Le tétanos a pratiquement disparu des pays pourvus
d’un bon programme de vaccination.
La maladie y est
rare mais reste grevée d’un taux de mortalité élevé
(30 % en France en 1997) car elle survient le plus souvent
sur des terrains fragilisés.
Vingt-neuf cas de tétanos
généralisé ont été déclarés en France en 1997 (Institut
de veille sanitaire), 86 % concernaient des sujets âgés de
plus de 70 ans, plus souvent des femmes.
Entre janvier
et novembre 1998, l’Institut de veille sanitaire a enregistré
19 cas de tétanos généralisé.
Pour les pays de bas niveau
socio-économique, notamment africains, le tétanos
demeure un réel problème de santé publique.
La prise en
charge est lourde et onéreuse et la couverture vaccinale
est très insuffisante (expliquant l’atteinte privilégiée des
nouveau-nés, des enfants et des adultes jeunes sans prédominance
de sexe).
Grâce à des campagnes de vaccination
à grande échelle, l’UNICEF a enregistré ces dernières
années une baisse significative des cas de décès
par tétanos chez les nouveau-nés (360 000 en 1990
contre 224 000 en 1998), mais le tétanos reste dans les
pays en développement une cause fréquente de décès.
Physiopathologie
:
Le germe en cause est le Clostridium tetani ou bacille de
Nicolaïer.
Bacille gram-positif anaérobie strict, il s’agit
d’une bactérie ubiquitaire, commensale du tube digestif de plusieurs espèces animales (bovins) et plus rarement
de l’homme.
Après élimination de la bactérie dans les
fèces, celle-ci persiste dans la terre sous une forme sporulée,
très résistante aux facteurs physico-chimiques.
Après une effraction cutanéo-muqueuse et pénétration
de la spore dans l’organisme, sa transformation en une
forme végétative est favorisée par une diminution du
potentiel d’oxydoréduction local (par ischémie, nécrose
tissulaire ou présence d’un corps étranger).
La forme
végétative est responsable de la maladie, mais le tétanos
ne survient que chez les sujets non ou mal vaccinés.
Après pénétration, la bactérie reste localisée au point
d’inoculation, lieu de libération des toxines lors de l’autolyse
bactérienne.
Il existe 2 toxines différentes : la tétanolysine, qui ne semble pas avoir de rôle dans la
symptomatologie, et la tétanospasmine, cause du syndrome
tétanique.
Le tétanos est en effet une toxiinfection
neurotrope, la participation infectieuse de la
bactérie elle-même étant minime.
La tétanospasmine est
clivée en 2 fragments par une protéase bactérienne.
La
chaîne légère, ou fragment A, bloque la libération des
neurotransmetteurs : c’est le fragment actif.
Le fragment
B permet la fixation de la toxine aux cellules nerveuses.
La tétanospasmine, appelée toxine tétanique est une
exotoxine protéique qui pénètre dans l’axone au niveau
de la plaque motrice via une vésicule d’endocytose.
Elle
poursuit ensuite un trajet rétrograde intra-axonal vers la
corne antérieure de la moelle jusqu’à la première synapse
des fibres motrices.
Après franchissement de l’espace inter-synaptique, la toxine est transportée jusqu’au système
nerveux central où elle s’accumule au niveau de
la terminaison présynaptique des fibres inhibitrices
des motoneurones.
Elle bloque ainsi la libération des
neurotransmetteurs inhibiteurs
– GABA (acide gammaamino-butyrique) et glycine
– ce qui provoque une désinhibition centrale des motoneurones a. Les neurones
sont anormalement excitables et il apparaît des contractures
musculaires anarchiques.
La levée de l’inhibition
des motoneurones concerne également l’innervation
réciproque et il existe donc des contractures simultanées
des muscles agonistes et antagonistes.
Diagnostic :
Il s’agit d’un diagnostic clinique : les explorations complémentaires
sont inutiles et retarderaient le transfert du
patient en unité de soins intensifs.
Toute effraction cutanéomuqueuse
peut être en cause, la porte d’entrée n’étant parfois pas retrouvée.
Le plus souvent, il s’agit de plaies
minimes (type écharde) ou négligées, parfois de plaies
chroniques telles que les ulcères variqueux et artériels,
les tumeurs cutanées nécrosées.
Dans les pays en
développement, l’absence de vaccination des mères
et dans certains cas l’application de substances sur
la plaie ombilicale à la naissance lors de rituels sont
responsables du tétanos néonatal. Il en va de même pour
les plaies liées à la circoncision, l’excision, et les
injections intramusculaires, notamment de quinine
(produit provoquant une ischémie tissulaire favorisant
la diminution du potentiel d’oxydoréduction).
On peut
enfin citer les cas de tétanos post-partum, post-abortum
et postopératoires.
Trismus
:
Dans la majorité des cas, le trismus qui apparaît
après une incubation moyenne de 15 jours est le
premier symptôme de la maladie.
Le trismus correspond
à une contraction des muscles masséters et temporaux
qui se manifeste par une limitation de l’ouverture
buccale progressivement croissante, aboutissant à terme
à l’impossibilité de s’alimenter et de parler.
Toute
tentative d’ouverture de la bouche aggrave la symptomatologie.
Il s’agit du signe classique de l’abaisselangue
captif (l’examen buccal avec un abaisse-langue
provoque une contracture invincible des muscles de la
mandibule).
Le trismus du tétanos est par ailleurs peu
douloureux, bilatéral, permanent et ne s’accompagne
pas ou peu de fièvre.
La conscience est parfaitement
conservée.
Les diagnostics différentiels de trismus sont des diagnostics
d’élimination.
Dans les causes locales, plus
l’atteinte est postérieure, plus le trismus est intense ;
il est dans ce cas unilatéral et atypique.
1- Causes locales :
• Causes infectieuses : elles regroupent les atteintes
d’origine dentaire (atteinte des molaires principalement),
amygdalienne (phlegmon de la loge amygdalienne),
cervico-faciale (ostéite, gingivite) et l’arthrite temporo-mandibulaire.
Cette dernière peut être satellite
d’un foyer infectieux, réactionnelle à une infection
gonococcique, d’origine rhumatismale ou secondaire à
une sérothérapie hétérologue.
• Causes traumatiques : elles concernent les atteintes
des muscles élévateurs de la mandibule, directe par
embrochement ou par contiguïté lors d’un hématome, et
les atteintes de l’articulation, notamment dans les fractures
condyliennes.
• Causes tumorales : elles sont primitives ou métastatiques,
mais le trismus en est une manifestation tardive.
2- Causes générales
:
Il faut retenir : les atteintes protubérantielles d’origine
vasculaire, dégénérative, tumorale ou infectieuse ; l’intoxication
par la strychnine ; les neuroleptiques.
Évolution initiale
:
Après les muscles masséters, les contractures s’étendent
aux muscles superficiels de la face et du cou caractérisant
le rictus sardonique (le patient semble sourire).
L’invasion est le temps écoulé entre le 1er symptôme et
l’atteinte des muscles de la nuque et du tronc.
Quand ces
groupes musculaires sont atteints, le tétanos est dit
généralisé.
L’extension progresse vers les muscles paravertébraux
donnant une intense lordose lombaire (ou
opisthotonos) permettant classiquement de passer une
main entre le lit et le dos du patient.
L’atteinte des
muscles thoraciques limite les mouvements respiratoires.
La rigidité des muscles abdominaux est similaire
à la contracture abdominale de la péritonite et peut faire
hésiter le diagnostic entre péritonite et tétanos après une
chirurgie abdominale.
Les membres supérieurs sont en
flexion, les membres inférieurs en extension.
La contracture des muscles striés est permanente mais
ne constitue pas la seule manifestation du tétanos.
Des
spasmes musculaires paroxystiques peuvent apparaître
soit d’emblée (il s’agit alors d’un élément de mauvais
pronostic) soit secondairement, quand le tétanos est
généralisé.
Ils sont le plus souvent localisés sur le
membre où se situe la plaie.
Les spasmes toniques sont
déclenchés et exacerbés par des stimulations physiques
comme le bruit, la lumière, les efforts de déglutition et la
mobilisation du patient.
Ils sont brefs mais douloureux
et dans des cas sévères, leur répétition rapprochée
conduit à un état de mal tétanique.
Les spasmes musculaires
au niveau des tractus digestif et respiratoire sont
responsables de manifestations graves, voire fatales
telles que :
– la dysphagie, qui s’aggrave lors des stimulations
mécaniques (mastication, déglutition, sonde nasogastrique),
et interdit toute alimentation orale ;
– la dyspnée et l’apnée, consécutives à un spasme musculaire
thoracique ou à un spasme de la glotte, peuvent
conduire à un arrêt respiratoire ;
– une hyperréactivité sympathique peut enfin apparaître
dans le tétanos généralisé, associant des sueurs
profuses, une hyperthermie, une tachycardie, des pics
hypertensifs, voire un collapsus cardiovasculaire.
Formes cliniques :
Le tétanos peut n’être localisé qu’à un segment du
corps, quel qu’il soit, et se généraliser secondairement.
L’atteinte isolée d’un membre est de bon pronostic mais
exceptionnelle.
• Le tétanos céphalique de Rose est provoqué par une
plaie de la face, il se manifeste par un trismus, une raideur
de nuque, et une paralysie faciale périphérique, le
plus souvent du même côté que la plaie (plus rarement
par une paralysie bilatérale si la plaie est médiane).
• Le tétanos ophtalmoplégique de Worms, secondaire à
une blessure au niveau de l’orbite se traduit cliniquement
par des paralysies oculomotrices et une paralysie
faciale périphérique, homolatérales à l’effraction cutanée.
• Le tétanos néonatal est fréquent dans les pays en
développement, et particulièrement grave, avec une
mortalité atteignant 80 %.
La contamination est le plus
souvent ombilicale. Le signe le plus précoce au 7e jour
est une difficulté à la succion.
La généralisation des
contractures ne diffère pas de la forme adulte.
Facteurs pronostiques
:
Les facteurs de mauvais pronostic ont été définis lors de
la Conférence internationale de Dakar.
En plus de l’âge
élevé et des tares viscérales associées, interviennent les
durées d’incubation et d’invasion, la porte d’entrée, la
présence de fièvre et (ou) de paroxysmes, et la fréquence
cardiaque.
Complications
:
A - Respiratoires :
La rigidité des muscles respiratoires est responsable de
troubles ventilatoires (encombrement bronchique, atélectasies).
Par ailleurs, le spasme glottique peut conduire
à l’arrêt respiratoire à tout moment.
Il faut enfin être
attentif aux complications habituelles de la ventilation
artificielle (pneumopathie nosocomiale, pneumothorax, pneumomédiastin, fistule oesotrachéale…).
B - Cardiovasculaires
:
Le syndrome dysautonomique est l’apanage des formes
les plus graves, il peut être la cause de mort subite
(trouble du rythme ventriculaire, bradypnée extrême…).
Les patients (surtout les plus âgés) sont également exposés
aux complications thromboemboliques, principales
causes de décès.
C - Infectieuses nosocomiales :
Il s’agit essentiellement des infections du parenchyme
pulmonaire favorisées par l’encombrement bronchique,
la diminution de l’ampliation thoracique, l’inefficacité
de la toux, les fausses routes, la paralysie diaphragmatique,
la ventilation mécanique et la sédation éventuelles.
Par ailleurs, les infections urinaires et les infections
sur cathéter sont fréquentes.
D - Métaboliques :
Elles sont liées à l’hypercatabolisme, provoquant une
dénutrition intense, et à la rhabdomyolyse.
E - Gastro-intestinales :
L’iléus paralytique et la dilatation gastrique sont
fréquents et aggravés par la sédation.
L’hémorragie
digestive sur ulcère de stress est plus rare.
F - Osseuses
:
Les fractures tassements des corps vertébraux sont rares
mais peuvent se voir dans les tétanos graves lors des
spasmes toniques.
Des ossifications para-articulaires
sont possibles.
Traitement
:
A - Curatif
:
Le traitement curatif est uniquement symptomatique.
Tout patient suspect de tétanos doit être transféré dans
un service de réanimation.
Tant que le patient n’est pas
sous sédatif, une ambiance calme et peu lumineuse est à
favoriser autant que possible.
L’alimentation entérale
(orale ou par sonde nasogastrique) est à proscrire au
moins dans un 1er temps.
La voie entérale est par contre
préférée en cas de ventilation artificielle.
Le traitement de la porte d’entrée est impératif (excision
de tissus nécrosés, parage de la plaie, ablation du corps
étranger).
La désinfection se fait par un dérivé iodé.
On
instaure également une antibiothérapie pour diminuer la
production de la toxine tétanique (pénicilline G ou métronidazole pendant 10 j).
La sérothérapie n’a pas d’effet sur la toxine déjà fixée,
son utilisation au cours du traitement curatif est controversée.
Au sérum hétérologue d’origine équine, on
préfère les immunoglobulines d’origine humaine, moins
allergisantes.
La voie intramusculaire est la plus utilisée,
la voie intrathécale n’ayant pas fait la preuve de sa
supériorité.
Par ailleurs, la vaccination antitétanique est débutée car
la maladie n’est pas immunisante (1re injection intramusculaire
d’anatoxine, 2e injection 1 mois plus tard).
Le traitement myorelaxant est l’un des principaux axes
de la prise en charge du tétanos.
Les benzodiazépines, et notamment le diazépam (Valium), sont très largement
utilisées pour le contrôle des spasmes.
Ce sont des molécules
myorelaxantes mais aussi anticonvulsivantes,
anxiolytiques et sédatives.
Si les spasmes ne sont pas
contrôlés, on peut avoir recours aux analgésiques centraux
(tels que le Fentanyl) et aux curares (bromure de pancuronium).
Ils nécessitent une assistance respiratoire
(intubation nasotrachéale ou trachéotomie) mise en
place au cours d’une anesthésie générale, pour limiter le
spasme glottique.
Certains traitements n’ont pas encore
fait totalement la preuve de leur efficacité :
– le baclofène intrathécal qui est GABA-agoniste permet
un contrôle des paroxysmes musculaires mais entraîne
une dépression centrale pouvant être responsable de coma
et de quadriplégie ; son utilisation reste discutée ;
– le dantrolène par voie intraveineuse est encore en cours
d’évaluation.
La prévention et le traitement des complications, notamment
infectieuses, sont primordiaux.
La prophylaxie de la
maladie thromboembolique est systématique par héparine
de bas poids moléculaire.
Le traitement du syndrome dysautonomique
fait appel aux b-bloquants et à la clonidine.
B - Préventif :
Il s’agit de la mesure la plus importante.
Le vaccin antitétanique
a une efficacité totale pendant 10 ans.
Le tétanos
ne concerne que les sujets non vaccinés ou n’ayant pas
effectué leur dernière injection de rappel.
Le vaccin est à
fraction antigénique, anatoxinique. L’exotoxine subit
une détoxification par le formol, la transformant en
anatoxine.
Elle perd alors son pouvoir toxique mais
conserve un pouvoir antigénique.
La vaccination est
obligatoire chez l’enfant (réalisable dès l’âge de 2 mois).
Le vaccin antitétanique est alors souvent associé aux
vaccins injectables contre la diphtérie, la poliomyélite,
la coqueluche et l’Hæmophilus influenzæ.
La vaccination
antitétanique est également obligatoire chez le
personnel de santé et chez les militaires. Elle est recommandée
chez l’adulte, notamment chez les sujets voyageant
ou séjournant dans les pays de bas niveau socioéconomique.
Ce vaccin n’a pas de contre-indication.
Chez l’enfant, on réalise 3 injections intramusculaires à
1 mois d’intervalle, puis un rappel à 1 an, un rappel tous
les 5 ans jusqu’à 21 ans, enfin tous les 10 ans. Pour un
adulte non vacciné, ou si le dernier rappel date de plus
de 10 ans, on propose une vaccination de 2 injections à
1 mois d’intervalle, puis rappel à 1 an, et tous les 10 ans
(sans limite d’âge).
En cas de plaie, il faut vérifier le statut vaccinal du
patient et réaliser le traitement de la porte d’entrée : nettoyage,
désinfection de la plaie, ablation des corps
étrangers, éventuelle exploration chirurgicale de la plaie
si besoin.
L’immunoprophylaxie doit être systématiquement
envisagée et adaptée à la situation.
Le tétanos est une maladie à déclaration obligatoire
(no 20). Seuls les cas de tétanos généralisé doivent être
signalés.
Le tétanos peut être reconnu comme maladie
professionnelle (travaux dans les égouts, et au contact d’animaux).
En France, les taux d’incidence et de mortalité
diminuent d’année en année grâce à une couverture
vaccinale importante.
Alors qu’il existe une vaccination
préventive efficace, le tétanos tue de nombreux enfants
et adultes dans les pays en développement, constituant
un véritable fléau.
Les spores de Clostridium tetani étant
ubiquitaires, leur éradication est impossible. Les efforts
doivent donc se porter sur la vaccination (de masse ou
ciblée sur les femmes enceintes).
La généralisation des
règles élémentaires d’asepsie (lavage des mains, stérilisation
du matériel chirurgical) et l’application de
topiques antiseptiques sur les plaies ombilicales sont
également essentielles, mais de réalisation pratique
difficile sur le terrain.