Tumeurs palpébrales : aspects cliniques, diagnostiques et thérapeutiques
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
Le traitement de la pathologie tumorale palpébrale impose la prise
en considération simultanée de plusieurs aspect architecturaux et
fonctionnels des paupières.
D’abord, le diagnostic et le
comportement de la tumeur reposent sur l’anatomopathologie et
l’origine histologique.
Ensuite, le mode d’extension d’une tumeur
dépend de sa localisation : dès qu’elle implique la marge palpébrale,
il faut évoquer la possibilité d’une extension diffuse dans l’épaisseur
de la conjonctive tarsale.
De même, la localisation au niveau des canthus interne et externe, ou des voies lacrymales, ou d’une
cicatrice d’une chirurgie d’exérèse préalable et incomplète représente
un haut risque de diffusion vers la profondeur.
Enfin, la chirurgie
de reconstruction se base sur la distinction de deux entités
fonctionnelles.
La lamelle postérieure, qui comprend le tarse avec sa
conjonctive attenante et les expansions des muscles rétracteurs,
assure l’ouverture palpébrale, alors que la lamelle antérieure, qui
comprend la peau et ses annexes ainsi que les faisceaux du muscle
orbiculaire, assure l’occlusion.
Pour reconstruire une paupière de
manière à recouvrer sa fonction de protection du globe, toute
technique doit impérativement restaurer l’une et l’autre lamelle
fonctionnelle.
Anatomie et histologie des paupières
:
Anatomiquement, de la surface vers la profondeur, les paupières
sont composées de l’épiderme et de ses annexes pilosébacées, du
derme, du tissu sous-cutané lâche, du muscle strié orbiculaire, du
septum, des fibres d’insertion de l’aponévrose du muscle releveur
de la paupière supérieure ou des expansions de la gaine du muscle
droit inférieur, contenant toutes deux des fibres musculaires lisses,
du tissu adipeux suborbiculaire (suborbicularis oculi fat [SOOF],
malar fat pad) en regard du cadre orbitaire et du septum, du tarse
qui contient les glandes de Meibomius, et de la conjonctive tarsale
qui est intimement adhérente au tarse.
La jonction mucocutanée se
situe sur l’arête postérieure de la marge palpébrale, derrière
l’ouverture des glandes de Meibomius dont les pores sont
normalement kératinisés en surface.
La ligne grise correspond à la
visualisation par transparence d’un faisceau différencié de muscle
orbiculaire, appelé muscle de Riolan, qui passe dans la marge
palpébrale entre les follicules des cils et le tarse.
Le septum constitue
la limite entre la paupière et l’orbite.
A - REVÊTEMENT CUTANÉ :
Histologiquement, la peau des paupières est la plus fine du corps,
et ne montre que de courtes papilles d’imbrication avec le derme.
L’épiderme est un épithélium malpighien kératinisé, comportant
deux sortes de type cellulaire : les kératinocytes et les cellules
dendritiques.
La couche basale des kératinocytes est monocellulaire
(stratum germinativum, basal layer) et repose sur une membrane
basale (basement membrane).
La couche basale est normalement le seul siège d’activité mitotique.
Les cellules maturent vers la surface
en s’enrichissant de kératine et en expulsant leur noyau devenu
picnotique, ce qui détermine une couche squameuse (stratum
spinosum, squamous layer, prickle layer), puis granuleuse (stratum
granulosum, granular layer), puis kératinisée (stratum corneum,
keratin layer, horny layer).
Le corps muqueux de Malpighi (stratum malpighii) désigne l’ensemble des couches basale, squameuse et
granuleuse.
Au niveau de la couche basale se retrouvent les cellules
dendritiques, qui comprennent les mélanocytes, les cellules de Langerhans et les cellules dendritiques intermédiaires.
Les
mélanocytes synthétisent une partie de la mélanine qui est exportée
et intégrée par les kératinocytes basaux.
Du fait de la présence des
noyaux, la couche des cellules basales est basophile (mauve foncé)
en coloration par l’hématoxyline-éosine classique.
Inversement, la
couche cornée superficielle est anhiste (dépourvue de noyaux) et
éosinophile (rose).
Les cils (lashes, cilia) sont munis de toutes les
structures associées aux poils sauf une, le muscle piloarrecteur. Les
glandes sébacées de Zeis (glands of Zeis) sont holocrines, c’est-à-dire
que les cellules entières sont emportées avec leur production dans le
follicule du cil.
Les glandes apocrines de Moll (Moll’s apocrine
glands), dont la sécrétion est mucoïde, se déversent également dans
les follicules ciliaires.
La peau des paupières est aussi munie de fins
poils (lanugo hairs) ainsi que de glandes sudoripares eccrines
mérocrines (eccrine sweat glands), dont la sécrétion est expulsée sans
destruction du protoplasme cellulaire, et de glandes sudoripares
apocrines (apocrine sweat glands), dont la sécrétion emporte la partie
apicale de la cellule (décapitation apocrine).
Les glandes sudoripares eccrines comprennent une partie acineuse (sécrétoire) avec deux
types de cellules sécrétantes entourées de cellules myoépithéliales,
et une partie ductale, dont la portion intraépidermique est spiralée
(eccrine pore, epidermal sweat duct unit, acrosyringium).
Le derme
(dermis, corium), très mince, est parcouru par de fines terminaisons
nerveuses et d’étroits vaisseaux sanguins et lymphatiques.
Le tissu
sous-cutané ne contient que peu de lobules adipeux.
Classiquement,
la partie externe des paupières est drainée vers les ganglions préauriculaires, et la partie interne vers les ganglions sousmandibulaires.
B - REVÊTEMENT CONJONCTIVAL ET SÉCRÉTION LACRYMALE :
La conjonctive est un épithélium malpighien non kératinisé riche en
cellules à gobelet (ou caliciformes), dont la sécrétion mucoïde
compose la couche la plus profonde du film lacrymal.
Les paupières
contiennent des glandes lacrymales accessoires, essentiellement
séreuses. Environ 42 glandes de Krause (Krause’s glands) sont
présentes dans le fornix supérieur, et environ six à huit dans le
fornix inférieur.
Les glandes de Wolfring (Wolfring’s glands, Ciaccio’s
glands) sont plus larges et moins nombreuses, environ deux à cinq
au bord supérieur du tarse supérieur, dispersées dans les fibres du
muscle de Muller, et environ deux au bord inférieur du tarse
inférieur.
La caroncule (caruncle) est munie de poils et de glandes
sébacées, est constituée de fibroblastes, de mélanocytes et de fibres
musculaires striées et est recouverte d’un épithélium stratifié malpighien non kératinisé.
Les glandes de Meibomius (meibomian
glands), au nombre approximatif de 20 pour la paupière inférieure
et de 25 pour la supérieure, sont holocrines et produisent un film
lipidique riche en phospholipides qui constitue la couche la plus
superficielle du film lacrymal.
Le tarse est essentiellement composé
de fibres collagènes mêlées de fibres élastiques.
De fines fibres du
muscle orbiculaire s’insinuant entre les glandes de Meibomius y ont
été récemment décrites.
Des cellules inflammatoires chroniques sont
régulièrement présentes dans le stroma de la conjonctive palpébrale,
en particulier tarsale, et peuvent parfois montrer de vrais centres
germinatifs.
Principes généraux de pathologie
et terminologie :
A - TUMEURS CONGÉNITALES :
Par définition, un tératome est dérivé de plus d’un feuillet
embryonnaire, habituellement des trois.
Un hamartome correspond à
une prolifération d’éléments normalement présents à sa localisation,
mais dans une proportion anormale.
Les nævus et les hémangiomes
en sont des exemples (le terme de nævus doit être exclusivement
réservé à une collection de cellules næviques, ou mélanocytes).
À
l’inverse, un choristome représente un tissu tumoral de composition
et de proportion normales, mais à une place anormale.
Ainsi décriton,
par exemple, la présence de glandes lacrymales ectopiques dans
la conjonctive bulbaire ou l’uvée.
B - RÉACTIONS TISSULAIRES :
La plupart des cellules adultes ont gardé la capacité de se diviser.
L’éventail des altérations de la croissance et de la différenciation
cellulaires s’étend des changements adaptatifs simples à la
transformation néoplasique vraie.
L’hypertrophie correspond à une
augmentation de taille des cellules, des fibres ou de l’organe sans
augmentation du nombre de cellules.
À l’inverse, l’hyperplasie
correspond à un augmentation du nombre de cellules, dont la taille
peut rester normale ou croître.
On entend par hyperplasie
physiologique la réponse normale d’un tissu à un dommage
quelconque.
Par exemple, les cellules épidermiques prolifèrent lors
d’une simple plaie, jusqu’à ce que les berges de la plaie se rejoignent.
À ce moment, des signaux mal élucidés induisent l’arrêt de cette
prolifération cellulaire.
En cas d’hyperplasie pathologique, il peut y
avoir persistance d’un stimulus de la croissance cellulaire, comme
dans le goitre de l’ophtalmopathie dysthyroïdienne.
Il arrive que les
cellules hyperplasiques n’expriment pas toutes les caractéristiques
de différenciation de la cellule originale et, dans ce cas, peuvent en
imposer pour une transformation néoplasique, comme par exemple
les cellules bordant une ulcération épidermique.
Par métaplasie, on
entend une altération de la différenciation cellulaire telle qu’une
cellule épithéliale ou mésenchymateuse adulte procède à un
changement adaptatif en une autre cellule en réponse à des
perturbations de l’environnement.
Certaines métaplasies peuvent
être réversibles.
Un exemple classique est la kératinisation de
cellules conjonctivales exposées à la dessiccation dans un ectropion
ou un ptérygion.
C - NÉOPLASIES :
Un néoplasme correspond à un tissu anormal composé de cellules
définitivement altérées, de croissance incontrôlée.
Le néoplasme
peut être bénin si sa croissance est lente et bien circonscrite.
Une
croissance rapide, non circonscrite, infiltrante ou produisant une
ulcération, ainsi que la capacité à métastaser signent la malignité.
On désigne par adénome une tumeur bénigne d’origine épithéliale,
et par carcinome ou adénocarcinome une tumeur maligne,
respectivement d’origine squameuse ou glandulaire.
Habituellement, les tumeurs ne se composent que d’un seul type
cellulaire, mais, occasionnellement, plus d’un type cellulaire peut
être impliqué, comme, par exemple, dans les tumeurs bénignes
mixtes ou adénomes pléiomorphes, où la prolifération de cellules
épithéliales s’accompagne d’une prolifération stromale.
Un sarcome
est une tumeur maligne développée aux dépens des tissus
mésenchymateux.
Les événements les plus précoces de la transformation néoplasique
comprennent la présence de cellules atypiques, c’est-à-dire dont le
rapport nucléocytoplasmique est altéré en faveur d’un noyau plus
large, hyperchromatique et de contour anormal, voire d’une cellule
multinucléée.
Toutefois, la présence de cellules atypiques n’est pas
nécessairement synonyme de malignité, car elles peuvent se
rencontrer dans des conditions bénignes telles que l’hyperplasie pseudoépithéliomateuse, ou prénéoplasiques telles que la kératose actinique.
Dès que toutes les couches de l’épithélium sont affectées,
mais sans signe d’invasion stromale, on parle de carcinome
intraépidermique (carcinoma in situ).
Le degré de malignité est inversement proportionnel au degré de
différenciation cellulaire.
L’anaplasie décrit des cellules très peu
différenciées, c’est-à-dire exhibant peu de caractéristiques de la
cellule mature correspondante.
C’est dans ces cas que les techniques
adjuvantes de la morphologie, comme l’immunohistochimie, la
cytogénétique ou la microscopie électronique, entre autres, sont
particulièrement utiles.
La cytogénétique démontre souvent des
altérations simples en ce qui concerne les sarcomes, alors que pour
les carcinomes, les anomalies démontrées sont peu systématisables,
car le processus de transformation maligne implique plusieurs
étapes.
Celles-ci comportent l’initiation, où le matériel génétique
susceptible est altéré sans retentissement phénotypique, puis la
promotion par l’exposition répétée à des facteurs carcinogènes et
aboutissant à une prolifération clonale potentiellement réversible,
puis la conversion prémaligne due à une instabilité génétique, puis
enfin la conversion maligne irréversible.
La description de la maturation des diverses couches de kératinocytes et de la production de la kératine est essentielle au
diagnostic des tumeurs d’origine épidermique.
L’acanthose marque
l’épaississement de la couche des cellules squameuses, avec
conservation de la polarité, c’est-à-dire de la maturation normale de
la profondeur vers la surface.
Un épaississement de la couche
kératinisée se nomme hyperkératose ou orthokératose, comme dans les
verrues et la kératose actinique.
Normalement, l’épiderme montre
une absence de noyaux dans les couches kératinisées.
Dans le cas
contraire, il s’agit de parakératose, qui signifie une maturation
accélérée et incomplète des kératinocytes, comme dans le psoriasis
(avec desquamation en « plaques ») ou d’autres conditions
inflammatoires telles que la kératose séborrhéique.
Orthokératose et
parakératose coexistent souvent au sein d’une même lésion.
La
dyskératose désigne la présence de cellules kératinisées au sein de
la couche squameuse, correspondant à une perte de la polarité de
maturation.
Cela peut mener à la production de perles cornées intraépithéliales (horn pearls).
Types histologiques des tumeurs
palpébrales
:
Virtuellement, tous les composants histologiques des paupières
peuvent donner lieu à pathologie ou à prolifération.
Les différents
tableaux présentés ci-après ne se veulent pas exhaustifs, mais
reprennent en les classant d’après leur cellule d’origine ou supposée
telle, les tumeurs les plus importantes citées dans les principaux
traités sur le sujet des littératures française et anglo-saxonne.
La
terminologie anglaise commune et associée figure en regard de la
dénomination française pour permettre au lecteur de lever la
confusion fréquente née de la profusion des termes plus ou moins
synonymes et de la variabilité de leur acceptation.
Dans la mesure du possible, les termes français retenus
concordent avec les recommandations récentes de la Société
française de dermatologie et de vénérologie et de l’Association des
dermatologistes francophones publiées en 1994.
Nous ne
détaillons ici que les tumeurs les plus fréquentes ou d’importance
clinique, issues de l’épiderme et de ses annexes.
La plupart des
lymphomes et les tumeurs mésenchymateuses n’affectent que
rarement les paupières de manière exclusive, de sorte que leur
description ressort plutôt de la pathologie orbitaire, y compris les
tumeurs de la glande lacrymale.
De même, les tumeurs pigmentées
sont l’objet d’une section séparée très spécialisée.
Certaines tumeurs
épithéliales peuvent synthétiser du pigment mélanique dans leur
couche basale et en imposer alors pour un nævus ou même un
mélanome.
La kératose séborrhéique, le papillome corné et le
carcinome basocellulaire en sont des exemples. Le sujet
mélanoderme, chez qui le mélanome cutané est virtuellement
inexistant, présente une pathologie cutanée tout à fait particulière,
qui dépasse la portée de ce chapitre.
D’une façon générale, une
évolution lente est plutôt en faveur de la bénignité, mais des
exceptions peuvent se présenter.
La perte des cils (madarosis) est
suspecte de malignité, mais elle peut aussi être le fait de conditions
inflammatoires chroniques.
Bien que la grande majorité des tumeurs
palpébrales soient bénignes, une biopsie s’avère indispensable dès
que le diagnostic clinique n’est pas évident.
A - TUMEURS ÉPITHÉLIALES :
1- Tumeurs bénignes
:
* Kystes dermoïde et épidermique
:
Ces tumeurs de croissance lente doivent plutôt être rattachées à
l’orbite et rentrent dans le groupe des choristomes.
Elles se
composent de cavités essentiellement remplies de débris cellulaires
et de kératine.
Alors que le kyste épidermoïde est exclusivement
délimité par un épithélium pluristratifié squameux, le kyste
dermoïde possède une paroi munie d’annexes et peut donc receler
des poils, des glandes sudoripares et sébacées.
Préférentiellement
localisée aux environs de la suture frontomalaire, la masse peut
comporter une extension intraorbitaire. Habituellement indolente, la
présentation peut être inflammatoire en cas de rupture de la paroi,
par exemple à la suite d’un traumatisme mineur.
Il est préférable
d’imager la tumeur (tomographie computérisée éventuellement
complétée d’une imagerie en résonance magnétique en cas
d’extension intraorbitaire) avant de programmer son exérèse en bloc.
Si l’exérèse est incomplète, une récidive est à redouter.
* Kyste d’inclusion épidermique
:
Cette tumeur d’évolution lente se présente en général isolément au
niveau de la paupière supérieure, de façon congénitale, et est
probablement due à une inclusion d’épiderme et/ou de follicule
pilosébacé.
Elle peut exister en grand nombre dans le syndrome de
Gardner et le syndrome de Muir et Torre.
L’excision simple est
curative, mais, du fait du risque de cicatrice secondaire, il est
préférable de camoufler l’incision à distance, par exemple dans le
pli palpébral supérieur.
* Papillome corné
:
Le terme papillome n’est pas spécifique.
Il désigne une hyperplasie
bénigne de l’épithélium squameux kératinisé.
Histopathologiquement,
des digitations multiples de chorion (papilles), centrées
autour d’un axe vasculaire, sont recouvertes d’un épithélium
acanthosique et hyperkératosique.
La membrane basale est toujours
intacte.
Cette tumeur acquise, plus souvent unique que multiple,
peut être pédonculée ou sessile, et ne progresse que lentement.
Il
n’y a pas d’origine virale, au contraire de la verrue. Le traitement
est l’exérèse simple.
* Molluscum pendulum
:
Les molluscums pendulums, banals dans les plis axillaires et
inguinaux des sujets pléthoriques, sont fréquents sur les paupières
de l’adulte.
Ce sont de petites proliférations molles pédiculées
autour d’un axe conjonctif qui peuvent être pigmentées, et dont
l’exérèse rapide se fait après simple torsion et sans anesthésie.
Ici
aussi, il n’y a pas d’étiologie virale, à l’inverse des molluscums contagiosums.
* Kératose séborrhéique
:
Cette tumeur est très fréquente sur la face et les paupières des
adultes senior.
Unique ou multiple, c’est une lésion superficielle,
bien limitée, discrètement surélevée sur le plan cutané voisin, et qui
épargne le derme, à moins d’être enflammée ou infectée.
Sa
consistance est molle, graisseuse ou friable, et sa surface peut être
nodulaire, papillomateuse ou verruqueuse.
Chez le Caucasien, la
couleur va du brun léger au noir, selon la production de mélanine.
Chez le sujet mélanoderme, il existe une variante avec des lésions
multiples, très foncées, préférentiellement dans la région malaire.
Histologiquement, c’est une prolifération intraépidermique à limites
en général très nettes par rapport aux téguments voisins, composée
de cellules basophiles ressemblant aux cellules basales normales, et
appelées cellules basaloïdes.
Alors que l’aspect histologique est
variable, l’assise basale est le siège d’une hyperpigmentation
constante.
Papillomatose, acanthose et hyperkératose se retrouvent
en proportions variables.
L’hyperplasie peut être disposée en
« plages » ou en « réseau » qui, dans le type kératosique, enserre
dans ses mailles des îlots de tissu conjonctif dermique ou des cavités
remplies de kératine (cheminées cornées et pseudokystes cornés).
Dans le type adénoïde, les travées sont faites d’une double rangée
de cellules basaloïdes.
Leur aspect clinique très pigmenté peut
donner le change avec un nævus ou un mélanome, tandis que leur
aspect histologique peut évoquer un carcinome basocellulaire ou
spinocellulaire, mais leur membrane basale est toujours respectée.
L’irritation n’est pas rare, et en impose alors pour une kératose
folliculaire inverse irritée.
Les traitements recommandés, qui visent
à éviter toute cicatrice due à une chirurgie inconsidérée,
comprennent l’électrocoagulation superficielle, la cryothérapie
exfoliante, le curetage (approprié pour les petites lésions), la dermabrasion, ainsi que le laser CO2.
Lorsqu’un doute se présente
sur la nature histologique, les lésions pédiculées peuvent être
simplement excisées.
* Kératose folliculaire inversée
:
Il s’agit de petites lésions bénignes pigmentées apparaissant le plus
souvent sur le visage d’un homme comme un nodule isolé papillomateux ou verruqueux ou kystique, ou comme une corne
cutanée, préférentiellement localisée à la face, la marge palpébrale
ou le sourcil.
L’évolution peut être rapide, parfois en quelques mois,
et peut montrer une récidive en cas d’exérèse incomplète.
Une
irritation peut se manifester, ainsi que de petits saignements.
Histopathologiquement, on voit une hyperplasie papillomateuse des
cellules basales et squameuses.
L’association avec un follicule pilaire
a d’abord été suggérée, mais n’a pas été confirmée par la suite.
On
peut voir des globes cornés intraépithéliaux en « bulbes d’oignon ».
Actuellement, la lésion est considérée comme une forme irritée de
kératose séborrhéique. Le traitement recommandé est l’excision
simple.
* Kératoacanthome
:
C’est une tumeur habituellement solitaire, qui se développe
préférentiellement chez l’homme de 50 à 60 ans, sur les surfaces
cutanées exposées au soleil telles que la face, les avant-bras et le dos
des mains.
Sa particularité tient dans sa croissance rapide, en
quelques mois, voire en quelques semaines.
Il peut s’ensuivre une
phase de stagnation, voire d’involution spontanée.
Les récidives sont
possibles.
Au niveau palpébral, son comportement peut être
destructeur des structures adjacentes, ou s’accompagner d’une
réaction inflammatoire.
La présentation classique est celle d’une
tumeur nodulaire de quelques millimètres à 4-5 cm, en bourrelet
charnu centré autour d’un cratère rempli de kératine et montrant
des télangiectasies en surface.
Toutefois, la confusion avec un
carcinome basocellulaire ou épidermoïde n’est pas rare.
L’étiopathogénie reste à élucider, même si le virus du papillome
humain a été invoqué.
La tumeur peut survenir en cas
d’immunodépression, comme chez le transplanté rénal ou le sujet
leucémique ou lépreux, ou encore sur zone cicatricielle.
Plusieurs
syndromes comprennent de multiples kératoacanthomes, dont le
plus important est le syndrome de Muir et Torre.
Le diagnostic
histologique est souvent difficile avec un carcinome épidermoïde
bien différencié, si l’on ne considère que les critères cytologiques, ou
si l’on ne dispose pas de la totalité de la lésion.
Ce sont l’architecture
globale et la clinique qui mènent au bon diagnostic.
En coupe, on
observe une hyperplasie épidermique en relief arrondi, avec un
aspect caractéristique en « éperons » latéraux ourlés vers le centre
de la lésion qui est occupé par de la kératine accumulée dans une
cavité largement ouverte.
L’épithélium est hyperplasique, acanthotique et papillomateux, s’invaginant profondément dans le
derme.
Les mitoses sont fréquentes et les atypies cellulaires
possibles.
On recommande l’exérèse chirurgicale simple de tout kératoacanthome du visage, car la cicatrice d’involution spontanée
est souvent inesthétique.
En cas de lésions trop étendues ou
récidivantes, la chimiothérapie par du 5-fluorouracile (5-FU) ou les
rétinoïdes est possible.
* Tumeurs rares
:
Quatre entités ne sont nommées ici que pour mémoire.
L’hyperplasie pseudocarcinomateuse peut prêter à confusion clinique et
histologique avec le carcinome épidermoïde ou basocellulaire.
D’évolution souvent courte, cette condition est associée à des
conditions inflammatoires chroniques dues à des infections
mycosiques, des piqûres d’insecte ou même certains médicaments.
La lésion de kératose lichénoïde actinique est le plus souvent
solitaire et localisée en région photoexposée.
Possible au niveau de
la face, l’affection épargnerait les paupières.
Le dyskératome
verruqueux associe dyskératose et acantholyse au sein d’une petite lésion d’allure verruqueuse de la face.
L’acanthome à cellules claires,
prédominant au niveau des joues, correspond à une prolifération
aux limites nettes de kératinocytes hyperplasiques bénins.
2- Tumeurs précancéreuses
:
* Kératose actinique
:
Due à l’exposition prolongée au soleil, c’est la plus fréquente des
dermatoses précancéreuses.
On estime que, dans les régions
ensoleillées, plus de 80 % des sujets à peau claire en présentent après
l’âge de 60 ans, alors que les sujets mélanodermes ou asiatiques n’en
présentent que rarement.
Bien que le risque d’évolution vers un
carcinome épidermoïde soit évalué à moins de 0,1 % par an et par
lésion, d’autres études font état d’un risque global atteignant jusqu’à
20 %.
Toutefois, la malignité de la néoplasie secondaire serait
moindre que celle d’un carcinome de novo.
Certaines lésions
peuvent montrer une régression spontanée.
Les lésions, qui
surviennent dans les zones cutanées photoexposées, se présentent
souvent comme des lésions planes érythématosquameuses, de moins
de 1 cm, et sont recouvertes d’un enduit kératosique adhérant
fermement.
L’histologie montre que les lésions surviennent sur une
peau atteinte de dégénérescence sénile préexistente, avec un
amincissement épidermique et une dégénérescence basophile du
collagène dermique.
Les altérations actiniques comprennent
l’hyperkératose, l’acanthose irrégulière, la parakératose focale, la
dyskératose, l’atrophie focale, et les atypies cellulaires.
L’hyperkératose est quelquefois très importante, réalisant alors une
corne cutanée.
Les annexes pilo-sébacéo-sudoripares sont normales.
En dehors des localisations palpébrales, les petites kératoses
actiniques qui ne posent pas de problème diagnostique peuvent être
observées.
En région périoculaire toutefois, et au vu du risque réel
de transformation, on recommande d’établir le diagnostic par une
biopsie puis, soit de procéder à l’excision simple, soit de traiter par
cryothérapie.
* Radiodermite
:
Il arrive que des lésions et carcinomes variés radio-induits apparaissent
avec une très longue latence, parfois de plusieurs dizaines d’années,
après des traitements pour des conditions cutanées bénignes (hirsutisme,
acné).
C’est pourquoi, de nos jours, on réserve la radiothérapie quasi
exclusivement aux tumeurs malignes.
Par ailleurs, les progrès dans la
délivrance des rayons ont permis de diminuer considérablement ces
complications.
En général, la peau irradiée développe après quelques
jours un érythème et un oedème auxquels succèdent après quelques
semaines une hyperpigmentation et une desquamation, puis une
atrophie progressive des annexes pilo-sébacéo-sudoripares (perte des cils
[madarosis], éventuellement nécrose palpébrale), et un cortège de
complications kératoconjonctivales.
Avant de débuter un traitement
prévu de 2 500 cGy ou plus, on recommande actuellement
l’intubation systématique de longue durée (plusieurs mois) des voies
lacrymales, afin de prévenir les sténoses secondaires probables.
* Xeroderma pigmentosum
:
Il s’agit d’une affection rare, autosomique récessive, caractérisée par
une sensibilité pathologique aux rayons ultraviolets (UV) solaires,
et résultant de l’apparition précoce de multiples néoplasies, d’abord
superficielles puis généralisées.
Les défauts génétiques touchent les
systèmes de réparation des dommages de l’acide désoxyribonucléique
(ADN) induits par les UV.
Plusieurs anomalies
génétiques sont décrites, correspondant à une certaine variation de
l’expression clinique.
Toutes les ethnies et les deux sexes semblent
atteints de façon égale.
Cliniquement, l’enfant développe avant l’âge
de 2 ans un nombre élevé d’éphélides et des réactions érythématodesquamantes à toute exposition solaire. Puis
apparaissent des lésions d’atrophie cutanée, des zones
hyperpigmentées et des télangiectasies, voire une kératose actinique.
Dans un troisième temps, qui débute dès l’enfance ou l’adolescence,
les régions de la peau et de la conjonctive photoexposées sont le
siège de cancers multiples : carcinomes basocellulaires et
épidermoïdes, kératoacanthomes ou mélanomes malins et différents
types de sarcomes.
Certains patients développent en outre des
anomalies neurologiques progressives.
Au niveau oculaire, les
altérations peuvent être sévères, surtout dans la zone interpalpébrale, avec hyperhémie chronique, pinguecula, ptérygion,
pigmentation, et dégénérescence néoplasique de la conjonctive, ainsi
que kératite et pannus.
Les paupières subissent des lésions de
blépharite chronique, puis des rétractions cicatricielles, tant de la
lamelle antérieure que de la lamelle postérieure.
Histologiquement,
les lésions, tant précoces que tardives, ne sont pas spécifiques, si ce
n’est leur vitesse de développement élevée.
Le traitement implique
la prévention de toute exposition solaire et l’application d’écran
solaire total durant toute la vie.
Des rétinoïdes systémiques et la
thérapie génique sont à l’essai.
3- Tumeurs malignes :
* Carcinome basocellulaire
:
Le carcinome basocellulaire est de loin la plus fréquente des tumeurs
malignes des paupières et de la peau.
Par ordre de fréquence, les
localisations préférentielles sont la paupière inférieure, le canthus
interne, la paupière supérieure, puis le canthus externe.
Les facteurs
de risque bien connus reprennent classiquement le phototype clair
et l’exposition solaire cumulée.
C’est une tumeur du sujet senior, de sorte que sa survenue chez un enfant impose une surveillance au
long terme et suggère d’exclure un syndrome des hamartomes
basocellulaires.
De nombreuses présentations cliniques ont été
décrites.
Les plus fréquentes sont les formes nodulo-ulcérée,
pigmentée, sclérodermiforme, et à extension superficielle.
Plus
rarement, on décrit aussi la tumeur fibroépithéliale de Pinkus, et le
syndrome des hamartomes basocellulaires.
+ Types cliniques
:
Dans le type nodulo-ulcéré, la tumeur développe un nodule ferme
de couleur claire, présentant de fines télangiectasies à sa surface et
une bordure d’allure perlée.
À mesure que la tumeur grossit, le
centre peut s’ombiliquer puis s’ulcérer, aboutissant à l’entité
classique de l’ulcère térébrant.
La surinfection est possible et peut
produire une adénopathie satellite.
La présentation de la forme
pigmentée est identique à la forme nodulaire, sauf que de la
mélanine y est produite en plus grande quantité, soit par des
mélanocytes, soit par les cellules basales tumorales elles-mêmes.
Plus fréquente chez le sujet de phénotype brun, sa couleur peut aller
du brun clair au noir, au point d’être confondue avec un mélanome
ou un nævus.
Le type sclérodermiforme se distingue par son aspect
d’induration plane et pâle, aux contours mal définis.
Le carcinome basocellulaire à extension superficielle est localisé habituellement sur
le tronc, et rarement au niveau de la face.
+ Différenciation et modes de croissance
:
La cellule d’origine est la cellule basale germinale de l’épiderme qui
est pluripotente.
Ainsi la tumeur peut-elle exhiber tout un éventail
de différenciations propres aux annexes cutanées, c’est-à-dire : kératosique (annexes pilaires), kystique (glandes sébacées), ou
adénoïde (glandes apocrines ou eccrines).
À la différence des types
pigmenté, sclérosant et superficiel, c’est essentiellement le type
nodulaire qui est capable de différenciation.
Les foyers tumoraux
sont organisés en nodules compacts, en conservant la disposition
des cellules basales à la surface de la membrane basale, appelée
« palissadisme périphérique ».
Au niveau des marges, l’épithélium
tumoral est en continuité avec l’épithélium normal.
Le derme subit
une transformation dite « desmoplasique », par laquelle il devient
moins ferme, mucineux et montre des fibroblastes d’allure
anormale.
Inversement, dans le type sclérodermiforme, des
expansions tumorales étroites, parfois épaisses de seulement une à
deux cellules (allure de file indienne), envahissent un stroma fibreux
dense et s’infiltrent plus profondément que cliniquement
suspecté.
Un type de carcinome intermédiaire entre basocellulaire
et épidermoïde est décrit, qui démontre une plus grande agressivité.
+ Traitement
:
Le traitement du carcinome basocellulaire est essentiellement
chirurgical et comporte un contrôle histologique des berges par
examen extemporané ou par technique micrographique de Mohs.
On estime que l’exérèse sans contrôle des marges s’avère
incomplète jusque dans 50 % des cas.
Associée à un contrôle
clinique régulier, la cryothérapie est également efficace sur les lésions
de petite taille, mais comme la radiothérapie, souffre de l’absence
de contrôle histologique de la qualité du traitement.
La propension à récidiver dépend du type histologique de
carcinome, du site atteint et du type de traitement initial.
Une
excision incomplète d’un carcinome basocellulaire nodulaire
récidiverait dans 8 % des cas, alors que les formes ulcérée et
sclérodermiforme récidiveraient dans 60 et 75 % respectivement.
Le canthus interne et, dans une moindre mesure, le canthus externe
représentent des zones à grand risque de dissémination en
profondeur, particulièrement après une première exérèse incomplète.
Une radiothérapie préalable augmenterait les taux de récidive dans
une étude évaluant la technique de Mohs.
Extérieurement, il est
souvent impossible de diagnostiquer ces infiltrations vers la
profondeur autrement que par une imagerie en résonance
magnétique.
Dans ce cas, une exentération orbitaire emportant le
canal lacrymonasal jusqu’à son abouchement sous le cornet inférieur
peut être nécessaire.
+ Syndrome des hamartomes basocellulaires
:
Cette entité, rare, consiste en l’association de multiples carcinomes
basocellulaires avec, entre autres, des anomalies squelettiques telles
que kystes de la mâchoire ou côtes bifides, retard mental, troubles
gonadiques et anomalies oculaires.
Les lésions palpébrales sont
souvent délabrantes.
Histopathologiquement, ces tumeurs ne
seraient pas différentes des carcinomes basocellulaires classiques, si
ce n’est par la présence plus fréquente de calcifications
intratumorales, et de variantes architecturales multiples.
Ce
syndrome doit être évoqué lorsque la présence d’un carcinome basocellulaire s’accompagne d’un âge jeune, compris habituellement
entre 10 et 30 ans, de tumeurs multiples, d’un aspect histologique
en général superficiel et multicentrique ou de foyers ostéoïdes au
sein des tumeurs.
Du fait que la transmission est autosomale
dominante, le traitement comporte un conseil génétique
indispensable et une surveillance clinique régulière afin d’éviter les
complications des atteintes associées.
* Carcinome intraépidermique
:
Par le passé, on a attribué à la maladie de Bowen d’être révélatrice
de la présence de néoplasies viscérales.
Il est en général admis
actuellement que ce n’est pas le cas, et que cette association résultait
de biais statistiques.
Cette entité marquerait simplement le stade
précoce de développement in situ du carcinome épidermoïde.
Histologiquement, on retrouve des aspects de kératose actinique et
d’inflammation au niveau du derme.
Tout en respectant la
membrane basale, le carcinome intraépidermique est caractérisé par le remplacement de toute l’épaisseur de l’épiderme par des cellules
atypiques avec perte de polarité (l’effraction de la membrane basale
marque le stade de carcinome épidermoïde invasif).
Au moins 5 %
des lésions recèlent un carcinome épidermoïde, de sorte que l’on
recommande de traiter systématiquement toutes les lésions, que ce
soit par simple exérèse ou par cryothérapie.
* Carcinome épidermoïde
:
Beaucoup plus rare que le carcinome basocellulaire, le carcinome
épidermoïde peut survenir de novo ou, ce qui est plus fréquent, sur
des lésions précancéreuses telles que la kératose actinique, le
carcinome intraépidermique, la radiodermite, des cicatrices de
brûlure ou des lésions inflammatoires chroniques.
Les facteurs de
risques, ici aussi, sont le phototype clair, l’exposition solaire
chronique, l’âge et le sexe masculin.
L’immunodépression iatrogène
ou acquise, le xeroderma pigmentosum et l’albinisme prédisposent
à l’affection.
La paupière inférieure est plus souvent atteinte que la
paupière supérieure, mais une tumeur de la paupière supérieure est
suggestive de carcinome épidermoïde.
Bien que la présentation
clinique ne soit pas spécifique et couvre le spectre des aspects plus
ou moins nodulaire ou ulcéré, papillomateux ou kystique, etc, la
tumeur s’accompagne souvent d’autres lésions actiniques à son
voisinage. Seule la biopsie est diagnostique.
Contrairement au
carcinome basocellulaire (hormis dans le type sclérodermiforme), le
carcinome épidermoïde est doté d’un réel potentiel d’infiltration et
de métastases à distance, ainsi que d’une croissance plus rapide.
La
propension à métastaser ou récidiver est proportionnelle à
l’épaisseur tumorale et au degré d’invasion du derme, et
inversement proportionnelle au degré de différenciation.
Par
ailleurs, les lésions apparaissant de novo ou en zone de dommage radio-induit ou inflammatoire chronique sont plus invasives que
celles apparues sur une kératose actinique.
Classiquement,
l’extension peut se faire par voie lymphatique vers les ganglions sous-mandibulaires ou préauriculaires, ou par infiltration
périneurale ou directement par contiguïté vers le fond de l’orbite.
La fonction sensorimotrice des nerfs crâniens doit donc être explorée
et, en cas de doute, l’orbite doit être imagée en résonance
magnétique.
Histopathologiquement, la tumeur prend naissance
dans la couche des cellules squameuses de l’épiderme et exhibe une
image très variable en fonction de la différenciation.
Des cellules dyskératotiques avec des perles cornées et des ponts intercellulaires
sont visibles dans les tumeurs bien différenciées.
Le carcinome intraépidermique marque le remplacement de toute l’épaisseur de
l’épiderme par des cellules atypiques.
La principale caractéristique
histologique est l’effraction de la membrane basale.
Le derme envahi
subit une transformation desmoplasique.
En cas de faible
différenciation, l’immunomarquage pour les cytokératines et autres
protéines s’avère utile. Rarement, cette tumeur peut présenter une
différenciation adénoïde.
Le pronostic est corrélé à l’épaisseur
tumorale.
Des tumeurs de moins de 2 mm ne métastasent
pratiquement jamais.
Entre 2 et 6 mm, le risque est d’environ 4,5 %,
et au-delà de 6 mm, particulièrement en cas d’infiltration musculaire
ou périostée, le risque atteint environ 15 %.
+ Traitement
:
Le traitement comporte le diagnostic par une biopsie, suivie d’une
chirurgie d’exérèse avec évaluation extemporanée des marges.
La
radiothérapie est une alternative en cas de contre-indication
chirurgicale, d’extension orbitaire ou de métastases.
Les doses sont
plus importantes que pour un carcinome basocellulaire.
La
protection du globe doit être rigoureuse.
La partie médiane de la
paupière supérieure doit être évitée pour ne pas risquer une kératopathie sévère par kératinisation de la conjonctive.
La
cryothérapie à l’azote liquide peut être proposée en cas de contreindication
chirurgicale pour des tumeurs bien limitées de moins de
10 mm de diamètre, sans atteinte conjonctivale, canthale interne ou
osseuse.
La chimiothérapie, topique ou systémique, est un
traitement adjuvant pour les lésions très évoluées et pour les
patients atteints de xeroderma pigmentosum.
Dès que
l’envahissement orbitaire ou ganglionnaire est présent, il faut
pratiquer une exentération, associée à un curage ganglionnaire, de
la radiothérapie et de la chimiothérapie.
B - TUMEURS DES ANNEXES
PILO-SÉBACÉO-SUDORIPARES :
1- Tumeurs d’origine piloannexielle :
*
Comédons
:
Ils corrrespondent à de petits bouchons cornés de 1 à 3mm situés
dans les orifices des follicules sébacés qui finissent par s’expulser
spontanément, et qui sont augmentés dans l’acné. Leur couleur noire
vient de l’oxydation des graisses et de mélanine.
Ils ne donnent pas
lieu à une réaction inflammatoire. L’acné peut prendre une évolution
inflammatoire, vers l’abcédation, lorsque des nodules d’acné se
rompent, par exemple dans la région du sourcil.
Le traitement
consiste en la mise à plat, une antibiothérapie systémique et un
traitement contre l’acné.
* Milium
:
Petites élevures blanchâtres facilement énucléées à l’aiguille
biseauté, les grains de milium correspondent à une accumulation de
kératine dans un canal pilaire.
* Trichofolliculome
:
Il s’agit d’un hamartome annexiel qui a une prédilection pour la
marge palpébrale et se manifeste par un petit nodule ombiliqué d’où
sortent quelques fins poils clairs.
L’histologie, bien différenciée,
correspond à plusieurs structures folliculaires convergeant vers un
canal unique d’allure kystique.
* Tricholemmome
:
C’est une petite tumeur isolée d’allure nodulaire ou irrégulière,
épargnant généralement la marge palpébrale, et dérivée du feuillet
externe du follicule pilaire.
La présence de multiples lésions est
révélatrice du syndrome de Cowden (syndrome des hamartomes
multiples).
* Kyste trichilemmal
:
Il s’agit d’une tumeur généralement localisée au niveau du cuir
chevelu (« loupe ») qui peut atteindre une taille importante.
* Pilomatricome
:
Les sites de prédilection de cette tumeur rare sont la paupière
supérieure et le sourcil.
Affectant préférentiellement l’adulte jeune,
elle se présente souvent cliniquement comme un nodule souscutané
mobilisable.
La particularité histologique réside dans la
présence de cellules d’allure momifiée, contenant des calcifications.
Des nodules de petites cellules basaloïdes montrent une activité
mitotique parfois intense, ce qui est normal pour une structure
dérivée de la matrice pilaire.
Son évolution est bénigne et les
récidives après exérèse totale sont rares.
* Trichoépithéliome
:
Il se compose de multipes petits kystes remplis de kératine, localisés
dans l’épaisseur de l’épiderme, résultant de follicules pilaires
immatures.
Isolé ou en petit nombre sur la face, il apparaît souvent
à la puberté comme un petit nodule de couleur chair dont la taille
reste en général limitée à moins de 1 cm.
L’évolution est lente et
bénigne et une transformation carcinomateuse est rare.
Il existe une
forme familiale autosomique dominante présentant de mutiples
tumeurs.
* Tumeurs malignes
:
Le carcinome trichilemmal représente une variante de différenciation
histologique du carcinome épidermoïde.
De même, le terme
carcinome annexiel intraépidermique marque l’absence de
détermination de l’origine histologique, mais marque sa
ressemblance avec un carcinome basocellulaire.
2- Tumeurs des glandes sébacées :
* Tumeurs bénignes
:
L’orgelet externe est une infection des glandes de Zeis ou de Moll,
fréquemment staphylococcique, alors que sa forme interne concerne
les glandes de Meibomius et peut donner lieu à un abcès, voire une
cellulite.
Le chalazion correspond plutôt à une inflammation granulomateuse (à cellules géantes) de ces glandes, due à une
obstruction d’origine inflammatoire, infectieuse ou néoplasique,
mais le plus souvent spontanée.
Sa rupture du côté conjonctival peut
engendrer un tissu de granulation.
Dans l’hyperplasie sébacée, la
peau de la face ou des paupières de sujets âgés montre un ou
plusieurs petits nodules jaunâtres composés de lobules glandulaires
sébacés matures, convergeant en général vers un canal dilaté unique.
L’électrocoagulation est un traitement efficace.
L’adénome sébacé,
qui peut faire partie du syndrome de Muir et Torre, présente les
mêmes caractéristiques que l’hyperplasie sébacée et affecte
préférentiellement le sourcil.
L’hamartome sébacé (de Jadassohn) se
présente le plus souvent de façon congénitale, comme une plaque
du cuir chevelu ou de la face, dépourvue de poils, et peut servir de
substrat au développement de tumeurs bénignes ou malignes à l’âge
adulte, de sorte que l’on en recommande l’exérèse prophylactique.
Le kyste sébacé ressemble au kyste d’inclusion épidermique et se
retrouve fréquemment dans les régions très pileuses comme le
sourcil, mais peut survenir aussi dans les glandes de Meibomius.
* Carcinome sébacé palpébral
:
Le carcinome sébacé constituerait en fréquence la deuxième tumeur
palpébrale maligne derrière le carcinome basocellulaire, et
prédomine chez les femmes d’âge moyen.
Rare en Occident, ce
carcinome serait beaucoup plus fréquent en Orient.
Sa localisation
préférentielle est la paupière supérieure ; il est rarissime sur le corps.
Il peut survenir aux dépens des glandes de Meibomius ou de Zeis,
des glandes sébacées du sourcil ou de la caroncule, et même de novo
dans la glande lacrymale principale.
Sa présentation est l’exemple
même du piège clinique, au point de mériter le nom de masquerade
syndrome dans la littérature anglo-saxonne.
Il se présente souvent
comme un chalazion récidivant.
Aussi faut-il, chez un adulte senior,
suspecter et biopsier tout chalazion survenant en dehors d’une
condition cutanée ou palpébrale clairement prédisposante au
chalazion.
Les autres présentations cliniques classiques comprennent
une blépharoconjonctivite unilatérale, un papillome corné ou un
botryomycome sous le tarse supérieur.
La tumeur exhibe un
comportement d’envahissement marqué et dissémine à distance par
voie lymphatique, et localement par épidermotropisme, c’est-à-dire
par la migration de cellules néoplasiques dans l’épaisseur de
l’épithélium cutané et conjonctival (dissémination « pagétoïde ») ou
même cornéen, puis directement par dissémination vasculaire et
infiltration périneurale.
Des taux élevés de mortalité et de récurrence
ont été rapportés, atteignant jusqu’à environ 20 et 30 %
respectivement.
Le pronostic est d’autant plus sombre que la tumeur
est localisée en paupière supérieure, dure depuis plus de 6 mois,
mesure plus de 1 cm, implique les glandes de Meibomius et montre
un comportement infiltrant ainsi qu’un faible degré de
différenciation sébacée.
+ Histologie
:
La tumeur se compose de lobules irréguliers de cellules pléiomorphes à cytoplasme spumeux et noyaux amphophiles plus
ou moins réguliers.
Trois types de différenciation sont décrits :
lobulaire, comédoïde avec nécrose centrale et papillaire.
Il faut
souligner que la mise en évidence de vésicules lipidiques intracytoplasmiques est essentielle au diagnostic.
La préparation
habituelle des spécimens en machine entraîne la dissolution des
graisses et leur disparition de la coupe.
Il faut donc rechercher ces
vésicules lipidiques sur coupes en congélation de tissu frais (voire
fixé depuis peu de temps) et prévenir le pathologiste de cette
possibilité diagnostique.
+ Traitement
:
Il fait appel à l’excision avec contrôle extemporané des marges.
Toutefois, la tumeur est connue pour présenter des zones de tissu
sain entre le foyer principal et les métastases locales intraépithéliales
(skip areas), ce qui limite quelque peu la fiabilité de l’examen
extemporané.
C’est pourquoi l’on recommande d’attendre la réponse
de l’examen sur tissu fixé avant de procéder à la reconstruction.
En
cas de lésion étendue ou de résection subtotale, on adjoint de la
cryothérapie.
L’évaluation de la conjonctive se fait par prise de
biopsies multiples avec relevé cartographique (map biopsy).
3- Tumeurs d’origine sudoripare eccrine :
L’hydrocystome eccrine correspond à une ou plusieurs petites
dilatations kystiques ductulaires qui peuvent montrer une variation
de taille avec la température extérieure.
Le syringome, plus fréquent
chez les adolescentes, correspond à de multiples plages solides de
petites cellules entourant et comprimant des ductules qui montrent
au microscope une forme classique en « virgule ».
Le spiradénome
eccrine est rarissime.
Le syringome chondroïde ressemble à
l’adénome pléiomorphe de la glande lacrymale et affecte les glandes
salivaires et la peau, mais rarement au niveau palpébral.
Il est
composé de structures tubuloalvéolaires entourées d’un stroma
myxoïde, voire cartilagineux.
Le porome eccrine survient aux dépens
de la portion intraépidermique du ductule (le pore), surtout au
niveau de la paume et de la plante des pieds, rarement au niveau palpébral.
Une transformation néoplasique est possible (porome
eccrine malin).
L’hidradénome nodulaire eccrine se présente comme
un nodule dermohypodermique survenant sur tout le corps et
contenant des espaces kystiques.
Il peut s’ulcérer et être douloureux.
Le cylindrome peut parfois exhiber une grande taille de plusieurs
centimètres et couvrir une partie du scalp (tumeur en « turban »).
La forme multiple a souvent une transmission familiale dominante,
liée au chromosome 16p13.
L’équivalent malin est très agressif.
Une grande variété d’adénocarcinomes eccrines est décrite en
pathologie, mais peu d’entités cliniques sont déterminées ; de plus,
elles sont très rares.
La distinction avec un carcinome métastatique
reste difficile.
4- Tumeurs d’origine sudoripare apocrine :
Le cystadénome apocrine est une petite lésion en général solitaire,
siégeant sur la marge palpébrale.
Il existe une forme multiple
associée à une dysplasie ectodermique.
L’hamartome apocrine est
associé à des hamartomes des glandes sébacées, des annexes pilaires
et de l’épiderme, réalisant le tableau du « nævus » sébacé de
Jadassohn ou syndrome des hamartomes sébacés.
Le syringocystadénome papillifère y est également associé ainsi que le
très rare adénome apocrine.
La plupart du temps, ces tumeurs
progressent à la puberté.
L’hidradénome papillifère est rare au
niveau palpébral, étant quasi exclusivement confiné au périnée
féminin.
L’oncocytome papillaire est une tumeur issue du
revêtement ductulaire dont les cellules sont riches en mitochondries,
affectant la caroncule, la glande et le sac lacrymaux, et rarement la
paupière. Bien d’autres sites peuvent générer des oncocytomes,
comme la thyroïde, les glandes salivaires, le rein, etc.
L’adénocarcinome des glandes de Moll a été décrit exceptionnellement.
5- Autres tumeurs simulant
une origine annexielle :
Les métastases palpébrales de carcinome sont très rares et peu
spécifiques.
Leur histologie correspond à celle de la tumeur
primitive, le plus souvent sur un mode moins différencié, de sorte
que les techniques immunohistochimiques et ultrastructurales sont
essentielles à leur diagnostic.
Le choristome est une tumeur
composée de tissu normal mais ayant un siège anormal.
On a décrit
des exemples de choristome neuroglial composé de cellules gliales
et de tissu fibreux, de choristome composé de cils et de glande
lacrymale, et de choristome cristallinien à la face interne de la
paupière inférieure, ou encore cartilagineux, etc.