L’usage réserve le nom de diurétique à toute substance
pharmacologique natriurétique, c’est-à-dire qui augmente la
natriurèse et entraîne de ce fait une augmentation de l’excrétion
urinaire hydrosodée iso-osmotique.
Les diurétiques se distinguent
donc des autres substances qui augmentent la diurèse, en particulier
l’apport d’eau et les « aquarétiques ».
Les diurétiques tirent leurs indications essentiellement de leur
capacité d’induire une contraction initialement iso-osmotique du
volume extracellulaire.
Ceci explique que leurs indications
concernent essentiellement le traitement des maladies oedémateuses
et de l’hypertension artérielle (HTA).
Nous rappellerons tout d’abord la classification pharmacologique
des diurétiques, les complications hydroélectrolytiques propres à
chaque classe, et la physiopathologie de la déplétion sodée et des
hyponatrémies.
Nous développerons ensuite les justifications et les
règles de leur utilisation dans leurs deux principales indications,
avant d’évoquer rapidement leurs complications et indications plus
rares et spécifiques.
A - CLASSIFICATION PHARMACOLOGIQUE
:
À l’exception des diurétiques osmotiques et des peptides natriurétiques (atrial et cérébral), qui agissent aussi en augmentant
la filtration glomérulaire, les diurétiques agissent uniquement en
inhibant la réabsorption tubulaire du sodium, et se distinguent
suivant le site et le mécanisme de cette inhibition.
1- Inhibiteurs de l’anhydrase carbonique
:
Les inhibiteurs de l’anhydrase carbonique
(acétazolamide, Diamoxt) agissent en inhibant indirectement la
réabsorption du sodium par l’intermédiaire de l’inhibition directe
de celle des bicarbonates dans le tubule proximal.
Bien qu’environ
20 % du sodium réabsorbé par le proximal le soit sous forme de
bicarbonates, l’effet natriurétique de l’acétazolamide est faible car la
réabsorption sodée des segments d’aval est proportionnelle au débit
de sodium qui leur est délivré et compense en grande partie
l’inhibition de la réabsorption proximale du sodium.
De plus,
l’acidose qu’il induit inhibe son action.
2- Diurétiques de l’anse
:
Les diurétiques de l’anse (essentiellement furosémide, Lasilixt ; bumétamide, Burinext ; pirétanide, Eurélixt) agissent
essentiellement en bloquant le cotransporteur NaK2Cl situé sur la
membrane apicale des cellules de la branche ascendante large de
Henlé (BALH).
Environ 20 à 25 % du sodium filtré étant
réabsorbé à ce niveau et seulement 7 à 9 % par les segments plus
distaux du tubule, les diurétiques de l’anse à dose maximale sont
les plus efficaces.
Ils parviennent à leur site d’action après sécrétion
par le tubule proximal car ils ne sont guère filtrés, en raison de leur
forte fixation à l’albumine.
Leur durée d’action est brève (4 heures per
os, 3 heures par voie intraveineuse). L’augmentation initiale
de la filtration glomérulaire qu’ils entraînent ne peut rendre compte
de leur effet natriurétique car elle est très brève.
Alors que les doses orales usuelles de diurétiques de l’anse sont de
40 mg pour le furosémide et 0,5 mg pour le bumétamide, la dose orale maximale
donnant la réponse en plateau est de
l’ordre de 80 mg pour le furosémide et de 1 mg pour le bumétamide
chez le sujet non insuffisant rénal.
L’absorption intestinale étant de
l’ordre de 50 % pour le furosémide et de 95 % pour le bumétamide,
les doses intraveineuses maximales sont identiques pour le
bumétamide mais moitié moindre (40 mg) pour le furosémide.
On remarquera ainsi que, en l’absence d’insuffisance
rénale, le rapport des doses de furosémide et de bumétamide par
voie intraveineuse est de 40.
Ceci témoigne d’une plus grande
puissance du bumétamide par rapport au furosémide.
Ce paramètre
« puissance » (efficacité rapportée à la masse) n’a aucune
conséquence dans le choix clinique entre ces deux médicaments,
puisque leur efficacité est comparable.
Il en est de même quand il existe une insuffisance rénale, qui
diminue la concentration de diurétique arrivant à la face luminale
des cellules de la BALH, car la diminution du flux plasmatique rénal
et la compétition des anions organiques dans le tube proximal
diminuent le débit de sécrétion du furosémide et du bumétamide.
Pour obtenir la même concentration de diurétique dans la BALH
inhibant au maximum la réabsorption du sodium, de façon à obtenir
le plateau de natriurèse, il faut augmenter les doses de furosémide
et de bumétamide, proportionnellement au degré de l’insuffisance
rénale. Brater a pu estimer que la dose unitaire maximale de
furosémide intraveineuse était de 200 mg et celle de bumétamide
10 mg pour une clairance de la créatinine inférieure à 15 ml/min.
Le
rapport des doses entre insuffisance rénale sévère et fonction rénale
normale est aussi de cinq avec le furosémide et de dix avec le bumétamide.
Ceci s’explique par le fait que, au cours de
l’insuffisance rénale, l’augmentation de l’élimination hépatique du bumétamide compense la diminution de son élimination rénale alors
que cette compensation n’existe pas pour le furosémide.
L’insuffisance rénale double ainsi la demi-vie du furosémide mais
non celle du bumétamide.
Ceci explique que le rapport des doses maximales du furosémide et du bumétamide est de 40 en absence
d’insuffisance rénale et de 20 en cas d’insuffisance rénale sévère pour
les voies veineuses, et de 80 pour les formes orales.
Le rapport des
doses maximales entre bumétamide et furosémide ayant été établi
sur la natriurèse cumulative de 8 heures après leur administration,
nous proposons en cas d’insuffisance rénale sévère ou modérée de
répéter ces doses trois fois par 24 heures si nécessaire (tout en
sachant que les demi-vies sont alors de 100 minutes pour le
bumétamide et de 150 minutes pour le furosémide).
En absence
d’insuffisance rénale, les demi-vies sont comparables et de l’ordre
de 100 minutes pour les deux diurétiques, correspondant à des
durées d’action de l’ordre de 3 heures et 4 heures pour les formes
intraveineuse et orale ordinaire (12 heures pour la forme Lasilixt
60 LP).
Suivant la
nécessité du tableau clinique (persistance de l’oedème pulmonaire
?), on peut répéter les administrations à ces intervalles sur
l’ensemble du nycthémère ou seulement pendant la journée, pour
éviter les mictions nocturnes source d’insomnie.
3- Thiazides et apparentés
:
Les thiazides et apparentés (hydrochlorothiazide
[HCTZ], Esidrext ; chlortalidone, Hygrotont ; xipamide, Lumitenst
ou Chronexant ; indapamide, Fludext) agissent en bloquant le
cotransporteur sodium-chlore situé dans la membrane luminale du
tube contourné distal 1 et 2 (faisant suite à la BALH).
Ils atteignent
leur site d’action par sécrétion tubulaire proximale, à l’exception du xipamide, qui l’atteint par le pôle basolatéral des cellules du
segment de dilution. Leur durée d’action est de 12 à 24 heures.
Contrairement aux diurétiques de l’anse, les thiazides ont une
courbe dose-réponse plate et on augmente peu leur efficacité
natriurétique en doublant leur dose usuelle.
4- Antagonistes de l’aldostérone
:
Pour les antagonistes de l’aldostérone
(essentiellement la spironolactone ou Aldactonet et ses génériques,
les métabolites actifs de la spironolactone comme la canrénone, et
l’éplérénone), le mécanisme d’action est un blocage par compétition
du récepteur cytosolique de l’aldostérone des cellules principales du
tubule distal connecteur et du segment cortical du canal collecteur.
Ils ont accès à ces cellules par leur pôle basolatéral.
L’importance de
leur effet natriurétique est donc conditionné par celle d’une sécrétion
d’hormones minéralocorticoïdes (aldostérone ou DOC) ou par le
degré d’inhibition du catabolisme in situ du cortisol en cortisone
inactive par la 11b-hydroxy-stéroïde-déshydrogénase (excès de
réglisse ou syndrome de Ulick).
Il faut savoir en effet que l’affinité
du cortisol pour le récepteur de l’aldostérone est comparable à celle
de l’aldostérone et que sa concentration dans le plasma est 1 000 fois
plus élevée.
Ceci devrait entraîner une activation permanente de ce
récepteur et donc un tableau de minérolocorticisme.
Ce dernier est
cependant prévenu car le cortisol est catabolisé en cortisone inactive
grâce à la 11b-hydroxy-stéroïde-déshydrogénase.
Or, cette enzyme
est inhibée en cas d’intoxication à la réglisse ou en cas de mutation
inhibitrice de son gène (syndrome de Ulick), créant un tableau
d’excès apparent en minéralocorticoïde sensible aux antagonistes de
l’aldostérone.
L’aldostérone stimule les transports cationiques distaux (Na+ contre
H+ et K+ ) en activant la transcription du gène induisant la synthèse
de diverses protéines mal connues favorisant la réabsorption du
sodium, ainsi que la sécrétion de potassium et de protons par
l’intermédiaire d’une activation de la NaK adénosine triphosphatase
(ATPase) basolatérale, de l’ouverture des canaux luminaux du
sodium et du potassium, et de la fermeture du canal potassique
basolatéral de la cellule principale.
Ceci aboutit à une augmentation
de l’électronégativité de la lumière, favorisant la sortie de potassium
par le canal luminal de la cellule principale et de H+ par activation
des H+ ATPases et H/K ATPases de la cellule intercalaire a du
collecteur cortical.
Les antagonistes de l’aldostérone favorisent donc
la rétention d’ions K+ et H+, c’est-à-dire l’hyperkaliémie et l’acidose
métabolique hyperchlorémique, réalisant un tableau d’acidose
tubulaire distale hyperkaliémique dite de type IV.
Leur durée
d’action est de 48 heures.
5- Diurétiques épargneurs de potassium, non
antagonistes de l’aldostérone
:
Ils sont représentés par l’amiloride, Modamidet, et par le
triamtérène, Teriamt, récemment retiré du commerce. Leur
mécanisme d’action est le blocage du canal sodium de la membrane
luminale de la cellule principale, qu’ils atteignent après sécrétion
par le tubule proximal.
Leur action natriurétique chez le sujet sain
est faible, comparable à celle des antagonistes de l’aldostérone car le
pourcentage de sodium réabsorbé dans le tube collecteur cortical
n’est que de 2 à 4 %.
En revanche, l’effet natriurétique de ces
diurétiques épargneurs de potassium est plus important lorsque la
fraction du débit de sodium filtré délivré au tube collecteur est
augmentée par inhibition de la réabsorption sodée en amont, du fait
soit d’un syndrome minéralocorticoïde primitif avec hypervolémie,
soit d’une coadministration de diurétiques de l’anse ou de
thiazidiques.
À la différence des antagonistes compétitifs de
l’aldostérone, l’amiloride et le triamtérène sont les seuls diurétiques
capables de normaliser à la fois l’hypertension et l’hypokaliémie du
syndrome de Liddle, en rapport avec une activation permanente
d’origine génétique du canal sodium amiloride-sensible du
collecteur.
En effet, les antagonistes de l’aldostérone sont inefficaces
en raison de l’hypominéralocorticisme-hyporéninisme secondaire à
l’hypervolémie induite par cette hyperréabsorption distale du
sodium.
Il est intéressant de noter que le paradoxe de la spécificité d’action
rénale de la majorité des diurétiques (à l’exception des antagonistes
compétitifs de l’aldostérone et du xipamide), alors que leurs
protéines cibles sont ubiquitaires, s’explique par leur forte liaison à
l’albumine, qui diminue leur espace de diffusion, et par leur
sécrétion tubulaire proximale suivie d’une hyperconcentration dans
la lumière tubulaire du fait de la réabsorption progressive du filtrat
glomérulaire par le tubule rénal.
Ceci entraîne en effet de très
fortes concentrations dans leurs cibles. Inversement, leur
compétition, lors de leur sécrétion tubulaire, avec les anions
organiques, explique la diminution de leur efficacité en cas
d’insuffisance rénale, de cirrhose avec rétention de sels biliaires ou
d’administration de probénécide.
B - COMPLICATIONS HYDROÉLECTROLYTIQUES PROPRES
À CHAQUE CLASSE DE DIURÉTIQUES :
Ces complications non liées directement à leur effet commun, qui
est la déplétion sodée, concernent essentiellement la kaliémie,
l’équilibre acidobasique et le métabolisme des cations divalents
(calcium et magnésium).
1- Hypokaliémie
:
L’hypokaliémie est propre aux diurétiques de l’anse et aux thiazidiques, en raison de l’augmentation du débit de sodium
arrivant au collecteur, où s’effectue la réabsorption d’un Na+ contre
la sécrétion d’un K+.
Cette hypokaliémie est par ailleurs
proportionnelle à la durée d’action de ces diurétiques, expliquant la
plus faible fréquence des hypokaliémies avec les diurétiques de
l’anse qu’avec les thiazides ou apparentés comme l’indapamide, qui
ont une plus longue durée d’action.
Cette hypokaliémie est souvent
associée à une hypomagnésémie favorisée par l’hypermagnésurie
des thiazidiques et surtout des diurétiques de l’anse.
La survenue d’une hypokaliémie est corrigée classiquement de façon
préférentielle par un apport de chlorure de potassium (Kaléoridt ou
Diffu-Kt) et non par des sels organiques de potassium car la
déplétion chlorée associée perpétuerait la perte rénale de potassium
en maintenant la négativité de la lumière du tubule collecteur
cortical du fait que la réabsorption sodée se ferait sans chlore,
insuffisamment disponible.
Cette notion classique, lancée par
Schwarz dans les années 1960, a cependant été contredite par un
travail récent de Curtis démontrant que les sels organiques de
potassium étaient aussi efficaces que le chlorure de potassium pour
corriger l’hypokaliémie des diurétiques.
Le plus souvent, les
hypokaliémies modérées (> 3,3 mmol/l) sont facilement corrigées
par la simple adjonction d’un épargneur de potassium.
L’association
appropriée de ces derniers constitue la meilleure prévention de ces
hypokaliémies, particulièrement à redouter chez les malades sous digitaliques car elles favorisent la survenue de troubles du rythme
(torsades de pointes).
Toute hypokaliémie rebelle doit faire
rechercher et corriger la déplétion magnésienne habituellement
associée (administration de MgSO4, de Mg(OH)2 , de MgCl2) et
particulièrement fréquente chez l’alcoolique pour qui elle constitue
un facteur de risque de mort subite.
2- Hyperkaliémie
:
L’hyperkaliémie est propre aux diurétiques d’épargne potassique.
Son risque est majoré par la réduction du nombre de néphrons
(c’est-à-dire l’insuffisance rénale organique), par la restriction sodée
et l’hypominéralocorticisme, notamment l’hypoaldostéronisme par
hyporéninisme des diabétiques avec neuropathie végétative, et par
l’administration d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS).
Ces
derniers favorisent l’hyperkaliémie, qu’ils soient spécifiques ou non
de la cyclo-oxygénase de type 2.
La baisse de la sécrétion de rénine,
du taux d’angiotensine II et de prostacycline est en effet comparable
dans ces deux classes d’AINS, le seul avantage des inhibiteurs
spécifiques de la cyclo-oxygénase de type 2 étant de moins inhiber
la synthèse des prostaglandines protectrices de la muqueuse
gastrique.
Le tableau réalisé est celui de l’acidose tubulaire distale hyperkaliémique de type 4.
L’arrêt des médicaments la favorisant et
la correction de l’hyperkaliémie par des résines échangeuses d’ions
ou des diurétiques kaliurétiques permettent de corriger aussi
l’acidose par augmentation de la synthèse d’ammonium.
3- Alcalose métabolique
:
C’est une complication non rare des diurétiques kaliurétiques
(thiazides et diurétiques de l’anse), surtout donnés à fortes doses ou en association entre eux, du fait du mécanisme de contraction
volémique, qui stimule la réabsorption proximale des bicarbonates,
et de la stimulation de la synthèse d’ammonium en raison de la
déplétion potassique.
4- Acidose métabolique hyperchlorémique
:
C’est une complication des inhibiteurs de l’anhydrase carbonique et
des diurétiques épargneurs de potassium. Avec les premiers,
l’acidose est associée à une hypokaliémie, en raison de la stimulation
des échanges distaux de sodium avec le potassium, elle-même
secondaire à l’augmentation du sodium délivré au tube distal par
l’inhibition de la réabsorption proximale, alors qu’une hyperkaliémie
est présente avec les secondes.
On remarquera que, en raison de leur caractère opposé, les
complications dyskaliémiques et acidobasiques des diurétiques
peuvent être prévenues par l’association des épargneurs de
potassium aux thiazides et/ou diurétiques de l’anse.
5- Hypercalcémie
:
L’hypercalcémie vraie est une élévation du calcium corrigé pour
l’élévation de l’albuminémie ou à défaut pour celle de la protidémie.
Rappelons que la calcémie corrigée est égale à :
– calcémie mesurée/(0,55 + [protidémie en g/l : 160]) ;
– calcémie mesurée
– ([albuminémie en g/l – 40] x 0,02 [mmol] ou
0,8 [mg]).
C’est une complication rare qui ne se voit qu’avec les thiazides, le
plus souvent à la faveur d’une ostéolyse sous-jacente modérée que
les thiazides viennent démasquer (hyperparathyroïdie, néoplasie).
Ceci est dû à la stimulation par les thiazides de la réabsorption
transcellulaire du calcium dans le tubule contourné distal 1 et 2,
aboutissant à une hypocalciurie.
Les mutations inactivatrices du
gène codant pour le cotransporteur NaCl s’accompagnent également
d’une hypocalciurie avec hypokaliémie (syndrome de Gitelman).
6- Hypercalciurie
:
L’hypercalciurie est un effet secondaire de la thérapeutique par les
diurétiques de l’anse.
Elle s’explique par l’augmentation de
l’électronégativité de la lumière de la BALH, entraînant une
diminution du transport paracellulaire des cations divalents calcium
et magnésium (qui normalement se fixent sur une protéine, la
paracelline, et sont attirés par le côté basolatéral de l’anse de Henlé
à la faveur d’un gradient électrique transépithélium lumière
positive).
Cet effet avait été mis à profit naguère dans le traitement
des hypercalcémies résistantes à la réhydratation par une solution
salée isotonique. Cette hypercalciurie aggrave l’hyperparathyroïdie de
l’insuffisant rénal.
7- Dysnatrémies
:
Les désordres de la natrémie induits par les diurétiques étant non
seulement dépendants du site d’action des diurétiques mais aussi
de l’intensité de la déplétion sodée qu’ils entraînent, ils seront
envisagés après avoir exposé les conséquences physiopathologiques
de la déplétion sodée.
C - PHYSIOPATHOLOGIE DE LA DÉPLÉTION SODÉE ET DE
LA TOLÉRANCE OU RÉSISTANCE AUX DIURÉTIQUES :
Les diurétiques, augmentant l’excrétion urinaire hydrosodée de
façon iso-osmotique, entraînent initialement une diminution isoosmotique
du volume extracellulaire.
Le maintien de cette
contraction du volume extracellulaire dépend cependant d’un
équilibre dynamique entre les facteurs qui favorisent la négativation
de ce capital sodé (essentiellement la poursuite de l’administration
de l’agent pharmacologique natriurétique) et les facteurs qui luttent
contre cette négativation.
Outre la poursuite des apports hydrosodés, les facteurs visant à corriger cette déplétion hydrosodée
consistent initialement en une diminution de la filtration
glomérulaire (par diminution de la pression de perfusion secondaire
à la diminution du débit cardiaque par diminution de la précharge)
et en une stimulation de la réabsorption tubulaire proximale du
sodium aboutissant à une diminution du débit (absolu et relatif) de
sodium délivré à la BALH.
Ceci explique la diminution de la
réponse natriurétique après une seconde dose identique de
diurétique si l’on n’a pas pris soin de compenser au préalable la
perte hydrosodée : c’est le phénomène de la tolérance aiguë aux
diurétiques. Son mécanisme reste hypothétique.
En effet, il ne
disparaît pas sous traitement par inhibiteur de l’enzyme de
conversion (IEC) ou alpha1-bloquant, éliminant la responsabilité de
l’angiotensine II et des catécholamines, et faisant émettre l’hypothèse
d’une down-regulation des récepteurs aux diurétiques ou d’une upregulation
des pompes impliquées dans la réabsorption du sodium.
Ces phénomènes de contre-régulation expliquent qu’il existe à la fin
de la durée d’action d’un diurétique un rebond postdiurétique
d’antinatriurèse marqué par une profonde réduction de la natriurèse
en dessous de son niveau initial.
Ce phénomène est particulièrement
net avec les diurétiques de l’anse, en raison de leur plus grande
efficacité initiale et de la brièveté de leur durée d’action (3 heures
pour le Lasilixt 20 mg par voie intraveineuse et 4 heures pour le
Lasilixt 40 mg per os).
Ceci explique que l’administration de ce
produit peut n’entraîner en 24 heures aucune perte de poids si
l’apport en sel est important (de l’ordre de 16 g ou 270 mmol/j).
Cette stabilité du poids jointe à la notion d’une stabilité de la
natrémie signifie en effet que le volume extracellulaire est resté
stable, comme le capital sodé de l’organisme, l’absence de variation
de la natrémie excluant une redistribution de l’eau entre les secteurs
intra- et extracellulaires.
Avec les thiazides aux doses usuelles utilisées antérieurement dans
l’hypertension (de 50 à 100 mg d’HCTZ) en association avec une
restriction sodée modérée (100 mmol/24 heures), la restauration
d’un état euvolémique en dépit de la poursuite du traitement
diurétique demande de 2 à 4 semaines.
En supposant que la dose de
diurétique et les apports sodés sont constants, on assiste ainsi à une
perte initiale du poids qui est maximale vers le quatrième jour, se
stabilise ensuite les 4 à 6 jours suivants et s’élève ensuite pour
revenir son niveau initial vers le quinzième jour.
On remarquera au
passage que ces variations du poids étant le reflet des variations
d’un bilan hydrosodé iso-osmotique, la natriurèse ne représente plus
guère un paramètre fiable de mesure de l’activité d’un diurétique
une fois passés les 4 premiers jours.
Il en est de même de la perte de
poids une fois passé le 8e jour et des mesures plus sophistiquées
telles que celles des volumes plasmatique et extracellulaire ou du
débit cardiaque, ces derniers paramètres revenant à leur niveau
initial entre la deuxième et la quatrième semaine.
À ce stade, l’activité d’un diurétique ne se traduit plus qu’en termes
de stimulation des mécanismes homéostatiques qui visent au
maintien des volumes de l’organisme au niveau le plus proche de
leur état initial.
Ces mécanismes impliquent la stimulation du
système nerveux sympathique, avec élévation des catécholamines
plasmatiques, et la stimulation du système rénine-angiotensinealdostérone,
qui stimule la réabsorption du sodium dans le tube
proximal (angiotensine II) et le collecteur cortical (aldostérone), en
même temps qu’elle stimule les centres de la soif et de l’appétit du
sel (angiotensine II).
Inversement, les hormones natriurétiques
comme les peptides natriurétiques atrial et cérébral voient leur
sécrétion freinée.
En dépit de la stimulation des hormones vasoconstrictives et du
rétablissement du débit cardiaque à son niveau initial, la pression
artérielle (PA) se normalise chez l’hypertendu ou ne s’abaisse que
modérément chez le sujet normotendu, témoignant d’un
abaissement des résistances périphériques.
Ceci permet le maintien
d’une perfusion des organes adaptée à leurs besoins, en dépit d’une
baisse de la PA.
Le mécanisme de cette baisse des résistances
périphériques sera discuté dans la partie consacrée à l’HTA.
Nous expliquerons ici en revanche la diminution progressive de
l’efficacité des diurétiques utilisés à la même dose unitaire maximale.
Ce phénomène, appelé tolérance chronique, a été décrit surtout avec les diurétiques de l’anse et est expliqué chez l’animal par une
hypertrophie du tubule distal sollicité par un afflux augmenté de
sodium qu’il réabsorbe.
Le fait que l’on ait observé chez l’homme
hypertendu un émoussement de la réponse natriurétique après
1 mois de furosémide et que la réponse au thiazidique (en l’absence
de furosémide et dans les mêmes conditions d’équilibre sodé) ait été
plus forte après qu’avant l’administration chronique de furosémide,
suggère que ce phénomène d’hypertrophie tubulaire distale se
produit également chez l’homme. Bien que nous ne connaissions pas
d’étude du même type avec les épargneurs de potassium, il est
probable que l’on retrouverait également une réponse exagérée.
L’abscisse représente le débit d’excrétion
urinaire de ce diurétique, et non directement la dose administrée per os ou par voie intraveineuse, et l’ordonnée représente la réponse
natriurétique exprimée de deux façons : en valeur absolue en
mmol/min ou en FENa, c’est-à-dire en fraction excrétée du sodium
filtré.
Cette courbe permet de comprendre les concepts de
rendement natriurétique maximal, d’effet plateau variable avec des
doses maximales en raison de la survenue de mécanismes de
résistance de nature pharmacodynamique ou pharmacocinétique.
Cette courbe sigmoïdale montre que le rendement natriurétique
maximal se trouve au-dessus d’un débit d’excrétion seuil du
diurétique et en dessous du débit dose efficace 50 %, correspondant
à la moitié du débit donnant l’effet natriurétique maximal en
plateau.
Elle fait comprendre que ce débit avec rendement optimal
est obtenu plus longtemps après une administration par voie orale
que par voie intraveineuse à la même dose unitaire, à condition que
celle-ci soit suffisante pour entraîner un débit urinaire du diurétique
au-dessus du seuil.
Ceci explique que l’efficacité natriurétique
globale après une même dose unique de furosémide (20 mg par
exemple chez un sujet normal) est comparable après administration
orale ou intraveineuse, alors même que l’absorption intestinale est
de 50 % seulement.
Par ailleurs, la réponse plateau donnée par
la dose unitaire maximale peut être diminuée dans quatre
circonstances :
– en cas d’une seconde administration après la fin de la durée
d’action de la première dose : c’est le phénomène de tolérance aiguë ;
– en cas de maladies oedémateuses avec hypovolémie efficace
(insuffisance cardiaque ou cirrhose) qui s’accompagnent d’une
hyperréabsorption sodée en amont et en aval de l’anse de Henlé
entraînant une résistance ;
– en cas d’administration chronique de diurétiques de l’anse qui
entraîne une hypertrophie des segments en aval de l’anse de Henlé
responsable d’une tolérance chronique ;
– en cas de syndrome néphrotique avec protéinurie massive, qui
fixe le diurétique et l’empêche d’agir sur le cotransporteur NaK2Cl ;
à la différence des trois premières circonstances, cette résistance est
donc d’ordre pharmacocinétique et non pharmacodynamique.
La résistance des diurétiques de l’anse au cours de l’insuffisance
rénale est également avant tout d’ordre pharmacocinétique.
En effet,
que l’insuffisance rénale soit organique ou fonctionnelle, elle altère
la biodisponibilité du diurétique en diminuant le débit du diurétique
arrivant dans la lumière de la branche de Henlé pour une dose
administrée donnée, car un diurétique de l’anse est fortement fixé à
l’albumine et ne peut être filtré par le glomérule.
Il parvient à l’anse
de Henlé uniquement par sécrétion tubulaire, qui est diminuée du
fait d’une diminution du flux sanguin rénal et de la compétition des
anions organiques « rétentionnés » en cas d’insuffisance rénale.
Cependant, ce facteur pharmacocinétique de résistance peut être compensé par l’augmentation des doses administrées.
Ceci permet,
en cas d’insuffisance rénale organique (sans hypovolémie efficace),
d’obtenir un débit de diurétique dans les urines qui entraîne la
même réponse maximale en plateau que chez le sujet normal si
l’ordonnée est exprimée en valeur absolue en mmol/min (et même
un plateau plus élevé si l’ordonnée est en FENa, l’abaissement de la
réabsorption fractionnelle proximale du sodium étant proportionnel
à la diminution de la filtration glomérulaire jusqu’à un stade avancé
d’insuffisance rénale, permettant à l’organisme de rester en équilibre
hydrosodé sans apparition d’oedème).
Cette adaptation permet en
effet que le même débit absolu de sodium soit délivré à la branche
ascendante de Henlé alors que l’augmentation des doses permet
d’assurer un même débit urinaire de diurétique et donc des
concentrations du diurétique dans la lumière de la BALH
comparables à celles du sujet normal.
Cette correction de l’altération
pharmacocinétique dans l’efficacité des diurétiques de l’anse au
cours de l’insuffisance rénale, par de fortes doses unitaires du
diurétique, disparaît cependant pour des raisons
pharmacodynamiques au stade olioganurique (diminution trop forte
de la filtration glomérulaire).
En cas de syndrome néphrotique se surajoutent deux facteurs de
résistance d’ordre pharmacocinétique.
Le premier réside en la
diminution de l’apport du diurétique au tube proximal où il doit
être sécrété, car le diurétique est transporté par l’albumine et il existe
une hypoalbuminémie dans le syndrome néphrotique.
Cette
résistance peut être corrigée par l’augmentation des doses et la
fixation du diurétique sur de l’albumine avant son injection.
Elle
n’abaisse donc pas le plateau de réponse natriurétique si elle est
corrigée.
Le deuxième facteur réside dans la diminution de la
concentration du diurétique libre au niveau du cotransporteur
NaK2Cl de la BALH, en raison de sa fixation sur l’albumine présente
dans la lumière ; ce phénomène peut être diminué par la warfarine
ou le sulfisoxazole. Bien que de nature pharmacocinétique, ce
deuxième facteur abaisse le niveau du plateau car il agit
indépendamment du débit urinaire du diurétique mis en abscisse.
On comprend ainsi qu’un plateau normal de réponse peut être
obtenu chez l’insuffisant rénal ou l’hypoalbuminémique si l’on
augmente suffisamment les doses ou si l’on fixe le diurétique sur de
l’albumine.
En revanche, le plateau de réponse est abaissé en dépit
de l’obtention de concentrations optimales de diurétiques dans la BALH, du fait d’une tolérance aiguë ou chronique, ou d’une
résistance pharmacodynamique (hypovolémie efficace), ou de la
fixation du diurétique sur l’albumine présente dans la lumière de la
BALH.
En cas d’hypovolémie efficace, seule son amélioration par la
position couchée ou le bain chez le cirrhotique, ou par des
médicaments améliorant la fonction du ventricule gauche dans
l’insuffisance cardiaque (bêtabloquant, IEC et antagonistes des
récepteurs AT1 de l’angiotensine II), peut rétablir un plateau de
réponse diurétique plus élevé.
D - DIAGNOSTIC ET TRAITEMENT
D’UNE HYPONATRÉMIE SOUS DIURÉTIQUES :
1- Évaluation de l’hydratation extracellulaire
:
Le diagnostic étiologique d’une hyponatrémie (Na < 130 mmol/L)
chez un malade sous diurétiques repose (comme chez tout autre
malade) avant tout sur un examen clinique de base et des examens
biologiques de routine appréciant l’état d’hydratation extracellulaire.
Cette évaluation est orientée par les données anamnestiques
concernant les apports et pertes hydrosodées possibles dans les jours
précédents (alimentation, boisson, perfusion, pertes digestives,
cutanées et ventilatoires du fait de la fièvre ou de la température
extérieure).
Alors que les oedèmes diffus témoignent facilement de l’existence
d’une hyperhydratation extracellulaire, les signes de déshydratation
extracellulaire sont plus délicats à rechercher.
Aussi les rappelleronsnous
brièvement.
* Hypotension et tachycardie orthostatique
:
Ce sont les signes les plus fiables de déshydratation extracellulaire
(en dehors de la notion d’une dysautonomie).
On les retient s’il
existe une baisse de la PA systolique d’au moins 20 mmHg et une
augmentation de la fréquence cardiaque d’au moins 15 pulsations
(mesurées sur au moins 15 secondes) lors du passage de la position
couchée à la position debout (rappelons que, physiologiquement, la
fréquence cardiaque peut augmenter de 10 à 15 pulsations par
minute à l’orthostatisme alors que la PA systolique ne bouge guère
et que la PA diastolique peut augmenter de 10 mmHg).
*
Autres signes cliniques
:
Les autres signes de déshydratation extracellulaire sont en revanche
plus difficiles à apprécier :
– persistance anormale du pli cutané (difficile à apprécier, surtout
chez le sujet âgé dont la peau a perdu son élasticité) ;
– perte de poids, difficile à apprécier en raison de l’ignorance du
poids antérieur exact et de l’efficacité plus ou moins grande des
mécanismes d’adaptation à distance de l’épisode déplétif initial
(> 8 jours).
* Signes biologiques
:
C’est dire l’intérêt des signes biologiques.
– Hémoconcentration : élévation des protides et de l’hématocrite, à
interpréter si possible avec des mesures antérieures, en raison de la
possibilité d’anomalies primitives liées à la malnutrition, aux
maladies hépatiques et aux pertes intestinales pour les protides, et à
des maladies hématologiques ou à une hémorragie pour
l’hématocrite.
– Insuffisance rénale fonctionnelle : élévation de la créatininémie, de
l’uricémie et de l’urée sanguine avec conservation du pouvoir de
concentration des urines avec un rapport urée urinaire sur urée
plasmatique supérieur à dix.
Ce rapport est plus facile à interpréter
que le rapport sodium/potassium urinaire, qui dépend des apports
alimentaires et des pertes digestives éventuelles en sodium et
potassium, ainsi que de l’efficacité persistante ou non des
diurétiques et de leur nature.
2- Traitement d’une hyponatrémie de déplétion
:
Lorsque les signes ci-dessus de déshydratation extracellulaire
existent, l’hyponatrémie est dite de déplétion. Elle survient lorsque
la contraction initiale du volume extracellulaire a été supérieure à
10 % (soit 2 % du poids du corps, le volume extracellulaire
représentant 20 % du poids du corps).
Elle s’explique par la mise en
jeu de la sécrétion non osmotique de l’hormone antidiurétique
(ADH), l’organisme donnant la priorité au maintien de la volémie
sur celui de l’osmolalité, et par la diminution du débit d’eau libre
formée au niveau des segments de dilution du fait de la réduction
de la filtration glomérulaire et de l’hyperréabsorption proximale du
sodium qui diminuent le débit de sodium délivré à la BALH.
Le traitement d’une telle hyponatrémie de déplétion sous diurétique
est simple.
Il faut tout d’abord arrêter ces derniers, et donner un
supplément de sel et d’eau per os.
De plus, en cas de trouble
digestifs ou d’urgence du fait de l’hypotension, de troubles
neurologiques (confusion, convulsions, coma) ou d’une natrémie
inférieure à 125 mmol/l apparue en moins de 48 heures, il faut
perfuser du sérum salé isotonique, voire hypertonique (3 %), ce
dernier au rythme de 2 à 6 ml/kg/heure afin de faire remonter la
natrémie de 2 mmol/l par heure jusqu’à ce que les troubles
neurologiques disparaissent ou que la natrémie augmente de 10 %.
Ultérieurement, l’augmentation de la natrémie doit être plus lente
(1 mmol/h, sans dépasser 20 mmol/l par 24 heures) afin de réduire
le risque de myélinolyse centropontique.
3- Diagnostic et traitement d’une hyponatrémie avec
hydratation extracellulaire normale sous diurétique
:
Ceci oriente vers un syndrome de sécrétion inappropriée d’ADH,
d’origine néoplasique, neurologique, pneumologique ou iatrogène,
un hypocorticisme ou une hypothyroïdie, voire vers des
vomissements subreptices, à moins que le malade ne soit sous
thiazide. Les thiazides favorisent en effet la survenue
d’hyponatrémies, plus souvent que les diurétiques de l’anse et ceci
pour trois raisons.
La première raison réside dans le fait que les thiazides ont la
particularité d’inhiber uniquement le segment cortical de dilution et
non le segment médullaire de dilution comme le font les diurétiques
de l’anse.
Or, ce segment médullaire de dilution (ainsi appelé car,
comme le segment cortical de dilution, il dilue l’urine primitive en
permettant une réabsorption de sodium sans eau du fait de son
imperméabilité à l’eau) est aussi le segment permettant la création
du gradient osmotique corticopapillaire (croissant vers la papille), et
donc la concentration des urines et la rétention d’eau libre par
l’organisme.
Durant les périodes de stimulation non osmotique de
la sécrétion d’ADH (hypovolémie efficace), les thiazides, qui ne
bloquent pas la réabsorption de sodium à ce niveau, facilitent la
survenue d’une hyponatrémie par réabsorption d’eau libre.
Les
diurétiques de l’anse, en revanche, abolissent le gradient de
concentration corticopapillaire et induisent une diurèse isoosmotique
au plasma.
Aussi n’aggravent-ils pas l’hyponatrémie. Au
contraire, quand celle-ci existe, ils en permettent la correction en
permettant la compensation de cette diurèse hypo-osmolaire (car
isotoniques au plasma hypotonique) par la perfusion d’une solution
salée normotonique (à 9‰), c’est-à-dire avec une concentration
sodée plus élevée par rapport à celle du plasma hyponatrémique.
La seconde raison pour laquelle les thiazides provoquent plus
souvent des hyponatrémies que les diurétiques de l’anse résulterait
d’une action dipsogène (stimulation de la soif), particulièrement
fréquente chez le sujet âgé.
La fréquence de l’hyponatrémie de
dilution du sujet âgé est de plus augmentée par le recours exagéré
aux psychotropes responsable de syndrome de sécrétion
inappropriée d’ADH iatrogène.
La troisième raison, plus anecdotique, est liée à une interaction entre
le cotrimoxazole (Bactrimt) et les thiazides.
Ces cas ont été signalés
surtout en cas d’infection à Pneumocystis carinii chez les malades
atteints de syndrome d’immunodéficience acquise, qui ont
volontiers un syndrome de sécrétion inappropriée d’ADH.
Signalons enfin que des hyponatrémies avec état d’hydratation
clinique normale ont été rattachées à une déplétion potassique ainsi
qu’à une déplétion magnésienne.
On pense que dans ces cas la
cellule rétablit son osmolalité en faisant appel au sodium
extracellulaire, et que le volume extracellulaire est maintenu par une
sécrétion non osmotique d’ADH et des apports d’eau exagérés car
la déplétion potassique altère les osmorécepteurs et stimule la soif.
Le traitement de ces hyponatrémies avec hydratation extracellulaire
normale sous diurétique consiste à arrêter les thiazides, à éviter les
interactions médicamenteuses néfastes, et à corriger la déplétion
éventuelle en potassium et en magnésium.
Une déshydratation incipiens étant difficile à éliminer, un apport de chlorure de sodium
est licite, sauf chez l’hypertendu.
Chez ce dernier, le thiazide est
remplacé par un diurétique de l’anse à faible dose et à libération
prolongée comme Eurélixt.
Un certain nombre de ces cas ne sont cependant pas exclusivement
liés au traitement diurétique mais à des facteurs nutritionnels
favorisants.
Il peut s’agir en premier lieu de boissons trop
abondantes.
Ceci peut être le cas chez l’insuffisant cardiaque et le
cirrhotique dont l’hypovolémie efficace stimule la soif et réduit le
débit de sodium arrivant aux sites de dilution.
Ceci peut également
se voir chez l’insuffisant rénal, chez qui il est légitime de conseiller
une certaine cure hydrique car elle peut ralentir la progression de
l’insuffisance rénale (ceci a été prouvé chez le rat par Bouby et al).
Cependant, cet apport hydrique doit rester limité car l’insuffisance
rénale diminue le débit d’eau libre formé, du fait de la réduction du
nombre de néphrons.
Chez le sujet âgé ou le cirrhotique anorexique, il peut s’agir d’une
malnutrition avec régime carencé en protides (syndrome des vieilles
dames se nourrissant de gâteaux et de thé, et respectant un régime
pauvre en sodium et potassium).
En effet, ce régime carencé en
protides et sels diminue la charge osmotique urinaire composée
principalement d’urée, de chlorure de sodium et de chlorure de
potassium, et donc la capacité d’éliminer l’eau par simple diurèse osmolaire, c’est-à-dire sans nécessité de dilution des urines.
La
correction des facteurs nutritionnels (restriction hydrique et apport
de protides) facilite la prévention de la récidive de ces hyponatrémies. Rappelons que la réalité de la restriction hydrique
se vérifie par la réduction quotidienne du poids.
4- Diagnostic et traitement d’une hyponatrémie
sous diurétique chez un malade oedémateux
:
Chez le sujet oedémateux, la survenue d’une hyponatrémie est
fréquente avant même toute administration de diurétique, en raison
de la mise en jeu d’une sécrétion non osmotique d’ADH et d’une
stimulation de la soif secondaire à la stimulation du système rénineangiotensine,
en particulier dans l’insuffisance cardiaque et la
cirrhose avec hypovolémie efficace.
Ces hyponatrémies étant dues à
une rétention hydrique proportionnellement plus importante que
l’augmentation du capital sodé, elles sont souvent appelées
hyponatrémies de dilution.
Leur traitement repose en priorité sur la
restriction hydrique (< 700 ml/j) et l’utilisation des diurétiques de
l’anse à l’exclusion des thiazidiques, mais en association avec les
épargneurs de potassium pour corriger ou prévenir l’hypokaliémie.
Quand ces mesures sont insuffisantes et que l’hyponatrémie reste
profonde (< 130 mmol/l), on pourra bientôt avoir recours aux
« aquarétiques ».
Les aquarétiques sont des substances
pharmacologiques bloquant les récepteurs V2 de l’ADH (ou
vasopressine) dont la stimulation permet l’insertion dans la
membrane luminale des tubes contournés distaux et collecteurs des
« aquaporines », c’est-à-dire de protéines en forme de canaux
rendant cette membrane perméable à l’eau, et permettant ainsi
l’équilibration osmotique entre la lumière urinaire et l’interstitium.
Les aquarétiques, en bloquant ce mécanisme, permettent l’excrétion
élective d’eau libre, indépendamment des modifications du capital
sodé. Leur utilisation est présentement en cours d’évaluation dans
l’insuffisance cardiaque et la cirrhose.
5- Prévention des hyponatrémies
:
Elle est facilitée par la compréhension de leur physiopathologie,
conduisant à adapter pour chaque patient le degré de la restriction
sodée et hydrique ainsi que la dose du diurétique, en vue d’obtenir
le degré de déplétion hydrosodée souhaité compte tenu de la nature
de la maladie à traiter (maladie oedémateuse et/ou hypertension),
du degré de l’insuffisance rénale et de l’apport alimentaire en
protéines, sodium et potassium, responsable de la charge osmolaire
à éliminer par les urines.
E - COMPLICATIONS MÉTABOLIQUES DES DIURÉTIQUES
:
Les complications métaboliques des diurétiques sont
l’hyperuricémie, l’insulinorésistance responsable de l’intolérance aux
hydrates de carbone et de la dyslipidémie.
Elles seront discutées
dans la partie consacrée à l’utilisation des diurétiques dans le
traitement de l’HTA.
F - AUTRES COMPLICATIONS DES DIURÉTIQUES
:
Nous citerons pour mémoire la myopie des thiazides et le risque de
lithiase par précipitation du triamtérène.
L’impériosité mictionnelle après furosémide ou bumétamide est
fréquente et doit particulièrement être prise en compte en cas de
pathologie prostatique et vésicale.
L’effet antiandrogène des spironolactones à fortes doses est
responsable de gynécomastie et d’impuissance chez l’homme, et de
métrorragies chez la femme.
Il justifie le recours à de faibles doses
grâce à leur association avec l’amiloride dans le traitement au long
cours des hyperminéralocorticismes, voire à leur substitution totale
par ce dernier totalement dépourvu de ces effets antiandrogènes ou
à l’éplérénone dont les effets antiandrogènes sont moindres que ceux
des spironolactones.
L’effet ototoxique des diurétiques de l’anse fait contre-indiquer leur
association aux antibiotiques ototoxiques (aminoglycosides).
Il faut connaître par ailleurs la possibilité de réactions
d’hypersensibilité aux thiazides et diurétiques de l’anse d’ordre
hématologique, cutané, respiratoire, pancréatique et hépatique.
Enfin, chez les malades sous lithium, il faut savoir que diurétiques, IEC et AT1-bloqueurs augmentent la lithiémie, nécessitant un
ajustement des doses du lithium ou le recours à d’autres
thymorégulateurs comme la carbamazépine (Tégrétolt).
Il faut
néanmoins rappeler que ce dernier peut induire un syndrome de
sécrétion inappropriée d’ADH avec hyponatrémie par dilution.
Signalons enfin le déclenchement possible d’un coma hépatique par hyperammoniémie induite par l’acétazolamide.
Règles d’utilisation des diurétiques
dans le traitement des oedèmes :
A - JUSTIFICATIONS DU TRAITEMENT DIURÉTIQUE
DANS LES OEDÈMES GÉNÉRALISÉS :
La justification et les modalités pratiques de la thérapeutique
diurétique étant différentes suivant l’étiologie des oedèmes
généralisés, nous les envisagerons successivement à propos des
quatre principales étiologies : l’insuffisance cardiaque, la cirrhose
ascitique, les glomérulopathies et les oedèmes secondaires aux
oligoanuries aiguës ou terminales de néphropathies chroniques.
Rappelons néanmoins au préalable que les diurétiques n’ont pas
leur place dans :
– le traitement des oedèmes diffus de la toxémie gravidique, du
traitement des néoplasies malignes par l’interleukine, des maladies
systémiques inflammatoires (polymyosite, sclérodermie), des
hypoprotidémies d’origine intestinale et des oedèmes cycliques
idiopathiques ; à propos de ces derniers, certains auteurs pensent
qu’ils sont même déclenchés par la prise cachée de diurétiques chez
des femmes obnubilées par leur cellulite, les oedèmes apparaissant à
l’arrêt temporaire de ces diurétiques (signalons que l’éphédrine per
os pourrait diminuer certains de ces oedèmes, qui relèvent d’une
hyperperméabilité capillaire) ;
– le traitement des oedèmes des membres inférieurs ne relevant pas
d’une rétention hydrosodée rénale, tels que les oedèmes d’origine
veineuse (varices ou phlébite), ou lymphatique, ou en rapport avec
la prise d’anticalciques du fait de la vasodilatation préférentielle des
sphincters précapillaires (rappelons que les oedèmes prétibiaux sont
souvent importants et que leur fréquence est non négligeable, 28 %
avec le Chronoadalatet dans l’étude INSIGHT, mais plus rare
avec la lercanidipine, inférieure à 5 %).
B - TRAITEMENT DES OEDÈMES DE L’INSUFFISANCE
CARDIAQUE CONGESTIVE
:
1- Justification
:
Qu’elle soit de nature systolique, ou diastolique, ou mixte,
l’insuffisance cardiaque congestive bénéficie d’une déplétion hydrosodée
par les diurétiques en termes non seulement symptomatiques, mais
aussi de survie.
Celle-ci est impérative et
urgente en cas d’oedème pulmonaire.
L’amélioration de la dyspnée
provient d’une amélioration des échanges gazeux alvéolaires et de
la diminution du travail respiratoire du fait de la diminution de la
pression capillaire pulmonaire, entraînant une diminution de la surcharge hydrique alvéolaire, et d’une amélioration de la compliance pulmonaire.
Cette déplétion doit cependant être
prudente en cas d’insuffisance cardiaque diastolique, pour ne pas
diminuer le débit cardiaque qui dépend de façon cruciale de la précharge dans cette forme d’insuffisance cardiaque.
Le traitement
physiopathologique de cette dernière repose en fait sur des
médicaments améliorant la relaxation diastolique des ventricules : vérapamil, diltiazem, bêtabloquants, IEC et sartans.
La distinction
entre ces deux formes d’insuffisance cardiaque repose d’une part
sur la radiographie de thorax, car la cardiomégalie n’est présente
que dans l’insuffisance cardiaque avec fonction systolique altérée et
dilatation du ventricule gauche, et d’autre part sur les données
d’échocardiographie appréciant la fonction systolique (fraction de
raccourcissement inférieure à 30 %, pour une normale de 33 ± 3 %,
fraction d’éjection inférieure à 40 %, pour une normale de 70 ± 5 %)
et la fonction diastolique, d’après le rapport E/A de la courbe des
vitesses de remplissage du ventricule gauche à l’extrémité de
l’entonnoir mitral : en cas de dysfonction diastolique, fraction de
raccourcissement et fraction d’éjection restent normales, tandis que
le flux mitral affecte le plus souvent le type I d’Appleton, avec un
rapport E/A inférieur à 1 témoignant du rôle essentiel de la
contribution auriculaire dans le remplissage du ventricule gauche.
2- Modalités d’utilisation en cas d’oedème aigu
pulmonaire
:
Vu l’urgence, on a recours aux diurétiques de l’anse par voie
veineuse dont le délai d’action est de 3 minutes environ.
Les doses
maximales unitaires conseillées sont fonction du degré de
l’insuffisance rénale.
On a pu montrer que la diminution
de la pression capillaire pulmonaire qu’ils entraînent survenait avant
que n’augmente la diurèse, suggérant un effet vasodilatateur
veineux.
Cette vasodilatation veineuse est renforcée par les opiacés
et par les dérivés nitrés administrés en spray sublingual ou par voie
intraveineuse.
Une étude randomisée récente a bien montré
l’intérêt de donner dans un second temps de fortes doses répétées
de dérivés nitrés (3mg d’isosorbide dinitrate toutes les 5 minutes si
la PA moyenne reste supérieure à 90 mmHg) plutôt que de répéter
toutes les 15 minutes le furosémide par voie intraveineuse à 80 mg.
Ces fortes doses de dérivés nitrés ont divisé par deux la nécessité
d’avoir recours à la ventilation mécanique et le risque de survenue
d’un nouvel infarctus.
Ceci n’est cependant pas très étonnant vu
que 40 mg par voie intraveineuse de furosémide assurent déjà une natriurèse maximale en plateau pendant 3 heures en l’absence
d’insuffisance rénale et que l’effet veinodilatateur du furosémide est
modeste.
En absence de diurèse et d’amélioration de l’oedème aigu
pulmonaire au bout de 30 minutes, on peut faire néanmoins une
seconde injection intraveineuse de furosémide à la dose de 80 mg, à
visée natriurétique, car le degré d’une insuffisance rénale éventuelle
n’est pas immédiatement connu.
Il est inutile cependant de dépasser
la dose unitaire de 200 mg par voie intraveineuse car elle entraîne la
réponse natriurétique maximale.
3- Modalités d’utilisation initiale en cas d’insuffisance
cardiaque congestive décompensée
:
Le malade étant hospitalisé, l’examen clinique de départ précise le
degré de la dyspnée d’effort (nombre d’étages) et de décubitus
(nombre d’oreillers), recherche les râles sous-crépitants aux bases
pulmonaires (et les éventuels épanchements pleuraux), les oedèmes
périphériques et le gros foie douloureux avec reflux hépatojugulaire.
De plus, il est indispensable d’établir valablement le poids dans des
conditions les plus reproductibles possibles (si possible nu, à jeun,
après avoir été aux toilettes), et de mesurer la tension artérielle et la
fréquence cardiaque en position couchée et debout.
Une
échocardiographie est réalisée pour préciser la dysfonction
ventriculaire gauche, diastolique ou systolique.
Quant au dosage du
peptide natriurétique du type B, il est seulement en cours
d’évaluation et ne doit pas se substituer au jugement clinique
complété par l’échocardiographie.
La mesure quotidienne de la diurèse et de la natriurèse est utile
mais difficile à interpréter en l’absence de la connaissance exacte des
apports hydriques et sodés.
Grâce à une diététicienne, ceux-ci sont
réduits à 3 g/24 heures pour le sel et à 1 l pour les boissons.
Nous
avons vu que, sur le plan pratique, la variation de poids donne une
estimation adéquate du bilan hydrosodé, la perte de poids étant le
seul garant de sa négativation.
En revanche, quand le poids est
stable malgré des doses et des associations adaptées de diurétiques,
la mesure de la natriurèse des 24 heures est capitale pour vérifier la
réalité des apports alimentaires sodés à 3 g de sel (soit une natriurèse
inférieure à 17 × 3 ou 51 mmol/24 heures).
Ce recueil d’urine de
24 heures doit cependant être validé par la créatininurie des
24 heures mesurée par le laboratoire, cette dernière devant tomber
dans les 20 % de son estimation par le numérateur de la formule de
Cockcroft : ([140 – âge] × poids × 1,04 chez la femme ou [140 – âge]
× poids × 1,23 chez l’homme) multiplié par 1,44 (car ce numérateur
représente la créatininurie de 1 000 minutes).
En effet, à poids
stable et en l’absence de pertes digestives anormales, la natriurèse
représente les apports sodés.
Le choix du diurétique dépend du niveau de la PA pulmonaire
systolique évaluée à partir du flux d’insuffisance tricuspidienne, de
la sévérité de la dysfonction systolique, de l’importance des oedèmes
et des anomalies du bilan biologique évaluant la fonction rénale et
l’équilibre hydroélectrolytique.
Au stade d’insuffisance ventriculaire gauche pure et en l’absence de
dysfonction sévère, d’insuffisance rénale et d’hyperkaliémie, on peut
se contenter de l’association d’une dose usuelle de diurétique de
l’anse et d’épargneur potassique à faible dose (amiloride 5 mg,
spironolactone 25 mg).
Les diurétiques de l’anse sont donnés per os
le matin pour le furosémide (Lasilixt) 60mg à libération prolongée
(car il agit sur 12 heures, de façon à éviter l’hyperdiurèse nocturne
entraînant l’insomnie), ou le matin et à midi pour le Lasilixt 40 mg
ou le bumétamide (Burinext) à 0,5 mg car leur durée d’action
théoriquement de 4 heures chez le sujet non oedémateux peut être
prolongée à 6 heures environ du fait du ralentissement de
l’absorption intestinale par l’oedème de la muqueuse intestinale. Les
thiazides ne sont généralement pas utilisés en première intention,
car ils sont souvent inefficaces seuls et à doses usuelles dans
l’insuffisance cardiaque.
De plus, ils sont dipsogènes et favorisent
l’hyponatrémie de dilution.
Si une hypokaliémie franche préexiste
(< 3 mmol/l), elle est préalablement corrigée par un apport de
potassium sous forme de chlorure ou de sel organique, et/ou
l’utilisation d’un diurétique d’épargne potassique.
Celui-ci peut être
donné à doses deux fois plus fortes, de façon isolée pendant 4 à
6 jours avant l’introduction du diurétique hypokaliémiant.
Cette
correction de l’hypokaliémie est impérative si le patient reçoit un digitalique en raison du risque de troubles du rythme.
Au stade d’insuffisance cardiaque congestive globale avec
turgescence des jugulaires, reflux hépatojugulaire, oedèmes périphériques diffus
et dysfonction ventriculaire gauche sévère.
Ces doses, en l’absence d’insuffisance rénale, sont de 80 mg
pour le furosémide et 1 mg pour le bumétamide.
Compte tenu de la
brièveté de la durée d’action (4 heures), elles peuvent être répétées
quatre à six fois suivant que l’on veut ou non respecter la période
de sommeil.
Le Lasilixt 60 LP ayant 12 heures de durée d’action
peut être donné seulement deux fois. Par ailleurs, on associe sans
tarder les IEC, qui améliorent l’insuffisance cardiaque en diminuant
les résistances périphériques et qui potentialisent l’action des
diurétiques en diminuant la réabsorption proximale du sodium
stimulé par les taux circulants élevés d’angiotensine II.
Le but à atteindre est tout d’abord de réduire progressivement les
oedèmes avec une perte de poids qui ne doit pas dépasser 2 kg par
jour et qui en valeur absolue ne doit pas aller au-delà de 2 kg en
dessous du poids pour lequel les oedèmes disparaissent (il est en
effet admis qu’une rétention hydrosodée de 2 kg pour un adulte de
70 kg ne se traduit pas par des oedèmes cliniquement décelables).
Par ailleurs, aucune hypotension ni tachycardie symptomatique ne
doit être notée à l’orthostatisme pendant la période de fonte des
oedèmes, ni aucune aggravation de la fonction rénale (supérieure à
30 %) ou des désordres hydroélectrolytiques initiaux.
La rythmicité des ionogrammes de surveillance est de l’ordre de deux fois par
semaine durant la période de fonte des oedèmes, en l’absence
d’anomalies initiales.
Une fois l’état d’hydratation optimal obtenu, le malade peut sortir
avec les mêmes recommandations diététiques, et les mêmes doses
de diurétique et d’IEC.
Il doit cependant être revu en consultation la
semaine suivante avec sa surveillance quotidienne du poids, un
recueil des urines des 24 heures pour la mesure de la créatinine, du
sodium, du potassium et de l’urée (± protéinurie si néphropathie),
un ionogramme sanguin, une créatininémie et une urée sanguine.
Très souvent, du fait du moindre respect de la restriction sodée et
de la prise de poids, les doses de diurétiques doivent être
augmentées, ainsi que les doses d’IEC, jusqu’à un maximum dicté
par l’apparition d’une hypotension et d’une tachycardie
orthostatiques.
4- Traitement diurétique des oedèmes réfractaires
chez l’insuffisant cardiaque
:
Nous appellerons arbitrairement « oedèmes réfractaires » ceux qui
persistent après 8 jours, sans perte de poids malgré un traitement
associant un alitement, une restriction sodée stricte à 3 g de sel
(vérifiée par une natriurèse des 24 heures à 51 mmol avec un poids
stable) et l’administration conjointe d’IEC, de bêtabloquants et de
diurétiques de l’anse, aux doses précisées au paragraphe précédent
et dont on s’assure de l’observance.
Cette définition arbitraire est
justifiée par le fait que ce traitement associe trois médications
majeures de l’insuffisance cardiaque congestive utilisables avec
seulement un minimum de précautions.
On ne saurait par ailleurs
trop souligner l’importance du clinostatisme (± les jambes
surélevées) dans la correction des oedèmes, car il permet un meilleur
retour veineux au coeur, une stimulation de la sécrétion de facteur
natriurétique atrial, et une freination des systèmes sympathique et
rénine-angiotensine-aldostérone.
Ce retour veineux peut être
également renforcé par l’immersion en baignoire.
De même, avant de renforcer la thérapeutique diurétique, il faut
éliminer les facteurs classiques d’aggravation de l’insuffisance
cardiaque :
– les troubles du rythme supra-ventriculaires, en particulier la
tachyarythmie par fibrillation auriculaire paroxystique ;
– les infections de rencontre, en particulier les grippes et plus
rarement les endocardites ;
– les embolies pulmonaires très souvent latentes s’exprimant
seulement par une aggravation de la dyspnée de décubitus (elles
justifient le traitement anticoagulant systématique des cardiaques
alités) ;
– les causes iatrogènes telles la prise de vérapamil, de diltiazem, et
même d’alpha 1 bloquants comme la doxazosine ou de
dihydropyridine, et enfin de vasodilatateurs comme le minoxidil.
On en rapprochera les interactions médicamenteuses, notamment la
prise d’anti-inflammatoires.
Comme l’a rappelé une étude
épidémiologique récente, la prise d’AINS dans la semaine (en
dehors de l’aspirine à faible dose) augmente le risque d’une
hospitalisation pour insuffisance cardiaque par un facteur deux par
rapport à la population générale et un facteur dix par rapport à la
population des insuffisants cardiaques.
Selon cette étude, 19 % des
admissions pour insuffisance cardiaque seraient dues aux AINS.
Ceci
s’explique par une diminution brutale de la filtration glomérulaire
en rapport avec l’inhibition des prostaglandines vasodilatatrices et natriurétiques, qui ne compensent plus l’effet vasoconstricteur de
l’angiotensine II et des catécholamines sur l’artériole
préglomérulaire, ni l’effet stimulateur de ces hormones sur la
réabsorption tubulaire du sodium.
Ces causes d’aggravation de l’insuffisance cardiaque étant éliminées
chez un malade ayant des oedèmes réfractaires, on a recours à deux
ordres de mesures :
– une maximalisation de la thérapeutique diurétique proprement
dite ;
– une optimisation des traitements associés visant à améliorer
l’insuffisance cardiaque.
* Maximalisation du traitement diurétique
:
Elle repose sur l’augmentation des doses des diurétiques de l’anse
et sur l’association éventuelle des thiazides et des épargneurs
potassiques.
Adaptation posologique du diurétique de l’anse.
Dans
l’insuffisance cardiaque avec débit de filtration glomérulaire normal,
il n’y a pas de raison d’augmenter la dose unitaire du diurétique de
l’anse induisant une efficacité maximale, car son élimination urinaire est
normale et son absorption intestinale cumulative sur 24 heures
également.
Seule la
rapidité de l’absorption intestinale est diminuée.
L’insuffisance cardiaque induit en effet une
résistance qui s’explique par l’augmentation de la réabsorption en
amont et en aval de l’anse de Henlé.
Si la réabsorption d’aval peut
être bloquée par l’association thiazide et épargneur de potassium, la
réabsorption proximale ne peut être bloquée durablement par
l’acétazolamide, du fait que l’acidose qu’il induit en inhibe
rapidement l’efficacité natriurétique.
Seule l’amélioration de
l’insuffisance cardiaque par des traitements étiologiques ou
adjuvants peut augmenter la réponse plateau à une dose maximale
unitaire de diurétique de l’anse.
Cependant, un certain degré d’insuffisance rénale est souvent
présent chez l’insuffisant cardiaque.
Or, celle-ci oblige à augmenter
la dose unitaire maximale pour des raisons pharmacocinétiques
(diminution du débit plasmatique rénal et compétition de ces
diurétiques avec les acides organiques dans les processus de
sécrétion anionique du tubule proximal).
C’est la raison pour
laquelle Brater recommande, dans l’insuffisance cardiaque avec
oedèmes réfractaires et insuffisance rénale modérée, une posologie
unitaire intermédiaire entre celles nécessaires pour obtenir le plateau
de natriurèse en l’absence et en présence d’une insuffisance rénale
sévère.
Pour le furosémide par voie orale, la dose proposée est de
250 mg au lieu de 80 mg sans insuffisance rénale, ces doses pouvant
être répétées toutes les 8 heures.
La voie veineuse n’est pas
indispensable.
Si elle est jugée nécessaire, on a recours de préférence
à une perfusion continue à la dose de 13 mg/heure après une dose
de charge de 40 mg, plutôt qu’à des bolus de 120 mg répétés toutes
les 8 heures, sans être sûr d’avoir le même rendement optimal. Pour
le bumétamide, la dose unitaire maximale, orale ou intraveineuse,
est augmentée de 1 à 5 mg à répéter au moins trois fois par
24 heures.
Ces doses maximales sont atteintes progressivement, en
doublant la dose par palier quotidien tant que le poids ne diminue
pas.
Elles sont ensuite maintenues tant que la perte de poids
quotidienne se situe entre 1 et 2 kg, et diminuées si la perte est
supérieure à 2 kg/j ou si le poids optimal est atteint.
Traitements associés.
L’association des thiazides aux diurétiques de
l’anse est synergique sur le plan natriurétique.
Cependant, leur
utilisation est souvent limitée par l’augmentation du risque
d’alcalose hypokaliémique et d’hyponatrémie de dilution.
L’adjonction de diurétiques épargneurs de potassium est également
logique sur le plan de la synergie natriurétique.
Leur indication est
cependant limitée par l’existence d’une hyperkaliémie (K > 5 mEq/l).
Parmi les diurétiques épargneurs de potassium, on peut maintenant
donner la préférence à la spironolactone à la dose de 12,5 à 50 mg/j,
en s’appuyant sur les résultats de l’étude RALES, ou à
l’éplérénone à la dose de 25 à 50 mg par jour, si l’on se réfère aux
résultats de l’étude EPHESUS ; ces deux études réalisées contre
placebo (en association avec une thérapeutique optimale) ont en effet
montré des résultats favorables en termes de survie (risque relatif
[RR] de 0,70 dans RALES et de 0,85 dans EPHESUS).
Bien que la
justification théorique de ce traitement repose sur la prévention de
la fibrose cardiaque expérimentale, il n’est pas sûr que le bénéfice
clinique observé passe nécessairement et exclusivement par la prévention de cette fibrose, et non pas simplement par la synergie
d’action natriurétique et stabilisatrice de la kaliémie qu’offre
l’association spironolactone avec les diurétiques de l’anse, synergie
qui pourrait être également obtenue avec l’amiloride.
Il faut en effet
se rappeler que, expérimentalement, le rôle cardio- et
vasculofibrotique de l’aldostérone n’a été prouvé qu’en association
à une surcharge sodée.
Faute d’une étude contrôlée avec l’amiloride,
ce problème ne sera jamais formellement résolu.
Une analyse récente
des résultats de RALES exclurait cependant le rôle d’une déplétion
hydrosodée différente (mais non celui d’une kaliémie différente).
Un marqueur du remodelage de la matrice extracellulaire (le procollagène type III aminopeptide) ayant été trouvé abaissé dans le
groupe spironolactone, il a été suggéré que l’amélioration de la
survie de ce groupe pourrait être expliquée par la diminution du
remodelage cardiaque.
*
Optimisation du traitement pharmacologique associé
de l’insuffisance cardiaque :
Dans l’insuffisance cardiaque dont le traitement étiologique est
impossible ou insuffisant, il faut avoir recours à des mesures
associées dont l’efficacité a bien été validée en termes d’amélioration
de la morbidité et de la mortalité cardiovasculaires.
Ces mesures
permettent d’élever le plateau de réponse natriurétique des doses
unitaires maximales de diurétiques de l’anse en améliorant la
filtration glomérulaire et en inhibant la réabsorption sodée
proximale.
Insuffisance systolique.
Dans l’insuffisance cardiaque systolique
(fraction d’éjection inférieure ou égale à 40 %), on a recours, en
dehors des diurétiques et des digitaliques, avant tout à l’association
IEC et bêtabloquant, la triple association avec un antagoniste du
récepteur AT1 de l’angiotensine II (sartan) n’ayant
qu’inconstamment donné des résultats supérieurs à la bithérapie IEC
et bêtabloquant.
La nécessité de recours systématique aux IEC est démontrée depuis
longtemps. Ainsi, la méta-analyse de Flather et al. regroupant les
études SAVE (captopril), AIRE (ramipril), TRACE (trandolapril) et
SOLVD (énalapril), regroupant au total plus de 12 000 patients,
montre une réduction significative de la mortalité (20 %), des
nouveaux infarctus (21 %), des hospitalisations pour insuffisance
cardiaque (33 %), mais curieusement pas de réduction significative
(- 4 %) des accidents vasculaires cérébraux (AVC).
De plus, dans
l’étude SOLVD, l’amélioration de la survie cardiovasculaire avec
l’énalapril sans diminution du risque d’AVC est encore observée
après 12 ans de survie, que les patients aient eu initialement une
insuffisance cardiaque ou simplement une dysfonction
asymptomatique du ventricule gauche.
Le recours aux bêtabloquants est maintenant également parfaitement
justifié, non seulement dans l’insuffisance cardiaque diastolique
installée, mais aussi dans l’insuffisance cardiaque systolique dilatée,
en plus de l’association diurétiques et IEC.
Dans cette situation,
l’addition de doses très progressives de carvédilol, bisoprolol,
bucindolol ou métoprolol a en effet diminué la morbidité et la
mortalité cardiovasculaires dans des essais contrôlés contre
placebo.
Le dernier essai COPERNICUS vient en effet de
démontrer une diminution de 65 % de la mortalité chez tous les
patients, y compris les patients avec une insuffisance cardiaque de
classe III-IV avec une fraction d’éjection inférieure à 25 %.
L’introduction de ces bêtabloquants doit se faire cependant à doses
très progressives en milieu hospitalier.
Le rationnel
physiopathologique de l’utilisation des bêtabloquants dans
l’insuffisance cardiaque réside dans l’existence d’une signalisation
adrénergique inadaptée et d’une transduction altérée mais
persistante du signal donné notamment par les bêta-1 récepteurs,
dont l’activation est proapoptotique.
Chez la souris transgénique, la
surexpression des récepteurs bêta-1 humains aboutit rapidement à
une cardiomyopathie.
L’avènement au cours des 10 dernières années des sartans ou AT1-
bloquants pose le problème de leur place optimale dans le schéma
thérapeutique de l’insuffisance cardiaque.
La preuve de leur
supériorité par rapport aux IEC en termes d’efficacité s’est soldée,
pour le moment, par un échec, le losartan à 50 mg une fois par jour
n’ayant pu être montré supérieur au captopril à 50 mg trois fois par
jour, ni chez l’insuffisant cardiaque sans infarctus récent dans l’étude
ELITE II, ni chez le patient avec infarctus récent et insuffisance
cardiaque dans l’étude OPTIMAAL au cours de laquelle la
mortalité cardiovasculaire a même été trouvée supérieure dans le
groupe losartan.
Cette différence était probablement due à une titration insuffisante du losartan car, dans l’étude VALIANT, le valsartan à la dose de 160 mg deux fois par jour a été associé à une
morbidité et une mortalité cardiovasculaires comparables à celle du
captopril à la dose de 50 mg trois fois par jour, dans une population
comparable à celle d’OPTIMAAL.
Aussi, ce n’est qu’en cas de toux
ou autre intolérance à un IEC que l’on a certainement intérêt à
remplacer un IEC par un AT1-bloquant, comme l’ont montré à la
fois l’étude VALHeft et l’étude CHARM-alternative.
En revanche, l’intérêt d’une association d’IEC et d’AT1-bloquant n’a
été prouvé que dans l’étude CHARM-added, à la fois en termes
de mortalité cardiovasculaire et en termes de réhospitalisation pour
complication cardiovasculaire, et ceci même dans le sous-groupe
traité par bêtabloquant.
Les autres études n’ont en revanche pas
montré l’intérêt de cette triple association.
L’étude VALHeft, qui a
pourtant montré une diminution du risque de réhospitalisation pour
insuffisance cardiaque, a même montré un surcroît de mortalité dans
le sous-groupe ayant reçu valsartan plus IEC et bêtabloquant.
Cette
interaction n’a heureusement pas été retrouvée par l’étude VALIANT, mais cette étude n’a pu montrer de diminution de la
morbidité et de la mortalité cardiovasculaires avec l’addition de valsartan à la bithérapie captopril et bêtabloquant, alors que la
trithérapie a augmenté les effets secondaires (malaises hypotensifs,
insuffisance rénale, hyperkaliémie).
Insuffisance diastolique.
Dans l’insuffisance cardiaque diastolique
(fraction d’éjection > 40 %), le candesartan à la dose de 32 mg/j, testé
contre placebo, n’a pas modifié le risque de mortalité mais a diminué
le risque de réhospitalisation pour insuffisance cardiaque (CHARMpreserved
trial), suggérant que les AT1-bloquants pourraient
améliorer ce type d’insuffisance cardiaque aussi bien que les
bêtabloquants.
Autres thérapeutiques.
Les inhibiteurs mixtes des vasopeptidases
inhibent à la fois l’enzyme de conversion de l’angiotensine II et
l’endopeptidase neutre, et aboutissent à une forte élévation des
peptides natriurétiques.
L’omapatrilate (Vanlevt) a donné des
résultats encourageants dans l’insuffisance cardiaque (étude
IMPRESS, étude OVERTURE), mais le risque non négligeable
d’oedème angioneurotique, surtout chez le sujet noir, a limité le
développement de ce médicament non seulement dans l’HTA mais,
pour le moment aussi, dans l’insuffisance cardiaque.
L’utilisation des digitaliques en l’absence de tachyarythmie reste
l’objet de controverses.
Un consensus semble se dégager pour
considérer qu’ils améliorent la symptomatologie fonctionnelle mais
non la mortalité.
En cas d’échec de ces thérapeutiques médicales, les oedèmes
réfractaires peuvent bénéficier de quelques séances d’ultrafiltration :
en effet, la déplétion hydrosodée permet parfois de les rendre de
nouveau sensibles aux mesures médicales pendant quelques jours à
quelques semaines, en attendant une greffe cardiaque.
Le mécanisme
de cette amélioration reste hypothétique (diminution de la précharge
améliorant les échanges gazeux ? soustraction de cytokines
déprimant le myocarde ?).
L’utilisation de la dopamine et autres inotropes est déconseillée par la majorité des auteurs car, en
traitement chronique, elle aggrave la mortalité en favorisant les
troubles du rythme.
C - TRAITEMENT DES OEDÈMES DANS LA CIRRHOSE
:
Dans les cirrhoses hépatiques, le traitement des oedèmes et de
l’ascite n’améliore guère le pronostic mais améliore le confort du
malade.
La déplétion sodée est toujours très lente afin d’éviter
l’aggravation de l’insuffisance rénale, réalisant alors un pseudosyndrome hépatorénal. Lorsqu’il existe une ascite sans oedème, on préfère recourir aux ponctions d’ascite itératives.
La
supériorité de celles-ci sur le traitement diurétique s’explique par le
fait que la mobilisation de l’ascite par les diurétiques ne peut se
faire qu’à partir de sa résorption par les capillaires péritonéaux, la
capsule hépatique empêchant la résorption de l’ascite.
Or, la vitesse
de résorption par les sinusoïdes péritonéaux est limitée à 500 ml/j.
Pour espacer les ponctions d’ascite, on peut avoir néanmoins recours
au repos au lit et aux spironolactones, en plus de la restriction sodée
(3 g/j de chlorure de sodium) et hydrique (moins de 700 ml
uniquement s’il existe une hyponatrémie), car il existe souvent une
hypokaliémie.
Les spironolactones sont préférées aux autres
épargneurs potassiques car la sécrétion de ces derniers par le tubule
proximal est réduite par la rétention des sels biliaires.
Leur seule
contre-indication est la coexistence d’une acidose tubulaire rénale.
On cherche ainsi à induire une perte de poids au plus égale à
500 g/j.
En cas d’oedèmes, on peut cependant viser une perte de poids de
1 kg par jour et le réaliser grâce à la coadministration de diurétiques
de l’anse à dose progressive, jusqu’à 160 mg de furosémide et 2 mg
de bumétamide, les spironolactones pouvant être augmentées
jusqu’à 400 mg.
Ceci permet la prévention de l’hypokaliémie, qui
peut précipiter l’encéphalopathie hépatique par augmentation de
l’ammoniogenèse.
Rappelons également l’intérêt de l’immersion dans l’eau jusqu’au
cou pour réduire les syndromes d’hydropysie.
Ceci était connu déjà
des
Anciens comme le rappelle Marguerite Yourcenar dans Les
mémoires d’Hadrien.
Cette technique a été très étudiée pour
démontrer le rôle du peptide atrial natriurétique dans la pathogénie
des oedèmes résistants, tout particulièrement dans ceux de la
cirrhose.
Son élévation au stade initial de la cirrhose valide le
concept d’une prépondérance de la rétention hydrosodée
primitivement rénale en réponse au blocage veineux splanchnique
par rapport à la rétention sodée secondaire à la baisse de la volémie
« efficace ».
Néanmoins, à un stade plus tardif de la cirrhose au cours
de laquelle la baisse tensionnelle systémique s’aggrave, on a pu
rapporter des cas dans lesquels l’immersion, augmentant la volémie
centrale, renforçait l’élévation du peptide atrial natriurétique et
contribuait à réduire les oedèmes.
Une autre façon d’augmenter
cette volémie centrale est d’administrer de la vasopressine ou un de
ses analogues spécifiques des récepteurs VI, comme la terlipressine
qui entraîne une vasoconstriction des veines splanchniques.
Si les ponctions d’ascite deviennent plus fréquentes qu’une fois tous
les 15 jours malgré la correction de l’hypoalbuminémie par des
perfusions d’albumine, on peut discuter la pose d’un shunt
péritonéoveineux, par exemple un shunt péritonéojugulaire de Le
Veen, la création d’un shunt portocave intrahépatique par voie
transjugulaire, ou des ultrafiltrations de l’ascite avec réinjection
intraveineuse ou intrapéritonéale des protéines, en attendant la transplantation
hépatique.
Pour éviter la
survenue d’un syndrome hépatorénal rapidement mortel, nous
insisterons sur l’intérêt de deux mesures préventives récemment
validées :
– le traitement des péritonites bactériennes spontanées, non
seulement par antibiotiques mais aussi administration d’albumine ;
– l’administration de pentoxyfylline (Torentalt, 400 mg trois fois par
jour) en cas de cirrhose alcoolique, dont l’effet favorable s’explique
probablement par une inhibition du tumor necrosis factor et du
vascular endothelium growth factor.
En cas de syndrome hépatorénal mortel sans néphropathie à
immunoglobulines A ni septicémie, les reins du cirrhotique peuvent
parfaitement être utilisés pour une transplantation rénale, car ils sont
indemnes de tare organique définitive.
Le seul risque à prendre en
compte est un hyperréninisme transitoire par hyperplasie acquise
de l’appareil juxtaglomérulaire, secondaire à l’hypovolémie efficace
majeure du syndrome hépatorénal.
D - TRAITEMENT DES OEDÈMES
DES GLOMÉRULOPATHIES :
1- Rappel physiopathologique
:
Les oedèmes compliquent habituellement les glomérulonéphrites
aiguës et les syndromes néphrotiques.
Quelle que soit la nature de
ces glomérulopathies, la rétention sodée s’explique par une
réduction de la capacité rénale intrinsèque à éliminer le sodium,
dont le mécanisme est incertain (une résistance du tube collecteur à
l’action du peptide atrial natriurétique a été incriminée).
Les
arguments expérimentaux chez l’animal suggèrent que la
réabsorption sodée serait liée à l’ouverture du canal sodium de la
cellule principale du canal collecteur et à l’activation de la Na/KATPase
basolatérale.
Dans les glomérulonéphrites aiguës, les
oedèmes périphériques restent relativement modérés et
s’accompagnent d’une HTA à l’origine de complications redoutables
particulièrement fréquentes chez l’enfant : l’oedème pulmonaire et
l’oedème aigu cérébroméningé.
Dans les syndromes néphrotiques,
les oedèmes périphériques sont souvent très importants et associés
volontiers à des épanchements des séreuses, en particulier ascite et
épanchements pleuraux, alors que l’élévation de la PA est
inconstante.
Une hypotension orthostatique peut même s’observer dans les glomérulopathies idiopathiques à lésions glomérulaires minimes.
Cette hypotension est en rapport avec un déséquilibre entre la
diminution adaptative de la pression oncotique interstitielle et la
diminution de la pression oncotique plasmatique, créant ainsi une hypovolémie plasmatique par fuite du liquide plasmatique dans
l’interstitium.
Cette hypovolémie réelle majore la rétention rénale
de sodium, au même titre que la fausse hypovolémie, dite
« hypovolémie efficace », de l’insuffisance cardiaque et de la cirrhose.
Elle se voit essentiellement dans deux circonstances :
– à la phase initiale d’une néphrose idiopathique de l’enfant ; la
protéinurie massive et brutale entraîne une diminution du capital
protidique plasmatique, avec baisse paradoxalement faible de la
protidémie du fait du transfert rapide d’eau dans l’interstitium dont
les protéines n’ont pas encore eu le temps d’être restituées au plasma
par les lymphatiques ;
– à la phase chronique des syndromes néphrotiques sévères par
hyalinose segmentaire et focale, ou par amylose ; dans ces
conditions, la baisse adaptative de la pression oncotique interstitielle
est à son plancher, mais l’importance de l’hypoalbuminémie
diminue le gradient de pression plasma-interstitium et fait fuir le
liquide plasmatique dans l’interstitium.
La présence d’une hypertension dans les glomérulonéphrites aiguës
et son absence habituelle dans les syndromes néphrotiques
s’expliquent par la normoprotidémie dans le premier cas et
l’hypoprotidémie dans le second cas.
En effet, la rétention hydrosodée d’origine rénale se répartit aussi bien dans le volume
plasmatique que dans le volume interstitiel si la protidémie est
normale, alors qu’elle se répartit préférentiellement dans le volume
interstitiel si la protidémie est abaissée.
Ceci explique que le volume
plasmatique reste habituellement normal dans les syndromes néphrotiques, même quand il existe une albuminémie entre 20 et
30 g/l.
2- Utilisation des diurétiques
:
Ces éléments physiopathologiques expliquent pourquoi les
diurétiques sont indiqués (avec le régime sans sel) de façon
impérative et rapide dans les glomérulonéphrites aiguës, en raison
de la mise en jeu du pronostic vital par l’oedème aigu pulmonaire et
l’oedème aigu cérébroméningé secondaire à l’hypertension.
Leur indication peut en revanche être différée dans les syndromes néphrotiques purs, le traitement corticoïde étant souvent rapidement
efficace, surtout chez l’enfant en cas de néphrose idiopathique.
Dans les syndromes néphrotiques résistants aux corticoïdes et/ou
aux immunosuppresseurs, les oedèmes peuvent bénéficier de
diurétiques à doses progressives associant un diurétique de l’anse, un épargneur de potassium et si nécessaire un thiazidique comme
dans l’insuffisance cardiaque.
Les IEC et les antagonistes des
récepteurs de l’angiotensine remplacent les épargneurs de potassium
en raison de leur effet antiprotéinurique propre potentialisant celui
des diurétiques et en raison de leur effet hyperkaliémiant.
La
surveillance et l’adaptation des doses suivent les mêmes principes
initiaux que pour l’insuffisance cardiaque.
L’étude COOPERATE a
montré que, pour un même contrôle tensionnel, l’association de
trandolapril à dose maximale (4 mg) et de losartan à dose maximale
(100 mg) possède une synergie antiprotéinurique et protectrice vis-àvis
de la dégradation de la fonction rénale.
Cette association peut
être recommandée dans les syndromes néphrotiques rebelles, en
redoublant la surveillance de la créatininémie et de la kaliémie si un
épargneur de potassium est associé.
De plus, en cas d’oedèmes réfractaires du fait d’une profonde hypoalbuminémie (< 20 g/l), on peut utiliser la technique d’Inoue et
al. qui consiste à administrer le diurétique de l’anse après sa
fixation sur de l’albumine hyperoncotique à 20 % (à raison de 3 ml
pour 3 mg de bumétamide et de 60 ml pour 60 mg de furosémide).
Ceci permet une augmentation du débit du diurétique délivré au
tubule proximal où il doit être sécrété, en évitant des doses plus
fortes ototoxiques.
Par ailleurs, il faut signaler un autre facteur de
résistance aux diurétiques dans les syndromes néphrotiques : la
liaison du diurétique de l’anse à l’albumine présente dans la lumière
du tubule. Cette liaison l’empêche en effet d’être actif sur le
cotransporteur NaK2Cl.
On a pu montrer expérimentalement (mais
non encore en clinique) que cette résistance pouvait être levée par
l’administration de warfarine ou de sulfisoxazole, qui se fixent sur
l’albumine au même site que les diurétiques de l’anse.
Les
arguments expérimentaux évoqués plus haut justifient par ailleurs
l’utilisation spécifique de l’amiloride.
En dehors du cas du syndrome néphrotique avec hypotension
symptomatique, où l’on peut prescrire des solutions iso-oncotiques
d’albumine, on n’a pas recours à ces dernières car elles majorent la
protéinurie et aggravent les lésions glomérulaires, et probablement
la progression de l’insuffisance rénale.
Un régime hypoprotidique
est même conseillé pour réduire la protéinurie ainsi que des statines
pour lutter contre les dyslipidémies, avec le double espoir de réduire
le risque cardiovasculaire et la progression de la néphropathie.
Dans les hyalinoses segmentaires et focales, des séances de
plasmaphérèse ou d’immunoadsorption sur protéine A ont été
proposées pour réduire la protéinurie et la dyslipidémie majeure.
Leurs résultats préliminaires sont encourageants.
L’application en
clinique pourrait concerner les hyalinoses segmentaires et focales du
virus de l’immunodéficience humaine, où le traitement
immunosuppresseur n’a pas sa place.
Signalons la difficulté particulière de traiter les oedèmes néphrotiques quand s’y associe une insuffisance rénale aiguë.
Après
avoir éliminé une néphrite interstitielle allergique (aux AINS,
antibiotiques et diurétiques, ainsi qu’au foscarnet et à l’interféron
alpha), une thrombose des veines rénales et une évolution rapide de
la glomérulopathie initiale, on retient la possibilité d’une nécrose
tubulaire dans les circonstances suivantes :
– chez l’enfant, lors de l’installation ou la rechute brutale d’une
protéinurie massive par néphrose idiopathique, avec choc hypovolémique et hémoconcentration sans nécessairement
hypoprotidémie ; l’histologie rénale peut montrer des lésions de
nécrose tubulaire et/ou de nombreux cylindres d’albumine
obstructifs ; ce tableau contre-indique les diurétiques et bénéficie des
corticoïdes ; une perfusion d’albumine iso-oncotique (et non
hyperoncotique pour ne pas favoriser l’obstruction tubulaire) peut
être nécessaire pour traiter l’hypotension ;
– chez l’adulte âgé hypertendu et athéroscléreux, l’insuffisance
rénale apparaît vers la quatrième semaine et disparaît vers la
septième semaine sous corticoïdes et traitement des oedèmes par
diurétiques de l’anse, et si nécessaire dialyse itérative ; l’histologie
montre une nécrose tubulaire ou un oedème interstitiel pur.
E - OEDÈMES CHEZ LES MALADES OLIGOANURIQUES
:
En cas d’oedèmes chez des malades en oligoanurie du fait d’une
nécrose tubulaire ou d’une néphropathie chronique terminale,
l’administration de diurétiques de l’anse peut permettre la
diminution de la prise de poids interdialytique.
Les doses utilisées
sont de l’ordre de 1 à 2 g de furosémide (2 à 4 comprimés spéciaux à
500 mg) à répartir en quatre prises et à associer, si nécessaire, à des thiazides à la dose de 50 à 100 mg d’HCTZ.
L’administration de ces
fortes doses chez les dialysés chroniques n’est justifiée que si elles
sont nécessaires pour maintenir une diurèse de l’ordre du litre.
La réalité du maintien d’une meilleure diurèse grâce à de fortes
doses de furosémide chez les patients avec insuffisance rénale aiguë
vient d’être démontrée par l’étude contrôlée contre placebo de Cantarovitch et al.
Elle a été réalisée chez 330 patients ne
répondant pas à une dose test de 15 mg/kg de furosémide par voie
intraveineuse.
Le pourcentage de malades répondeurs, c’est-à-dire
ayant une diurèse des 24 heures entre les séances de dialyse
supérieure à 2 litres/j, était de 86 % avec le furosémide en perfusion
continue à 25 mg/kg/j et de 57 % dans le groupe placebo.
Le
nombre de dialyses, la mortalité et la créatininémie après la dernière
dialyse n’ont cependant pas été modifiés par le traitement et la
fréquence d’une ototoxicité, favorisée par l’utilisation conjointe
d’antibiotiques ototoxiques, a été de 2 %, contre 1 % dans le groupe
placebo.