Les généralités concernant la
répartition du potassium et la régulation du bilan potassique
sont traitées dans la question "Hyperkaliémie". L'hypokaliémie
est définie par une concentration plasmatique de potassium
inférieure à 3,5mmol/l.
Diagnostic :
DOSAGE PLASMATIQUE :
Le diagnostic positif est donné par l'ionogramme sanguin.
En effet, c'est la prescription systématique de l'ionogramme, dans
diverses situations cliniques, pouvant se compliquer d'un
déséquilibre de la kaliémie, ou avant de commencer certains
traitements, qui fera porter le diagnostic et non les signes
cliniques directement en rapport avec l'hypokaliémie.
Le dosage de la kaliémie est systématiquement associé à d'autres
dosages sanguins et urinaires: ionogramme complet, créatinine,
glycémie, ionogramme urinaire, éventuellement dosage des gaz du
sang.
D'autres dosages seront éventuellement demandés en fonction du
contexte.
MANIFESTATIONS CLINIQUES :
Les signes cliniques provoqués par une hypokaliémie peuvent être
des manifestations neuro-musculaires et des manifestations
cardiaques.
* Une hypokaliémie profonde (inférieure à 2,5mmol/l) et durable
peut entraîner une parésie ou une paralysie des membres;
cependant, le plus souvent, tout se limite à une asthénie.
* Des crampes sont fréquentes.
* Les manifestations de type tétanique seraient en rapport avec
d'autres désordres électrolytiques (hypocalcémie,
hypomagnésémie).
* Le retentissement des hypokaliémies majeures sur les muscles
lisses se traduit par un iléus intestinal, une dilatation
gastrique, une rétention d'urines.
* Des rhabdomyolyses ont été décrites au cours des hypokaliémies
sévères.
* Une polyurie avec polydipsie est possible (la déplétion
potassique entraîne une atteinte tubulaire avec diminution de la
capacité de concentrer les urines).
MODIFICATIONS ELECTROCARDIOGRAPHIQUES :
Les manifestations cardiaques sont essentiellement des
modifications de l'électrocardiogramme.
Anomalies diffuses :
Les anomalies électrocardiographiques sont diffuses et associent:
* l'apparition d'une ondeU (onde positive après l'onde T).
* des modifications du segment ST qui va dessiner une cupule à
concavité supérieure.
* un aplatissement de l'onde T qui peut devenir négative.
Troubles du rythme :
La gravité de l'hypokaliémie tient à la survenue de troubles du
rythme cardiaque.
* Ces troubles sont rares ou non menaçants chez un sujet sain.
* En revanche, chez les malades cardiaques (cardiopathie ischémique
en particulier) et plus encore si le malade prend des
digitaliques ou des quinidiniques, ils deviennent
potentiellement dangereux.
* Ces troubles peuvent être:
- des extrasystoles auriculaires ou jonctionnelles, une
fibrillation auriculaire.
- mais aussi des extrasystoles ventriculaires qui peuvent
déclencher une tachycardie ventriculaire, une fibrillation
ventriculaire ou une torsade de pointe, favorisée par la
bradycardie et les quinidiniques.
Étiologie :
DÉMARCHE DIAGNOSTIQUE :
Le diagnostic étiologique repose sur les antécédents récents, la
clinique de l'épisode actuel, les traitements pris par le
malade.
* Plus de 90% des causes d'hypokaliémies sont correctement classées
par l'histoire clinique et les dosages plasmatiques usuels.
* Dans un nombre limité de cas, l'étiologie n'est pas évidente.
* La démarche diagnostique repose essentiellement sur:
- l'ionogramme sanguin et urinaire.
- le dosage des gaz du sang.
- la mesure de la pression artérielle.
- et l'estimation des volumes extracellulaires.
* Très schématiquement, si le potassium urinaire est inférieur à
20mmol/24 h, avec une alcalose métabolique et une disparition du
chlore urinaire, l'origine de l'hypokaliémie est digestive.
* Si le potassium urinaire est supérieur à 20mmol/24 h, l'existence
ou l'absence d'une hypertension artérielle et des dosages
hormonaux (activité rénine plasmatique et aldostérone)
permettront d'orienter le diagnostic. Ces dosages doivent rester
exceptionnels.
La figure 1 (d'après Narins et coll.) résume la démarche
diagnostique lorsque l'étiologie n'apparaît pas évidente. Comme
il l'a été souligné par ces auteurs, les patients dont la
fonction rénale était antérieurement normale et ayant une
kaliurèse élevée réduisent leur kaliurèse lorsqu'ils sont soumis
à un régime désodé; la perte rénale de potassium peut alors être
démasquée quand on administre à nouveau un régime riche en
sodium. Ainsi, devant une kaliurèse inférieure à 20mmol/24 h et
une natriurèse inférieure à 100mmol/24 h, il faut répéter les
dosages urinaires après une charge sodée.
Les étiologies les plus fréquentes sont les pertes rénales et les
pertes digestives.
PERTES RENALES DE POTASSIUM :
Les pertes rénales en potassium sont suspectées devant
l'association d'une hypokaliémie et d'une kaliurèse supérieures
à 20mmol/l.
Causes médicamenteuses :
Les causes médicamenteuses représentent l'étiologie la plus
fréquente.
Diurétiques de l'anse et thiazidiques :
Les diurétiques thiazidiques et les diurétiques de l'anse de type
furosémide sont la principale cause des hypokaliémies de
déplétion.
Plusieurs mécanismes expliquent l'accroissement des pertes rénales:
- l'augmentation de la charge hydrosodée qui favorise les échanges
Na-K.
- l'hypovolémie qui est responsable d'un hyperaldostéronisme
secondaire.
- enfin le rôle favorisant de la déplétion en chlore.
Acétazolamide :
L'acétazolamide, inhibiteur de l'anhydrase carbonique prescrit dans
le traitement du glaucome, peut induire une hypokaliémie
modérée.
Autres médicaments :
D'autres médicaments sont beaucoup plus rarement en cause:
- le cisplatine.
- les antibiotiques, en particulier des doses massives de
pénicilline (l'excrétion d'une quantité importante d'anions
stimule la sécrétion de potassium), les aminosides,
l'amphotéricine B et surtout la fosfomycine.
- les intoxications à la chloroquine et à la théophylline.
Corticothérapie prolongée :
La corticothérapie prolongée est à rapprocher des causes
endocriniennes.
Causes endocriniennes :
Lorsqu'il s'agit de causes endocriniennes, l'hypokaliémie est alors
souvent associée à une hypertension artérielle.
Hyperaldostéronisme primaire :
L'hyperaldostéronisme primaire, ou syndrome de Conn, est très rare.
L'hypokaliémie est présente dans 80% des cas ou peut être démasquée
par des apports sodés supérieurs à 100mmol/24 h.
* Elle s'accompagne d'une alcalose métabolique et d'une
hypertension artérielle.
* Sur le plan biologique, le rapport Na/K urinaire est supérieur à
1, l'activité rénine plasmatique (ARP) est basse ou nulle,
l'aldostérone sanguine est augmentée.
* La recherche d'un adénome ou d'une hyperplasie bilatérale des
surrénales est souvent difficile.
Syndromes d'hypercorticisme :
Les syndromes d'hypercorticisme (syndromes de Cushing)
paranéoplasiques se compliquent souvent d'hypokaliémie.
La sécrétion de substances hormonales freine la production de
rénine et d'aldostérone, donnant une ARP basse et une
aldostéronémie basse ou normale.
Hypertension artérielle maligne et réno-vasculaire :
En cas d'HTA maligne et réno-vasculaire, l'hypokaliémie est en
rapport avec un hyperaldostéronisme secondaire: le rapport Na/K
urinaire est inférieur à 1, l'ARP est élevée, l'aldostéronémie
également.
Tumeurs rénales :
Les tumeurs rénales sécrétant de la rénine peuvent induire une
hypokaliémie.
Acide glycyrrhizique :
L'ingestion d'acide glycyrrhizique se voit au cours des
intoxications par l'Antésite ou la réglisse ou certains pastis
sans alcool.
La glycyrrhizine stimule les effets minéralocorticoïdes de
l'aldostérone qui est basse dans cette situation, ainsi que
l'ARP.
États œdémateux chroniques :
La cirrhose, l'insuffisance cardiaque globale, causes d'inflation
hydrosodée, s'accompagnent d'un hyperaldostéronisme secondaire.
Polyuries osmotiques :
Les polyuries osmotiques se voient dans le cadre du diabète, d'une
levée d'obstacle ou d'une hypercalcémie.
L'hypokaliémie s'observe également lors des reprises de diurèse
après tubulonéphrite aiguë oligo-anurique.
Autres causes rénales :
Les causes rénales recouvrent:
- les néphrites interstitielles, notamment après anastomose
urétéro-colique.
- les acidoses tubulaires distales.
- et le syndrome de Schwartz-Bartter, maladie rare, souvent
découverte dans l'enfance, qui associe une kaliurèse élevée, une
alcalose métabolique, une franche élévation de l'ARP et de
l'aldostérone, et une hyperplasie de l'appareil
juxtaglomérulaire.
Déplétion en magnésium :
La déplétion en magnésium favorise la fuite urinaire de potassium.
Son mécanisme est mal connu, le rôle d'un hyperaldostéronisme
est évoqué.
PERTES D'ORIGINE DIGESTIVE :
Diarrhées :
Les diarrhées, quelle qu'en soit la cause, sont à l'origine d'une
déplétion potassique, d'une acidose métabolique hyperchlorémique
liée à la perte de bicarbonates.
L'excrétion urinaire est inférieure à 20mmol/24 h.
Les étiologies de ces diarrhées sont très diverses:
- toxi-infectieuse.
- tumorale: tumeur villeuse du rectum, vipome.
- médicamenteuse: abus de laxatifs, avec surtout perte de potassium
sans perte de bicarbonates. Cette prise de laxatifs peut être
associée à la prise de diurétique, donnant alors une alcalose et
une excrétion inappropriée de potassium.
Vomissements prolongés et aspirations digestives excessives :
Le contenu en potassium des liquides digestifs hauts est faible,
l'hypokaliémie observée est, en fait, en rapport avec la perte
rénale de potassium favorisée par l'alcalose métabolique,
elle-même due à la perte d'ions H+.
La déplétion chlorée se traduit par une chlorurie très basse
inférieure à 10mmol/24 h; elle orientera le diagnostic en cas de
vomissements cachés.
AUTRES CAUSES RARES :
Insuffisance d'apport :
Les anorexies mentales peuvent s'accompagner d'une diminution du
stock corporel de potassium (par insuffisance d'apport) et d'une
hypokaliémie favorisée par des vomissements provoqués, la prise
de laxatifs ou de diurétiques.
Anomalies de la régulation transcellulaire :
Les anomalies de la régulation transcellulaire du potassium sont
rappelées dans l'encadré "Hypokaliémie par transfert".
* Les alcaloses aiguës, d'origine métabolique surtout ou
respiratoire, entraînent une baisse modérée de la kaliémie par
entrée du potassium dans les cellules et une élimination
urinaire potassique accrue.
* L'insuline favorise la fixation intracellulaire du potassium;
cette propriété est indépendante de sa capacité à faire pénétrer
le glucose dans les cellules.
* L'activité bêta-2-adrénergique: les médicaments
sympathomimétiques (salbutamol, terbutaline...) peuvent
entraîner une baisse habituellement modérée de la kaliémie. De
nombreuses situations pathologiques (infarctus du myocarde par
exemple) entraînent une stimulation du système bêta-adrénergique
responsable d'une baisse transitoire de la kaliémie.
* La paralysie périodique est une maladie familiale très rare, à
transmission autosomique dominante, caractérisée par la survenue
d'accès de paralysie favorisés par l'apport de glucose ou par un
exercice physique intense. Il existe une forme associée à une
hyperthyroïdie chez les sujets d'origine asiatique.
Pertes cutanées :
Les pertes cutanées de potassium se font par sudation extrême (non
rencontrée en France) ou par brûlures étendues.
Traitement :
Rarement urgent, le traitement doit d'abord être étiologique.
Le traitement symptomatique peut se limiter à l'arrêt d'un
traitement hypokaliémiant.
RECHARGE POTASSIQUE :
Il est généralement admis qu'une kaliémie inférieure à 2,5mmol/l
doit être traitée par un apport de potassium.
La quantité de potassium, la voie d'administration, la vitesse
d'administration, la présentation seront fonction de la sévérité
de l'hypokaliémie, de sa cause et du terrain sur lequel elle
survient.
Recharge per os :
Dans les hypokaliémies peu sévères avec un déficit supposé modéré,
la recharge potassique est assurée per os toutes les fois où
cela est possible.
En pratique, cette recharge comporte:
- un régime riche en potassium (fruits, légumes, viandes,
chocolat).
- et du potassium sous la forme d'un sel, le chlorure de potassium
(sous forme de gélules micronisées ou en solution), seul capable
de corriger une alcalose métabolique associée.
Recharge par voie veineuse :
En cas d'intolérance alimentaire, de signes neurologiques ou
digestifs, de troubles du rythme cardiaque, de kaliémie
inférieure à 2mmol/l, la recharge potassique est assurée par
voie veineuse, sous surveillance ECG, dans les formes graves
avec trouble cardiaque, et bilan biologique régulier.
* En cas d'apport intraveineux, le débit ne doit pas dépasser
20mmol/h; pour des débits élevés, l'administration se fera à
l'aide d'un pousse-seringue électrique.
* Pour mémoire: 1 gramme de KCL est égal à 13mmol de K+, et
l'apport quotidien moyen se situe autour de 6 à 8grammes.
CAS PARTICULIERS :
* En cas de troubles du rythme cardiaque, l'administration de
magnésium (sous forme de MgSO4 ou MgCl, 2 à 3grammes) peut être
associée.
* En cas de perte rénale, et à la condition formelle qu'il n'y ait
pas d'insuffisance rénale, l'administration de diurétique
épargneur de potassium permet de hâter la restauration du pool
potassique. Elle nécessite une surveillance régulière de la
kaliémie.
TRAITEMENT PRÉVENTIF :
Un traitement préventif doit être fait dans toutes les situations
susceptibles d'induire une perte de potassium (par exemple, la
prescription d'un traitement diurétique thiazidique), en
particulier chez certains patients comme les malades atteints de
cardiopathie ischémique.
En revanche, chez les sujets traités par des inhibiteurs de
l'enzyme de conversion, l'apport potassique est inutile.