Rôle des virus dans l’hépatocarcinogenèse Cours d'Hépatologie
Introduction
:
Les cancers primitifs du foie sont des tumeurs développées à partir
des différentes cellules hépatiques (hépatocytes et cellules
endothéliales ou biliaires).
Le carcinome hépatocellulaire (CHC),
développé à partir des hépatocytes, représente environ 80 à 90 %
des cancers primitifs du foie.
L’hépatoblastome est une tumeur
spécifique de l’enfant, le cholangiocarcinome intrahépatique ou
extrahépatique est développé à partir des cellules biliaires et
l’angiosarcome ou l’hémangioendothéliome épithélioïde à partir de
la cellule endothéliale.
Le CHC représente en fréquence le huitième cancer au monde.
Son
incidence est faible en Europe du Nord, mais fréquente en Afrique
noire ou en Extrême-Orient où non seulement les virus hépatotropes
mais aussi les expositions aux mycotoxines sont d’incidence élevée.
Il complique une cirrhose dans plus de 90 % des cas, avec une nette
prédominance masculine (80 %).
Les mécanismes de l’hépatocarcinogenèse restent imprécis.
Un
certain nombre de facteurs carcinogènes ont été identifiés, pour
lesquels il est difficile de distinguer les facteurs initiateurs des
facteurs promoteurs.
Les infections virales chroniques hépatotropes,
la cirrhose elle-même et les carcinogènes chimiques s’intriquent pour
favoriser l’incidence annuelle de 2 à 5% de CHC survenant sur
cirrhose.
Infections par le virus de l’hépatite B
(VHB)
:
L’association entre les infections par le VHB et le CHC est suggérée
par l’augmentation d’incidence de ce cancer dans les zones
d’endémie virale, par les études cas-contrôles montrant que les
sujets porteurs de l’antigène HBs ou des anticorps anti-HBc avaient
plus fréquemment un CHC que les patients sans marqueur viral,
avec un risque relatif de 10 à 100 dans les zones d’endémie.
Enfin, les études prospectives, notamment à Taïwan, et les modèles
animaux d’infections par les hepadnavirus (particulièrement le virus
de la marmotte), affirment l’association entre les infections par le
VHB et le CHC.
Un argument épidémiologique fort est la diminution significative
de l’incidence de la maladie virale B (réduction de 85 % du portage
chronique chez les nouveau-nés de mères infectées et de 50 % de la
prévalence du portage chronique de l’antigène HBs en Europe et
aux États-Unis), de la morbidité et de la mortalité rapportées à
l’infection et ces dix dernières années de la fréquence du CHC dans
les zones de haute endémie (Hong Kong, Singapour, Taïwan) par les
politiques de vaccination systématique des nouveau-nés et des
adolescents.
À titre d’exemple, à Singapour, où la vaccination a
été débutée de manière intensive dès 1987, l’incidence du CHC
parmi les hommes a diminué significativement de 27,8 entre 1978 et
1982 à 19 pour 100 000 habitants par an entre 1988 et 1992.
À Taïwan, où la vaccination a débuté en 1984, l’incidence annuelle du
CHC chez les enfants de 6 à 14 ans a diminué significativement de
0,7 entre 1981 et 1986, à 0,57 entre 1986 et 1990 puis à 0,36 pour
100 000 enfants entre 1990 et 1994.
Cette tendance est encore plus
nette dans la tranche des 6-9 ans où cette même incidence passe de
0,52 chez les enfants nés entre 1974 et 1984 à 0,13 pour 100 000
enfants nés entre 1984 et 1986.
Ceci est la première démonstration
d’une prévention du cancer par un vaccin.
Les mécanismes de l’hépatocarcinogenèse virale B sont complexes.
Ils associent, du fait de l’intégration du génome viral
(autorisée par une étape de transcription reverse dans la
multiplication du VHB), des réarrangements chromosomiques, des
mécanismes de cisactivation d’une part et de transactivation d’autre
part.
Les mécanismes de cisactivation sont représentés par la mutagenèse
insertionnelle (cisactivation d’un proto-oncogène cellulaire) décrite
pour l’insertion dans le gène de la cycline A, le gène du récepteur b
de l’acide rétinoïque et le gène codant pour la mévalonate kinase
humaine.
Des phénomènes de transactivation sont probables : ainsi, la protéine
X du VHB pourrait jouer un rôle de transactivation sur de nombreux
promoteurs hétérologues ou homologues.
Bien que les mécanismes d’hépatocarcinogenèse virale B soient
acquis, il est probable qu’ils interagissent avec d’autres facteurs
étiologiques : l’alcool, le virus de l’hépatite C ou la cirrhose ellemême.
Infections par le virus de l’hépatite C
(VHC)
:
Certains CHC sont observés, avec ou sans cirrhose, chez des patients
n’ayant pas d’antigène HBs détectable, suggérant l’intervention
d’autres virus que le VHB, même si la mise en évidence de
séquences intégrées du VHB dans un nombre non négligeable de
cas souligne l’origine virale B de certains CHC survenant en
l’absence d’Ag HBs.
Un certain nombre d’arguments,
principalement épidémiologiques, suggèrent que le VHC pourrait
favoriser l’émergence de CHC par des mécanismes différents du
VHB du fait de l’absence d’intégration dans le génome de l’hôte.
En
effet, des anticorps dirigés contre le VHC sont présents plus
fréquemment dans la population de patients ayant un CHC (30 à
70 %) que dans la population générale (1 %), en l’absence d’antigène
HBs détectable.
Les mécanismes de l’hépatocarcinogenèse virale
C restent inconnus et sont probablement multifactoriels.
Cependant,
Le VHC est maintenant clairement considéré comme un
facteur étiologique majeur de la carcinogenèse hépatique.
Schématiquement, la prévalence des anti-VHC chez les patients avec
CHC est de 80 % au Japon, 60-70 % en Europe du Sud, 20-30 % en
Europe du Nord.
En France, environ 30 % des sujets avec CHC sont
anti-VHC positifs.
La forte prévalence de l’infection VHC explique
l’augmentation d’incidence du CHC et son accroissement prévisible
dans les vingt prochaines années.
Les mécanismes de la carcinogenèse hépatique associée à l’infection
à VHC sont mal connus : l’inflammation chronique associée à l’infection virale,
la fibrose hépatique qui en est la conséquence et dont le stade
final est la cirrhose, jouent un rôle majeur.
Elles entraînent une prolifération des cellules hépatiques, la synthèse
de différentes cytokines, et la perte des interactions cellules-cellules
et cellules-matrice extracellulaire.
L’importance de ces facteurs est
illustrée par le développement dans environ 90 % des cas du CHC
sur des lésions d’hépatite chronique et de cirrhose.
Cependant, un rôle direct du VHC est suggéré par les observations
suivantes :
– in vivo : des séquences d’acide ribonucléique (ARN) VHC (brins
positifs et négatifs) sont clairement détectées, à la fois en polymerase
chain reaction (PCR) et en hybridation in situ, dans les cellules
tumorales.
Bien que l’analyse de l’expression des protéines du VHC
dans ces cellules soit difficile du fait de la faible qualité de beaucoup
d’anticorps, l’expression de la protéine de capside a été montrée
dans ces cellules.
Des tumeurs rares, développées sur un foie ne
présentant que des lésions histologiques minimes sans cirrhose, ont
été décrites : des séquences d’ARN VHC étaient détectables dans le
tissu tumoral et non tumoral et aucun autre facteur carcinogénique
connu n’était mis en évidence.
Dans un modèle animal,
l’expression de la capside dans le foie de souris transgéniques induit
le développement de CHC ;
– in vitro : l’expression stable de la protéine non structurale NS3
transforme des cellules NIH 3T3.
L’expression de la capside VHC, associée à l’oncogène Ha-ras, pourrait transformer des fibroblastes
embryonnaires de rat en culture primaire (mais ces résultats sont
discutés) et dans la lignée fibroblastique Rat-1.
L’impact réel de ces données au cours de l’infection in vivo, ainsi
que les mécanismes impliqués restent cependant inconnus, en
particulier du fait des difficultés liées au choix des systèmes
cellulaires et au niveau d’expression ectopique atteint dans ces
expériences.
La protéine de capside peut transactiver ou transsupprimer in vitro
les promoteurs de gènes viraux et cellulaires.
Elle inhibe les
promoteurs cellulaires des gènes codant pour c-fos, la protéine du
rétinoblastome et l’interféron b ; elle inhibe également la réplication
du VHB.
L’expression ectopique de la capside inhibe également les
promoteurs des gènes p53 et p21, ainsi que l’activation de NF-kB
par le tumor necrosis factor (TNF)-a.
En revanche, elle transactive
le LTR du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) et le
promoteur de l’oncogène c-myc.
L’absence de phosphorylation de
la protéine lui fait perdre ces propriétés.
Des propriétés transformantes ont été décrites : la cotransfection de
c-Ha-ras et de la capside dans des cellules REF provoque une
transformation de ces cellules, mais ce point reste discuté.
Autres carcinogènes
:
A - CARCINOGÈNES CHIMIQUES
:
Des carcinogènes chimiques ont été identifiés comme favorisant la
survenue de la tumeur primitive du foie.
La mycotoxine aflatoxine
B1 est la plus fréquemment décrite ; les zones à haute exposition
aux aflatoxines sont superposées à celles de haute endémie pour le VHB.
Il existe une probable interaction entre les carcinogènes
chimiques et les virus hépatotropes.
Ainsi, chez les sujets antigène HBs positif, exposés à l’aflatoxine, il a été montré que l’aflatoxine B1
pouvait provoquer l’apparition d’une mutation ponctuelle au niveau
d’un gène suppresseur de tumeurs ou « anti-oncogène » : la P53.
D’autres carcinogènes chimiques tels que les nitrosamines (dans les
modèles animaux), le chlorure de vinyle (angiosarcomes) ou les
agents permettant la prolifération des peroxysomes (dans les
modèles animaux) pouvaient favoriser l’apparition de tumeurs
primitives du foie.
B - ALCOOL
:
La cirrhose alcoolique est associée à un risque de l’ordre de 10 % de
développement de cancer primitif du foie.
Le risque relatif chez les
buveurs excessifs est de l’ordre de 1,2 à 4,2.
Comme cocarcinogène,
du fait de la dénutrition, de la fréquente exposition aux virus hépatotropes liées à l’alcoolisation chronique, la consommation
chronique d’alcool expose à un risque accru de CHC.
Lésions prémalignes du foie
cirrhotique
:
Les dysplasies cellulaires correspondant soit à des zones de
régénération, de dégénérescence ou précancéreuses ont été décrites.
Il n’y a cependant pas actuellement d’argument définitif permettant
de retenir l’existence de lésions cellulaires prémalignes histologiques
dans le foie, comme cela a été décrit pour le tube digestif dans une
séquence dysplasie-néoplasie.
Une subdivision récente des nodules
hépatiques a été proposée en nodules régénératifs (bénins), en
lésions dysplasiques (incluant les adénomes, les nodules
dysplasiques et les foyers dysplasiques) et en petits CHC bien
différenciés (encapsulés).
Cette classification sous-entend que la tumorogenèse du foie cirrhotique passe par un processus étagé de
l’hyperplasie à la dysplasie, puis au CHC différencié. Une séquence
similaire semble exister pour les foies non cirrhotiques, notamment
dans les maladies métaboliques hépatiques, où la séquence
hyperplasie-adénome-hépatocarcinome est probable.
Conclusion
:
Les infections par le VHB et probablement par le VHC sont directement
impliquées dans la carcinogenèse hépatique.
Plusieurs mécanismes, qui
ne sont pas exclusifs, sont probablement intriqués chez un même
malade : la cirrhose secondaire à une hépatite chronique active ou à une
intoxication alcoolique chronique est un facteur de risque majeur et
associé dans plus de 90 % des cas à la tumeur ; le VHB peut avoir un
effet direct du fait de l’intégration avec réarrangement chromosomique
ou mutagenèse insertionnelle ou par la transactivation de protéines
virales générées à partir d’ADN du VHB libre en cours de
multiplication ou intégré dans l’ADN cellulaire.
Le VHC peut aussi
directement intervenir par le biais de protéines virales transformantes.