Chirurgie des tumeurs malignes du plancher buccal Cours de Chirurgie
Introduction
:
Les techniques d’exérèse des tumeurs malignes du plancher buccal n’ont
bénéficié d’aucune modification depuis l’article paru en 1995, les
techniques de réparation, en revanche, se sont enrichies en ce qui
concerne la réparation des tissus mous, ainsi que celle de la perte de
substance osseuse.
Méthodes de réparation des pertes
de substances muqueuses
:
Nous avons déjà décrit :
– la fermeture directe ;
– la greffe de peau totale ;
– les lambeaux cutanés locaux et locorégionaux ;
– le lambeau nasogénien.
La réparation muqueuse s’est enrichie de cinq techniques.
A - Lambeau de peaucier du cou
:
1- Anatomie chirurgicale
:
Le muscle peaucier du cou appartient au système musculoaponévrotique
superficiel (SMAS).
Il est vascularisé par :
– l’artère sous-mentale, branche de l’artère faciale, pour la partie
supérieure supéromédiale du cou ;
– une branche cutanée de l’artère thyroïdienne supérieure, pour la partie
moyenne du cou ;
– une branche de l’artère cervicale transverse, pour la partie inférieure
du cou ;
– des branches des artères occipitale et rétroauriculaire, pour la partie
supérolatérale du cou.
La peau du cou est vascularisée par des perforantes musculocutanées
provenant du muscle peaucier.
2- Technique chirurgicale
:
La palette cutanée, de forme losangique, est dessinée à la base du cou
d’un côté ou de l’autre.
Elle peut mesurer 7 X 14 cm, au maximum.
L’incision inférieure intéresse les plans cutané et musculaire, alors qu’au
bord supérieur, seule la peau est incisée.
Le muscle platysma est respecté
et le décollement du plan cervical se fait au-dessus du muscle.
Le plan
cutané superficiel étant soulevé, le plan profond du muscle platysma
portant la palette cutanée est à son tour libéré.
Cette dissection est
continuée jusque dans la région sous-mandibulaire.
Les attaches
postérieures du muscle platysma sont respectées.
Après le curage et l’exérèse tumorale, le lambeau sera passé en bouche
pour combler la perte de substance.
Des variations techniques, visant à fiabiliser ce lambeau en augmentant
son apport vasculaire, ont été apportées, mais ne sont pas toujours
réalisables :
– respect de la branche cutanée de l’artère thyroïdienne supérieure lors
de la levée du lambeau, qui nécessite la dissection d’un carré
d’aponévrose du muscle sternocléidomastoïdien autour de cette
branche, pour la libérer jusqu’au pied du pédicule ;
– levée dans le lambeau de la veine jugulaire externe et/ou de la
communicante intraparotidienne, pour augmenter le retour veineux.
3- Indications et limites
:
Le lambeau musculocutané de platysma présente une finesse et une
plasticité particulièrement adaptées à la couverture des pertes de
substances muqueuses de la partie antérieure de la cavité buccale.
Ses limites résident dans sa réputation de faible fiabilité.
L’amélioration de la dissection, guidée par nos meilleures
connaissances de la vascularisation du muscle platysma, devrait
améliorer ce point.
La technique de levée du lambeau et le geste du
curage, le plus souvent associé au geste d’exérèse tumoral, compromettent les pédicules principaux du muscle platysma.
Seul
l’apport vasculaire des artères occipitale et rétroauriculaire est respecté.
La réalisation d’un curage rétrospinal compromet cette vascularisation.
Le seul apport par des communicantes à flux rétrograde en provenance
de la joue ne permet pas un prélèvement fiable, et explique les nécroses
partielles ou totales rapportées dans la littérature.
Il est donc conseillé
de choisir un autre mode de reconstruction, lorsque les nécessités
carcinologiques obligent à la réalisation de curages radicaux.
B - Lambeau sous-mental
:
Il est centré sur l’artère sous-mentale, branche cervicale de l’artère
faciale.
Elle naît de cette dernière, avant son croisement avec la branche
horizontale de la mandibule, et a un diamètre de 2 à 5mm.
1- Technique chirurgicale
:
La palette cutanée losangique est dessinée en région sous-mentale
transversalement.
Sa partie supérieure suit l’arche mandibulaire.
Sa
limite inférieure dépend de la laxité du cou et doit permettre une
fermeture première.
Sa taille maximale peut atteindre 18 X 7 cm.
La partie supérieure de la palette est incisée en premier, peau et muscle,
puis la partie inférieure.
Le lambeau est soulevé de sa partie distale à sa
partie proximale, jusqu’à la ligne médiane.
Puis, la palette est soulevée
à partir de sa berge inférieure en restant en contact du ventre du muscle
digastrique jusqu’à la glande sous-maxillaire qui est rasée.
Le pédicule sous-mental est repéré à son pôle supérieur sous le rebord mandibulaire.
Le rameau mentonnier du nerf facial est repéré et préservé.
La palette
est terminée d’être individualisée jusqu’à la naissance de la branche sous-mentale sur l’artère faciale.
2- Indications et limites
:
Le lambeau sous-mental présente les mêmes caractéristiques texturales
que le lambeau musculocutané de platysma et est donc particulièrement
adapté pour la couverture des pertes de substances muqueuses de la
cavité buccale.
En revanche, étant prélevé sur un pédicule individualisé
et préservé, il est beaucoup plus fiable.
Ses limites dépendent des gestes carcinologiques associés, notamment
du curage sous-mental.
C - Lambeau sous-hyoïdien
:
1-
Anatomie chirurgicale
:
La sangle musculaire infrahyoïdienne comporte les muscles
sternohyoïdien, sternothyroïdien, thyrohyoïdien et omohyoïdien.
Seul
le ventre antérieur de l’omohyoïdien est prélevé dans le lambeau soushyoïdien,
et le muscle thyrohyoïdien n’est pas inclus pour préserver le
nerf laryngé supérieur.
L’artère thyroïdienne supérieure est la première branche de l’artère
carotide externe.
La conformation la plus favorable pour la mobilisation
du lambeau vers le haut demande une bifurcation carotidienne la plus
haute possible.
Toutes ses branches, sauf sa collatérale postérieure
destinée à la thyroïde, envoient des branches émissaires aux muscles sous-hyoïdien, et doivent être préservées.
De ces muscles naissent des
perforantes musculocutanées pour le muscle platysma et la peau
sus-jacente.
2- Technique chirurgicale
:
La palette cutanée est verticale paramédiane en regard des muscles infrahyoïdiens homolatéraux pour les pertes de substances latéralisées
ou médianes prenant tous les muscles sous-hyoïdiens pour les pertes de
substances centrales.
Sa taille maximale est de 4,5 X 9 cm.
Elle peut
déborder vers le bas, sur la peau thoracique, de 2 à 3 cm et mesurer
14 cm de long pour les grandes pertes de substance.
L’incision se fait au pourtour de toute la palette cutanée et intéresse, dans
un premier temps, les plans cutané et musculaire de platysma.
La dissection se réalise de distal en proximal.
La veine jugulaire
antérieure est ligaturée.
Le plan des muscles sous-hyoïdiens est incisé.
Le lambeau est soulevé à la face profonde de ces muscles, au-dessus de
la capsule de la glande thyroïde, jusqu’aux branches de l’artère
thyroïdienne supérieure.
La branche antérieure de l’artère thyroïdienne
supérieure est sectionnée sur la glande thyroïde et incluse dans le
lambeau.
Les autres branches pour la glande thyroïde sont liées.
Au pôle
supérieur de la glande thyroïde, la branche postérieure est liée, laissant
le lambeau pédiculé sur le tronc principal de l’artère thyroïdienne
supérieure.
Le muscle sternothyroïdien est désinséré du cartilage
thyroïde, et l’artère cricothyroïdienne est liée et incluse dans le lambeau.
La branche externe du nerf laryngé supérieur est préservée
soigneusement.
L’insertion hyoïdienne du muscle sternocléidohyoïdien
est sectionnée pour finir.
L’ansa cervicalis est préservée en haut dans la
dissection.
Le lambeau est pédiculé sur l’artère et la veine thyroïdiennes
supérieures et peut être mobilisé jusque dans la cavité buccale.
3- Indications et limites
:
Le lambeau sous-hyoïdien est, pour les mêmes raisons que le lambeau
sous-mental, plus fiable que le lambeau de platysma.Wang rapporte
90 % de réussite dans sa série de 112 lambeaux.
Sa composition musculaire, plus importante que les autres lambeaux musculocutanés du cou, et la préservation de sa motricité l’indiquent
particulièrement dans les reconstructions partielles de la langue mobile
et du plancher.
Les résultats fonctionnels, déglutition et élocution,
rapportés par différents auteurs, sont bons.
Son prélèvement interfère moins avec les techniques de curages
ganglionnaires, sauf dans les indications de curages radicaux avec
ligature des veines jugulaires interne et externe.
Dans ces cas, la fiabilité
du lambeau est moindre et un autre type de reconstruction est préférable.
D - Lambeaux jugaux
:
Ils sont au nombre de deux.
1- Lambeau de muscle buccinateur
:
* Technique chirurgicale
:
Le dessin du lambeau est le suivant :
– la limite supérieure est dessinée en premier.
Elle débute au bord
postérieur du maxillaire, en arrière, pour rejoindre la commissure en
avant.
Elle passe sous la papille du canal de Sténon ;
– la limite inférieure est tracée entre 1 et 2,5 cm sous le premier trait ;
– le dessin peut aller, en avant, jusqu’à la commissure, ou se terminer
en Y en poursuivant le dessin sur chaque lèvre.
Au total, ce dessin permet d’inclure la moitié du corps musculaire du
muscle buccinateur.
Après incision de la muqueuse et de la sous-muqueuse, la dissection élève le
muscle buccinateur du plan du fascia buccopharyngé sous-jacent, en partant
de l’avant et en progressant vers l’arrière.
L’artère labiale et les nombreuses
branches de l’artère faciale sont coagulées, ainsi qu’une large veine plus
postérieure provenant du plexus ptérygoïdien.
La boule graisseuse de Bichat est exposée et le pédicule principal du
lambeau, l’artère buccale, respecté lorsqu’il pénètre le lambeau en
regard du raphé ptérygomaxillaire.
En fin de dissection, le muscle et la
muqueuse restent attachés à ce point.
Le site donneur peut être fermé directement.
* Indications et limites
:
Ce lambeau permet de couvrir les pertes de substances latérales et
vestibulaires du plancher buccal, sans atteindre la portion centrale.
Sa morbidité est minimale puisqu’il n’entraîne aucun déficit fonctionnel
et ne diminue la compliance de la joue que pendant 2 semaines.
2- Lambeau de muqueuse buccale pédiculé sur l’artère faciale
:
Le lambeau de facial artery musculomucosal (FAMM) peut être
prélevé, ou à flux antérograde à pédicule inférieur, ou à flux rétrograde à
pédicule supérieur.
Le trajet de l’artère faciale est repéré par doppler endobuccal.
Sa course
est oblique en haut et en avant du trigone rétromolaire, au sulcus
gingivolabial en regard du pied de l’aile narinaire.
Le dessin centré sur ce trajet permet de lever un lambeau de 2 cm de
large, passant en avant du canal de Sténon, et de 8 à 9 cm de long.
Au
niveau de la commissure, la partie antérieure du lambeau passe entre 0,5
et 1 cm en arrière du bord libre de celle-ci.
Pour un lambeau à flux antérograde, la dissection débute en distal.
L’incision intéresse la muqueuse et la sous-muqueuse du sillon
gingivolabial.
L’artère faciale est repérée et liée.
Le reste des berges du
lambeau est alors incisé et la dissection passe en profondeur du pédicule
facial, en prenant le minimum de fibres musculaires du buccinateur et
de l’orbiculaire recouvrant ce dernier au niveau de la commissure.
En
fin de dissection, le lambeau a un rapport longueur sur largeur de 5/1.
L’inclusion de l’artère faciale, sur toute sa longueur, est indispensable
pour s’assurer sa fiabilité.
Le lambeau peut être prélevé sur un pédicule muqueux que l’on peut
sectionner secondairement ou en îlot vasculaire, mais en laissant une
base sous-muqueuse large afin de ne pas compromettre le retour
veineux.
Le point pivot de ce lambeau est le trigone rétromolaire.
La technique de levée du lambeau à flux rétrograde est identique, mais
débute la dissection au niveau du trigone rétromolaire, et son point pivot
est situé au niveau du sulcus ginvivolabial.
Le site donneur peut être fermé de première intention, sans déformation
ni bride pour les lambeaux ne dépassant pas 2 cm de large.
Deux
lambeaux sont réalisés.
Les berges du muscle buccinateur sont réapproximées et la muqueuse fermée.
Le prélèvement d’un lambeau muqueux, axé sur la branche septale de
l’artère labiale supérieure, n’est pas différent pour sa portion proximale,
mais peut traverser la ligne médiane distalement selon Park.
Dans ce
cas, le bord inférieur du dessin doit se tenir suffisamment à distance du
vermillon pour ne pas entraîner de déformation.
* Indications et limites
:
Le lambeau de FAMM permet de fermer des pertes de substance
étendues de la muqueuse du plancher buccal, de la joue, de la face
pelvienne de la langue et de la lèvre rouge.
L’apport tissulaire est doublé
si un lambeau FAMM bilatéral est prélevé.
Ses avantages sont :
– sa fiabilité.
Pribaz, dans sa série de 18 FAMM, ne rapporte qu’une
nécrose complète liée à une faute technique ;
– sa proximité du site opératoire ;
– sa facilité de levée ;
– son absence de séquelle au site donneur.
Les branches motrices du
nerf facial destinées aux muscles péribuccaux sont respectées, à
condition de passer au ras de l’artère faciale et d’emporter un minimum
de muscle ;
– sa similarité structurale avec la perte de substance.
Ses limites sont :
– ce lambeau apporte une surface et un volume limités et ne peut donc
permettre de couvrir de larges pertes de substance du plancher buccal.
Cependant, il peut être un complément intéressant aux lambeaux pris à
distance pour reconstruire les zones nécessitant peu de volume, comme
le vestibule ou les crêtes alvéolaires ;
– la couverture des pertes de substance du plancher buccal demande la
levée de lambeaux à pédicule inférieur.
Or, le plus souvent, un curage
triangulaire avec ligature des vaisseaux faciaux a été associé au geste de tumorectomie.
La survie du lambeau par un flux antérograde semble
alors compromise, ainsi que ses indications.
Cependant, les nombreuses
anastomoses intrajugales, avec les axes vasculaires temporal superficiel
et maxillaire interne, et mentonnière, avec le réseau controlatéral et
cervical, assurent la poursuite d’un flux antérograde de qualité.
Il est
conseillé de le contrôler en peropératoire par doppler, après clampage
distal de l’artère faciale.
Méthodes de reconstruction osseuse
:
Les techniques proposées pour remplacer le segment mandibulaire
manquant sont nombreuses.
Nous les avons décrites. Nous ajouterons la
suivante.
A - Lambeau ostéomusculaire de masséter
:
Le lambeau ostéomusculaire de masséter a été décrit pour les pertes de
substance du segment central de la mandibule par Pereira, en 1997.
Son
concept de base est de relocaliser la portion de mandibulaire horizontale
non réséquée en la pédiculant sur le muscle masséter.
La vascularisation
du segment avancé est de type périostée.
1- Technique opératoire
:
Après résection osseuse antérieure, on réalise une ostéotomie
horizontale sur la partie horizontale restante de la mandibule, en partant
de l’angle jusqu’à la tranche de section antérieure.
Cette ostéotomie doit
laisser le segment mandibulaire inférieur pédiculé sur le muscle
masséter et doit respecter le pédicule vasculonerveux mandibulaire
inférieur.
Pour ce faire, le trait d’ostéotomie doit laisser 2-5 cm de
hauteur de la portion horizontale de la mandibule mesurée à partir du
rebord inférieur.
Cette coupe permet également une bonne stabilité
mécanique du segment restant.
L’insertion du muscle masséter sur le segment inférieur est respectée
pour conserver sa vascularisation.
Pour ce faire, le corps du muscle
masséter est disséqué de la branche montante de la mandibule en souspériosté
et de son fascia en superficie.
Cette dissection permet
l’avancement du lambeau mandibulaire.
Cette avancée est de 7 cm au
maximum.
L’ostéosynthèse mandibulaire se fait en avant, entre les deux greffons
controlatéraux, et, postérieurement, entre les côtés des segments
mandibulaires homolatéraux.
Un greffon osseux pris sur l’angle mandibulaire peut être superposé en
avant pour améliorer le contour.
2- Indications et limites
:
Cette technique présente plusieurs avantages :
– le seul lambeau osseux vascularisé local ;
– la morbidité du site donneur faible ;
– le raccourcissement du temps opératoire ;
– pas de nécessité d’une équipe spécialisée ;
– particulièrement indiquée pour reconstruire la partie la plus difficile
de la mandibule.
Elle présente cependant un certain nombre d’inconvénients :
– elle ne permet pas la reconstruction des pertes de substance
supérieures à 7 cm, sauf en association avec d’autres procédés, comme
une attelle métallique ou un greffon osseux ;
– elle doit être associée à un lambeau fasciocutané ou musculocutané,
pédiculé ou libre, lorsqu’une perte de substance muqueuse est présente ;
– elle ne restaure pas une hauteur mandibulaire correcte ;
– elle est irréalisable chez les patients édentés avec ostéolyse
alvéolaire ;
– la dissection nécessaire pour l’avancée du greffon mandibulaire est
dangereuse pour le nerf alvéolaire inférieur, voire pour le nerf facial.
En conclusion, cette technique présente un avantage certain pour
une indication bien précise : la reconstruction des pertes de
substance peu importantes et symétriques du segment central de
la mandibule chez les patients possédant une hauteur
mandibulaire convenable.
Ce geste doit de plus être associé, en fonction de l’exérèse, aux
autres techniques essentielles à la récupération d’une bonne
morphologie du menton : réinsertion du muscle digastrique au
greffon osseux ; fixation profonde osseuse des tissus mous ;
comblement de tous les espaces morts ; geste palliatif sur une
paralysie de la lèvre inférieure ; apport d’une palette cutanée par
un autre lambeau pour la couverture muqueuse.