Syphilis primaire et secondaire
Cours de dermatologie
La syphilis est une tréponématose vénérienne due à
Treponema pallidum.
Le réservoir est exclusivement
humain et la transmission sexuelle.
Le dépistage et le
traitement doivent empêcher la survenue des complications
graves de la phase tertiaire.
Épidémiologie
:
A - Incidence
:
L’incidence de la syphilis a diminué de manière très
importante en Europe occidentale, depuis une dizaine
d’années, du fait des modifications du comportement
sexuel induites par l’arrivée du sida.
L’incidence se situe
en France autour de 10 nouveaux cas pour 100 000 habitants par an.
Depuis 1999, on assiste, cependant, à une légère
remontée de l’incidence, traduisant un relâchement de la
prévention.
La Russie et les pays de l’ancien bloc
communiste de l’Europe de l’Est gardent une incidence
élevée de syphilis primo-secondaire (environ 100 cas
pour 100 000 habitants par an).
Celle-ci peut atteindre
1 000 pour 100 000 habitants par an en Afrique noire, en
Amérique du Sud et en Asie.
B - Maladie sexuellement transmissible
:
La syphilis est une maladie sexuellement transmissible
(MST).
Elle traduit une sexualité à risque de contracter
d’autres maladies sexuellement transmissibles : gonococcie,
infections à Chlamydia trachomatis, hépatite B,
infection par le virus de l’immunodéficience humaine
(VIH)…
La transmission de la syphilis se fait à partir de
lésions syphilitiques érosives ou ulcérées : chancre primaire,
syphilides érosives, plaques muqueuses.
Elle peut
donc se faire à l’occasion de rapports de pénétration mais,
également, lors des rapports bucco-génitaux, voire par le
baiser profond.
Généralités :
A - Évolution
:
La syphilis évolue en 3 phases dont la définition est
clinique : syphilis primaire (chancre syphilitique), syphilis
secondaire (manifestations cliniques de la septicémie
syphilitique avec atteinte cutanée, ganglionnaire, voire
viscérale), syphilis tertiaire (gommes syphilitiques parenchymateuses
essentiellement cérébrales, cardiaques et
cutanées).
Ces 3 phases se succèdent selon une chronologie
précise déjà définie par Ricord au début du XXe siècle.
B - Incubation
:
Elle dure, en moyenne, 21 jours.
Elle est en fait extrêmement
variable mais généralement longue.
Elle sépare
le rapport sexuel contaminant de l’apparition du chancre syphilitique (J0 étant défini par le début du chancre).
En
l’absence de traitement, le chancre syphilitique guérit
spontanément en 3 à 6 semaines.
La syphilis secondaire
survient inconstamment à partir de la 6e semaine.
Elle
est caractérisée par une première floraison (roséole)
entre la 6e semaine et le 3e mois, puis, par une seconde
floraison (syphilides papuleuses) entre le 3e et le 12e mois.
Toujours en l’absence de traitement, l’évolution naturelle
de la syphilis secondaire se fait vers la disparition spontanée,
à laquelle succède une phase de latence, puis un
risque de syphilis tertiaire d’environ 10 % dans les
années qui suivent (jusqu’à 30 ans après le chancre).
Les
phases asymptomatiques de la syphilis (la période muette
séparant la 1re phase de la 2e, celle qui sépare la 2e phase
de la 3e et celle qui concerne les patients syphilitiques ne
faisant pas de syphilis secondaire) s’appellent syphilis
latente ou sérologique.
Lorsque le chancre syphilitique,
en cours de guérison, coexiste avec le début de la phase
secondaire, on parle alors de syphilis primo-secondaire.
C - Diagnostic de certitude
:
Il repose sur la découverte du tréponème pâle (Treponema
pallidum) mis en évidence dans les lésions primaires ou
secondaires, érosives ou ulcérées.
Le diagnostic peut,
également, reposer sur la sérologie syphilitique (TPHA, treponema pallidum hæmagglutination assay ; VDRL,
veneral disease research laboratory ; FTA-abs test, fluorescent
treponema absorption test) dont l’interprétation
est difficile (impossibilité sur les seules sérologies de
différencier une syphilis d’une tréponématose non vénérienne,
difficulté de déterminer si la syphilis est évolutive
ou guérie).
Ces sérologies syphilitiques deviennent positives
avec retard par rapport au début du chancre et peuvent
devenir négatives en l’absence de traitement après
de nombreuses années.
D - Risque majeur
:
Il est représenté par la neurosyphilis (syphilis tertiaire).
Ce risque est minime au cours de la 1re année d’évolution
(syphilis primaire, syphilis secondaire et syphilis latente
de moins d’un an d’évolution).
Ces 3 entités sont
regroupées sous le terme de syphilis précoce.
Diagnostic :
A - Syphilis primaire
:
1- Chancre syphilitique :
• Le chancre syphilitique est, dans les cas typiques,
une érosion superficielle rose, bien limitée, non inflammatoire,
indolore laissant sourdre une sérosité, devenant
indurée après quelques jours (palpation protégée) et s’accompagnant après 4 à 5 j d’une adénopathie unilatérale,
indolore, non inflammatoire.
L’ensemble
chancre plus adénopathie constitue le complexe primaire ;
les adénopathies sont le plus souvent inguinales (organes
génitaux externes, anus), plus rarement, intra-abdominales
(col utérin, rectum).
• Le siège du chancre est, le plus souvent, muqueux et
génital (gland, sillon balano-préputial, méat chez
l’homme ; vulve, col utérin, vagin chez la femme).
Mais
le chancre peut également être anorectal (quelquefois
douloureux), labial, amygdalien, voire siéger en dehors
des muqueuses.
Le chancre syphilitique est, le plus
souvent, unique.
• De nombreuses formes atypiques sont possibles :
chancre profond, douloureux, non induré, inflammatoire,
surinfecté, chancres multiples, d’où la règle devant toute
ulcération génitale de rechercher systématiquement une
syphilis au même titre qu’un herpès génital et un
chancre mou.
2- Diagnostic :
Il repose sur la recherche des tréponèmes au microscope
à fond noir (ultramicroscope).
• Le prélèvement de la sérosité est déposé dans du
sérum physiologique entre lame et lamelle.
Il permet de
reconnaître les spirochètes brillants et mobiles.
Cet examen
est, cependant, difficile et nécessite de l’expérience.
Il
peut, par ailleurs, être négatif en cas d’applications
d’antiseptiques ou de prises d’antibiotiques.
La présence
de spirochètes saprophytes dans la cavité buccale rend
impossible la recherche de tréponème pâle dans cette
localisation.
• La sérologie syphilitique se positive vers le 5e j du
chancre.
Le 1er test devenant positif est le test d’immunofluorescence
(FTA-abs test). Le TPHA se positive vers
le 7e jour du chancre.
Enfin, le VDRL se positive vers le
10e jour du chancre.
Le titre des anticorps augmente
progressivement ensuite pour atteindre un maximum
lors de la phase secondaire.
Le test de Nelson n’est plus utilisé.
3- Diagnostic différentiel
:
Il faut éliminer plusieurs diagnostics.
• Le chancre mou, typiquement douloureux, souple,
profond, volontiers multiple, siège sur le versant cutané
des organes génitaux et s’accompagne d’adénopathies
inflammatoires (bubon).
Le diagnostic repose sur l’examen
direct (bacilles gram-négatifs) et la culture (Hæmophilus
ducreyi).
• L’herpès génital se caractérise par des érosions
multiples, douloureuses à contours polycycliques, avec
la présence de vésicules.
Le diagnostic repose sur la
culture in situ ou la PCR (polymerase chain reaction).
• Le chancre scabieux se présente sous la forme de
papules prurigineuses excoriées et d’un prurit généralisé.
• La donovanose et la maladie de Nicolas-Favre sont
exceptionnelles en France.
• Les ulcérations mécaniques, caustiques, aphtes génitaux
(maladie de Behçet, aphtose bipolaire), carcinome spinocellulaire, bullose immunologique et toxidermie
bulleuse sont des diagnostics à éliminer.
4- Évolution :
• En l’absence de traitement, le chancre cicatrise en
3 à 6 semaines et guérit, le plus souvent, sans cicatrice.
• Sous traitement, le chancre cicatrise en 1 à 2 semaines.
Si les sérologies sont négatives, elles ne deviennent pas
positives.
Si les sérologies sont déjà positives, les titres
diminuent progressivement (négativation du VDRL en
1 an alors que le FTA et le TPHA restent, en règle,
indéfiniment positifs).
La surveillance d’une syphilis
primaire traitée se fait à 3 mois, 6 mois et 1 an sur le VDRL quantitatif.
B - Syphilis secondaire
:
C’est la phase de dissémination septicémique de Treponema pallidum.
Elle est inconstante (environ 50%
des patients).
Elle succède, après une phase de latence
de quelques semaines, à une syphilis primaire non traitée.
Elle peut parfaitement être révélatrice (chancres
« cachés » : femmes, homosexuels).
1- Manifestations générales
:
Elles sont inconstantes.
Ce sont des adénopathies multiples,
indolores surtout cervicales postérieures et épitrochléennes,
une asthénie, une fébricule, des céphalées, une
splénomégalie, une méningite lymphocytaire voire une
hépatite syphilitique, une néphropathie glomérulaire, des
mono- et polyarthrites.
2- Manifestations cutanéo-muqueuses
:
Elles sont au premier plan.
• La première floraison survient entre la 6e semaine et
le 3e mois après le chancre.
Elle associe :
– la roséole syphilitique avec macules rosées de
quelques millimètres de diamètre, non prurigineuses,
prédominant sur le tronc et les racines des membres,
souvent à la limite de la visibilité.
Elle disparaît en
quelques semaines spontanément sans cicatrice.
Rarement, elle laisse place à une leucomélanodermie
séquellaire (collier de Vénus) ;
– les plaques muqueuses avec érosions indolores
souples, opalines, extrêmement contagieuses, fourmillant
de tréponèmes, siégeant sur la langue (plaques
fauchées), les lèvres (fausse perlèche de la syphilis),
les muqueuses génitales et la région anale ;
– une alopécie temporo-occipitale en clairière, transitoire,
qui est classique.
• La deuxième floraison survient du 3e au 12e mois
après le chancre.
Elle se manifeste par les syphilides
papuleuses secondaires, lésions non prurigineuses,
d’aspect variable, pouvant toucher tout le tégument.
Elles prédominent sur le visage et le tronc.
Une atteinte palmo-plantaire est classique et très évocatrice.
Il s’agit,
le plus souvent, d’une forme papuleuse pure, de couleur
rouge cuivré avec desquamation périphérique (collerette de Biett) ou papulo-squameuse.
Plus rarement, les
lésions sont psoriasiformes, séborrhéiques (visage),
acnéiformes (visage), pustuleuses, varicelliformes, érosives
(surtout dans les plis avec lésions suintantes très
contagieuses), ulcérées, végétantes (muqueuses) ou
folliculaires.
Le grand polymorphisme clinique de la syphilis secondaire
a fait appeler cette dernière la grande simulatrice :
elle peut simuler une acné, une dermatite séborrhéique,
un parapsoriasis en gouttes, une varicelle, un lichen
plan.
3- Diagnostic :
Il repose sur :
– le contexte (interrogatoire : notion d’ulcérations
génitales) ;
– les prélèvements des lésions érosives ou ulcérées avec
recherche de tréponèmes au microscope à fond noir ;
– les sérologies syphilitiques sont toutes positives : TPHA, VDRL et FTA-abs test avec des titres élevés ;
– lorsque le diagnostic n’est pas fait, la biopsie peut être
évocatrice (présence de nombreux plasmocytes dans
l’infiltrat dermique).
4- Évolution :
• En l’absence de traitement, la syphilis secondaire
évolue par poussées successives qui s’atténuent avec le
temps mais dépassent rarement 1 an.
• Sous traitement, les lésions disparaissent en 48 h
(roséole) à 15 j (syphilides papuleuses).
Le titre des
sérologies diminue après traitement : négativation du VDRL en 2 ans alors que le TPHA et le FTA-abs test
restent indéfiniment positifs (simple diminution des
titres).
C - Syphilis latente précoce
:
• Il s’agit d’une syphilis purement sérologique, de
moins de 1 an d’évolution.
Seule la négativité des
sérologies syphilitiques datant de moins de 1 an peut
permettre d’affirmer le caractère précoce de l’infection.
Si l’on ne dispose pas de tels éléments, la syphilis sérologique
est automatiquement considérée comme tardive.
• Les sérologies syphilitiques ne permettent pas de
trancher entre syphilis et tréponématose non vénérienne
(pian, bejel et caraté).
Traitement :
La pénicilline G reste le traitement le plus efficace
contre la syphilis.
Aucun cas de résistance de Treponema pallidum à la pénicilline n’a été décrit ; la
longueur du temps de division du tréponème (33 h en
cas de syphilis précoce) impose d’assurer un taux
tréponémicide de pénicilline dans les tissus pendant au
moins 10 j.
La benzathine benzylpénicilline (Extencilline) est la
forme la plus adaptée (pénicilline long-retard), permettant
en une seule injection intramusculaire d’assurer un taux
tissulaire tréponémicide de pénicilline pendant 15 j.
Ce
traitement est facile à administrer, peu coûteux et très
rapidement efficace (disparition des tréponèmes des
lésions en moins de 48 h).
Ce traitement assure rarement un taux tréponémicide
dans le liquide céphalo-rachidien (LCR).
Cependant,
chez le patient non immunodéprimé, la fréquence de
l’invasion précoce des méninges par les tréponèmes
contraste avec le caractère exceptionnel des neurosyphilis
observées après une seule injection de benzathine
benzylpénicilline.
Chez le patient immunodéprimé, en
particulier séropositif pour le virus de l’immunodéficience
humaine, le risque de développer une neurosyphilis
après une seule injection de benzathine benzylpénicilline
est plus important.
Un contrôle du liquide céphalorachidien
est inutile chez le patient non immunodéprimé ;
il se discute chez le patient immunodéprimé.
Le traitement des partenaires est indispensable quels
que soient les résultats de leur sérologie syphilitique.
Le
dépistage des autres maladies sexuellement transmissibles
doit être systématique : examen clinique, sérologie VIH,
sérologie de l’hépatite B.
A - Traitement de première intention
de la syphilis précoce :
Cela concerne la syphilis primaire, la syphilis secondaire
et la syphilis sérologique de moins de 1 an d’évolution.
1- Pénicilline G :
On réalise une injection intramusculaire profonde de benzathine benzylpénicilline (Extencilline) à 2,4 millions
d’unités.
L’injection est douloureuse (association de Xylocaïne).
2- Contre-indications :
Elles sont exceptionnelles.
Un traitement anticoagulant et des antécédents de réaction
allergique documentée à la pénicilline sont à retenir.
Le
risque est d’environ 5 accidents anaphylactiques pour
1 000 injections, le plus souvent, dans les 24 premières
heures.
Les accidents mortels sont exceptionnels, moins
de 1 pour 100 000 traitements.
Certains auteurs
conseillent une 2e injection de benzathine benzylpénicilline
à 2,4 millions d’unités après une semaine.
B - Alternative thérapeutique
:
1- Doxycycline :
L’alternative thérapeutique recommandée est la doxycycline
: 100 mg, 2 fois/j ou la tétracycline base : 500 mg
4 fois/j pendant 2 semaines.
L’érythromycine a une
efficacité médiocre.
2- En cas de grossesse :
Chez une femme allergique à la pénicilline, une désensibilisation
est indispensable (tests intradermiques sous
surveillance médicale et en cas de positivité, augmentation
progressive des doses sur 24 h per os ou par voie intraveineuse).
Cette désensibilisation est immédiatement
suivie d’un traitement classique par benzathine benzylpénicilline
en intramusculaire.
3- Autres formes
:
L’utilisation d’autres formes de bêtalactamines et de
céphalosporines n’a pas d’intérêt.
Les traitements sont
d’une moindre efficacité, moins bien documentés, plus
chers et d’administration aléatoire.
C - Surveillance après traitement
:
Elle doit être clinique et sérologique.
La surveillance sérologique porte sur le VDRL.
Les taux doivent diminuer d’un facteur 4 en 6 mois.
La négativation du VDRL est fréquemment obtenue
après 1 an dans la syphilis primaire et 2 ans dans la
syphilis secondaire.
Une réascension des titres (au
moins 2 dilutions) doit faire craindre une recontamination.
La négativité du VDRL est un argument majeur pour la
guérison de la syphilis.
D - Réaction d’Herxheimer
:
Elle associe une fièvre parfois très élevée et une augmentation
des lésions syphilitiques.
Elle est quasi constante
et d’autant plus fréquente que les lésions cliniques sont
importantes.
Sa pathogénicité est inconnue.
Elle est, le
plus souvent, absolument bénigne.
La prévention par l’augmentation progressive des doses
de pénicilline est inefficace et inutile.
Une courte corticothérapie générale à 1 ou 2 mg/kg/j
pendant 48 h avant l’injection se justifie dans les syphilis
secondaires profuses.
Le seul risque est celui d’un accouchement prématuré
chez la femme enceinte.
E - Syphilis et infection VIH
:
Le risque de neurosyphilis précoce fait discuter le
contrôle du liquide céphalo-rachidien au cours de la
syphilis secondaire (absence de consensus).
Le TPHA se négative plus rapidement chez les patients
séropositifs pour le VIH mais le comportement du
VDRL reste normal.
L’interprétation de l’analyse du
liquide céphalo-rachidien est difficile : hyperprotéinorachie, hypercytose, positivité du VDRL dans le liquide
céphalo-rachidien sont en faveur d’une neurosyphilis.
En revanche, la négativité du TPHA dans le liquide
céphalo-rachidien élimine la neurosyphilis.
F - Syphilis et grossesse
:
La transmission transplacentaire de Treponema pallidum
est possible en fin de grossesse.
L’enfant sera alors
atteint de syphilis congénitale.
Une sérologie syphilitique (TPHA + VDRL) est obligatoire
au 3e mois de la grossesse.
La mère doit être traitée de manière conventionnelle,
à l’exclusion des tétracyclines et l’enfant doit être
surveillé (clinique, sérologie, étude du liquide céphalorachidien)
et traité à la naissance.