Traumatismes dentaires et alvéolaires
Cours de Médecine Dentaire
Généralités
:
A - Contexte clinique
:
Les traumatismes dentaires et alvéolaires sont des
motifs fréquents de consultation en urgence.
Sollicitant
souvent les médecins des services d’accueil,
ils sont idéalement gérés lorsque le recours à
un spécialiste de la cavité buccale est possible,
celui-ci possédant les compétences requises et le
matériel adéquat.
L’examen systématique d’un blessé devrait toujours
comporter au moins une inspection de la
cavité buccale et notamment des organes dentaires.
Il n’en est pas toujours ainsi, surtout en cas de lésion vitale prédominante où la priorité est donnée
au traumatisme crânien ou thoracoabdominal.
Le
diagnostic est alors porté tardivement, compromettant
grandement les chances de succès du traitement.
La situation est légèrement différente lorsque le polytraumatisme englobe des lésions de la région
maxillofaciale, car l’intervention précoce du spécialiste
fait rapidement bénéficier le patient d’un
examen complet de la cavité buccale.
De même, le diagnostic de fractures alvéolodentaires
est parfois posé fortuitement à la lecture de
clichés radiographiques de la face ou du crâne
demandés de manière systématique chez un traumatisé
inconscient.
Les patients présentant un traumatisme dentaire
isolé représentent un groupe à part, dans la mesure
où ils font eux-mêmes le diagnostic de leurs lésions
et consultent spontanément.
Les chances maximales
de succès sont pourtant inégales et varient en
fonction du délai avec lequel ils rencontrent le
praticien qui débutera le traitement ou bien selon
les conditions de conservation de l’organe traumatisé.
Enfin, il est habituel d’avoir à faire le diagnostic
rétrospectif de traumatisme dentaire devant un
tableau de cellulite circonscrite que n’explique
aucune lésion carieuse ou parodontale : bien souvent
le traumatisme dentaire est méconnu, notamment
chez l’enfant qui ne le signale pas..., ou
considéré comme bénin et négligé par le blessé ou
l’entourage.
B - Physiopathologie :
Les enfants représentent une population à risque
pour les traumatismes dentaires et alvéolaires,
mais les maturations osseuse et dentaire évoluent
tout au long de la croissance et, selon le stade de
leur évolution, ces deux structures offrent des résistances
différentes aux agents vulnérants.
1- En denture temporaire :
Entre 6 mois et 3 ans, il existe une forte croissance
des maxillaires, et le remodelage osseux important
aboutit à la formation d’un os alvéolaire peu dense
et peu minéralisé, donc malléable, favorisant les
luxations des organes dentaires plutôt que les fractures.
Par ailleurs, le retard de croissance de la
mandibule par rapport au maxillaire génère une proalvéolie supérieure relative qui expose préférentiellement
les incisives supérieures.
C’est également
durant cette période, vers l’âge de 3 ans,
que les rapports entre apex de la dent lactéale et
germe de la dent définitive sont les plus étroits,
menaçant de blessure ce dernier, ou provoquant
simplement l’ouverture de son sac, en cas d’ingression
de la dent temporaire.
Entre 3 et 6 ans, l’enfant acquiert la vitesse de
déplacement, et les risques ne font que s’accroître
lorsque il est scolarisé.
Les chocs peuvent être
directement transmis à la dent, mais il est fréquent
de voir des traumatismes occasionnés par une chute
alors que l’enfant portait un objet dans la bouche,
entraînant dans le même temps des atteintes muqueuses
et osseuses, notamment au niveau du palais.
À cet âge, l’os alvéolaire reste malléable et les
attaches parodontales lâches, la racine est raccourcie
par la rhizalyse physiologique : tous ces facteurs
privilégient toujours les luxations dentaires par
rapport aux fractures.
Les ingressions dentaires
restent fréquentes, tout comme les versions palatines
ou vestibulaires.
Avec la résorption progressive
de la racine, on voit diminuer le risque de complications
pour l’os alvéolaire et le germe de la dent
définitive.
2- En denture mixte
:
Pendant cette période qui s’étale en moyenne entre
6 et 12 ans, les incisives centrales supérieures
sont les premières à apparaître et restent les plus
touchées par les traumatismes.
Mais durant les
premières années, l’édification radiculaire en cours
confère quelques spécificités : la racine courte
permet les luxations, même si l’os alvéolaire devient
plus compact et plus résistant aux déplacements
latéraux et axiaux ; le canal radiculaire est
large et protège le paquet vasculonerveux des forces
de cisaillement et de la strangulation par
l’oedème post-traumatique ce qui évite le plus souvent
la mortification pulpaire.
Les lésions fracturaires
des organes dentaires apparaissent avec l’allongement
des racines et la densification osseuse.
3- En denture permanente :
À partir de l’adolescence, la denture définitive est
édifiée et les conséquences d’un traumatisme alvéolodentaire
sont plus lourdes.
Ce sont les activités
sportives qui semblent générer le plus d’accidents
chez les sujets jeunes.
À tout âge, rixes et agressions sont des causes
fréquentes de fractures et luxations dentaires.
L’adulte partage également tous ces facteurs de
risque, auxquels il faut ajouter le vieillissement
physiologique de la denture, des tissus de soutien
et parfois le mauvais état buccodentaire.
Il existe
alors quelques causes iatrogènes telles que l’intubation endotrachéale anesthésique (où la luxation
des incisives centrales supérieures est possible surtout
en cas de parodontolyse associée), ainsi que
les avulsions dentaires si les instruments sont utilisés
de manière inappropriée.
Il est classique de dire que la proalvéolie supérieure
favorise la survenue de tels accidents, les
incisives étant alors particulièrement exposées aux
agents vulnérants du fait de leur vestibuloversion.
Les traitements orthodontiques plus largement développés
tendent à réduire actuellement ce risque.
En revanche, le port d’appareillage modifie l’histoire
naturelle des traumatismes dentaires, tantôt
en assurant une contention solide qui limite dans
une certaine mesure les dégâts, tantôt, au
contraire, en mobilisant en bloc un groupe dentaire
à distance du point d’impact.
Après 12 ans, les lésions des tissus de soutien et
des organes dentaires s’équilibrent donc et sont
déterminées par les caractéristiques des agents
vulnérants :
Les projectiles de faible masse percutant
des dents nues à vitesse rapide aboutiront aux
fractures coronaires radiculaires ou mixtes.
Le processus
carieux majore ce risque. Les agents contondants,
lourds et à déplacement lent, surtout s’ils
percutent des dents protégées par des tissus mous
tels que les lèvres, engendreront des luxations.
Avec l’âge, le vieillissement des tissus parodontaux
favorise le retour des luxations quelle que soit
la nature du traumatisme.
C - Épidémiologie :
Il est évident qu’il existe une sous-estimation de
l’incidence et de la prévalence des traumatismes
dentaires parce que, d’une part les patients ne
viennent pas tous consulter, et d’autre part, les
lésions ne sont pas toutes diagnostiquées.
Ce sont néanmoins des affections fréquentes :
pour Gineste, un individu sur dix a été victime
d’un traumatisme dentaire ou alvéolodentaire à
l’âge de l’adolescence, et pour Delattre, cela
concerne 13,6 % des enfants de 6 à 15 ans.
La
fréquence de ces traumatismes diminue d’ailleurs
avec le vieillissement des sujets : 50 % avant 10 ans
pour 30 % entre 10 et 30 ans.
Pour Gassne, les traumatismes dentaires accompagnent
48,25 % des traumatismes craniofaciaux
et se répartissent essentiellement en accidents
de circulation (10 à 54 % selon les séries),
agressions (13 à 48 %) et sports (6 à 33 %), les
accidents domestiques et du travail représentant
une part négligeable.
Jeux de ballons, sports de combat, équitation et
cyclisme sont les activités les plus citées.
Récemment,
VTT, patins en ligne, skate-board et trottinette
ont corrigé à la hausse des chiffres que la
diminution des accidents de circulation avait
contribué à faire baisser.
Il existe une écrasante prédominance masculine,
même si le sex-ratio est variable selon les circonstances
de survenue, variant de 1/1 pour les accidents
domestiques chez l’enfant à 1/10 pour les
accidents du travail (1/2 pour les traumatismes
sportifs et 1/8 pour les agressions).
D - Prévention
:
Elle est applicable à plusieurs niveaux et nécessiterait
un effort collectif.
1- Concernant le patient
:
Elle se limite à la pratique des sports.
Beaucoup
d’entre eux ne requièrent pas de protection dentaire,
même en compétition : c’est le cas du cyclisme,
du patinage ou de l’équitation où le casque
ne protège que le crâne et pas la face.
Dans les
sports de ballon ou de combat, le port de protègedents
est préconisé voire obligatoire, et les différentes
études mettent en évidence la nette supériorité
des protections personnalisées réalisées par
des odontologistes sur les protections thermoformées
du commerce.
Il importe de réaliser un
fenêtrage qui permet une respiration buccale tout
en gardant les mâchoires serrées : cette zone de
faiblesse est palliée par l’inclusion d’une armature
rigide ; de même, pour la plongée, il faudrait
adapter l’embout respiratoire à la cavité buccale
du plongeur.
Enfin, le traitement des dysmorphies faciales
peut être considéré comme un moyen indirect de
prévention des traumatismes dentaires et alvéolaires.
2- Concernant l’entourage :
Il s’agit plutôt d’une prévention des complications,
c’est-à-dire d’une prévention secondaire alors que
le traumatisme est survenu.
Le but est donc de former les catégories de
population susceptibles d’être confrontées aux
traumatismes dentaires.
En premier lieu, les professeurs
des écoles : certains d’entre eux connaissent
la conduite à tenir en urgence, la majorité des
autres est demandeuse de formation.
Il en est de
même des moniteurs sportifs qui reçoivent les informations
nécessaires au cours de leur tronc commun.
Enseigner aux parents serait l’idéal mais paraît
illusoire devant le trop grand nombre.
Enfin, le
personnel des professions para-médicales et tous
les médecins devraient connaître les principes de
traitement d’urgence.
Examen du sujet
:
Comme pour toute pathologie ou traumatisme, il se
doit d’être méthodique et systématisé.
Après avoir installé confortablement et rassuré la victime, cet
examen débute par un interrogatoire qui est un
temps capital dans la démarche diagnostique.
Inspection
et palpation sont suivies de clichés radiographiques,
souvent multiples.
C’est à ce terme
qu’a lieu la rédaction du certificat médical initial.
A - Anamnèse :
La première partie de l’interrogatoire concerne
l’accident à proprement parler : le praticien s’enquiert
alors des date, heure et lieu de survenue,
perte de connaissance initiale.
Il se renseigne également
sur l’agent vulnérant, car ses différentes
caractéristiques (consistance, direction, point
d’impact, cinétique...) peuvent orienter vers tel ou
tel type de lésions.
Les conditions de survenue,
accident de la vie privée ou causé par un tiers, de
loisir ou de sport de compétition, du travail, agression,
ont un rôle déterminant sur les conséquences
juridiques et l’indemnisation du préjudice.
Les questions sont ensuite orientées vers le sujet
et ses antécédents médicochirurgicaux : interventions
chirurgicales antérieures, pathologies
connues, troubles de l’hémostase, allergies médicamenteuses,
traitements en cours, statut vaccinal
notamment contre le tétanos.
La notion de traitements
buccodentaires en cours ou passés est importante
à recueillir pour déterminer un « état antérieur
» à l’actuel traumatisme.
Enfin, le recueil des signes fonctionnels est une
bonne étape de transition entre interrogatoire et
examen clinique : existence de douleurs et conditions
d’apparition (chaud, froid, alimentation, position),
paresthésies ou anesthésie dans un territoire
précis, plaintes associées concernant d’autres
organes.
Impossible chez le polytraumatisé ou le sujet
souffrant de troubles neurologiques, cette étape du
diagnostic est également délicate chez l’enfant,
surtout si celui-ci n’est pas accompagné de proches
parents munis du carnet de santé.
Effectivement,
le traumatisme récent a tendance à rendre les
enfants mutiques ou au contraire très agités, donc
peu coopérants pour l’interrogatoire comme pour
l’examen physique.
Chez eux, il est indispensable
de commencer par rassurer la mère, ce qui a pour
effet de calmer l’enfant.
B - Examen clinique :
Celui-ci est idéalement réalisé par un spécialiste de
la cavité buccale parce qu’il requiert un matériel
adéquat : le fauteuil inclinable et le scialytique
permettent une excellente inspection de l’ensemble
de la bouche, plus difficile pour l’arcade dentaire
supérieure.
Ce matériel est rarement disponible
dans les services d’accueil et d’urgences, où
l’alternative consiste à examiner un patient en
décubitus à la lumière d’un miroir frontal.
Il convient d’avoir à portée de main, outre des
gants d’examen, une aspiration douce, car les gingivo- ou stomatorragies sont fréquentes.
Le praticien
utilise un miroir dentaire, une sonde, une
pince « précelle », du coton et une bombe réfrigérante
pour tester la vitalité pulpaire, des compresses.
Du matériel pour réaliser une anesthésie locale
est nécessaire, même s’il n’est utilisé le plus souvent
qu’au moment du traitement des lésions.
Sur un patient préalablement rassuré et calmé,
surtout s’il s’agit d’un enfant, et chez lequel la
douleur a été atténuée par une prise médicamenteuse,
on débute par une inspection globale de la
cavité buccale et de ses annexes (versant cutané
puis muqueux des lèvres).
Toutes les lésions doivent
être soigneusement analysées puis consignées
sur le certificat médical initial, comme celles des
tissus mous (lèvres, gencives, langue) qui sont trop
souvent oubliées.
L’inspection globale des organes dentaires apprécie
l’ampleur des dégâts et notamment l’absence
de couronnes, pour laquelle il faudra définir
s’il s’agit de luxation totale ou de fracture radiculaire
avec racine restante.
L’observation des dents
en place analyse leur coloration (normale, grisâtre
pour une mortification ancienne, rosée pour une
fracture récente), leur position ou variation d’axe
traduisant un déplacement dont le caractère ancien
ou récent peut être reconnu par l’étude des
facettes d’usure.
L’examen des couronnes recherche
une fêlure ou fracture et toute amputation,
même minime, est notée.
La palpation est un temps de l’examen plus
délicat à réaliser, car le patient craint que le praticien
ne réveille une douleur qui s’était spontanément
atténuée.
Comme pour l’inspection, il est
important de ne pas oublier les structures annexes :
on recherche un éventuel corps étranger, dentaire
ou non, au sein des plaies des lèvres, dont on
apprécie également la sensibilité au toucher.
Les
bases osseuses sont examinées à la recherche d’une
fracture associée, par exemple en palpant le bord
basilaire mandibulaire ou la cinétique des condyles
dans les deux régions prétragiennes.
La mobilité des dents est testée manuellement
ou à l’aide de la précelle, et l’amplitude des mouvements
possibles dans les divers plans de l’espace
est cotée.
Chaque dent est examinée indépendamment
et le déplacement d’un groupe dentaire en
monobloc fait suspecter une fracture de l’os alvéolaire.
En revanche, en cas de mobilité d’une seule
dent, il faut différencier les mouvements de la couronne (signe de fracture coronoradiculaire) des
mouvements de la dent dans son ensemble (qui
traduisent une luxation incomplète).
Enfin, l’examen se termine par les tests de vitalité
pulpaire des dents suspectées traumatisées et
des dents attenantes.
Parmi les différentes possibilités
(électricité, température...), c’est le test au
froid qui semble être le plus utilisé. Les réponses
sont inscrites sur un schéma qui doit absolument
être daté ; en fait, ce n’est pas la réponse actuelle
qui importe le plus mais son évolution avec le
temps : certaines dents initialement insensibles
peuvent retrouver une vitalité normale (phénomène
de sidération nerveuse), le contraire est également
possible, et comme la mortification pulpaire
entraîne un cortège de complications, il faut
savoir la dépister précocement.
C - Examen radiographique :
C’est lui qui permet le plus souvent d’affirmer le
diagnostic, mais il n’est pas toujours réalisable de
manière aussi complète que le praticien le voudrait.
Le très jeune enfant, agité car anxieux, ne se
soumet pas toujours à ces examens qui nécessitent
une immobilité parfaite.
Le polytraumatisé ne peut
pas bénéficier de l’apport du cliché panoramique
dentaire réalisé en orthostatisme ou éventuellement
chez un patient assis.
Néanmoins, dans la majorité des cas, l’accès à
une séquence d’examens est possible et nous décrirons
ici les clichés idéaux et leurs alternatives.
Le cliché « panoramique des maxillaires » possède
l’avantage de montrer sur un seul film radiologique
l’ensemble des deux arcades dentaires,
leurs bases osseuses alvéolaires et basilaires, les
branches montantes mandibulaires et les articulations temporomandibulaires.
Il représente un excellent
cliché de débrouillage en permettant de
recenser les dents manquantes ou de dépister les
fractures mandibulaires associées.
La qualité des
images est meilleure à la mandibule qu’au maxillaire
en raison d’artefacts provoqués par les cavités
aériennes sus-jacentes.
Les clichés rétroalvéolaires qui viennent au besoin
compléter l’examen précédent apportent des
renseignements plus précis.
En cas de doute, il est
important de multiplier ces clichés sous diverses
incidences afin de mettre en évidence un trait de
fracture suspecté par le seul examen clinique.
Ils
permettent de visualiser plus précisément la structure
de l’organe dentaire, l’état de la chambre
pulpaire et le degré d’édification radiculaire, ainsi
que l’os alvéolaire et l’espace ligamentaire.
De ces
clichés, on peut rapprocher les clichés endobuccaux
occlusaux ou « mordus » qui sont également
utiles pour le dépistage notamment de fractures
incomplètes des structures osseuses, qui n’apparaissent
pas toujours sur la radiographie panoramique.
En cas d’impossibilité de réaliser ces radiographies,
il convient de demander des images en
« maxillaires défilés » (incidences obliques qui dégagent
en deux clichés les hémimandibules droite
et gauche), une « face basse » qui visualise tout
l’arc mandibulaire ou une incidence de Blondeau
pour mettre en évidence la région centrale de
l’arcade maxillaire.
Classification
:
La classification la plus utilisée, celle de l’Organisation
mondiale de la santé (OMS), a le
mérite de la simplicité.
Elle décrit avec précision
les lésions des tissus de soutien : procès alvéolaires
et gencive.
En revanche, elle ne mentionne pas la
topographie des fractures radiculaires qui, selon la
hauteur, ont des implications thérapeutiques différentes.
Elle ne fait pas état non plus de la possibilité
de fêlure de l’émail, atteinte qui passe trop
souvent inaperçue.
C’est pourquoi, nous lui préférons une classification
descriptive plus complète qui distingue
les atteintes ligamentaires, dentaires, osseuses
et des tissus mous périphériques : c’est cette classification qui sert de trame à notre étude anatomoclinique.
Enfin, il faut rappeler que le
traumatisme dentaire ou dentoalvéolaire ne prend
de valeur que replacé dans son contexte : état
parodontal correct ou défectueux, denture définitive,
lactéale ou mixte, traumatisme isolé ou associé
à d’autres lésions, surtout si elles engagent le
pronostic vital du patient.
Il nous a donc paru
nécessaire de parfois regrouper des lésions anatomiquement
différentes mais débouchant sur une
même conduite à tenir : simple surveillance de la
vitalité, restauration anatomique a minima, geste
endodontique nécessaire, avulsion obligatoire, et
ainsi de proposer une classification originale selon
l’attitude thérapeutique adoptée initialement :
celle-ci est donnée dans le chapitre
réservé au traitement.
Anatomie descriptive
:
A - Lésions des tissus de soutien
:
1- Contusions
:
Souvent décrites avec les luxations, les contusions
en représentent en fait le premier stade, à ce détail
près que leur diagnostic n’est pas évident à la
simple inspection, du fait de l’absence de déplacement
de la dent dans son alvéole.
Elles correspondent
à un traumatisme, le plus souvent par compression
ou écrasement, des fibres ligamentaires
qui unissent la dent à son os alvéolaire.
Les phénomènes
inflammatoires qui en découlent sont responsables
d’un oedème d’autant plus néfaste qu’il
se produit en vase clos dans l’espace inextensible
de l’alvéole, entraînant des phénomènes d’ischémie du desmodonte et, par répercussion, de la
pulpe dentaire.
Si ces phénomènes sont réversibles, on assiste
dans un premier temps à une diminution ou une
disparition de la vitalité pulpaire, qui se normalise
progressivement dans les jours ou les semaines qui
suivent : on parle alors de sidération pulpaire.
Plus grave est la compression prolongée du paquet vasculonerveux aboutissant à la mortification
pulpaire, responsable à distance d’accidents infectieux.
Cliniquement, cet accident de compression des
fibres ligamentaires se traduit par des douleurs
d’intensité modérée spontanément, mais qui s’intensifient
lors des mouvements et manoeuvres axiales
(occlusion ou percussion) pour rappeler les signes
cliniques de la desmodontite, classique « dent
trop longue ».
Il n’existe pas de mobilité dentaire
et les tests de vitalité pulpaire ne sont pas fiables
initialement.
Le cliché rétroalvéolaire peut montrer
un élargissement de l’espace desmodontal.
En cas de traumatisme isolé, il convient de surveiller
pendant 6 semaines au minimum la vitalité
pulpaire ; l’évolution confirmant la non-réponse
aux tests à distance de l’épisode, il importe de
réaliser une trépanation de la dent avec pulpectomie
et obturation canalaire pour éviter la survenue
d’épisodes infectieux.
Chez l’enfant, la contusion dentaire ne présente
que peu de spécificité : elle reste rare pour des
dents à racines non édifiées, laissant la place, dans
ce cas, à la luxation ou subluxation.
De plus, dans
un canal radiculaire large, l’oedème est responsable
d’une ischémie moins sévère de la pulpe et
entraîne probablement moins souvent une mortification.
2- Ingressions dentaires :
Cette forme de luxation axiale semble être l’apanage
des incisives supérieures lactéales chez des
enfants âgés de 1 à 3 ans car l’os alvéolaire fragile
et la présence du germe définitif favorisent la
pénétration de la dent dans le maxillaire.
Si la pénétration est complète, l’absence de dent
sur l’arcade peut faire croire à une luxation totale,
et c’est le cliché radiographique qui fait le diagnostic
de l’ingression.
Il tente alors de préciser les
rapports entre la dent ingressée et le germe de la
dent définitive dont l’embrochage peut avoir de
fâcheuses conséquences sur son évolution.
En fait, la situation est plus complexe puisque,
selon l’âge de survenue du traumatisme, les rapports
entre dent temporaire et germe varient
et les lésions attendues sont différentes.
C’est entre 1 et 3 ans que les rapports entre ces
deux organes sont les plus étroits (le sac qui
contient le germe est à l’aplomb de l’apex dentaire)
et les lésions les plus préoccupantes : il n’est
pas rare que le télescopage des deux structures
entraîne une modification de l’axe radiculaire de la
dent définitive qui aboutit à l’éruption d’une dent
mal positionnée, ou bien une blessure du germe qui
se traduit par l’éruption d’une dent hypoplasique.
Avant 1 an, l’apex de la racine de la dent lactéale
est plus vestibulaire que le germe et les
lésions de celui-ci sont rares.
À partir de 4 ans, la rhizalyse est suffisamment avancée pour que les
lésions induites par la pénétration de la dent temporaire
soient plus importantes sur celle-ci que sur
le germe de la dent définitive.
Quoi qu’il en soit, la surveillance est de mise et
la migration de la dent impactée permet le plus
souvent son retour sur l’arcade en quelques semaines
à quelques mois.
Il convient d’émettre les plus
grandes réserves quant à l’avenir de la dent permanente,
dont l’éruption est guettée en analysant sa
position, sa forme et sa coloration, ainsi que sa
vitalité : ceci doit être parfaitement compris par
les parents.
L’impaction des dents définitives est plus rare et
volontiers incomplète, ce qui rend le diagnostic
clinique plus facile.
En revanche, elle s’accompagne
toujours de dégâts alvéolaires par « éclatement
», perceptibles à la palpation vestibulaire
sous forme d’une voussure osseuse irrégulière, et
confirmés par le cliché rétroalvéolaire.
Les tests de
vitalité pulpaire sont souvent perturbés et leur
surveillance doit être prolongée jusqu’au repositionnement
de la dent sur l’arcade (au minimum
6 semaines).
3- Égressions dentaires :
Cette forme de traumatisme correspond bien à la
notion de luxation puisqu’il existe effectivement
une perte des rapports normaux alvéolodentaires,
ainsi qu’une lésion plus ou moins sévère du ligament
qui les unit (les luxations totales sont traitées
à part).
Parmi les cas d’égression partielle, il faut différencier
les simples étirements du ligament des déchirures
dont le pronostic est probablement plus
sévère.
Dans les cas les plus limités, a priori plus
favorables, l’hématome qui remplit l’espace alvéolodentaire
fait place à un tissu de granulation réparateur
« favorable » à une cicatrisation ligamentaire
; le faible déplacement de la dent n’engendre
qu’un étirement du pédicule vasculonerveux, avec
de moindres conséquences à long terme sur la
vitalité pulpaire.
L’inspection retrouve une dent sortie de son
alvéole, mobile, associée à une hémorragie au collet
gingival.
Le cliché radiographique montre un
élargissement, parfois asymétrique, de l’espace alvéolodentaire
; il doit éliminer une fracture radiculaire
et/ou de l’os alvéolaire.
Les tests de vitalité pulpaire sont fréquemment
perturbés, mais bien souvent il ne s’agit que d’une
simple sidération nerveuse, et tout revient dans
l’ordre dans un délai de quelques jours à quelques
semaines.
Parfois, lorsque le déplacement a été
plus important, la subluxation aboutit à la mortification
pulpaire et un traitement endodontique devient
nécessaire.
La difficulté de cette catégorie de traumatismes
réside en la présence du caillot ligamentaire qui
fait obstacle à la réimpaction dentaire tentée par
le praticien avant fixation de la dent.
4- Déplacements latéraux :
Beaucoup plus fréquents dans le sens antéropostérieur
que dans le sens mésiodistal, ils représentent
la variété la plus fréquente de luxations incomplètes.
Les subluxations de dents lactéales sont fréquentes
car favorisées par la rhizalyse et l’approche
de la chute physiologique.
Chez l’adulte, c’est
la parodontolyse avec résorption de l’os alvéolaire
qui est pourvoyeuse de déplacements dentaires.
À l’examen, c’est la malposition de la dent qui
fait porter le diagnostic ainsi que la mobilité de la
couronne.
La version peut être palatine ou vestibulaire.
Il existe également une hémorragie au collet
gingival. Les manoeuvres de mobilisation sont inutiles
et douloureuses, et c’est le cliché rétroalvéolaire
ou le cliché occlusal antérieur qui confirme le
diagnostic, en montrant l’intégrité de la racine et
un élargissement asymétrique de l’espace desmodontal.
L’état de l’os alvéolaire est tout aussi important
à préciser.
Une fois encore les tests de vitalité pulpaire ne
sont que peu contributifs le jour du traumatisme,
car leur négativité peut correspondre à un phénomène
de sidération nerveuse et l’évolution peut se
faire spontanément vers leur normalisation.
À l’opposé,
leur positivité initiale n’est que faussement
rassurante et ne doit pas dispenser du suivi habituel
en raison de la possibilité de mortification secondaire
de la pulpe.
5- Luxations totales :
Elles correspondent au stade ultime des luxations,
et le diagnostic est d’autant plus facile que le
patient ou sa famille se présente avec la dent
expulsée de son alvéole.
Dans le cas inverse, le
diagnostic différentiel d’ingression dentaire reste à
poser, et c’est à nouveau le cliché radiographique
qui confirme l’hypothèse d’avulsion en montrant un
alvéole déshabité.
Lorsque la dent n’a pas été retrouvée, il importe
de s’assurer qu’elle n’a pas été inhalée par le
patient : l’interrogatoire recherche les signes (toux
suffocante, dyspnée avec tirage, cyanose, agitation...)
faisant craindre un « syndrome de pénétration
» des voies aériennes et, en cas de doute, une
radiographie thoracique de face doit être prescrite,
à la recherche de cet éventuel corps étranger qui
favoriserait les pneumopathies.
La déglutition de la
dent ne comporte aucun risque majeur, et le cliché
abdominal ne présente pas d’autre intérêt que de
faire cesser les recherches si la dent est visualisée
en projection de l’aire gastrique.
La réimplantation d’une dent lactéale n’est généralement
pas tentée car le geste est lourd et le
risque infectieux secondaire grand pour le peu de
bénéfice attendu.
La question se pose, bien sûr, lorsqu’il s’agit
d’une dent permanente, mais selon les nombreuses
études réalisées le pronostic est différent selon le
contexte : les chances de réussite (obtention à
2 mois d’une dent stable et vivante) sont maximales
en cas de réimplantation rapide (inférieure à
1 heure pour certains) d’une dent dont l’apex n’est
pas complètement édifié, chez un individu au bon
état buccodentaire et présentant des dents avoisinantes
saines ce qui permet un ancrage efficace
pour la contention.
L’intégrité de l’os alvéolaire est également un
facteur de réussite, tout comme la nature du milieu
de conservation pendant le délai extraoral.
Il existe des contre-indications relatives à la
remise en place de la dent (comme la parodontolyse)
ou absolues telles que les cardiopathies valvulaires,
en raison du risque de mortification pulpaire
et de formation d’une lésion infectieuse apicale.
Lorsque cette réimplantation est tentée, il importe
de ne pas léser les structures ligamentaires,
en évitant un curetage trop appuyé dans l’alvéole
et un brossage de la racine dentaire.
Dans les cas les plus favorables, il existe une
cicatrisation ligamentaire qui passe par l’édification
d’un tissu de granulation alvéolaire et la réinnervation
est parfois constatée pour des dents à
apex ouvert : dans ce cas, la vitalité pulpaire réapparaît
à distance du geste.
Une autre forme de consolidation est représentée
par l’ankylose : le ligament détruit cède la
place à un tissu inflammatoire ostéoïde néfaste, et
l’espace alvéolodentaire est alors comblé par un os
spongieux qui favorise l’interpénétration de la dentine
et des ostéoblastes.
La stabilité de la dent ainsi
« ankylosée » n’est que provisoire ; elle risque
d’être fortement compromise par une rhizalyse
secondaire plus ou moins rapide.
B - Fractures dentaires :
1- Fêlures :
Elles peuvent être considérées comme le premier
stade des fractures coronaires.
Le diagnostic en est
d’autant plus difficile que l’aspect macroscopique
de la couronne semble normal.
La radiographie ne
montre aucune image suspecte et c’est l’examen
clinique en lumière tangentielle, ou mieux par transillumination, qui permet de mettre
en évidence cette atteinte isolée de l’émail.
Comme à l’habitude, ce sont les incisives supérieures
qui sont les plus fréquemment touchées.
celle-ci n’était pas spontanée.
Une fois de plus,
c’est le test de vitalité pulpaire qui détermine la
gravité de l’atteinte : le plus souvent, la dent est
vivante et le traitement peut consister en un simple
polissage.
Si les tests de vitalité sont négatifs initialement,
il faut rassurer le patient ou sa famille,
car il ne s’agit le plus souvent que d’une simple
sidération de la pulpe, et la normalisation se fait
spontanément en quelques jours à quelques semaines.
Quand l’atteinte est plus profonde, la lésion peut
se prolonger à travers la dentine jusqu’à la pulpe et
on se rapproche alors des fractures de la couronne,
même s’il n’existe pas de mobilité de celle-ci.
Le
patient présente alors des douleurs spontanées à
type de pulpite et la fissure peut être visible à l’oeil
nu.
Dans ce cas, la mortification pulpaire est plus
fréquente et il est important de surveiller l’évolution
de la vitalité de la dent pendant plusieurs
semaines avant de prendre une décision thérapeutique.
2- Éclats de l’émail :
Ce sont de véritables fractures de la couronne et, à
la différence des fêlures, l’observation à l’oeil nu
met en évidence une amputation partielle de celleci,
ne touchant que l’émail et respectant la dentine.
Ces variétés de traumatismes se rencontrent
fréquemment au niveau des incisives et se
limitent le plus souvent à un angle du bord libre de
la dent.
Il est possible également de rencontrer des
éclats de l’émail dans les régions prémolaires et
molaires, supérieures comme inférieures, lors d’un
choc de l’arcade mandibulaire contre l’arcade
maxillaire (choc sur le menton bouche ouverte par
exemple), ou au cours de l’alimentation lorsque le
sujet cherche à broyer un élément dur.
Le risque de mortification pulpaire étant quasiment
nul compte tenu de la nature du traumatisme,
le traitement consiste en la simple restauration
prothétique de la couronne, voire un polissage du
bord libre.