Tétanos : prévention et diagnostic Cours de
réanimation - urgences
Introduction
:
Bien que nous disposions depuis 1923 d’une vaccination efficace et
sans danger grâce à l’anatoxine tétanique de Ramon, le nombre de
cas de tétanos dans le monde (1 million) reste beaucoup trop élevé.
Certes, il s’agit d’une affection rencontrée essentiellement dans les
pays en voie de développement où elle touche surtout les enfants,
néanmoins elle n’a pas non plus disparu dans les pays à haut niveau
de vie où l’accès à la vaccination est simple.
En France, l’Institut
de veille sanitaire recense 30 cas en moyenne par an, affectant
essentiellement une population de malades âgés de plus de 70 ans.
Le pronostic de cette maladie reste sombre malgré les progrès de la
réanimation puisque la mortalité oscille entre 20 et 50 %, il est donc
nécessaire d’accentuer notre politique de prévention.
En raison de sa rareté, cette maladie pose donc deux problèmes aux
médecins du XXIe siècle : en faire le diagnostic précoce afin
d’orienter les patients vers les structures de soins adéquates et
continuer à assurer une prévention correcte d’une affection que peu
de médecins ont rencontrée.
Diagnostic du tétanos
:
Il s’agit d’une toxinfection due au bacille de Nicolaïer, Clostridium
tetani, bacille anaérobie strict, sporulé, tellurique, sécrétant une
toxine neurotrope : une tétanolysine et la tétanospasmine.
Cette neuroexotoxine se fixe sur les terminaisons nerveuses des fibres
inhibitrices des motoneurones ; la suppression de l’activité
inhibitrice est responsable des contractures musculaires
permanentes.
Cette liaison est stable et disparaît spontanément en
15 jours à 3 semaines.
Le tétanos évolue en trois phases : une phase
d’incubation habituellement silencieuse qui débute après une plaie
parfois minime, une phase d’invasion qui va de l’apparition du
trismus à la première grande crise de contracture généralisée ;
chacune de ces deux premières phases est d’autant plus courte que
le tétanos est plus grave.
Une invasion de moins de 24 heures doit
faire craindre un tétanos gravissime.
La troisième phase ou phase
d’état dure 3 semaines et est caractérisée par un fond de contracture
permanente généralisée des muscles striés sur lequel viennent se
greffer des crises de contractures paroxystiques aiguës extrêmement
douloureuses au cours desquelles le malade va pouvoir présenter
des complications : arrêt respiratoire, rupture de tendon, luxation
articulaire, fracture d’os long, fracture vertébrale.
Les complications
cardiaques (troubles du rythme, instabilité tensionnelle) sont
responsables, avec les infections nosocomiales, de la plupart des
évolutions fatales.
C’est donc à la phase d’incubation et surtout à la phase d’invasion
que se pose le problème du diagnostic du tétanos.
Le diagnostic est purement clinique car nous ne disposons d’aucune
exploration paraclinique permettant d’affirmer ou d’infirmer ce
diagnostic.
A - PHASE D’INCUBATION
:
La plaie susceptible d’être tétanigène est une plaie anfractueuse mal
vascularisée, souillée de terre et de débris dans laquelle le bacille de
Nicolaïer va trouver un milieu favorable pour se développer et
produire son exotoxine neurotrope.
Il faut retenir le rôle joué par les
plaies des membres inférieurs chez l’artéritique ou chez le patient
présentant des troubles trophiques veineux (ulcères variqueux…)
favorisant l’anaérobie de la plaie.
Il s’agit rarement de lésions très
délabrantes mais de plaies réalisant des conditions d’anaérobiose
très favorables au développement de Clostridium tetani, comme les
plaies et les corps étrangers sous-inguéaux.
Les plaies réalisées à la
campagne, dans les jardins, souillées de terre sont les plus à risque
d’être tétanigène.
L’infection de la plaie par des germes aérobies
divers favorise le développement du bacille tétanique par la
consommation d’oxygène qu’elle réalise au niveau de la plaie.
Il faudra se méfier tout particulièrement des plaies chez des patients
de plus de 70 ans, chez lesquels la vaccination antitétanique est
présente dans moins de 20 % des cas.
La phase d’incubation est habituellement silencieuse et n’entraîne
une consultation que si le patient a conscience de s’être blessé.
B - PHASE D’INVASION
:
C’est à la phase d’invasion que le malade vient consulter
habituellement son médecin traitant ou le service d’urgence le plus
proche.
À ce stade, le seul signe objectif présenté par le malade est
un trismus bilatéral dû à une contracture des masséters ; c’est
rarement la difficulté d’ouvrir la bouche qui constitue le motif de
recours du patient qui, le plus souvent, va venir trouver son
médecin pour : douleur au niveau de la gorge, difficultés de
déglutition, rachialgies …
1- Trismus
:
Tous les éléments sémiologiques de ce trismus sont importants à
rechercher car ils permettent de différencier le trismus tétanique des
autres causes d’impossibilité d’ouvrir la bouche.
Le trismus
tétanique est un trismus bilatéral et symétrique, douloureux, avec,
sur un fond permanent, des épisodes de contractures paroxystiques
spontanées ou provoquées par des stimulations nociceptives (signe
de l’abaisse-langue captif).
Au cours de ces crises paroxystiques, les
douleurs s’exacerbent.
Le trismus est invincible et permanent, ne
disparaissant ni au repos complet ni au sommeil.
La très large représentation des personnes âgées dans cette
pathologie rend souvent difficile la reconnaissance précoce de ce
trismus chez des personnes souvent édentées à cet âge ou qui ont
spontanément enlevé leur dentier.
En effet, l’absence de dents
permet, pendant un certain temps, de conserver une ouverture
buccale suffisante sur le plan fonctionnel.
2- Diagnostics différentiels du trismus
:
Les diagnostics les plus souvent portés à tort à ce stade de la
maladie sont :
– l’angine, en raison de la douleur et des difficultés pour avaler ;
mais dans l’angine, la gorge est rouge, le trismus peut être vaincu et
il n’y a pas de paroxysme spontané ou provoqué de ce trismus.
En
revanche, dans un cas comme dans l’autre, il y a de la fièvre ;
– le phlegmon de l’amygdale : le trismus est unilatéral sans
contracture paroxystique et survient dans un contexte infectieux
sévère.
L’examen de la gorge montre l’abcès amygdalien, la
température est à 40 °C, il existe une hyperleucocytose ;
– l’arthrite temporomaxillaire : le trismus est unilatéral, très
douloureux.
La douleur est augmentée par les mouvements du
maxillaire ;
– les accidents de dents de sagesse : le trismus est unilatéral, il
n’existe pas d’épisode d’exacerbation spontané ou provoqué.
Ce
trismus évolue par poussées successives ;
– les parotidites uni- et surtout bilatérales (oreillons) : il existe un
comblement rétromandibulaire soulevant le lobe de l’oreille,
douloureux à la palpation, il n’y a pas de contracture des masséters ;
– les lésions ischémiques du pied de la protubérance cérébrale : il
existe un trismus intermittent entrecoupé de bâillements ;
– les dyskinésies précoces aux neuroleptiques peuvent présenter un
trismus mais dans le cadre de mouvements de rotation de la tête et
des yeux autour d’un axe.
Il s’agit d’un trismus paroxystique
prédominant d’un côté entrecoupé de phases de relâchement
complet ;
– les intolérances aux neuroleptiques, mais il s’agit de contractures
plus généralisées, vincibles, sans épisode paroxystique et indolores ;
– la raideur de nuque douloureuse qui accompagne le trismus peut
parfois faire suspecter une méningite mais il n’existe pas de
syndrome confusionnel ;
– enfin, la maladie sérique pose souvent un problème difficile ; elle
fait suite à une injection de sérum antitétanique au décours de la
prise en charge d’une plaie tétanigène ; elle risque de faire errer le
diagnostic lorsque apparaissent, au 10e jour, fièvre et contractures.
C’est une maladie qui doit disparaître en même temps que la
disparition de la sérothérapie par sérum qui n’a plus d’indication.
3- Évolution du trismus
:
Si cette phase de trismus dure quelques jours, un regard attentif
pourra noter le faciès un peu particulier des patients atteints de
tétanos dit « faciès sardonique » dû à la contracture des muscles
peauciers de la face qui vont figer la mimique en accentuant les
rides.
Cet aspect est très spécifique du tétanos mais difficile à
apprécier chez les patients âgés.
C - TÉTANOS LOCALISÉS
:
Une autre difficulté de diagnostic est représentée par les tétanos
localisés.
Rares, ils correspondent le plus souvent soit à des tétanos
à point de départ localisé soit à des tétanos survenant chez des
patients ayant subi une vaccination incomplète ou trop ancienne.
1- Tétanos céphalique de Rose
:
Secondaire à une plaie de la face, il se caractérise par l’apparition
d’une paralysie faciale périphérique ou d’une paralysie oculaire.
Le
trismus est unilatéral, au moins au début, plus difficile à
reconnaître ; en principe, il est de meilleur pronostic car il donne
plus rarement des crises de contracture généralisée.
2- Tétanos ophtalmoplégique de Worms
:
Secondaire à une plaie de l’orbite ou des paupières, il se manifeste
par des paralysies oculaires touchant surtout la IIIe paire crânienne.
3-
Tétanos localisé à un membre :
En général siège de la blessure, il se caractérise par des contractures
localisées et ne donne pas de contracture généralisée.
Il s’agit le plus
souvent de tétanos de bon pronostic survenant chez des patients
ayant déjà eu une vaccination, mais incomplète.
D - CONTRACTURES GÉNÉRALISÉES
:
La première crise de contractures généralisées va confirmer le
diagnostic de tétanos s’il n’avait déjà été porté et justifié le transfert
du patient en service de réanimation où sera entrepris le traitement
symptomatique des troubles respiratoires, des contractures et du
syndrome dysautonomique cardiocirculatoire dans les formes les
plus graves.
Le traitement est purement symptomatique, il n’a
aucune efficacité sur la durée de la maladie qui est de 3 semaines en
moyenne après la première crise généralisée.
Le traitement a pour
but de limiter les crises de contractures généralisées douloureuses et
de prévenir les complications respiratoires ou cardiovasculaires.
Un
parage soigneux de la plaie tétanigène est indispensable.
Ce traitement, malgré l’amélioration des moyens de la réanimation,
n’empêche pas une mortalité encore extrêmement importante (entre
10 et 50 % des patients dans les pays à haut niveau de vie), d’où
l’importance des mesures de prévention.
Prévention du tétanos
:
Le traitement préventif du tétanos est aussi efficace que bien toléré.
Seule la négligence des médecins et des patients peut expliquer que
cette maladie, au pronostic redoutable, n’ait pas disparu.
Le traitement préventif comporte trois volets :
– le traitement de la plaie suspecte d’être tétanigène ;
– le traitement préventif des patients à haut risque de tétanos
(victime d’une plaie tétanigène) ;
– la prévention à long terme du tétanos.
A - TRAITEMENT DES PLAIES TÉTANIGÈNES
:
Ce sont toutes les plaies complexes anfractueuses, peu
hémorragiques et souillées de terre qui permettent le développement des germes telluriques, anaérobies. Toutes ces plaies doivent être
soigneusement nettoyées avec ablation des corps étrangers et des
tissus nécrotiques.
On peut recommander l’utilisation de l’eau
oxygénée étant donné qu’il s’agit d’un germe anaérobie strict.
L’utilisation d’antibiotiques de la famille des b-lactamines, si le
patient n’est pas allergique, peut limiter la pullulation d’une flore
commensale qui, en accentuant l’anaérobiose, permet au bacille
tétanique de quitter sa forme sporulée végétative pour libérer sa
toxique neurotrope.
De même, dans le tétanos déclaré, le parage correct du foyer
tétanique est indispensable pour permettre la guérison du tétanos.
Parage qui, parfois, pourra aller jusqu’à l’amputation d’un membre
artéritique siège d’une plaie tétanigène, impossible à stériliser.
B - PRÉVENTION À COURT TERME
:
Elle concerne les patients à haut risque de tétanos, c’est-à-dire les
patients porteurs d’une plaie fortement tétanigène qui n’ont jamais
eu de vaccination antitétanique correcte ou qui sont incapables de
savoir la date de leur dernière vaccination.
La sérothérapie utilisée pendant de nombreuses années doit être
totalement et définitivement abandonnée en raison des risques
d’accident allergique et en particulier de maladie sérique.
Elle est
remplacée à l’heure actuelle par l’administration de gammaglobulines
humaines au risque allergique pratiquement inexistant.
Elles ont toutefois l’inconvénient d’être coûteuses et leur rôle dans
la prévention du tétanos n’a jamais été démontré.
Toutes les études portant sur le dosage des anticorps antitétaniques
pour prédire le degré de protection des patients vis-à-vis du tétanos
n’ont pas réussi à mettre en évidence une relation entre protection
antitétanique et taux d’anticorps.
Dans ces conditions, l’utilisation
de gammaglobulines ne peut pas se substituer à un parage correct
des plaies et surtout à une prévention à long terme par une
vaccination correcte.
C - PRÉVENTION AU LONG COURS
:
Elle fait appel à la vaccination par l’anatoxine de Ramon mise au
point en 1923.
Parfaitement bien supportée, sans contre-indication
en dehors de très exceptionnelles réactions allergiques, elle nécessite,
pour être efficace, deux ou trois injections avec un intervalle de 3 à
6 semaines et un rappel à 1 an.
Ce n’est qu’à l’issue de ce rappel que
la protection est réelle et durable.
Malgré la simplicité de cette vaccination, les études
épidémiologiques montrent qu’une protection efficace n’existe que
chez moins de 70 % des patients de plus de 6 ans avec une
diminution de cette protection avec le temps.
En effet, elle atteint
près de 90 % de la population entre 6 et 11 ans, ne dépasse pas 28 %
des sujets de plus de 70 ans.
Ceci explique que cette catégorie
d’âge continue à payer un trop lourd tribut à cette maladie.
Une politique volontariste de vaccination antitétanique est
nécessaire, d’autant que la disparition du service militaire fait
disparaître un moment de la vie chez l’homme où le contrôle de
cette vaccination était effectué.
Cet effort de vaccination doit porter
tout particulièrement sur la population rurale à bas niveau de vie
qui échappe le plus, actuellement, à la vaccination.
Un effort tout particulier doit porter sur une primovaccination
complète correcte, car les cas de tétanos sont exceptionnels dans la
population qui a reçu une fois dans sa vie une vaccination correcte.
Une injection de rappel même 25 à 30 ans après une première
vaccination correcte permet une montée rapide et efficace des
anticorps en cas de risque tétanique.
À l’heure actuelle, la plupart des auteurs retiennent l’intérêt d’un
rappel tous les 10 ans ; toutefois, un rappel à 50 ans pourrait être
suffisant si le patient a été correctement vacciné dans l’enfance et a
reçu un rappel à l’adolescence.
Des rappels plus rapprochés ne sont
pas justifiés, et ont même été rendus responsables de neuropathies
du plexus brachial toutefois exceptionnelles (entre 0,5 et 1 cas pour
100 000 vaccinés).
Toutefois, les dangers liés à une hypervaccination sont beaucoup trop hypothétiques pour faire
renoncer à une injection d’anatoxine si l’on n’obtient pas la certitude
d’une vaccination antitétanique à jour.
La vaccination contre le tétanos peut et doit être associée à la
vaccination contre la diphtérie dont la réapparition dans les pays à
bas niveau sanitaire peut faire craindre sa dissémination ou le retour
dans les pays où la diphtérie a été éradiquée.
Conclusion
:
Le tétanos, même s’il est devenu une maladie exceptionnelle, ne devrait
plus exister car une vaccination ancienne, parfaitement bien tolérée,
offre une protection efficace à un coût extrêmement faible.
Il est donc
nécessaire qu’un effort soit fait et maintenu pour que tout le monde
puisse être au moins une fois dans sa vie correctement vacciné.
Toute
consultation chez le médecin généraliste ou dans un service d’urgence
devrait amener le médecin à faire le bilan de l’état de vaccination de son
patient.
En cas d’absence de renseignement ou de renseignements
incertains, une injection de rappel doit être pratiquée ; il n’y a pas de
contre-indication.
En cas de terrain atopique, la technique de Besredka
(injection fractionnée sous surveillance clinique) a été proposée.
Devant une plaie tétanigène, un parage soigneux sera réalisé.
Si la vaccination est à jour, il n’y a pas d’autre prévention à réaliser.
Si
la vaccination est inexistante ou douteuse on pourra réaliser une
injection de gammaglobulines spécifiques et une injection d’anatoxine,
seul moyen de prévenir le tétanos à long terme.
Deux sites d’injection
différents doivent être utilisés. L’anatoxine tétanique est injectée en
premier.
Toute suspicion de tétanos (trismus bilatéral) justifie une
hospitalisation, en urgence, dans une unité proche d’une unité de
réanimation pour bilan, à la recherche d’une porte d’entrée et
vérification de l’état vaccinal du patient.
L’apparition de contractures
généralisées doit faire immédiatement transférer le patient en
réanimation.
Les médecins doivent continuer à craindre cette maladie et en connaître
les signes de début pour que la mortalité diminue.
Le tétanos reste une maladie à déclaration obligatoire.