Tabagisme et maladies vasculaires

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Introduction :

Le tabagisme est le problème majeur de santé publique.

Il est responsable, en France, d’une mortalité très importante : 60 000 morts par an en 1990 (10 % de la mortalité globale), certainement près de 80 000 dans les années 2000.

La morbidité est considérable avec des affections très invalidantes et très coûteuses :

cancers (un tiers d’entre eux n’existeraient pas en l’absence du tabac), bronchopneumopathies chroniques (plus de 10 000 morts par an) et accidents vasculaires de toutes localisations : selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le tabac est responsable de 20 à 25 % des décès d’origine cardiovasculaire.

Le coût médicosocial est considérable, pratiquement égal à ce que rapportent par an à l’État les taxes sur le tabac évaluées à plus de 10 milliards d’euros (plus de 60 milliards de francs).

Tabagisme et maladies vasculaires

Le rôle du tabac, avant tout de la cigarette, dans la genèse des accidents vasculaires d’origine artérielle est très important ; il a été établi depuis les années 1960 et récemment confirmé et authentifié dans le rapport TransAtlantic Inter-Society Consensus (TASC) publié en mars 2000.

Le tabagisme y est reconnu comme étant le premier facteur de risque vasculaire et en particulier des gros troncs des axes jambiers avec développement de l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI).

Cette maladie, trop souvent tardivement dépistée, est considérée comme un marqueur précoce du risque artériel coronarien et carotidien.

L’hyperglycémie du diabète est pour cette affection, après le tabac, le deuxième facteur de risque bien avant l’hypercholestérolémie et l’hypertension artérielle (HTA).

Puis viennent la surcharge pondérale, la sédentarité, et les facteurs inévitables : l’âge, le sexe et l’hérédité.

Lorsque plusieurs de ces éléments sont présents, ils multiplient leurs effets nocifs.

Mécanisme de la nocivité vasculaire de la fumée du tabac :

Tous les constituants de la fumée du tabac jouent un rôle dans la survenue des accidents.

– L’absorption de nicotine est suivie d’une activation du système sympathique avec augmentation des catécholamines circulantes, accélération du pouls, augmentation des besoins en oxygène, vasoconstriction périphérique et risque de troubles du rythme ventriculaire.

La nicotine est la principale substance responsable de la dépendance.

– Si la fumée est inhalée, il y a absorption de l’oxyde de carbone (CO), formation de carboxyhémoglobine (COHb) pouvant atteindre le taux de 5 à 20%, facteur majeur d’hypoxie et donc de lésions de la cellule endothéliale, stade initial de l’athérosclérose.

– Les « irritants » (acroléïne, phénols…) sont une source d’infection bronchique chronique.

Celle-ci est une des causes possibles de l’augmentation du fibrinogène plasmatique et de phénomènes inflammatoires dont le rôle dans l’athérogenèse est maintenant établi.

– Les multiples hydrocarbures polycycliques cancérigènes peuvent également intervenir en favorisant la prolifération des cellules musculaires lisses : le benzopyrène accélère le développement de l’athérosclérose expérimentale.

– Enfin, la présence de multiples substances à action oxydante intervient en favorisant la peroxydation des low density lipoproteins (LDL), dont le rôle athérogène est considéré actuellement comme primordial et facteur essentiel dans la genèse des accidents thrombotiques : la maladie athérothrombotique ou athérothrombose.

La dysfonction endothéliale est l’élément initial de la réaction thrombotique associé à l’athérosclérose.

Elle résulte de l’agression de la cellule endothéliale par des facteurs multiples : hypercholestérolémie, hyperglycémie et nicotine.

Tous ont en commun le stress oxydatif par formation ou apports exogènes de radicaux libres (RL).

L’inhalation de fumée de tabac apporte à l’organisme des RL : anions superoxydes, CO, aldéhydes non saturés.

Elle lèse également dans les tissus bronchopulmonaires les phagocytes qui libèrent des molécules oxydantes.

La cellule endothéliale lésée perd une de ses propriétés essentielles, la sécrétion de NO (décrit initialement comme l’endothelium relaxing factor : EDRF), responsable sous l’action de l’acétylcholine, de la relaxation des muscles lisses des artérioles.

Cette vasodilatation disparaît chez les fumeurs (même chez ceux exposés à un tabagisme passif important).

Elle est remplacée par une vasoconstriction.

Il y a également réduction de la formation de prostacyclines vasodilatatrices et du facteur de Willebrand avec pour conséquence l’hyperadhésivité des plaquettes.

La production de cytokines pro-inflammatoires est également augmentée avec hyperadhésion des monocytes et oxydation des lipoprotéines (LP) aboutissant à la formation de LP peroxydées très athérogènes.

Parallèlement, les substances antioxydantes sont utilisées en excès et leur concentration plasmatique diminue : c’est le cas de la vitamine C, de la vitamine E, du sélénium, du glutathion réduit…

Il est donc très important, si le fumeur ne peut pas réussir à arrêter, de lui fournir une supplémentation de substances antioxydantes : vitamines C et E, sélénium, autres oligoéléments, en complément d’un apport suffisant en végétaux frais.

Par des mécanismes divers, il se produit ainsi chez les fumeurs des perturbations plasmatiques et globulaires, facteurs d’athérosclérose et surtout d’accidents thrombotiques.

C’est le nouveau concept d’athérothrombose comportant :

– des modifications plaquettaires avec hyperagrégabilité, hyperadhésivité et augmentation du facteur IV plaquettaire : il faut en rapprocher l’augmentation du taux de thromboxane urinaire ;

– une élévation du taux de fibrinogène plasmatique, à la fois un des principaux marqueurs du risque athérogène et lui-même un facteur de risque thrombotique ;

– un trouble de l’équilibre lipidique, avec baisse du cholestérol HDL et élévation des LDL oxydés ;

– une polynucléose et une polyglobulie, une diminution de la déformabilité érythrocytaire, qui sont toutes des facteurs d’hyperviscosité sanguine et d’accidents ischémiques.

Les fumeurs à forte consommation ont une altération du goût et de l’odorat ; il en résulte une modification du type de leur alimentation : pour retrouver la sapidité des mets, ils consomment plus de plats cuisinées gras et en sauce, mangent plus salé et plus sucré et boivent plus d’alcool que les non-fumeurs ; leurs apports en fruits et légumes et donc en vitamines C et E sont moindres ; dans l’ensemble, se retrouvent toutes les caractéristiques d’une alimentation athérogène ; ceci est confirmé par les taux plasmatiques des substances oxydantes, de la vitamine C, du b-carotène, de la vitamine E, qui sont significativement réduits chez les fumeurs.

Enfin, les fumeurs ont une moindre activité physique dont on sait le rôle protecteur vis-à-vis de l’athérosclérose.

Ainsi, les mécanismes par lesquels le tabac est responsable d’une atteinte vasculaire sont-ils multiples ; il agit sur tous les processus responsables de l’athérogenèse, des accidents thrombotiques et des troubles du rythme cardiaque.

Ces diverses anomalies sont en corrélation avec l’intensité et la durée du tabagisme.

Elles disparaissent plus ou moins rapidement après l’arrêt de l’intoxication.

Complications vasculaires du tabagisme :

L’athérosclérose tabagique atteint en priorité les artères de gros et moyen calibres à fortes résistances périphériques (coronaires, artères musculaires des membres inférieurs), bien avant les carotides où le facteur de risque dominant reste l’HTA.

A – ARTÉRIOPATHIE DES MEMBRES INFÉRIEURS :

Le rôle du tabagisme est majeur dans l’AOMI : 90 % des sujets atteints sont de gros fumeurs ; le risque croît proportionnellement avec l’ancienneté et l’importance du tabagisme.

Une consommation de 20 cigarettes par jour multiplie par 5 le risque lié à la présence des autres facteurs, principalement la cholestérolémie et le diabète.

Le maître-symptôme depuis la classification de Leriche et Fontaine reste la claudication intermittente (CI).

Le rapport TASC montre que le taux de mortalité générale est considérablement plus élevé chez les patients présentant une CI par rapport au groupe témoin, toutes pathologies confondues.

Ainsi, l’AOMI est considérée comme un marqueur précoce des maladies vasculaires.

Les patients avec une CI vont mourir davantage d’atteintes cérébrales (11 % contre 4 %) et cardiaques (55 % contre 36 %) que l’ensemble de la population générale audessus de 40 ans d’après une étude épidémiologique allemande (Federal Statistical Office of Germany, en 1996).

La recherche systématique d’une CI reste indispensable chez tous les fumeurs à forte consommation à partir de 40 ans.

Mais le même rapport TASC montre que la sensibilité du questionnaire de Rose admis par l’OMS pour le diagnostic de la CI est très variable d’une étude à l’autre, allant de 9 à 92%!.

Or, la mesure très facile de l’index de pression systolique cheville/humérale (IPS) réalisée avec un modèle simple d’appareil doppler a une sensibilité toujours supérieure à 95 % et une spécificité de 100 % dès que l’index est inférieur à 0,90.

C’est donc le moyen diagnostique le plus fiable et qui devrait être généralisé.

Le dépistage précoce des AOMI en serait nettement amélioré et permettrait alors une prévention efficace des accidents ischémiques aigus, particulièrement fréquents et graves chez les fumeurs.

L’ influence sur le tabagisme est également très importante dans l’athérosclérose du carrefour aortique et de l’aorte abdominale comme l’ont bien établi les études anatomiques et radiologiques systématiques.

La principale traduction clinique de cette localisation peut être une impuissance chez l’homme. L’athérosclérose aortique peut maintenant être dépistée précocement grâce à l’échographie abdominale, qui détecte les plaques et les ectasies débutantes.

Les facteurs responsables des anévrismes de l’aorte sont multiples : le tabac n’est pas la seule cause, mais il joue toujours un rôle aggravant et, là encore, l’arrêt du tabac est un élément important du pronostic.

L’athérosclérose aortique peut également être un facteur d’HTA secondaire, lorsque les lésions diffusent vers les artères rénales.

Un tabagisme important est présent dans près de 90 % des cas d’HTA par sténose de l’artère rénale.

Ainsi, chez un hypertendu fumeur, devant une HTA devenue résistante au traitement ou brusquement aggravée, ou devant une HTA ancienne, avec survenue de signes rénaux comme une protéinurie, une augmentation de la créatininémie, l’hypothèse d’une sténose de l’artère rénale doit être envisagée et l’intervention décidée pour abaisser la pression artérielle et pour préserver la fonction rénale.

B – ACCIDENTS CORONARIENS :

Pour l’athérosclérose coronarienne, le tabagisme intervient surtout en liaison avec l’hypercholestérolémie et l’HTA ; sa présence multiplie par 2 l’influence des autres facteurs de risque, dont l’association aboutit à une multiplication exponentielle des accidents.

Par exemple, chez un sujet qui associe une cholestérolémie supérieure à 2,6 g/L, une pression artérielle systolique supérieure à 160 mmHg et un tabagisme à plus de 20 cigarettes par jour, le risque coronarien sur 10 ans est multiplié par 10 par rapport aux sujets indemnes de ces différents risques.

Outre son rôle athérogène, la responsabilité du tabagisme est majeure dans les accidents aigus, en raison de son action thrombogène, vasoconstrictive et surtout arythmogène.

La fréquence des infarctus du myocarde et des accidents d’ischémie coronarienne est très significativement augmentée chez le fumeur.

L’influence du tabac est ici majeure et il est retrouvé très souvent dans les accidents coronariens aigus avant 45 ans.

Sur un enregistrement Holter systématique pratiqué chez des coronariens, pour les fumeurs à plus de 20 cigarettes par jour, les épisodes d’ischémie myocardique caractérisés par un accès de sous-décalage de ST sont à la fois plus importants et plus durables que chez les non-fumeurs.

Il faut rapprocher de ce fait le risque de mort subite par trouble du rythme ventriculaire, dont la fréquence est multipliée par 10 chez le fumeur à partir de 15 cigarettes par jour.

Ce risque est tout particulièrement important à prendre en considération chez les sujets de plus de 40 ans, qui pratiquent ou se remettent à pratiquer une activité sportive et chez lesquels le tabagisme est alors particulièrement dangereux.

C – ACCIDENTS VASCULAIRES CÉRÉBRAUX (AVC) :

Le poids du tabagisme dans la survenue des AVC est moindre et cet effet nocif a été longtemps méconnu.

Le tabagisme intervient cependant dans les AVC principalement d’origine ischémique et embolique, par emboles à partir de sténoses et de plaques d’athéromes carotidiennes.

Chez l’homme, dans une étude cascontrôle, le risque relatif est multiplié par 5,5 par la présence d’un tabagisme à 10 cigarettes par jour et plus ; le risque ne régresse que lentement et demande 10 ans pour s’annuler.

Chez la femme, dans une étude prospective sur 8 ans, dans un milieu d’infirmières, le risque relatif est de 2,5 pour 1 à 14 cigarettes par jour, de 3,8 pour plus de 25 et de 4,7 pour plus de 40 cigarettes par jour.

Néanmoins, pour ces accidents, le principal facteur reste l’élévation de la pression artérielle.

Pour les accidents coronariens et vasculaires cérébraux, il faut souligner la nocivité de l’association tabagisme-contraception par oestroprogestatifs, responsable d’accidents aigus particulièrement graves.

Chez la femme jeune, avant la ménopause, les accidents coronariens sont très rares ; la présence d’un tabagisme à plus de 10 cigarettes par jour multiplie le risque par 5 et l’association tabagisme à 20 cigarettes par jour + oestroprogestatifs par 23.

La nocivité importante de cette redoutable association s’explique au moins en partie par une action voisine des oestrogènes et du tabagisme sur divers facteurs de l’hémostase et sur les perturbations lipidiques.

Cette association, en plus des accidents vasculaires, peut également être à l’origine d’HTA maligne, de microangiopathie thrombotique avec insuffisance rénale aiguë et aussi d’une augmentation du risque de thrombose veineuse.

D – HYPERTENSION ET MICROCIRCULATION :

Le tabagisme a une influence directe sur l’HTA elle-même.

Chaque cigarette fumée s’accompagne de modifications vasomotrices aiguës, liées à l’action de la nicotine.

Celle-ci stimule la sécrétion de vasopressine et de catécholamines, avec pour conséquence des modifications cardiovasculaires et métaboliques bloquées par les inhibiteurs adrénergiques.

Le fait de fumer une cigarette entraîne une élévation tensionnelle, avec augmentation moyenne de 11 mm pour la pression artérielle systolique (PAS) et de 9 mm pour la diastolique (PAD).

Cette élévation se prolonge pendant 20 à 40 minutes, avec parallèlement une accélération du pouls de l’ordre de plus de 40 % en moyenne.

Des modifications de la microcirculation sont également présentes, bien évaluées par le laser-doppler à la pulpe du doigt ; le flux microcirculatoire cutané est réduit de façon rapide dès les premières bouffées et la chute du débit se maintient pendant tout le temps où la cigarette est fumée.

E – AUTRES LOCALISATIONS :

Le caractère diffus des atteintes artérielles explique que les localisations de la maladie athérothrombotique puissent être variées.

– Les atteintes des artères digestives, en particulier celles du tronc coeliaque, de l’intestin grêle peuvent être à l’origine de syndromes abdominaux aigus souvent trompeurs, nécessitant des interventions d’urgence.

L’existence d’autres localisations artérielles et la présence de facteurs de risque vasculaires permettent d’orienter le diagnostic.

– Les appareils oculaires et auditifs peuvent être atteints, le plus souvent chez le sujet âgé polyvasculaire ; ces manifestations peuvent témoigner d’accidents ischémiques transitoires : phosphènes, acouphènes, amaurose, surdité brutale.

– Le diabète, qu’il soit de type I ou de type II, constitue un facteur favorisant pour toutes les localisations de l’athérosclérose, surtout pour les coronaires et pour les artères des membres inférieurs, tant proximales que distales.

Le tabagisme complique de façon constante le diabète.

Dans le diabète de type II, les anomalies de la microalbuminurie, de l’HbA1c, du fibrinogène sont aggravées par la présence d’un tabagisme ; il en est de même en cas de néphropathie et de rétinopathie.

Dans le diabète insulinodépendant, les fumeurs ont une glycémie plus instable et les épisodes acidocétoniques sont plus nombreux, sans doute en raison des variations de la résorption de l’insuline sous-cutanée.

Chez les hypertendus fumeurs, la glycémie à jeun et l’HbA1c sont plus élevées que chez les non-fumeurs, avec une augmentation de l’insulinorésistance.

– Maladie de Buerger (cf article de l’Encyclopédie médicochirurgicale) : la thromboangéite oblitérante ou maladie de Buerger est une atteinte inflammatoire des artères et des veines distales des membres supérieurs et inférieurs.

Le tabagisme joue un rôle essentiel dans l’étiologie de cette affection : il y a toujours une consommation importante de cigarettes avec une forte dépendance.

Cette affection est largement prédominante chez l’homme, mais se voit maintenant également chez la femme, avec l’extension rapide du tabagisme féminin. Aucun traitement n’est réellement efficace tant que le sevrage tabagique n’a pas été obtenu.

Malgré l’évidence du risque et les incitations, la motivation de ces sujets à l’arrêt du tabac reste faible et les rechutes à court terme et moyen terme sont très fréquentes.

Les mécanismes par lesquels la fumée de tabac est responsable de cette angéite inflammatoire ne sont pas connus.

Les processus en cause dans l’athérosclérose ne jouent qu’un rôle mineur : la nature des lésions suggère la possibilité de manifestations immunitaires : une antigénicité croisée entre certaines molécules du collagène et des glycoprotéines de la feuille de tabac est une des hypothèses à l’étude.

– Cannabis et lésions artérielles : l’usage du cannabis est actuellement de plus en plus fréquent chez l’adolescent et chez l’adulte jeune.

En France, il est essentiellement fumé sous deux formes : le plus souvent la résine (haschich) qui doit être associée à du tabac séché pour pouvoir brûler ; la marijuana (herbe) est constituée par les feuilles de l’extrémité supérieure de la plante ; elle peut être fumée seule, mais elle est rare et chère.

Des observations ont été rapportées sous le nom d’artériopathies du cannabis, sous deux aspects : des accidents artériels précoces, type athérothrombose, atteignant les coronaires et les membres inférieurs avec des manifestations graves chez les adultes jeunes ; des manifestations de type thromboangéite, proche de la maladie de Buerger.

En fait il est arbitraire d’attribuer la maladie au seul cannabis, puisqu’il y a pratiquement toujours une consommation associée de tabac.

– Tous ces effets nocifs vasculaires et cardiovasculaires peuvent être observés également en cas de tabagisme passif, si l’exposition à la fumée des autres est importante et prolongée.

F – CONSÉQUENCES THÉRAPEUTIQUES :

Le tabac interfère avec l’action de certaines médications : chez des sujets atteints d’insuffisance coronarienne, traités par les dérivés nitrés ou le propranolol, les périodes avec cigarettes s’accompagnent d’une pression artérielle plus élevée, même en cas d’administration de ce dernier traitement.

Dans l’essai thérapeutique du Medical Research Council, les fumeurs traités par propranolol n’ont pas eu de réduction du risque vasculaire cérébral malgré une baisse des chiffres de pression artérielle comparable à celle des non-fumeurs ; ils ont eu, en revanche, 2,4 fois plus d’accidents cardiaques que ces derniers et leur mortalité par d’autres affections est 2 fois plus importante : l’absence de tabagisme aurait représenté un gain supérieur à celui apporté par le traitement de l’HTA et de nombreuses autres médications.

Le tabac est un inducteur enzymatique puissant ; il peut ainsi diminuer les taux sériques de certains b-bloquants.

Cependant, il n’en est pas de même avec un b-bloquant cardiosélectif, le métoprolol ; dans ce cas, les hypertendus fumeurs ont une moindre morbidité cardiovasculaire que ceux traités par diurétiques.

Mais chez les non-fumeurs, la morbidité est dans l’ensemble 3 fois moins élevée.

Enfin, le fait de fumer constitue un élément négatif vis-àvis de l’observance du traitement de l’HTA et des règles hygiénodiététiques : c’est là une des caractéristiques habituelles du comportement tabagique.

Effets positifs de l’arrêt du tabac :

L’arrêt du tabac est toujours bénéfique, tant en prévention primaire que secondaire, même s’il y a déjà eu un accident.

Le bénéfice est évident chez les sujets atteints d’AOMI : tous les traitements restent inefficaces tant que le tabagisme n’a pas pu être interrompu.

Il en est de même lorsqu’une intervention, soit un pontage, soit une angioplastie a été nécessaire.

Les chiffres de l’étude de Powell illustrent de façon très éclatante l’importance de l’arrêt de la cigarette pour le pronostic ultérieur ; ceci concerne l’artériopathie des membres inférieurs, mais aussi la survenue d’accidents coronariens et la mortalité, qui sur 10 ans, est multipliée par 5, si le sujet a continué à fumer.

Pour les accidents coronariens, les faits sont aussi évidents.

Dans l’étude Euraspire, chez des sujets hospitalisés pour un événement coronarien, il y a 42% de fumeurs et 36 % d’ex-fumeurs.

Les conseils d’arrêt du tabac ayant été donnés, 6 mois plus tard 25 % de ces sujets sont encore fumeurs, l’arrêt ayant été validé par mesure du CO dans l’air expiré ; 60 % de ces patients, malgré le risque expliqué et connu, ont donc poursuivi ou repris leur tabagisme.

L’étude Procam a évalué la part du tabagisme par rapport à l’ensemble des facteurs de risque présents.

Sur 8 ans d’évolution, chez l’homme de 40 à 60 ans, le risque d’infarctus du myocarde passe de 3,9 % à 9,1 % en cas de tabagisme, soit un risque relatif multiplié par 2,4.

L’excédent de mortalité des fumeurs est dû dans 60 % des cas à un accident cardiovasculaire. Hasdai, dans une publication de la Mayo Clinic, confirme l’importance d’une action sur le tabagisme en cas d’atteinte coronarienne et de revascularisation percutanée.

Le suivi moyen a été de 4 ans et demi (maximum 16 ans) sur 5 450 sujets.

Lors de l’intervention, 22 % des sujets étaient fumeurs et la découverte clinique de leur affection coronarienne est survenue en moyenne 10 ans plus tôt que chez les non-fumeurs : 63 % d’entre eux ont continué à fumer ou rechuté après l’intervention !

La poursuite du tabagisme augmente le risque de survenue d’un infarctus (risque relatif multiplié par 2,1) et la mortalité générale (risque relatif multiplié par 1,76).

Les auteurs ont calculé le bénéfice de l’arrêt du tabac en termes d’augmentation de survie : elle est de 3 % à 5 ans et de 6 % à 10 ans.

Après pontage coronarien, les faits observés par Voors sur 415 patients suivis pendant 15 ans sont très comparables.

Pour l’infarctus du myocarde, chez les sujets ayant continué à fumer, le risque relatif est de 2,5 alors que pour ceux qui ont cessé, le risque relatif est peu différent des non-fumeurs.

Pour la récidive de la sténose chez les fumeurs, le risque relatif est de 2,5 à 1 an et de 5 à 5 ans !

Attitude pratique :

Les faits sont clairs et la conclusion paraît simple.

L’arrêt du tabac est impératif chez tout fumeur ayant une complication vasculaire ou cardiovasculaire, quelle que soit sa localisation.

Le risque ayant été longuement expliqué et commenté et les incitations à l’arrêt ayant été faites avec toute la fermeté nécessaire, le résultat obtenu heurte le bon sens, tout particulièrement celui des non-fumeurs ; toutes les études concordent : plus de la moitié de ces sujets continuent à fumer.

La raison de cette situation apparemment paradoxale est maintenant connue depuis plus d’une dizaine d’années.

En 1988, le volume annuel du Surgeon General, Nicotine Addiction, a bien établi les faits suivants, confirmés par tous les travaux plus récents :

– le tabac, tout particulièrement la cigarette, induit une dépendance ;

– la nicotine est la principale substance responsable de cette dépendance ;

– cette dépendance est liée à des mécanismes comportementaux et pharmacologiques, qui sont identiques à ceux de toutes les drogues illicites dites « dures » (héroïne, cocaïne, amphétamines…).

Ainsi, le tabagisme est un comportement renforcé par une dépendance dont la nicotine est responsable. « Jamais la connaissance d’un risque n’a suffi à elle seule à modifier un comportement ». Pour les affections vasculaires, les échecs sont, nous l’avons vu, nombreux : plus de 50 % des patients, malgré leur atteinte coronarienne, continuent à fumer.

En ce domaine, les incitations brutales, voire les menaces, sont toujours inefficaces, inadaptées, voire dangereuses, pouvant avoir l’effet inverse du but recherché.

La cigarette industrielle, en favorisant l’inhalation de la fumée, permet l’absorption très rapide de la nicotine et sa fixation en moins de 10 secondes sur des récepteurs nicotiniques cérébraux, avec survenue de toutes les sensations psychologiques responsables du renforcement positif du comportement, c’est-àdire de la dépendance psychologique : plaisir, détente, stimulation intellectuelle, effets anxiolytique, anorexigène, antidépresseur…

La dépendance physique est plus tardive et ne survient que chez les fumeurs à forte consommation ; elle est caractérisée par une sensation pénible de manque, de besoin irrrésistible de reprendre une cigarette, chaque fois que le sujet est privé, ne serait-ce que quelques heures, de son apport de nicotine ; elle doit être évaluée cliniquement par le questionnaire de Fagerström, le nombre de cigarettes étant un indice infidèle.

À mesure que la dépendance physique augmente, le plaisir n’est plus retrouvé que pour de rares bouffées.

Ainsi, la cigarette, par ses effets psychoactifs puissants et rapides, est-elle devenue en moins d’un siècle le mode quasi exclusif de consommation du tabac, soit plus de 95 % des fumeurs.

C’est également le type le plus dangereux de consommation, car les toxiques de la fumée de tabac sont très rapidement absorbés et diffusent dans tout l’organisme.

Le tabagisme, lorsqu’il est important, doit donc être considéré comme une maladie chronique ; comme pour toute dépendance, il a une évolution naturelle qui, en règle générale, porte sur plusieurs décennies.

Aucun arrêt n’est possible si le fumeur n’a pas une motivation personnelle forte et profonde.

Les causes principales des difficultés rencontrées chez les fumeurs atteints de complications vasculaires sont les suivantes.

La motivation de ces sujets, qui n’ont pas réussi à arrêter malgré les risques évidents, est curieusement faible, comme le révèle la pratique des questionnaires usuels ; un autoquestionnaire récemment validé (Q MAT) permet d’évaluer le degré réel de motivation à l’arrêt : la déclaration habituelle « je voudrais bien m’arrêter de fumer », ne reflète pas l’état réel de la pensée du sujet.

La motivation est habituellement inférieure à celle des fumeurs sains, venant spontanément dans les consultations spécialisées : les moyens de renforcer cette motivation sont encore mal connus.

En ce domaine, les attitudes classiques sont coercitives, répressives, éventuellement menaçantes : il faut faire peur disent certains.

Les études sur la psychologie du comportement ont montré l’inefficacité et même le danger de tels discours qui renforcent habituellement le sujet dans son comportement.

Une nouvelle stratégie a été élaborée par les alcoologues : les entretiens motivationnels.

Ils sont en fait l’inverse de ce que les médecins ont appris à faire habituellement.

Il faut éviter toute confrontation, marquer la compréhension que l’on a des problèmes du fumeur, en évitant tout jugement.

L’objectif est de faire souligner par le sujet lui-même la contradiction en lui faisant prendre conscience de l’ambivalence de son attitude. Pour cela, on lui demande de décrire :

– le pour : les avantages qu’il trouve à fumer, les difficultés et craintes à l’arrêt ;

– le contre : tous les risques qu’il connaît et qu’il court.

L’objectif est de l’amener progressivement à se décider pour une tentative d’arrêt ; une telle décision ne doit jamais être imposée, mais prise par le sujet lui-même, pour avoir le maximum de chances de succès.

Il est important de bien expliquer d’emblée que les médecins ont les moyens de l’aider à éviter la plupart des troubles liés au sevrage.

Un état dépressif et surtout des troubles de la série anxieuse, telles paniques, phobies, anxiété généralisée sont dans près de 50 % des cas associés à la maladie vasculaire.

Les liens entre dépendance tabagique et états dépressifs sont bien établis.

Chez les sujets avec antécédents de dépression ou état dépressif actuel, le tabagisme est plus fréquent et la dépendance tabagique plus importante : les chances de succès sont réduites de plus de 50 %.

Au décours du sevrage, une aggravation de la dépression est souvent observée, ce qui est alors un facteur de récidive. Dans cette situation, l’association d’un traitement antidépresseur est indispensable. L’état dépressif peut se démasquer au décours de l’accident coronarien.

Il est alors considéré le plus souvent comme la conséquence de l’accident cardiaque ; sa survenue constitue un élément de pronostic défavorable, prédictif d’un risque de mortalité multiplié par 3.

Mais dans la majorité des cas, la tendance dépressive existe déjà avant l’accident ; chez des coronariens, la présence d’un état dépressif est prédictive d’un accident cardiaque majeur dans les années suivantes.

Par ailleurs, les états dépressifs et les différentes formes d’anxiété telles l’anxiété généralisée, les phobies, les paniques, sont fréquents chez les fumeurs avec forte dépendance.

Chez ces sujets, la motivation à l’arrêt est souvent incertaine, comme est faible en général « la confiance en soi » : l’arrêt du tabac est donc toujours difficile, s’accompagnant d’un syndrome de sevrage très intense et de rechutes fréquentes ; pour eux, le tabagisme peut être considéré comme une automédication antidépressive. Ainsi, il existe des liens très étroits entre les trois états :

– états anxiodépressifs ;

– tabagisme avec forte dépendance, consommation importante et donc risque élevé de complications ;

– maladies coronariennes. Les analyses multivariées ont montré que les états anxiodépressifs et les accidents coronariens étaient corrélés, indépendamment du facteur « tabac », qui cependant joue bien évidemment un rôle aggravant considérable.

Ces états anxiodépressifs doivent donc être recherchés systématiquement, car ils sont souvent méconnus en raison d’une symptomatologie a minima (formes subsyndromiques).

Ils peuvent être dépistés par autoquestionnaires (HAD, Beck) et par interview structuré (Mini Interview).

Ils doivent être ensuite traités, le plus souvent par psychotropes ; les inhibiteurs de recapture de la sérotonine, qui agissent à la fois sur les composantes dépressives et anxieuses, sont les médications les mieux adaptées.

Le recours aux spécialistes ne s’impose que pour les formes graves et complexes, en particulier en cas de risque suicidaire.

Dans la majorité des cas, le cardiologue en liaison avec le médecin traitant ou le tabacologue devrait pouvoir assurer cette prise en charge, comme il a appris à traiter les autres facteurs de risque vasculaire dans leurs formes habituelles.

Chez ces fumeurs à forte consommation, la dépendance physique est toujours importante : elle nécessite le recours au traitement de substitution nicotinique (TSN), seul moyen réel de réduire l’intensité du syndrome de manque ; celui-ci constitue toujours la principale crainte à l’arrêt et est la cause des échecs à court terme.

Il est encore trop souvent dit que la nicotine est contre-indiquée chez les sujets à risque vasculaire ; mais lorsqu’ils fument, ils continuent non seulement à absorber la nicotine de leurs cigarettes, mais encore tous les toxiques associés.

Chez ces sujets à haut risque, un arrêt sans recours au TSN serait évidemment préférable.

C’est le cas du bupropion (Zybant), un antidépresseur dopaminergique, ayant une action spécifique sur le besoin de fumer ; dans les essais contrôlés, il multiplie par 2 à 3 les succès obtenus par rapport au placebo.

Mais certaines contre-indications existent, en particulier l’existence d’une HTA.

Si ces fumeurs à haut risque ont échoué ou rechuté, un apport de nicotine est indispensable ; en raison de ses effets cardiovasculaires, l’utilisation du TSN doit se faire avec beaucoup de précautions : les doses doivent rester inférieures à celles fournies par la cigarette ; il est donc indispensable de doser la cotinine sérique, salivaire ou urinaire, marqueur spécifique de la quantité de nicotine absorbée durant les 2 ou 3 jours précédents.

Il est ainsi possible de suivre l’évolution du sevrage par le TSN avec des dosages successifs de cotinine et d’ajuster les doses de nicotine nécessaires pour atténuer le syndrome de manque et rendre le sevrage aigu plus confortable.

L’arrêt de la cigarette doit impérativement être total en cas d’utilisation du timbre ; toute cigarette fumée comporterait un risque de surdosage en nicotine et diminuerait les chances de succès.

Le bénéfice est alors évident : d’une part la quantité de nicotine fournie par le traitement est inférieure à celle des cigarettes, d’autre part il n’y a plus d’absorption ni de goudrons, ni de CO, facteur d’hypoxie et donc responsable d’accident ischémique.

Avec ces précautions, la nicotine peut être utilisée chez ces patients, en leur permettant de se libérer de leur intoxication tabagique et ainsi d’améliorer le pronostic de leur maladie.

Nous avons pu montrer que l’utilisation de la gomme à 2 mg, contrairement à la cigarette avec inhalation, n’entraînait pas de réduction des flux microcirculatoires.

Mais le TSN ne saurait suffire à lui seul.

Le besoin et l’envie de fumer sont toujours la conséquence de facteurs multiples qu’il faut analyser et compenser : ce sont là les facteurs habituels de rechutes à court et moyen terme.

En effet, l’arrêt n’est qu’une première étape : il faut prévenir les rechutes qui, en l’absence d’un soutien et d’un accompagnement prolongé, surviennent dans plus de 50 % des cas après la phase de sevrage ; et les causes en sont multiples.

En ce domaine, les stratégies comportementales et cognitives devraient avoir une place importante : la gestion du stress, l’affirmation de soi, les stratégies de résistance, la prévention des états dépressifs peuvent être réalisées grâce à ces psychothérapies dont l’efficacité a été maintenant parfaitement démontrée.

Une nouvelle stratégie a été proposée ces dernières années chez les victimes du tabac lorsque le sujet ne veut pas ou ne peut pas interrompre la consommation de cigarettes en raison de l’intensité des dépendances, de l’insuffisance de la motivation et souvent de troubles dépressifs associés.

L’efficacité en a été bien démontrée dans les bronchopneumopathies chroniques obstructives (BPCO) par les résultats de la Lung Health Study.

Une réduction du risque global est réalisée par la diminution du nombre de cigarettes.

Mais pour que celle-ci soit possible et réelle, il faut associer un apport de nicotine par gommes, tablettes ou inhaleur, avec remplacement progressif des cigarettes par les substituts nicotiniques, administrés à la demande, une gomme remplaçant une à deux cigarettes.

Des réductions importantes de la consommation de cigarettes peuvent alors être obtenues, passant par exemple de 25/30 à cinq par jour. Deux faits remarquables ont été notés :

– les dosages de cotinine montrent que les apports de nicotine restent pratiquement constants : le risque vasculaire a été réduit car la nicotine seule, non inhalée avec la fumée de tabac, comporte infiniment moins de risque, comme nous l’avons montré ;

– dans l’étude de la Lung Health Study, comme dans certaines de nos observations personnelles, ces sujets se sont, dans un second temps, après quelques semaines ou mois, motivés pour une tentative d’arrêt, sans doute parce que ce processus de diminution de la consommation et la démonstration de l’efficacité des TSN avaient hâté l’évolution de la motivation vers l’arrêt.

Enfin, dans certaines observations de la Lung Health Study, comme dans certains de nos cas personnels, l’administration des gommesnicotine a été poursuivie des années, 5 ans et plus, soit en conservant quelques cigarettes, soit surtout en arrêtant les cigarettes, mais en gardant les apports nicotiniques.

Tout se passe comme si, pour des raisons neurobiologiques, le cerveau de ces sujets avait besoin de nicotine ; le risque global a été alors considérablement réduit.

Tous les cardiologues et tous les angiologues doivent donc maintenant apprendre à évaluer et à prendre en charge le tabagisme de leurs malades, comme ils ont appris à le faire antérieurement pour l’HTA et l’hypercholestérolémie, en liaison avec les spécialistes de ces troubles.

De la même façon, pour les cas difficiles, ils doivent recourir à ces nouveaux spécialistes qui sont les tabacologues.

L’importance de l’enjeu justifie tous les efforts.

En outre, l’arrêt du tabac, même avec le remboursement des TSN, est l’action qui a, de très loin, le rapport coût-efficacité le plus élevé.

Le prix de revient d’une année de vie sauvée par l’arrêt du tabac est de 20 à 50 fois inférieur à celui de la prise en charge de l’hypercholestérolémie et de l’HTA.

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