Traitement des hernies de l’aine étranglées Cours de Chirurgie
Introduction
:
L’étranglement herniaire correspond à la striction du contenu
herniaire par le collet du sac.
Son incidence est de l’ordre de 8 à
11 % pour les hernies de l’aine.
L’étranglement est dix fois plus
fréquent dans les hernies crurales que dans les hernies inguinales.
La hernie étranglée est une urgence chirurgicale, le retard à
l’intervention comporte un risque vital.
Rappel physiopathologique
:
A - MÉCANISME ET LÉSIONS
:
Le facteur déclenchant de l’étranglement est une forte hyperpression
abdominale, liée le plus souvent à l’effort : toux, poussée abdominale
intense, soulèvement d’un poids lourd.
L’intestin ou l’épiploon
s’engage alors à travers le collet herniaire.
L’agent d’étranglement est le plus souvent le collet du sac péritonéal
, ce qui explique que l’étranglement complique principalement
les hernies inguinales indirectes, alors qu’il est exceptionnel pour
les hernies directes.
Le collet du sac est en effet plus serré et plus
rigide que l’anneau de l’orifice inguinal profond.
Dans les hernies
crurales interviennent aussi bien le collet du sac que l’anneau crural
lui-même, qui est habituellement de petit calibre.
Le viscère étranglé est le plus souvent l’épiploon ou l’intestin grêle,
plus rarement le côlon, parfois l’appendice et chez la fillette l’ovaire.
L’épiplocèle étranglée évolue en trois stades : congestion, infarctus
puis nécrose aseptique, aboutissant à la formation d’une bride
fibreuse en l’absence d’intervention.
Les conséquences de l’entérocèle étranglée sont évidemment plus
graves.
La striction de l’intestin par le collet herniaire entraîne à la fois une occlusion intestinale par strangulation et une occlusion
vasculaire : la compression entraîne d’abord le blocage de la
circulation veineuse et lymphatique responsable de l’oedème, puis
le blocage de la circulation artérielle et l’ischémie.
Les lésions
intestinales évoluent en trois phases : au stade de congestion, la
paroi intestinale est oedématiée, rouge congestive, épaissie.
Le sillon
d’étranglement est blanchâtre, livide.
Le sac contient un liquide
séreux inodore, qui peut manquer dans la variété de hernie étranglée
dite « sèche ».
Après sa libération, l’intestin retrouve sa couleur et
ses mouvements péristaltiques, les lésions sont réversibles.
Au stade
d’infarctus, l’intestin a une couleur noirâtre, il est immobile, le sillon
d’étranglement est mince, grisâtre.
Le sac contient un liquide
brunâtre malodorant.
Au stade de gangrène, le sac contient un
liquide purulent et éventuellement du liquide intestinal en cas de
perforation.
L’intestin présente des plaques de sphacèle verdâtres,
voire des zones de perforation, notamment au niveau du sillon
d’étranglement.
Le phlegmon herniaire est caractérisé par la
présence de pus et de matières intestinales dans le sac.
Il est
exceptionnel à notre époque : 0,6 % dans le collectif de l’AFC en
1988.
B - CAS PARTICULIERS
:
1- Pincement latéral de Richter
:
Cette forme d’étranglement survient sur des hernies comportant un
petit orifice : hernie crurale le plus souvent ou hernie obturatrice,
mais aussi hernie inguinale indirecte.
Le bord antimésentérique de
l’intestin grêle s’engage dans l’orifice herniaire, ce qui entraîne une
occlusion incomplète mais une striction intense de la paroi
intestinale, pouvant aboutir rapidement à la nécrose et à la
perforation.
2- Hernie en « W » de Maydl
:
Il s’agit en général de grosses hernies indirectes contenant une anse
intestinale en « W ».
Cette hernie constitue un piège, parce que les
deux anses latérales contenues dans le sac herniaire peuvent être
viables, alors que l’anse intermédiaire incarcérée au-dessus du collet,
non visible à l’ouverture du sac, peut être nécrosée.
Si l’on ne prend
pas soin de dérouler complètement l’intestin hernié, on s’expose à
laisser évoluer dans la cavité péritonéale une nécrose intestinale
méconnue.
À droite, l’une des anses peut être constituée par le
cæcum.
3- Réduction en masse
:
Cette situation est actuellement exceptionnelle, elle est la
conséquence d’une réduction par taxis, au cours de laquelle
l’ensemble du sac et de son contenu a été réduit dans l’espace souspéritonéal,
laissant persister l’étranglement par le collet.
Traitement
:
A - PRÉPARATION
:
Toute hernie étranglée doit être opérée d’urgence.
La préparation
du malade, nécessaire notamment chez les sujets âgés, entreprise en
collaboration avec l’anesthésiste, doit rester courte.
En cas de signes
d’occlusion intestinale, il faut poser une sonde nasogastrique et
commencer la rééquilibration hydroélectrolytique par voie veineuse
et l’antibiothérapie.
L’anesthésie peut être une anesthésie générale, en particulier si les
symptômes font prévoir la possibilité d’avoir recours à une
laparotomie complémentaire.
L’anesthésie locale peut être utilisée
en cas de petite hernie sur un terrain très déficient.
L’anesthésie
locorégionale semble être la meilleure solution dans la majorité des
cas, notamment chez les sujets âgés en mauvais état général, car elle
évite les inconvénients de l’anesthésie générale, tout en procurant
un bon confort opératoire.
B - INTERVENTION
:
1- Hernie inguinale
:
* Voie d’abord
:
L’incision est tracée sur la saillie de la hernie, suivant la même
direction inguinale oblique que l’incision habituelle, tout en étant
un peu plus longue vers le haut.
Après division des plans souscutanés,
on incise l’aponévrose du grand oblique, depuis l’orifice
inguinal superficiel jusqu’au-delà de l’orifice profond.
On découvre
alors le sac, distendu par son contenu et encore recouvert par les
fibres du crémaster, que l’on divise longitudinalement.
Les berges
de l’incision pariétale sont protégées par deux compresses
abdominales imprégnées de Bétadinet.
* Kélotomie
:
Lorsque le sac proprement dit est découvert, on pratique une
moucheture au bistouri manié très légèrement.
Nous préférons
inciser directement le péritoine avec légèreté, plutôt que tenter de
faire un pli entre deux pinces, qui risquent de saisir l’intestin.
En effet l’intestin est habituellement au contact direct et intime de la
face interne du sac.
L’ouverture du sac donne habituellement issue
à un liquide qui peut être encore séreux et inodore ou déjà sanglant
et malodorant, selon le degré d’évolution des lésions.
Il faut d’abord
agrandir l’ouverture du sac en direction caudale, de façon à bien
exposer son contenu et à pouvoir le maintenir en place lors de la kélotomie.
On procède alors seulement à la kélotomie.
Un
écarteur de Farabeuf récline et soulève les muscles petit oblique et
transverse au bord supéroexterne de l’orifice inguinal profond.
L’intestin est maintenu en place d’une main.
L’autre main sectionne
progressivement le sac en direction de l’orifice profond, à l’aide de
ciseaux de Metzenbaum, maniés avec délicatesse.
La section de
l’anneau fibreux plus résistant est perçue en même temps que la
tension se relâche au niveau du contenu du sac.
Il faut prendre garde
de ne pas laisser filer le contenu dans l’abdomen.
Si cela se produit,
plutôt que de pratiquer une laparotomie, on peut essayer de
récupérer l’intestin à travers l’orifice herniaire, puis le dérouler
jusqu’à retrouver l’anse concernée.
On a également proposé
d’introduire un coelioscope dans le collet du sac, assurer l’étanchéité par une ligature, créer un pneumopéritoine, inspecter l’anse
intestinale et si besoin la récupérer à l’aide d’un ou deux trocarts.
* Traitement du contenu
:
S’il s’agit d’épiploon infarci, la résection sera pratiquée sans hésiter.
S’il s’agit d’intestin, l’anse intestinale est extériorisée largement en
zone saine et observée attentivement ainsi que son mésentère.
Si l’anse est simplement rouge, oedématiée, congestive, les lésions
sont probablement réversibles.
Il faut arroser au sérum
physiologique chaud.
La reprise d’une coloration normale ou subnormale et surtout la réapparition des mouvements
péristaltiques au niveau du segment hernié et des battements
artériels au niveau du méso, autorisent la réintégration de l’intestin.
À l’opposé, lorsque le liquide intrasacculaire est brunâtre et
malodorant, l’intestin noirâtre, voire sphacélé, la résection s’impose.
La décision est plus difficile à prendre dans les cas intermédiaires,
lorsque l’intestin est rouge foncé, lie-de-vin, immobile, le liseré
d’étranglement grisâtre, le méso siège d’ecchymoses.
Si les
mouvements péristaltiques ne réapparaissent pas après application
de sérum chaud, il est préférable de réséquer.
La résection intestinale doit se faire comme pour toute occlusion par
strangulation.
Elle doit porter en zone saine, sur des tissus qui
saignent normalement.
Le rétablissement de continuité par
anastomose se fait immédiatement.
* Temps de réparation
:
En raison du risque septique, la réparation pariétale se fait par herniorraphie type Shouldice au monofil non résorbable.
* Soins postopératoires
:
Les perfusions et l’antibiothérapie sont poursuivies quelques jours.
La reprise de l’alimentation orale n’intervient qu’après
rétablissement du transit intestinal.
La prévention des thromboses
par héparine de bas poids moléculaire est indiquée.
2- Hernie crurale
:
* Voie inguinale
:
+ Voie d’abord
:
On pratique une incision inguinale basse, parallèle et un peu audessus
du pli de l’aine.
Après division du plan sous-cutané, on
découvre l’aponévrose du grand oblique, que l’on incise dans le sens
de ses fibres à partir de l’orifice inguinal superficiel.
On se porte
alors sur la saillie de la hernie, au-dessous de l’arcade crurale.
On
incise le fascia cribriformis pour découvrir le sac herniaire dont on
fait le tour par dissection mousse.
On se porte alors à nouveau au
niveau inguinal.
Après avoir récliné le cordon ou le ligament rond,
on découvre le fascia transversalis que l’on incise de l’orifice
inguinal profond à l’épine du pubis.
Par dissection mousse du tissu sous-péritonéal,
on découvre le ligament de Cooper et le versant abdominal du
sac.
+ Kélotomie
:
On incise transversalement le versant abdominal du sac herniaire
par voie inguinale, de façon à accéder au segment d’intestin ou
d’épiploon non hernié.
On se reporte alors au niveau crural pour
ouvrir le sac.
L’ouverture à ce niveau doit se faire progressivement
et prudemment.
Le sac est épais, on l’incise par petites touches
successives au bistouri, jusqu’à observer l’écoulement d’un peu de
liquide intrasacculaire.
On découvre alors le contenu hernié qui n’est
pas toujours facile à distinguer des parois du sac.
La kélotomie proprement dite se fait de préférence au niveau de
l’angle interne de l’anneau crural : d’une main on maintient le sac à
l’aide d’un doigt appuyé, de l’autre main on incise prudemment le
ligament de Gimbernat et le collet du sac, de la pointe des ciseaux
de Metzenbaum.
Il est préférable d’éviter de sectionner
l’arcade crurale.
Il ne faut évidemment pas inciser en dehors au
niveau de la veine fémorale.
+ Temps viscéral
:
Après kélotomie, il est facile de réduire le contenu dans l’abdomen
et de l’extérioriser par l’incision pratiquée précédemment au niveau
du sac.
Le traitement se fait alors comme pour la hernie inguinale.
+ Temps de réparation
:
Pour cette voie d’abord, le procédé de réparation de McVay est le
plus adapté.
* Voie crurale
:
L’incision inguinale basse est peu différente de la précédente.
L’incision verticale sur la saillie de la hernie, perpendiculaire au pli
de flexion, est à éviter. Après effondrement du fascia cribriformis, on découvre le sac herniaire.
On procède alors à l’ouverture du sac
puis à la kélotomie comme précédemment, en s’efforçant de
maintenir le contenu en place.
En cas d’épiplocèle, la résection de l’épiploon et du sac est aisée.
La
réparation peut se faire par suture de l’arcade crurale au Cooper ou
à l’aponévrose du pectiné, selon le procédé de Bassini, ou par un
plug si le contenu du sac est clair.
En cas d’entérocèle, si le débridement du Gimbernat procure une
place suffisante pour extérioriser l’intestin sans striction excessive,
on procède à l’inspection et au traitement des lésions comme
précédemment.
Si l’orifice est trop serré pour autoriser une
extériorisation sans striction de l’intestin, on peut débrider l’arcade
crurale en avant.
Dans ce cas, la réparation se fait en unissant le
tendon du transverse et/ou du petit oblique, le ligament de Cooper
et les deux lambeaux d’arcade crurale par trois ou quatre points de
fil non résorbable. Dans cette technique, il faut prendre garde de ne
pas comprimer la veine fémorale par une suture trop poussée en
dehors.
On peut aussi se reporter au niveau inguinal, inciser le fascia transversalis et procéder comme par voie inguinale.
C - CAS PARTICULIERS
:
1- Phlegmon herniaire
:
Si le contenu pyostercoral du sac et l’intestin nécrosé et perforé sont
découverts après abord direct de la hernie, on peut procéder à la
résection intestinale par cette voie et effectuer une toilette très
soigneuse du champ opératoire à la Bétadinet en évitant au
maximum tout écoulement vers la cavité péritonéale.
Si le phlegmon herniaire est suspecté cliniquement sur l’ancienneté
des premiers signes d’étranglement, l’existence d’un syndrome
infectieux, l’aspect inflammatoire, rouge, oedématié, infiltré du
scrotum ou des grandes lèvres, on peut opter pour une laparotomie
première.
Par laparotomie médiane, on découvre les anses afférente
et efférente sans chercher à libérer l’anse herniée.
On pratique
une résection intestinale en tissu sain après avoir oblitéré chaque
extrémité distale par une rangée d’agrafes ou une grosse ligature.
On rétablit la continuité immédiatement par anastomose terminoterminale.
On peut aussi sectionner chaque anse à la
pince GIA et effectuer une anastomose mécanique.
Après fermeture de la paroi, on se porte au niveau de la hernie.
Par
une incision inguinale ou crurale, on ouvre le sac, on retire l’anse
sphacélée, on procède à la résection du sac puis au lavage soigneux
à la Bétadinet avant de procéder à la réparation pariétale par suture.
Un drainage du plan sous-cutané est indiqué.
2- Prothèses et hernie étranglée
:
En principe, l’usage des prothèses est à proscrire pour le traitement
des hernies étranglées en raison du risque septique.
Cependant, en
cas de volumineuse hernie comportant une large perte de substance
dont le rapprochement des berges est manifestement voué à l’échec,
une plastie prothétique peut rendre service.
Quelques séries publiées ont montré que le risque de complications
est en réalité minime.
Pans a mis en place une prothèse dans
l’espace sous-péritonéal par voie médiane dans 35 cas de hernies
étranglées, dont 12 ayant nécessité une résection intestinale.
Il n’a
observé qu’un abcès superficiel et un abcès profond qui ont guéri
par traitement local et antibiothérapie.
Aucune prothèse n’a dû être
retirée et aucune suppuration tardive n’a été observée.
Dans la série
d’Amiens, sur 32 pièces de Mersilène et 15 plugs, il n’y a eu
qu’un abcès qui a guéri.
Dans la série de Reims, sur 30 prothèses
de Mersilène, il n’y a eu aucune complication septique.
Par conséquent, la contre-indication à l’usage des prothèses en
urgence n’est pas absolue.
Néanmoins, il ne faut y recourir que de
façon exceptionnelle, dans les cas où la prothèse est vraiment
nécessaire du fait de la grande taille du defect pariétal.
L’indication
doit rester raisonnable et la prothèse ne doit pas être posée dans les
cas où il y a du pus (phlegmon pyostercoral) ou lorsque le contenu
du sac est très louche, en cas de nécrose et d’intervention tardive.
Si
l’on opte pour la pose d’une prothèse, il faut s’entourer de
précautions draconiennes : faire un prélèvement bactériologique du
liquide intrasacculaire pour disposer éventuellement d’un antibiogramme en cas d’infection postopératoire, limiter au
minimum les souillures, protéger la paroi par des champs imbibés
de Bétadine pendant le temps viscéral, nettoyer à nouveau
abondamment le champ opératoire à la Bétadinet à la fin de ce
temps.
Enfin, changer complètement les champs opératoires et les
instruments pour le temps de réparation pariétale et éviter la pose
de prothèses de grande taille.
Dans ces conditions, au vu des résultats publiés, il ne paraît pas
déraisonnable de mettre en place une prothèse lorsque celle-ci est
susceptible de faciliter un temps de réparation particulièrement
difficile.