Traitement de l’épaule gelée et d’autres raideurs de l’épaule Cours de Chirurgie
Introduction
:
La raideur de l’épaule peut avoir plusieurs origines, la plus
fréquente étant l’épaule gelée idiopathique.
On la définit comme une
« pathologie d’étiologie incertaine caractérisée par une diminution
importante de la mobilité active et passive de l’épaule survenant en
l’absence de pathologie intrinsèque reconnue de l’épaule ».
Sa prévalence exacte n’est pas connue, mais un chiffre de 2 % a été
proposé.
Elle est plus élevée chez les patients diabétiques avec
une fréquence rapportée de 10 à 20 %.
Une atteinte bilatérale est
observée dans 6 à 50 % des cas.
Cette pathologie est plus fréquente
chez les femmes que chez les hommes et on l’observe habituellement
entre 40 et 60 ans.
Elle comporte trois phases cliniques : une phase
douloureuse, une phase de raideur évolutive, et une phase de retour
graduel de la mobilité.
Cependant, un suivi à long terme a montré
que 30 % des patients présentaient toujours des douleurs légères, et
60 % une diminution mesurable de la mobilité.
La durée de la
maladie reste mal connue, mais des durées comprises entre 6 mois
et 2,5 années ont été rapportées.
Divers traitements ont été
proposés.
Ce chapitre traitera des techniques de
distension articulaire, des manipulations et de la libération arthroscopique ou à foyer ouvert chez les patients souffrant d’épaule
gelée.
La place de ces techniques dans les raideurs post-traumatique
et postopératoire sera traitée.
Anatomopathologie
:
Les études arthroscopiques ont montré que le signe
pathognomonique principal est une oblitération du récessus du
sous-scapulaire par du tissu fibreux.
On observe une rétraction
fibreuse de la région de l’intervalle des rotateurs de la capsule.
Le récessus axillaire est effacé, induisant une réduction du volume de
l’articulation.
Il n’y a pas d’adhérences.
Bunker a rapporté que le
tissu rétracté était anatomopathologiquement semblable à celui de
la maladie de Dupuytren.
Examens clinique et complémentaires
:
Au cours de la phase douloureuse, il est difficile de différencier des
signes liés à une épaule gelée de ceux d’une atteinte de la coiffe des
rotateurs, par conflits, par exemple.
Il est important de pratiquer un
examen clinique attentif.
Un signe important dans l’épaule gelée est
la limitation de la mobilité active et passive, en particulier de la
rotation externe.
Les patients souffrant d’un syndrome de la coiffe
des rotateurs présentent habituellement une rotation externe
normale ou proche de la normale, alors que ceux souffrant d’une
épaule gelée ont une rotation externe limitée tôt au cours de
l’évolution de la maladie.
Une anamnèse détaillée obtenue auprès
du patient, une radiographie sans préparation normale et une
rotation externe limitée, sont habituellement suffisantes pour établir
le diagnostic.
L’imagerie par résonance magnétique (IRM) n’est pas
systématique chez les patients souffrant d’épaule gelée, mais elle
peut être indiquée pour éliminer une lésion de la coiffe des rotateurs
si la raideur est apparue après un traumatisme franc.
Traitement
:
Le
traitement de l’épaule gelée est controversé.
Au cours de la
première phase douloureuse, le traitement se concentre sur le
soulagement de la douleur, ce qui exclut la kinésithérapie.
Lorsque
la douleur diminue, des étirements doux peuvent être effectués, mais
que la kinésithérapie ait une incidence sur la durée d’évolution de la maladie reste incertain.
Une injection intra-articulaire de
corticostéroïdes au cours des 3 à 4 premiers mois peut réduire la
douleur et améliorer la mobilité.
Des formes plus actives de
traitement, tels que des manipulations, une libération sous
arthroscopie ou par chirurgie ouverte, peuvent être indiquées en
l’absence d’amélioration de la douleur ou de la mobilité après 6 à 8
mois.
Cependant, le temps optimal de ces traitements reste à
déterminer.
A - DISTENSION ARTICULAIRE ET MANIPULATIONS
:
Il a été a été rapporté que la distension articulaire sans manipulation
améliorait la fonction chez les patients souffrant d’épaule gelée.
Fareed et Gallivan ont pratiqué des distensions articulaires
sous anesthésie locale chez 20 patients ; 1 ml de lidocaïne à 1 %
suivi de 1 ml de corticostéroïde associé à 2 ml de lidocaïne à 1 % ont
été injectés dans l’épaule.
La distension de l’articulation a alors été
effectuée avec 40 ml de sérum physiologique stérile.
Ils ont rapporté
un retour de 90 % de la fonction et de l’amplitude des mouvements
immédiatement après le premier traitement.
À 4 semaines tous les
patients avaient récupéré une fonction complète.
Gavant et al. ont
effectué une distension sous arthrographie chez 16 patients.
Quatre-vingts pour cent ont bénéficié d’un soulagement immédiat
de la douleur et d’une augmentation de la mobilité de l’épaule.
La
distension peut aussi être pratiquée à l’aide de l’arthroscope.
Hsu et
Chan ont comparé la manipulation à la distension de l’articulation
sous arthroscopie et ont observé des améliorations semblables dans
les deux groupes.
Les manipulations sous anesthésie générale, avec ou sans distension
articulaire, restaurent rapidement la fonction chez les patients
souffrant d’une épaule gelée.
L’auteur a utilisé depuis plus de 20 ans un traitement combiné
en ambulatoire chez des patients souffrant d’épaule
gelée.
Une radiographie standard est pratiquée pour s’assurer de
l’absence d’anomalies squelettiques. Une arthrographie est alors
effectuée pour confirmer le diagnostic de rétraction capsulaire.
Moins de 10 ml de produit de contraste peuvent être injectés dans
l’articulation de l’épaule gelée.
Si le diagnostic est confirmé, une
anesthésie générale pratiquée et 80 mg (2 ml) de méthylprednisolone,
plus 5 à 10 ml de bupivacaïne 2,5 mg/ml sont injectés
dans l’articulation.
La capsule est distendue par l’injection de 10 à
30 ml de sérum physiologique jusqu’à ce qu’une diminution de la
résistance soit observée.
Enfin, une manipulation douce est
pratiquée jusqu’à ce qu’une mobilité totale ou quasi-complète soit
retrouvée.
Les propriétés viscoélastiques du tissu sont mises en
oeuvre en exerçant une pression constante contre la résistance de la
capsule rétractée.
Le bras est dans un premier temps mis en flexion
et en abduction, puis il est mis en rotation externe et enfin en
rotation interne.
Les manipulations pour restaurer les rotations
externe et interne doivent être exécutées le bras le long du corps
ainsi qu’à 90 degrés d’abduction.
Des manipulations en force et
rapides ne doivent jamais être pratiquées.
Dans la plupart des cas
l’opérateur ressent la libération de la capsule lorsque la mobilité est
retrouvée.
Des radiographies sont pratiquées après l’arthrographie
et après la manipulation.
La kinésithérapie est débutée le
jour même.
La douleur est significativement réduite et la mobilité
redevient pratiquement normale.
Une certaine
diminution de la rotation interne peut persister et le patient sera
informé que la rotation interne ne sera que légèrement améliorée au
bout de 6 à 8 semaines, mais augmentera graduellement grâce à la
kinésithérapie et du fait de l’évolution naturelle de la maladie.
L’épaule gelée est plus difficile à traiter chez les patients diabétiques,
et est de moins bon pronostic.
Cependant, 50 % des patients
diabétiques répondent au traitement combiné précédemment
décrit.
Il n’existe pas d’essais prospectifs randomisés comparant la
distension articulaire et les manipulations.
Cependant, après une
distension articulaire, la mobilité est encore réduite pour l’épaule
affectée, et il est nécessaire d’entreprendre des manipulations.
Ce
traitement combiné est systématiquement utilisé chez les patients
souffrant d’une épaule gelée idiopathique sévère, alors que chez les
patients diabétiques ou souffrant d’une raideur à la suite d’un
traumatisme ou d’une intervention chirurgicale, l’épaule gelée est
traitée par libération arthroscopique et manipulations.
Le fait que
les manipulations puissent provoquer des déchirures de la coiffe des
rotateurs a été un sujet de préoccupation, mais des études de suivi à
long terme n’ont montré aucun signe de faiblesse de la coiffe des
rotateurs et les arthroscopies pratiquées immédiatement après des
manipulations ne montrent pas de déchirures des muscles de la
coiffe des rotateurs ou du tendon du long chef du biceps.
Par
conséquent, la manipulation paraît être un traitement sûr et efficace
de l’épaule gelée idiopathique avec très peu de complications
rapportées.
B - LIBÉRATION ARTHROSCOPIQUE
:
Les signes arthroscopiques de l’épaule gelée ont été décrits par
Wiley (1991).
Il n’a pas été observé d’adhérences intra-articulaires.
Le terme « capsulite adhésive » est par conséquent peu approprié
alors que le terme de « capsulite rétractile idiopathique » devrait être
employé.
En 1994 Pollock et al. ont publié leur expérience arthroscopique dans le traitement de l’épaule gelée.
Ils ont
observé qu’elle représentait un complément utile aux manipulations
sous anesthésie.
L’épaule était manipulée avant une arthroscopie
pour débrider l’articulation et traiter une pathologie associée, telle
qu’un syndrome de la coiffe, des calcifications, ou une arthrite acromioclaviculaire.
La section du ligament coracohuméral sous
arthroscopie améliore la mobilité.
Plusieurs autres publications font
état de débridements capsulaires sous arthroscopie donnant de bons
résultats.
Pearsall et al. ont observé que 83 % des patients
retrouvaient une fonction de l’épaule normale ou presque normale
sur un suivi moyen de 22 mois.
Segmüller et al. ont utilisé un
traitement sous arthroscopie pour 26 épaules avec 88 % des patients
très satisfaits des résultats.
Aucune complication n’a été observée .
De bons résultats ont également été observés chez des patients
diabétiques présentant une épaule gelée.
Ogilvie-Harris et
Myerthall ont rapporté que 13 patients sur 17 avaient retrouvé une
fonction normale de l’épaule, que dans un cas il n’y avait eu aucune
amélioration, et que dans trois cas une amélioration avait été
observée mais avec des symptômes résiduels.
Dans la plupart des
cas la libération capsulaire sous arthroscopie a été suivie de
manipulations douces.
Il est donc difficile d’évaluer l’intérêt de
l’arthroscopie dans le traitement de l’épaule gelée idiopathique.
Il
n’existe pas d’études prospectives randomisées comparant la
manipulation et la libération sous arthroscopie seule.
Ogilvie-Harris
et al. ont comparé 20 patients traités par libération sous arthroscopie
et 20 traités par libération sous arthroscopie et manipulations.
Il
ne s’agissait pas d’une étude randomisée mais ils ont obtenu des
résultats significativement meilleurs dans le groupe où la libération
sous arthroscopie avait été pratiquée.
Onze patients étaient
diabétiques et ont initialement évolué moins favorablement, mais le
résultat final était semblable à celui des patients non diabétiques.
Les résultats dans le groupe où avaient été pratiqués les
manipulations étaient moins bons que ceux rapportés par d’autres
auteurs.
La technique arthroscopique est utile chez les patients souffrant
d’épaule gelée lorsque les résultats des manipulations sont
insuffisants, et chez ceux présentant une raideur lorsque la
pathologie associée doit être identifiée et le site de la libération
capsulaire contrôlée précisé.
Les indications de la libération sous
arthroscopie suivie de manipulations se retrouvent chez les
diabétiques souffrant d’épaule gelée, dans le cas de manipulations
infructueuses et de raideur postopératoire ou post-traumatique.
Tous
les patients dans ce dernier cas sont d’abord traités par
kinésithérapie intensive pendant 3 mois.
Si aucune amélioration ne
se manifeste, la libération sous arthroscopie est recommandée.
Le
patient est placé en position dite « beach chair » (de la chaiselongue)
qui facilite les manipulations puisque le bras est libre.
L’intervention est pratiquée sous anesthésie générale ou par bloc interscalène.
Un abord postérieur standard est pratiqué.
La capsule
est quelquefois très rétractée et l’introduction de l’arthroscope
difficile.
Des manipulations mineures sont nécessaires chez quelques
patients avant que l’arthroscope puisse être introduit suffisamment
profondément pour visualiser la partie antérieure de l’articulation.
Une aiguille est passée de l’extérieur vers l’intervalle des rotateurs.
La position de l’aiguille est contrôlée par l’arthroscope et l’abord
antérieur est établi.
La première étape dans la libération est
l’ouverture de l’intervalle des rotateurs à l’aide d’un shaver.
Les
ligaments glénohuméral supérieur et coracohuméral sont ensuite
sectionnés.
La capsule antérieure est alors ouverte sur 7 à 10 mm en
dehors du labrum.
La libération capsulaire peut être pratiquée à
l’aide d’une sonde de radiofréquence à pointe crochue pour
contrôler le saignement, mais le shaver ou un électrocautère
arthroscopique à pointe crochue peut aussi être utilisé.
La libération
est débutée au niveau de l’intervalle des rotateurs et se poursuit en
direction du bas à 5 heures.
La capsule est habituellement
très épaisse, par rapport à une épaule normale.
La capsule est
ouverte jusqu’à ce que les fibres du muscle sous-scapulaire soient
visibles à travers l’ouverture capsulaire. Si la sonde s’approche du
nerf axillaire une contraction du deltoïde se produit et la libération
doit être arrêtée.
Chez les patients souffrant de raideur sévère, en
particulier en rotation interne, quelques auteurs recommandent
d’inverser l’abord voie antérieure et d’utiliser l’arthroscope par
l’établissement d’un abord postérieur pour réaliser une libération
capsulaire postérieure de façon similaire.
Une autre technique
consiste à manipuler l’épaule après la réalisation de la libération en
direction du bas à 5 heures.
Une libération postérieure est alors
rarement nécessaire.
La libération sous arthroscopie dans le récessus
du creux axillaire a été décrite et des études anatomiques ont montré
que cette technique était relativement sûre si la libération était
pratiquée à moins de 1 cm du bord du glénoïde.
Cependant, il n’est pas nécessaire de débrider la capsule vers le bas entre 5 et 7
heures, parce que cette partie de la capsule est facilement libérée
par manipulation douce, évitant ainsi le risque de blessure du nerf
axillaire.
L’arthroscopie montrerait alors que la capsule est déchirée
dans la même région que celle où la libération sous arthroscopie
aurait été pratiquée.
L’espace sous-acromial est examiné, mais
habituellement il n’est pas nécessaire d’intervenir dans cette région
chez les patients souffrant d’épaule gelée idiopathique.
L’espace sous-acromial doit cependant être examiné dans le cas des raideurs
postopératoire et post-traumatique, il doit être débarrassé des
adhérences, les pathologies associées doivent être identifiées, leur
importance évaluée et elles doivent être traitées.
Le développement
des traitements arthroscopiques des raideurs de l’épaule a rendu
rares les indications des libérations chirurgicales à foyer ouvert.
Les patients suivent alors un programme de rééducation spécifique
quotidienne et voient le kinésithérapeute 2 à 3 fois par semaine.
C - LIBÉRATION À FOYER OUVERT
:
La libération à foyer ouvert de l’épaule gelée a été préconisée en cas
d’échec des manipulations.
Ozaki et al. ont insisté sur
l’importance de la rétraction de l’intervalle des rotateurs et du
ligament coracohuméral.
Ils ont recommandé la libération à foyer
ouvert de ces structures.
Ils ont décrit 17 patients où d’autres
traitements avaient échoué. Un excellent soulagement de la douleur
et une excellente restauration de la mobilité ont été rapportés.
Omari
et Bunker ont effectué une libération à foyer ouvert chez 25 patients
souffrant d’une épaule gelée chez lesquels les manipulations avaient
été un échec. Ils ont utilisé une technique semblable à celle
employée par Ozaki.
Le patient peut être couché sur le dos ou dans
la position « beach chair ».
Une incision de 4 à 7 centimètres est
pratiquée de la clavicule à la partie latérale de l’apophyse coracoïde.
Le deltoïde est incisé jusqu’à ce que le ligament coracoacromial soit
entièrement visible.
Ozaki identifie l’intervalle des rotateurs et libère
le ligament coracohuméral ainsi que les tissus dans la région de
l’intervalle, et poursuit par une manipulation douce de l’articulation
glénohumérale.
Omari et Bunker, cependant, commencent par
l’excision du ligament coracoacromial.
Le bras est ensuite mis en
rotation externe pour faciliter l’identification du ligament coracohuméral
épaissi qui est alors excisé.
Le tendon du long chef du
biceps est proche, situé sous le ligament coracohuméral, et il doit
être protégé.
Tout le tissu situé entre la partie antérieure du susépineux
et la partie supérieure du sous-scapulaire est excisé.
Si la
rotation externe est limitée après cette libération, le ligament glénohuméral
moyen et la capsule antérieure sont alors séquentiellement
libérés.
Une anesthésie locale est mise en place dans l’articulation glénohumérale avant fermeture de la plaie.
L’intervalle des rotateurs
n’est pas refermé.
Résumé
:
L’épaule gelée idiopathique est une cause fréquente de raideur de
l’épaule.
La maladie est spontanément résolutive, avec une durée
d’évolution de 24 à 30 mois, mais des études de suivi à long terme ont
trouvé qu’un grand nombre de patients avaient des douleurs et des
limitations de la mobilité.
Le traitement de l’épaule gelée est
controversé.
La kinésithérapie intensive constitue le traitement
fondamental.
Les manipulations, la libération arthroscopique ou à foyer
ouvert peuvent être pratiquées dans les cas sévères pour raccourcir la
durée de la maladie.
Cependant, la plupart des observations publiées sur
la libération arthroscopique ou à foyer ouvert comprenant également
des manipulations de l’épaule, il est difficile de définir la place de
chacune de ces méthodes dans le traitement de l’épaule gelée.
L’auteur préfère utiliser la distension et la manipulation articulaire
chez une majorité des patients souffrant d’épaule gelée réfractaire.
Il
s’agit d’une technique simple et sûre.
Chez les diabétiques, et en cas
d’échec de la manipulation, la libération arthroscopique avec
manipulation est recommandée.
La technique arthroscopique est
également utilisée dans les raideurs postopératoire et post-traumatique.
La libération à foyer ouvert est rarement indiquée. Des études
prospectives randomisées sont nécessaires pour identifier le meilleur
traitement de l’épaule gelée.