plèvre ne pouvant
plus être « décollée » au niveau de la suture.
Ceci oblige à recourir à
une technique particulière : placement chirurgical de deux cathéters
de part et d’autre de l’incision.
La perfusion de bupivacaïne à
0,25 %, bolus de 10 mL puis 5 mL.h–1 injectés dans chacun des
cathéters, permet de diminuer les besoins en morphine administrée
de manière concomitante en ACP intraveineuse : 33 ± 13 mg vs 59 ±
21 mg durant les 24 premières heures postopératoires.
La vascularisation importante de l’espace intercostal et la diffusion
de l’anesthésique local vers le feuillet pariétal de la plèvre expliquent
les taux plasmatiques élevés avec un pic dès la 15e minute suivant
un bolus ; l’administration d’une solution adrénalinée est
recommandée pour réduire les taux plasmatiques.
La concentration
à l’équilibre est de 4 à 5 µg.mL–1 de lidocaïne si on suit le schéma de
perfusion suivant : injection continue de 1 mg.kg–1.h–1 de lidocaïne
après un bolus initial de 3 mg.kg–1 de lidocaïne à 1,5 %
adrénalinée.
Le risque clinique paraît faible mais doit rendre
prudent quant au respect des posologies et à l’interdiction de bolus
supplémentaires (accident de surdosage par augmentation rapide du
taux plasmatique).
* Bloc paravertébral
:
Un bolus paravertébral de 15 mL de bupivacaïne à 0,5 % crée un
bloc unilatéral étendu en moyenne sur cinq à six dermatomes et un
bloc sympathique sur huit dermatomes.
Le bloc peut être réalisé en pré-, ou plus souvent, en peropératoire.
L’anesthésique local est mélangé à du bleu de méthylène, ce qui
permet de juger de l’étendue de la diffusion à ciel ouvert.
Si
elle s’avère insuffisante, un nouveau cathéter est mis en place.
Une
autre technique consiste à créer une poche rétropleurale étendue sur
deux espaces intercostaux au-dessus et au-dessous de l’incision, le
cathéter étant fixé près de la chaîne sympathique, avant de refermer
la brèche de la plèvre pariétale.
L’insertion du cathéter est
possible lors d’une thoracoscopie.
Plusieurs schémas posologiques, avec une perfusion maintenue de
2 à 5 jours, ont été proposés avec des concentrations différentes de
bupivacaïne :
– bolus de 15 à 20 mL de bupivacaïne à 0,25 ou 0,5 % avant l’incision
(injection percutanée) suivi d’un bolus de 10 mL de bupivacaïne à
0,5 % avant la fermeture pariétale (après mise en place peropératoire
du cathéter), perfusion de 0,1 mL.kg-1.h-1 de bupivacaïne à 0,5 %
pendant 2 jours et du même débit de bupivacaïne à 0,25 % pendant
les 3 jours suivants ;
– bolus de 15 mL de bupivacaïne à 0,375 % puis perfusion de
5 mL.h-1 de bupivacaïne à 0,25 %.
D’autres auteurs ont montré un effet identique après administration
de lidocaïne.
Après un bolus de 20 mL de bupivacaïne à 0,5 %, la concentration
moyenne (± SEM) au pic est de 1,45 (0,32) µg.mL-1 ; la concentration
maximale est de 4,9 (0,7) µg.mL-1 lors d’une perfusion de 120
heures.
On retrouve des taux plasmatiques plus faibles avec
l’administration de bupivacaïne adrénalinée.
La fuite de bupivacaïne
dans le drainage pleural est peu importante.
Il y a peu de contre-indications au bloc paravertébral, hormis
l’existence d’un sepsis local.
Un traitement anticoagulant impose la
mise en place chirurgicale du cathéter.
Le bloc paravertébral peut
être utilisé chez l’enfant, même chez le nouveau-né.
Il n’y a ni risque de rétention d’urines ni risque hémodynamique (si
la volémie est normale).
Les complications sont rares : lésion
traumatique d’un nerf périphérique ou d’une artère intercostale,
injection péridurale, voire intrathécale, rachianesthésie totale.
Un syndrome de Claude Bernard-Horner peut être observé lorsque
l’extrémité du cathéter est haut située.
* Place des blocs intercostal et paravertébral
:
L’absence d’effet hémodynamique et respiratoire, excepté le bloc
moteur des muscles intercostaux, facilite la surveillance de ces
techniques.
La diffusion des anesthésiques locaux administrés par
bloc intercostal peut être modifiée par le geste chirurgical.
L’efficacité
du bloc paravertébral est discutée : certaines études sont
négatives, d’autres positives.
Cette efficacité inconstante
est probablement liée à la variabilité de la diffusion.
Le bloc paravertébral doit être considéré comme une technique de recours
en cas de contre-indication de l’analgésie péridurale ; il doit être
systématiquement associé à une administration parentérale
d’analgésiques.
D - ANALGÉSIE INTERPLEURALE
:
L’analgésie interpleurale agit principalement en bloquant la
conduction des nerfs intercostaux sur plusieurs étages grâce à la
diffusion de l’anesthésique local au travers de la plèvre pariétale.
L’injection interpleurale d’anesthésique local, par l’intermédiaire
d’un cathéter mis en place par le chirurgien à la fin de l’intervention,
entraîne une analgésie qui s’étend de D3-D4 à D9-D10 sur un patient
en décubitus dorsal.
L’extension de l’analgésie est étroitement liée à
la position du malade.
Cependant, le bénéfice de la technique a été
rapporté, après thoracotomie, comme transitoire ou nul.
Autres techniques d’analgésie
:
La stimulation nerveuse électrique transcutanée est inefficace après
thoracotomie postérolatérale, mais elle peut contribuer à l’analgésie
lorsque l’intervention est moins algique.
L’efficacité de la cryoanalgésie n’a pas été démontrée.
Suivi postopératoire
:
Toutes les techniques d’analgésie améliorent la fonction respiratoire
postopératoire.
Mais outre la satisfaction de l’opéré, la diminution
de l’incidence des complications postopératoires et la réduction de la durée de séjour (critères simples mettant en évidence un réel
progrès dans la qualité des soins) sont des objectifs attendus de
l’analgésie.
Une méta-analyse, portant sur tous types d’interventions
chirurgicales, a montré que l’analgésie péridurale diminuait
l’incidence des complications pulmonaires postopératoires :
réduction de la fréquence des atélectasies lors de l’administration
péridurale de morphine, amélioration de l’oxygénation, moindre
fréquence des surinfections pulmonaires et des complications
pulmonaires lors de l’administration péridurale d’un anesthésique
local.
Des séries importantes ont confirmé qu’une analgésie péridurale
permet de diminuer le séjour en unité de soins intensifs ou la durée
de séjour hospitalier.
Mais d’autres auteurs n’ont pas mis en
évidence de supériorité de l’analgésie péridurale à la morphine par
rapport à l’analgésie procurée par la morphine administrée par voie
sous-cutanée.
Peu d’études ont porté spécifiquement sur des
patients opérés du thorax : un bénéfice de 2 jours d’hospitalisation a
été observé lorsque la péthidine est administrée par ACP
intraveineuse plutôt que par voie intramusculaire, un bénéfice de
4 jours a été observé après administration péridurale thoracique de
fentanyl par rapport à une ACP intraveineuse de fentanyl.
La
mise en place d’une stratégie d’analgésie a permis de diminuer de 3
jours la durée d’hospitalisation sans modifier le taux de réhospitalisation.
Ces bénéfices ne peuvent être obtenus qu’à
deux conditions : les techniques d’analgésie s’intègrent dans une
politique de réhabilitation où infirmières et kinésithérapeutes jouent
un rôle essentiel (mobilisation et lever précoces, kinésithérapie
respiratoire) ; les protocoles de soins sont réévalués régulièrement.
Définition d’une stratégie d’analgésie
:
Le choix d’une stratégie d’analgésie doit prendre en compte quatre
éléments : le souhait des patients après qu’ils aient été informés des
risques et bénéfices de chaque technique, le type d’intervention, les
facteurs de risque médicaux propres à chaque patient, les
caractéristiques de la structure dans laquelle séjournera le patient en
postopératoire.
A - INFORMATION DES PATIENTS
:
Elle repose en grande partie sur les risques de chacune des
techniques proposées.
Le risque de l’autoadministration par voie intraveineuse de
morphine est très faible, à condition de ne pas prescrire de perfusion
de base, puisque le patient arrête toute demande s’il est sédaté.
Le
risque de l’administration intrathécale de morphine est réel avec un
risque respiratoire qui, bien qu’exceptionnel, impose le
maintien du patient dans une salle de surveillance
postinterventionnelle ou une unité de surveillance continue durant
la première nuit postopératoire.
Les complications du bloc paravertébral sont exceptionnelles ; le patient peut regagner une
unité de soins après s’être assuré de la qualité de l’analgésie.
Les risques neurologiques de l’abord péridural thoracique ont été
précisés sur un collectif de 4 185 patients : 30 brèches durales, 38
lésions nerveuses périphériques probablement secondaires à la
position peropératoire, neuf lésions radiculaires en relation avec la
ponction ou le cathétérisme mais n’ayant pas donné lieu à des
lésions ou à des douleurs prolongées.
Les complications
infectieuses du cathétérisme péridural, méningite bactérienne et
abcès ou arachnoïdite pouvant comprimer la moelle, sont rares.
La
survenue d’une fièvre sans diagnostic évident impose le retrait du
cathéter, sa mise en culture et la recherche d’une douleur
rachidienne et de signes neurologiques. Une imagerie par résonance
magnétique doit être réalisée s’il existe un signe d’appel ou en cas
de doute.
B - TYPE D’INTERVENTION
:
Après thoracotomie postérolatérale, l’analgésie péridurale
thoracique est la technique la plus efficace au repos et à l’effort.
Elle
facilite la mobilisation précoce et la kinésithérapie. Il peut être
nécessaire d’y adjoindre un anti-inflammatoire non stéroïdien en cas
de douleur de l’épaule.
La méconnaissance de la technique, les
craintes du patient ou l’impossibilité de maintenir une surveillance
adaptée durant 3 à 5 jours font envisager la réalisation d’un bloc paravertébral continu associé à une ACP intraveineuse de morphine.
Enfin, une analgésie parentérale associant ACP, anti-inflammatoire
non stéroïdien et paracétamol peut être prescrite, précédée parfois
d’une administration intrathécale de morphinique.
Le développement de techniques opératoires moins invasives
(thoracoscopie, minithoracotomie) doit inciter à rechercher des
stratégies d’analgésie adaptées : analgésie par voie générale,
administration intrathécale de morphine associée à une analgésie
par voie générale.
C - FACTEURS DE RISQUE MÉDICAUX PROPRES
À CHAQUE PATIENT
:
Un risque cardiovasculaire (cardiopathie ischémique) ou respiratoire
(indication « limite » au plan fonctionnel ou bronchorrhée) fait
porter le choix vers la technique d’analgésie la plus efficace.
Cette
position logique ne repose sur aucune étude ayant comparé, chez
des patients à risque, le bénéfice d’une telle stratégie.
L’analgésie péridurale entraîne moins de dysfonctions cognitives
postopératoires que l’administration parentérale de morphine chez
les sujets âgés.
D - STRUCTURE DE SOINS
:
L’ACP utilisant de la morphine par voie intraveineuse est une
méthode simple à mettre en oeuvre à l’étage d’hospitalisation à
condition que le personnel infirmier ait reçu une formation préalable
et entretenue sur le matériel, le principe de fonctionnement, les
médicaments dont la prise est interdite et le protocole de
surveillance.
L’association à cette technique d’un bloc paravertébral
continu ne semble pas poser de problème.
La question de la structure de soins ne se pose que pour l’analgésie
péridurale thoracique. Deux positions sont défendues :
– de grandes séries ont montré la possibilité de maintenir les
patients recevant une analgésie péridurale lombaire ou une
analgésie péridurale autocontrôlée dans une unité
conventionnelle d’hospitalisation.
C’est la pratique de 63 % des
équipes anglaises.
La formation continue du personnel infirmier
est un prérequis avant d’envisager la diffusion de la technique ;
– le risque spécifique des patients opérés du thorax fait que de
nombreuses équipes considèrent qu’ils nécessitent une surveillance
postopératoire attentive du seul fait de leurs pathologie et
intervention.
C’est le cas d’une équipe sur deux en Australie qui
maintient ces patients dans une unité de surveillance continue.
Le surcoût d’une telle pratique doit être mis en balance avec le gain
de séjour hospitalier.
Conclusion
:
La douleur est particulièrement intense après thoracotomie.
Il faut
associer différentes techniques ou classes de médicaments car les
origines des influx douloureux sont multiples.
Plusieurs modalités d’analgésie peuvent être prescrites, notamment
l’analgésie parentérale (morphine et ses adjuvants), le bloc paravertébral, l’administration intrathécale de morphinique et
l’analgésie péridurale thoracique associant morphinique et anesthésique
local.
L’analgésie péridurale thoracique, technique la plus efficace, doit être
proposée à des patients informés de ses risques et bénéfices lorsqu’ils
doivent subir une thoracotomie.
Le bloc paravertébral associé à une
analgésie parentérale est proposé en cas de contre-indication ou de refus
du patient.
Les autres types d’incision et les interventions pratiquées sous thoracoscopie sont moins algiques et relèvent le plus souvent d’une
analgésie parentérale parfois associée à l’administration intrathécale de
morphinique.
Enfin, la mise en place d’un programme de traitement de la douleur
nécessite la participation des infirmières et kinésithérapeutes pour qu’ils
s’associent à une réhabilitation précoce, élément indispensable pour
réduire les complications postopératoires et la durée d’hospitalisation.