Les syndromes thalassémiques sont la conséquence d’une
insuffisance de la synthèse d’une ou plusieurs chaînes de globine.
Selon la chaîne insuffisamment synthétisée, on distingue les
alpha-, bêta-,
gamma-, gammabêta-, deltabêta-thalassémies.
Les alpha- et bêta-thalassémies sont parmi les
maladies monogéniques les plus représentées dans le monde, leur
fréquence étant maximale dans les pays infestés par le paludisme,
car un trait thalassémique paraît protéger contre les formes graves
de paludisme.
De multiples défauts moléculaires, de répartition géographique
déterminée, ont été identifiés à l’origine de syndromes
thalassémiques.
Ils aboutissent à un déséquilibre de synthèse entre
les chaînes alpha et non alpha (bêta, delta, ou gamma).
Une alpha-thalassémie est caractérisée
par un rapport a/non a inférieur à 1, une bêta-thalassémie par un ratio
a/non a supérieur à 1.
Dans les formes symptomatiques de
thalassémie, l’excès relatif de chaînes « célibataires » forme des
polymères peu solubles dans l’érythroblaste, entraînant des
altérations des membranes cellulaires et nucléaires et la destruction
de l’érythroblaste, responsables d’une érythropoïèse inefficace et
d’une anémie.
Il en résulte une hypersécrétion d’érythopoïétine qui
stimule l’érythropoïèse, et suscite une hyperplasie avec expansion
érythroblastique caractéristique des syndromes thalassémiques.
La multiplication des érythroblastes dans les espaces médullaires est
responsable des déformations osseuses.
L’érythropoïèse inefficace
est suivie d’une destruction partielle en périphérie des quelques
réticulocytes ayant réussi à maturer.
Ainsi, l’anémie est la résultante
de deux composantes, une dysérythropoïèse majeure et une
hyperhémolyse.
L’anémie est peu régénérative, du fait du
dysfonctionnement médullaire.
L’importance de ces phénomènes est
en fait variable selon le génotype.
Les syndromes thalassémiques
sont ainsi caractérisés par des anémies héréditaires hémolytiques de
présentations cliniques très variables. Ils se transmettent
le plus souvent sur un mode autosomique récessif.
Syndromes alpha-thalassémiques :
Les défauts moléculaires en cause étant détaillés par ailleurs, nous
rappellerons seulement ici que les alpha-thalassémies sont le plus
souvent la conséquence de la délétion d’un ou plusieurs gènes alpha.
A - ÉPIDÉMIOLOGIE :
Les alpha-thalassémies sont particulièrement fréquentes en Asie du Sugamma-Est et en Chine.
Leur prévalence est de 3 à 5% à Hong Kong, et
peut atteindre 30 à 40 % en Thaïlande et au Laos.
Elles sont
aussi fréquentes en Afrique, surtout équatoriale, moins présentes en
Afrique du Nord et australe (fréquences géniques observées entre
0,06 et 0,41).
B - MANIFESTATIONS CLINIQUES ET BIOLOGIQUES :
Il existe chez le sujet normal deux gènes alpha (a1 et a2) sur chaque chromosome
16, donc quatre gènes alphalpha-fonctionnels.
Il existe ainsi
quatre tableaux selon l’inactivation de 1, 2, 3 ou 4 gènes alpha.
Les
anomalies géniques affectant a2 sont plus sévères que celles
impliquant a1.
Les alpha-thalassémies les plus fréquentes n’altèrent qu’un gène a, et ne
sont responsables d’aucune pathologie : l’alpha+-thalassémie
hétérozygote (-alpha/alpha alpha), ou alpha-thalassémie de type 2.
Elles sont
silencieuses sur le plan clinique.
La biologie montre à la période
néonatale un taux très modérément augmenté (1-2 %)
d’hémoglobine Bart’s (Hb Bart’s) (qui est un tétramère c4).
L’hémogramme ensuite est normal dans 50 % des cas, ou peut sinon
montrer une hypochromie et une microcytose modérées.
Le
diagnostic peut être fait en biologie moléculaire.
Les inactivations de deux gènes alpha sont responsables d’alpha-thalassémies
mineures, ou alpha-thalassémies de type 1.
Il peut s’agir du défaut de deux gènes alpha en cis sur le même
chromosome (--/-alpha alpha) (alpha0-
thalassémie hétérozygote), ou en trans sur chaque chromosome
(-alpha/-alpha) (alpha+-thalassémie homozygote).
L’alpha0 est fréquente chez les Asiatiques et les
Méditerranéens, et quasi absente chez les Noirs africains ou
antillais, qui ont fréquemment des formes alpha+.
Il n’y a
pas de conséquence clinique.
Biologiquement, les nouveau-nés ont
un taux plus élevé d’Hb Bart’s (5 à 10 %).
À l’âge adulte,
l’hémogramme révèle une microcytose (70 ± 5 fl), une hypochromie,
un taux normal ou un peu bas d’hémoglobine A2 (HbA2) et un taux
normal d’hémoglobine F (HbF).
Le diagnostic peut être confirmé par
l’étude de la synthèse des chaînes a/non a in vitro, ou par l’étude
du génome a en biologie moléculaire.
La non-fonctionnalité de trois gènes alpha est responsable d’une hémoglobinose H (--/-alpha).
Les chaînes non a en excès s’apparient,
sous forme d’Hb Bart’s à la naissance, et de tétramères b4 à mesure
que les chaînes b se substituent aux chaînes c (hémoglobine H).
Cette affection atteint surtout les patients orientaux ou
méditerranéens, exceptionnellement les Noirs africains ou antillais.
Son expression clinique est très variable.
Certains patients sont
quasiment asymptomatiques.
D’autres expriment le tableau d’une
anémie hémolytique chronique modérée (pâleur, ictère, hépatosplénomégalie, modifications squelettiques modérées) ; une
minorité enfin a une anémie plus sévère responsable de
modifications thalassémiques osseuses marquées, et requérant des
transfusions répétées.
Ce degré de sévérité est corrélé au génotype
responsable.
Biologiquement, il existe une anémie hémolytique
microcytaire hypochrome d’intensité variable (6 à 10 g/dL).
Les
hématies incubées 1 heure à 37 °C en présence de bleu de crésyl
brillant à 1 % prennent un aspect mûriforme : elles sont ponctuées
de petits précipités en « motte » (tétramères b) (corps de Heinz).
L’électrophorèse montre la présence de 1 à 30% d’HbH et de 10 à
30 % d’Hb Bart’s à la naissance.
On a décrit récemment des formes
particulières d’hémoglobinose H chez des patients d’Europe du
Nord ayant un retard mental (syndromes ATR-16 et ATR-X).
Les
sujets associant une alpha-thalassémie de type 1 à une hétérozygotie de
type Constant Spring (qui est une mutation intéressant le gène a2)
sont porteurs de formes graves de la maladie.
Les patients atteints d’une hémoglobinose H peuvent être considérés
comme des thalassémiques « intermédiaires », puisqu’ils ont une
production résiduelle spontanée d’hémoglobine et des besoins
transfusionnels faibles ou occasionnels.
Ils nécessitent une supplémentation régulière en acide folique.
Les lithiases biliaires
sont fréquentes. Une aggravation de l’anémie peut être secondaire à
une infection aiguë, ou à la prise de médicaments oxydants (les
mêmes que ceux qui induisent une hémolyse chez les porteurs d’un
déficit en glucose 6-phosphate déshydrogénase [G6PD]).
Une
aggravation des besoins transfusionnels traduit parfois un
hypersplénisme qu’une splénectomie peut réduire.
La splénectomie
expose en revanche ces patients au risque de complications
thromboemboliques.
La délétion des quatre gènes alpha (- -/- -) correspond à l’homozygotie
pour la délétion de deux gènes alpha en cis.
Cette anomalie est surtout
rencontrée en Asie du Sugamma-Est, où existe la mutation Sugamma-Est
Asiatique (-- SEA), amputant la totalité des gènes alpha.
Elle peut aussi
être secondaire à d’autres grandes délétions présentes en
Méditerranée.
Elle n’existe pas en Afrique.
Les foetus alpha0-
thalassémiques homozygotes survivent au-delà du 5e mois de
grossesse grâce à la présence de petites quantités d’hémoglobines
embryonnaires, mais décèdent le plus souvent avant la fin de
grossesse ou juste après la naissance, dans un tableau d’anasarque foetoplacentaire (Bart’s hydrops fetalis).
Ce tableau peut rendre
compte de 25 % des décès périnataux dans certaines régions d’Asie
du Sugamma-Est.
Très récemment, des survies d’enfants diagnostiqués
en période prénatale, avant le développement de la souffrance
neurologique, ont été rapportées, permises par la mise en oeuvre de transfusions in utero.
En fait, cette complication grave pose
surtout le problème de sa prévention, reposant sur la détection en
routine des hétérozygotes pour des mutations impliquant la totalité
du génome a, et le recours au diagnostic prénatal pour les couples à
risque.
Syndromes bêta-thalassémiques :
épidémiologie
Initialement décrite dans les populations du bassin méditerranéen,
la bêta-thalassémie est aussi très répandue dans tout le Moyen-Orient,
le sud et l’est de l’Asie, l’Afrique de l’Ouest et les Antilles.
La bêta-thalassémie est rare dans les populations originaires du nord de
l’Europe.
Bêta-thalassémie hétérozygote
:
Les sujets atteints d’une bêta-thalassémie hétérozygote sont bien
portants.
Ils n’ont pas de signes cliniques d’anémie ;
exceptionnellement, une splénomégalie discrète est constatée.
Biologiquement, le taux d’hémoglobine est normal ou très peu
diminué (10 à 13 g/dL), la réticulocytose en valeur absolue est
normale ou un peu élevée, le frottis sanguin montre une
hypochromie, une anisocytose et une poïkilocytose.
Les signes
biologiques sont : l’augmentation du nombre des globules rouges
traduisant la pseudopolyglobulie, la microcytose et l’hypochromie,
l’élévation de l’HbA2 (> 3,3 %), tandis que l’HbF est normale ou
discrètement augmentée.
Les mesures de l’HbA2 requièrent une
analyse par chromatographie liquide haute pression (CLHP).
L’élévation de l’HbA2 ne peut être masquée que par une carence en
fer sévère ; il est dans ce cas nécessaire de contrôler le dosage après
correction de la carence.
Aucune précaution ou traitement particulier ne sont à envisager
chez les porteurs d’un trait thalassémique.
La seule précaution est
de faire une enquête familiale, afin de pouvoir reconnaître un couple
dont les deux membres seraient porteurs d’une bêta-thalassémie
hétérozygote, et de leur proposer un conseil génétique qui puisse
leur permettre d’éviter la naissance d’un enfant homozygote.
Rarement, une anémie peut être constatée chez certains sujets qui
associent une bêta-thalassémie hétérozygote à une triplication des
gènes alpha, ou à une sphérocytose héréditaire.
Exceptionnellement,
certaines femmes voient leur anémie s’aggraver au cours de la
grossesse.
Bêta-thalassémie homozygote : forme
majeure
On classe les bêta-thalassémies selon que la synthèse des chaînes b est
supprimée (forme bo) ou seulement diminuée (bêtalpha+).
C’est la profondeur de l’anémie et l’importance des besoins
transfusionnels, qui permettent de classer les thalassémies en forme
majeure (anémie de Cooley) ou intermédiaire.
Cette distinction ne
peut être faite qu’après quelques mois de vie, lorsque la synthèse de
l’HbF n’est plus capable de masquer l’anomalie de synthèse d’HbA.
A - SIGNES CLINIQUES EN L’ABSENCE DE TRAITEMENT
:
Les signes cliniques apparaissent chez le nourrisson. La pâleur
est constante, associée rarement à un ictère conjonctival.
L’asthénie
dépend du degré de l’anémie.
Une hépatosplénomégalie s’installe progressivement dans les
premiers mois de la vie ; elle peut acquérir un volume considérable
et déformer l’abdomen.
L’hypertrophie splénique s’accentue avec le
temps, du fait de l’érythropoïèse ectopique, de l’érythrophagocytose,
et parfois, chez les patients plus âgés, d’une hypertension portale.
La volumineuse splénomégalie a plusieurs conséquences néfastes :
une gêne abdominale, une inflation plasmatique, et une destruction
exagérée des hématies aggravant l’anémie.
Une leucopénie et une
thrombopénie peuvent être associées à l’hypersplénisme.
Les anomalies morphologiques dépendent du degré de l’anémie,
puisqu’elles sont la conséquence de l’hyperactivité érythroïde.
L’hyperplasie des os plats de la face confère aux enfants un aspect
asiatique : les malaires sont élargis, la base du nez est aplatie, il
existe un hypertélorisme, une protrusion du maxillaire supérieur.
Au niveau du crâne, on peut observer un aspect en « tour », avec
des bosses dans les régions frontales et occipitales.
Des anomalies
de l’implantation dentaire sont fréquentes, entraînant des troubles
de l’articulé dentaire.
Le retentissement psychologique de ces
déformations morphologiques peut être important.
Les fractures
pathologiques ne sont pas exceptionnelles, mais toutefois moins
fréquentes que ne le laisserait prévoir l’importance de l’ostéopénie.
Des arthralgies sont fréquentes chez les adolescents et les adultes.
Les articulations les plus touchées sont les chevilles, puis les genoux
et les hanches.
Chez l’adulte, l’ostéoporose est responsable de
douleurs osseuses atteignant électivement le rachis.
B - SIGNES RADIOLOGIQUES :
Les espaces médullaires sont élargis et les corticales amincies.
L’ostéoporose est généralisée, de degré variable.
Les travées osseuses
restantes paraissent épaissies, la spongieuse prend un aspect réticulé
assez caractéristique sur l’ensemble des os des mains et des pieds.
L’épaississement du diploé débute sur l’os frontal, puis s’étend aux
autres os de la voûte du crâne, tout en respectant l’écaille occipitale
inférieure, pauvre en moelle. Des réactions d’ossification
perpendiculaires à la base interne réalisent l’aspect en « poil de
brosse ».
Les extrémités costales sont élargies.
Les os longs peuvent
avoir un aspect massif et mal modelé, les bras raccourcis avec
diminution de l’abduction, et les corps vertébraux élargis.
Les
extrémités peuvent être le siège de bradymétacarpies et
bradyphalangies.
La déminéralisation vertébrale peut être
responsable de scoliose, cyphose, tassement, voire compression
médullaire.
C - SIGNES HÉMATOLOGIQUES :
L’hémogramme révèle une anémie inférieure à 7 g/dL, microcytaire
(volume globulaire moyen [VGM] entre 60 et 65 fl), hypochrome
(teneur moyenne en hémoglobine inférieure à 26 pg).
La
réticulocytose est voisine de 100 X 109/L, moins élevée que ne le
voudrait le degré de l’anémie.
L’examen du frottis sanguin des
hématies montre aussi une anisocytose, une poïkilocytose, des
ponctuations basophiles fréquentes, une érythroblastose majeure.
L’examen de la moelle n’est pas nécessaire au diagnostic ; il
montrerait la forte érythroblastose, avec des érythroblastes d’aspect dysmorphique du fait du défaut d’hémoglobinisation (érythroblastes
polychromatophiles II).
Les macrophages médullaires sont
surchargés en fer.
L’étude de l’hémoglobine permet le diagnostic ; le pourcentage de
l’HbF est constamment très augmenté pour l’âge (50 à 98 %) ; il
persiste (bêtalpha+) de l’HbA (5 à 45 %) ou non (bêtalpha0) ; le pourcentage d’HbA2
est souvent bas dans les formes bêtalpha0, et élevé dans les formes bêtalpha+.
La
bilirubine non conjuguée est augmentée du fait de l’hémolyse
chronique.
Le bilan du fer (sidérémie, coefficient de saturation de la
sidérophiline) est toujours augmenté, même en l’absence de
transfusion, du fait de l’hyperabsorption intestinale du fer
secondaire à la dysérythropoïèse.
D - COMPLICATIONS ET TRAITEMENTS SYMPTOMATIQUES :
En l’absence de traitement, l’anémie sévère se complique
d’insuffisance cardiaque, l’hépatosplénomégalie se majore, un retard
de croissance s’installe ; le décès survient avant 5 ans.
Le traitement conventionnel de la thalassémie majeure associe
transfusion, chélation du fer et splénectomie.
Ce traitement a transformé l’espérance de vie des patients thalassémiques, et a
permis à près de 90 % des malades nés depuis 1975 de dépasser
l’âge de 20 ans.
La lourdeur du traitement chélateur altère
toutefois la qualité de vie, et fait discuter l’indication d’une greffe
de moelle chez les enfants et les adolescents qui disposent d’un
donneur intrafamilial human leucocyte antigen (HLA)-compatible.
Plus tard, les résultats de la greffe sont moins bons, et le traitement
conventionnel est presque toujours préférable.
1- Transfusion sanguine
:
Chez l’enfant, le diagnostic de thalassémie majeure entraîne la
surveillance régulière de l’état clinique, et le contrôle des taux
d’hémoglobine.
Quand ceux-ci descendent en dessous de valeurs
compatibles avec une activité normale, les transfusions deviennent
nécessaires et le diagnostic du caractère majeur de la thalassémie est
posé.
La grande majorité des patients thalassémiques majeurs
nécessite des transfusions mensuelles dès la première année de vie,
mais certains patients, atteints de formes modérées, peuvent
attendre quelques années.
L’observation de la réponse clinique et
hématologique aux premières transfusions permet de déterminer la
fréquence et l’importance des apports transfusionnels.
L’adéquation des apports transfusionnels aux besoins est
régulièrement vérifiée.
On sait qu’en règle le maintien en
permanence d’un taux d’Hb au-dessus de 10 g·dL–1, 8 à 9 g·dL–1
après 15 ans, permet des activités scolaires, ludiques ou
professionnelles normales, et empêche l’apparition de l’hyperplasie
érythroïde responsable des déformations morphologiques.
Ce seuil
est respecté en général grâce à l’apport de 15 mL·kg–1 de concentrés
érythrocytaires toutes les 3 semaines, ou de 20 mL·kg–1 toutes les
4 semaines.
Les risques immunologiques, infectieux et de surcharge
en fer liés à la transfusion ont conduit à ne pas chercher de valeur
plus élevée pour les taux d’Hb, alors que cela avait été proposé par
des partisans de stratégies « supertransfusionnelles ».
Le produit transfusé est du concentré érythrocytaire déleucocyté,
phénotypé Rh-Kell.
L’utilisation de globules rouges jeunes, les néocytes, a été abandonnée, bien qu’elle permette d’allonger
l’intervalle entre les deux transfusions, car elle double le nombre de
donneurs de sang auquel le receveur est exposé.
L’évolution des taux d’Hb pré- et post-transfusionnels doit être
analysée par rapport aux quantités sanguines transfusées (les
apports mensuels sont enregistrés et analysés annuellement).
Une
consommation annuelle de l’ordre de 150-200 mL·kg–1·an–1 de
concentrés érythrocytaires maintient normalement le taux d’Hb
moyen proche de 12 g·dL–1.
Une consommation supérieure à
200 mL·kg–1·an–1 doit faire rechercher la cause de l’inefficacité
transfusionnelle, souvent due à un hypersplénisme, qui conduit
habituellement à pratiquer une splénectomie.
L’apparition d’un autoanticorps antiérythrocytaire est possible, et peut aussi se
traduire par une majoration des besoins transfusionnels.
L’alloimmunisation
antiérythrocytaire est une complication relativement
rare depuis l’utilisation systématique de produits phénotypés en Rh-
Kell, puisque la majorité des anticorps rencontrés autrefois
apparaissait dans ces systèmes.
Bien traités, les patients ont des activités normales.
La croissance staturopondérale est normale jusqu’à l’adolescence, les anomalies
morphologiques sont atténuées ou absentes.
Ainsi, la transfusion
sanguine a transformé le pronostic vital de la thalassémie majeure,
et les enfants bien traités ne meurent plus de cette maladie.
En
revanche, la transfusion est responsable de complications multiples,
responsables à leur tour de la morbidité et de la mortalité de
l’affection, chez les adolescents et les adultes dont la qualité de vie
reste souvent médiocre.
2- Surcharge en fer :
Un concentré érythrocytaire de 280 mL apporte environ 200 mg de
fer.
L’organisme ne dispose pas de moyens naturels d’évacuation de
ce fer, qui se dépose d’abord dans le foie et la rate, puis dans les
glandes endocrines et le coeur.
La surcharge en fer est à l’origine des
complications et de la mortalité qui menacent maintenant les
thalassémiques après l’âge de 15 ans.
Parmi les différentes méthodes
d’évaluation de la surcharge en fer, la mesure de la ferritine sérique
est le paramètre biologique le plus utilisé.
L’interprétation de son
taux doit tenir compte de l’état hépatique, puisqu’une cytolyse
importante majore sa valeur, quel que soit l’état hépatique, d’une
inflammation, qui majore aussi la ferritinémie, de la proximité de la
dernière transfusion sanguine.
Une ferritinémie supérieure à
1 000 ng/mL traduit une surcharge martiale exposant à terme aux
complications cardiaques, endocriniennes ou hépatiques.
Certaines
équipes recommandent la réalisation d’une ponction-biopsie
hépatique pour évaluer précisément la surcharge, mais cette
attitude est discutée, d’une part du fait de son invasivité, d’autre
part parce que les fragments biopsiques peuvent être de taille trop
insuffisante pour être informatifs, chez les patients porteurs d’une
fibrose marquée ou d’une cirrhose.
Enfin, la surcharge en fer peut être évaluée par résonance
magnétique nucléaire, mais cette étude n’est possible que dans peu
de centres.
Diagnostiquées le plus souvent dans la deuxième décennie, les
complications cardiaques menacent le pronostic vital à l’occasion de
la survenue d’une insuffisance cardiaque congestive.
On a montré
en particulier qu’une maladie cardiaque pouvait se constituer quand
la ferritinémie était régulièrement supérieure à 2 500 ng/mL.
Les
lésions histologiques rapportées à l’hémosidérose sont des dépôts
de fer dans les cellules myocardiques, notamment ventriculaires, et
dans les voies de conduction.
Des lésions de fibrose existent à un
stade plus avancé.
Les signes cliniques et électriques de l’atteinte
cardiaque sont présents à un stade tardif de la surcharge en fer.
Ils
témoignent d’une hypertrophie ventriculaire gauche, d’un
épanchement péricardique, de troubles du rythme et/ou de la
conduction, d’une insuffisance cardiaque congestive.
Une
intensification importante de la chélation peut seule permettre à ce
stade une stabilisation de la fonction cardiaque.
Les patients
thalassémiques adultes ont aussi un risque accru de complications
thromboemboliques (accidents cérébraux ischémiques transitoires,
hémiplégies, thromboses artérielles et veineuses), sans doute
secondaire à une activation chronique des facteurs de coagulation.
Les anomalies hépatiques sont constantes dans l’hémosidérose posttransfusionnelle.
La surcharge en fer apparaît sous la forme de
pigments d’hémosidérose dans les cellules de Kupffer, parfois
entourés de nécrose hépatocytaire, voire de fibrose.
L’examen
histologique du foie, effectué par Jean et al chez 86 enfants
thalassémiques âgés de 3 à 16 ans, a montré de façon constante une
fibrose à partir de l’âge de 6 ans, des lésions de cirrhose chez certains
à partir de l’âge de 9 ans, une cirrhose presque constante après l’âge
de 15 ans.
Il faut toutefois souligner que ce travail est antérieur à
la mise en évidence du virus de l’hépatite C, et n’indique donc pas
si certains patients étaient aussi infectés par ce virus.
En effet, les
lésions hépatiques secondaires à la surcharge en fer sont aggravées
quand coexiste une infection virale liée à l’hépatite B et/ou à
l’hépatite C, complications fréquentes chez les thalassémiques multitransfusés avant l’instauration des dépistages viraux
systématiques des dons de sang.
Chez les patients thalassémiques, les complications endocriniennes
relèvent de mécanismes multiples ; cependant, l’examen
histologique des tissus concernés, prélevés lors des autopsies, amène
à attribuer à la surcharge martiale la plus grande part de
responsabilité dans la genèse de ces complications.
Les
complications endocriniennes sont observées dès l’âge de 12-15 ans,
et contribuent à la morbidité de la thalassémie majeure à partir de la
fin de la deuxième décennie.
Un retard statural est fréquent, et peut
être majoré par un retard pubertaire, ce dernier étant d’habitude
plus sévère chez le garçon.
La puberté peut demeurer incomplète.
Une aménorrhée peut aussi s’installer secondairement.
La qualité
du développement pubertaire et staturopondéral est très dépendante
de l’adéquation des apports transfusionnels aux besoins, et de la
mise en oeuvre précoce du traitement chélateur du fer.
Des
traitements hormonaux substitutifs sont parfois utiles en cas
d’insuffisance en hormone de croissance (GH pour growth hormone),
d’hypothyroïdie ou d’insuffisance gonadique associés.
L’hypogonadisme hypogonadotrope aggrave la maladie osseuse liée
à l’ostéopénie.
Une étude de la minéralisation osseuse chez
82 patients âgés de 12 à 43 ans, bien pris en charge pour la
transfusion et la chélation, a montré une ostéoporose chez 51 %
d’entre eux, à l’origine de douleurs ostéoarticulaires diffuses, surtout
rachidiennes.
Le traitement inclut des apports calciques, une supplémentation en vitamine D, et le traitement de l’hypogonadisme
hypogonadotrope, qui était présent chez 67 % des 82 patients cités.
Les biphosphonates sont en cours d’étude.
L’hypothyroïdie
et l’hypoparathyroïdie, cliniques et/ou biologiques, doivent être
systématiquement recherchées.
Un diabète insulinodépendant est
possible. L’âge moyen d’installation d’un diabète, constaté dans
6,5 % des 448 cas de thalassémie étudiés par De Sanctis, est de
17 ans.
Du fait de la prévalence de l’hypogonadisme hypogonadotrope, les cas de grossesse sont très rares, mais possibles
chez des patientes ayant bénéficié dès le diagnostic d’apports
transfusionnels optimaux, et d’une chélation ayant toujours contrôlé
la surcharge en fer.
3- Traitement de la surcharge en fer :
* Desféralt (déféroxamine)
:
Le Desféralt reste en 2001 le traitement chélateur du fer de référence.
Cette molécule est très mal absorbée par voie orale, et doit être
administrée par voie parentérale.
La voie sous-cutanée est la plus
utilisée, elle induit une élimination du fer de l’ordre de 90 % de celle
induite par voie intraveineuse. La voie intramusculaire est bien
moins efficace.
L’équilibration des apports en fer est obtenue par
l’administration sous-cutanée pendant 8 à 10 heures de 40 mg/kg/j
de Desféralt.
Cette dose de 280 mg/kg/semaine peut être répartie
sur 5 jours, pour laisser un peu de répit aux patients.
La négativation
de la balance en fer est obtenue quand l’élimination urinaire de fer
atteint 0,5 mg/kg/j.
L’objectif à atteindre, en l’absence d’autre
évidence de surcharge tissulaire grave, est le maintien d’une ferritinémie entre 500 et 1 000 ng/mL.
La perfusion sous-cutanée
peut se faire grâce à des pompes portables, ou, chez les adolescents
et les adultes, grâce à un diffuseur.
Le volume des diffuseurs est
plus important que celui des seringues adaptées aux pompes
portables, ce qui permet d’injecter plus de produit à chaque fois, et
réduit le nombre de jours de perfusion.
Il faut toutefois veiller à ne
pas injecter plus de 80 mg/kg/injection, sauf s’il existe une
défaillance cardiaque nécessitant une chélation intensive, pour éviter
la toxicité du Desféralt.
En raison du caractère fastidieux des
perfusions sous-cutanées prolongées sur une dizaine d’heures,
certaines équipes proposent l’administration du Desféralt par bolus
sous-cutanés, la dose quotidienne étant répartie en deux
injections.
Les injections sous-cutanées peuvent être précédées de
l’application d’une crème anesthésique locale (Emlat).
La toxicité du Desféralt est essentiellement observée quand il est
utilisé à une dose excédant 50 mg/kg/j, ou à des doses plus faibles
chez des patients faiblement surchargés en fer.
Un « index de
toxicité » est proposé, qui fait le rapport de la dose quotidienne
(mg/kg) sur la ferritinémie (µg/L).
Ce ratio doit rester inférieur à
0,025.
La toxicité est essentiellement neurosensorielle, sous forme
de déficits auditifs et d’anomalies rétiniennes, qui amènent à
préconiser une surveillance annuelle de l’audiogramme et
l’électrorétinogramme.
Une diminution de la vitesse de croissance,
ainsi que des anomalies pseudorachitiques ont été décrites, chez de
jeunes enfants traités alors qu’ils n’avaient qu’une surcharge
modérée.
La réduction de la dose de Desféralt fait habituellement
disparaître ces anomalies.
Des complications irréversibles ont été
décrites chez des patients traités à de très fortes doses (100 à
200 mg/kg/j) pour une complication cardiaque majeure.
Certains
patients traités par Desféralt par voie sous-cutanée font des
réactions à type d’urticaire, parfois paradoxalement absentes quand
le Desféralt est administré par voie intraveineuse.
D’autres patients
font, à l’occasion d’injections sous-cutanées ou intraveineuses, des
bronchospasmes qui font discuter le choix de l’autre chélateur
existant : le Ferriproxt.
À noter enfin que le Desféralt doit être interrompu chez les patients
présentant une fièvre d’origine inexpliquée, une diarrhée, des
douleurs abdominales, tant qu’une infection par Yersinia
enterocolitica n’a pas été éliminée, puisque cette bactérie dépourvue
de sidérophores détourne à son profit la capacité du Desféralt de
capter du fer, élément qu’elle utilise pour sa propre croissance.
Si le Desféralt a prouvé son efficacité quand il est administré
régulièrement, ce traitement est extrêmement contraignant,
occasionnant souvent des arrêts de traitement par les patients qui le
jugent inacceptable, et s’exposent alors aux risques de la surcharge
en fer.
Un chélateur administrable par voie orale était donc attendu
avec impatience.
La molécule pour laquelle on a aujourd’hui le plus
de recul est le Ferriproxt.
Son activité chélatrice paraît inférieure à
celle du Desféralt, n’induisant une élimination urinaire que de
l’ordre de 65 % de celle provoquée par le Desféralt.
Une étude
clinique importante est celle de Hoffbrand.
Parmi 51 patients
thalassémiques traités par Ferriproxt (75 mg/kg/j), 49 % ont arrêté
le traitement ou sont morts après 19 mois en moyenne.
Parmi les
cinq décès, quatre étaient liés à une insuffisance cardiaque et un à
une infection ; les principales causes des arrêts de traitement étaient :
une arthropathie pour cinq patients ; un échec pour cinq autres ; cinq
patients ont eu des symptômes digestifs sévères ; deux ont eu une
neutropénie ; un patient a présenté une agranulocytose.
Les données
les plus récentes sur la toxicité sont celles de Cohen et al.
L’incidence de l’agranulocytose (nombre de neutrophiles < 0,5 X 109/L) dans une population de 187 patients thalassémiques
majeurs traités par 75 mg/kg/j est de 0,6/100 patients-alphannées, celle
de la neutropénie (nombre de neutrophiles < 1,5 X 109/L) est de
5,4/100 patients-alphannées.
Une controverse avait été soulevée sur un
éventuel risque hépatotoxique du Ferriproxt.
Les données les plus
récentes semblent rassurantes sur ce point.
Du fait de sa toxicité potentielle, et de sa moindre efficacité par
rapport au Desféralt, le Ferriproxt a reçu, en août 1999, une
autorisation de mise sur le marché (AMM) restreinte aux patients
thalassémiques pour lesquels un traitement par Desféralt est contreindiqué
ou s’accompagne d’une toxicité sévère.
Les autres chélateurs oraux sont encore à des stades relativement
précoces de leur développement, et ne sont pas disponibles en
thérapeutique.
Les plus prometteurs sont le HBED (N,N-bishydroxybenzyl)
éthylènediamine-N,N-diacétate) et son dérivé
diméthylé, peu toxique mais insuffisamment efficaces et l’IRCO 11,
qui n’a pas encore été testé chez l’homme.
Face à ce dilemme, une chélation efficace et terriblement
contraignante, le Desféralt, et une chélation orale insuffisamment
active, certaines équipes proposent d’alterner ces traitements, en
administrant par périodes le Ferriproxt, et en relayant par le
Desféralt quand la ferritine remonte.
4- Infections virales post-transfusionnelles
:
Les patients thalassémiques sont une des populations les plus
exposées au risque de contamination virale transfusionnelle.
Effectivement, une étude publiée en 1987 par le European-Mediterranean WHO Working Group, incluant 3 633 patients
thalassémiques de 36 centres dans 13 pays, montrait que 1,56 % des
patients avaient des anticorps antivirus de l’immunodéficience
humaine (VIH).
L’instauration du dépistage des anticorps anti- VIH a considérablement réduit le risque de contamination par ce
virus.
Un travail publié en 1990, concernant 305 patients
thalassémiques majeurs français, italiens et belges, chiffrait la
prévalence des anticorps anti-VIH à 0,7 % (patients contaminés
avant le dépistage systématique chez les donneurs), anti-human
T-cell lymphoma virus I (HTLV I) à 0,7 %, antivirus de l’hépatite C
(VHC) à 34,1 %, anticytomégalovirus (CMV) à 69,5 %.
Neuf patients
(3 %) étaient porteurs de l’antigène HBs.
Un problème majeur
rencontré aujourd’hui chez les patients thalassémiques est celui de
l’infection par le VHC, qui associe sa toxicité hépatique propre à
celle de l’hémochromatose.
Le pourcentage de patients porteurs
d’anticorps anti-VHC va de 23 % (Angleterre) à 75 % (Italie).
Bien que l’association interféron-ribavirine soit plus efficace qu’une
monothérapie par interféron, certains contre-indiquent l’utilisation
de la ribavirine chez les patients porteurs d’une hémoglobinopathie,
du fait de l’aggravation de l’hémolyse provoquée.
Des traitements
par interféron alpha seul ont donc été menés ; il apparaît que leurs
chances de succès sont meilleures en l’absence de cirrhose, quand la
surcharge en fer est faible, et en l’absence d’infection par le génotype Ib.
Une équipe a associé l’interféron alpha (3 millions UI par voie
sous-cutanée trois fois par semaine) à la ribavirine (1 g/j) chez 11
patients thalassémiques.
Cinq ont eu une réponse soutenue à la
bithérapie, deux une réponse transitoire, quatre n’ont pas répondu.
Les besoins transfusionnels ont été accrus en moyenne de 41 %
(extrêmes : 25-94 %) pendant les 6 mois de l’étude.
La même équipe
préconise donc actuellement, si les données de la ponction-biopsie
hépatique l’indiquent, un traitement initial par interféron à la dose
de 3 millions UI trois fois par semaine pendant 3 mois.
En l’absence
d’amélioration, la dose d’interféron est doublée ; en l’absence encore
d’amélioration, l’association à la ribavirine (1 g/j) est préconisée,
sous couvert d’une augmentation des apports transfusionnels et
d’une intensification de la chélation.
La persistance du génome viral
au-delà de 12 semaines de bithérapie prédit fortement un échec, et
engage à arrêter le traitement.
Par ailleurs, la vaccination contre
l’hépatite B des patients thalassémiques est systématique.
5- Splénectomie :
Le développement d’un hypersplénisme est pratiquement constant
dans la thalassémie majeure.
Il apparaît en général entre 6 et
8 ans, parfois plus tardivement chez des patients soumis d’emblée à
des apports transfusionnels élevés.
Dans la grande majorité des
cas, un hypersplénisme est évoqué devant une augmentation des
besoins transfusionnels d’année en année, avec parfois la
constatation d’une leucopénie ou d’une thrombopénie.
On estime
actuellement qu’une consommation annuelle supérieure à
200 mL·kg–1·an–1 de concentrés érythrocytaires pour maintenir un
taux d’Hb moyen proche de 12g·dL–1 doit faire évoquer un
hypersplénisme et conduire à une splénectomie.
La splénectomie
totale est préconisée, des méthodes alternatives à cette chirurgie
n’ayant pas fait clairement la preuve de leur efficacité.
La vaccination antipneumococcique et la mise sous pénicilline V (Oracillinet)
sont nécessaires.
Le risque thromboembolique est majoré chez les patients
splénectomisés.
6- Supplémentation en acide folique
:
Elle est systématique (5 mg/j) et indéfiniment poursuivie.
E - PRONOSTIC DES PATIENTS TRAITÉS PAR TRANSFUSION
ET CHÉLATION
:
Le traitement conventionnel de la thalassémie majeure a transformé
l’espérance de vie des patients, dont la quasi-totalité atteint
maintenant l’âge adulte.
En 1989, Zurlo et al montraient que le
pourcentage de décès était de 60,6 % chez les patients nés avant
1965, et de 0,6 % chez ceux nés après 1979.
Une maladie cardiaque
était la première cause de décès (63,6 %) ; la deuxième cause était
une infection chez les patients décédant avant l’âge de 15 ans, une
maladie hépatique chez les autres.
Les autres maladies fatales étaient
ensuite des maladies hématologiques malignes (5 %), puis les
maladies endocriniennes (2,5 %) et les accidents thromboemboliques
(2,5 %).
En fait, si le pronostic vital est considérablement amélioré,
la qualité de vie est grevée par la nécessité de la chélation du fer
sous forme d’injections sous-cutanées quotidiennes sur plusieurs
heures.
Le traitement chélateur est en fait rarement appliqué assez
rigoureusement, si bien que la majorité des patients souffrent de
plusieurs endocrinopathies, et nécessitent des traitement hormonaux
substitutifs. Par ailleurs, même bien conduit, le traitement
conventionnel n’évite pas la survenue d’une ostéoporose
responsable de douleurs ostéoarticulaires sévères.
F - TRANSPLANTATION MÉDULLAIRE :
Du fait de la lourdeur de la maladie chez l’adulte, une greffe de
moelle, même compte tenu de son risque de morbidité et de
mortalité, doit légitimement être proposée aux patients qui disposent
d’un donneur HLA compatible.
L’expérience la plus importante est
celle de l’équipe de Pesaro en Italie.
L’étude de plus de
200 transplantations médullaires chez des enfants thalassémiques
âgés de moins de 16 ans a permis à Lucarelli et al de relever trois
facteurs pronostiques : l’existence d’une fibrose portale, la présence
d’une hépatomégalie, et l’inadéquation de la chélation sont des
facteurs péjoratifs significativement associés à une diminution des
pourcentages de survie et de survie sans maladie.
Les probabilités
de survie, survie sans maladie et de récurrence sont respectivement
de 94 %, 94 %, et 0 % dans le groupe ne présentant aucun de ces
facteurs de risque.
Ces très bons résultats ont fait discuter la
transplantation médullaire chez des patients présentant des
conditions initiales moins favorables.
Les probabilités de survie à
5 ans sont clairement moins bonnes chez les patients âgés de moins
de 17 ans associant les trois facteurs de risque, mais diffèrent selon
que le conditionnement a comporté plus ou moins de 200 mg/kg de
ciclosporine (57 et 74 % respectivement).
Dans cette même catégorie
de patients, le pourcentage de rejets varie selon que les patients ont
reçu plus ou moins de 100 transfusions de globules rouges (53 et
24 % respectivement).
La même équipe a aussi réalisé des greffes
de moelle allogéniques chez des patients âgés de 17 ans à 35 ans, et
rapporte des pourcentages de survie, survie sans rejet et rejet
respectivement de 66 %, 62 % et 4 %.
Une mortalité de l’ordre du
tiers, chez les patients recevant des greffes de donneurs non
apparentés, amène pour l’instant à récuser la greffe chez les patients
n’ayant pas de donneur intrafamilial.
G - DIAGNOSTIC PRÉNATAL :
Il est possible dès 10 semaines de grossesse à partir d’un
prélèvement de villosités choriales, à condition que les deux
mutations en cause aient été préalablement identifiées chez les cas
index et/ou les parents.
Sinon, une étude de ségrégation des
marqueurs de l’acide désoxyribonucléique (ADN) du gène bêta-globine
peut être réalisée par méthode indirecte si une étude familiale de
l’ADN a pu être faite préalablement chez le cas index, ses parents
voire ses germains, et a permis d’identifier le chromosome
11 porteur de la copie altérée du gène, et celui porteur d’une copie
normale.
Il est maintenant beaucoup plus rare de faire une étude
de l’hémoglobine à partir d’une ponction de sang foetal faite à une
période plus tardive de la grossesse.
H - THÉRAPIE GÉNIQUE :
L’introduction dans le génome des cellules-souches
hématopoïétiques de souris d’un gène de bêta-globine normal n’a
induit jusqu’à ces toutes dernières années qu’un taux d’expression
du gène normal à un niveau infrathérapeutique, diminuant de plus
rapidement avec le temps.
Quelques essais récents de transfection
de gènes chez la souris sont plus prometteurs, grâce notamment à
une meilleure maîtrise des éléments régulateurs de l’expression
génique (fragments du locus control region, pièce régulatrice
d’importance majeure située en amont du gène bêta-globine) et à
l’utilisation de nouveaux vecteurs viraux.
Une application à
l’homme relève encore toutefois d’un avenir lointain.
Bêta-thalassémie intermédiaire
:
C’est l’importance de l’anémie et des besoins transfusionnels qui
amène à différencier les thalassémies homozygotes majeures et
intermédiaires.
Les patients atteints de thalassémie intermédiaire ont
une production résiduelle d’hémoglobine de l’ordre de 6 à 11 g/dL
ne requérant pas de transfusion mensuelle.
La sévérité de
l’expression clinique résulte de la conjonction d’au moins trois
facteurs, la mutation bêta-thalassémique en cause, le nombre de gènes alpha, le taux de production de chaînes c capables de s’apparier avec les
chaînes a, éléments qui seront donc tous pris en compte pour tenter
de prédire la gravité clinique de l’affection ; cette prédiction doit
rester toutefois très prudente, et seule l’observation des besoins transfusionnels permet de distinguer une thalassémie intermédiaire
d’une forme majeure.
Sous l’influence combinée de ces différents
paramètres, et sans doute d’autres non encore identifiés, l’expression
clinique d’une thalassémie intermédiaire va de l’ absence de
manifestation clinique, jusqu’à une dépendance transfusionnelle.
Le
plus souvent, le tableau est celui d’une anémie hémolytique
modérée (pâleur, hépatosplénomégalie), pouvant s’aggraver lors
d’une infection, une érythroblastopénie, une grossesse, un
hypersplénisme, une carence en folates.
Comme les patients ne sont
pas transfusés, certains d’entre eux peuvent manifester les
complications osseuses de l’hyperplasie médullaire.
Il peut s’agir de
remodelage osseux, voire de l’apparition d’une tumeur
hématopoïétique extramédullaire.
Des cas de compression
médullaire ont été décrits. Leur traitement reposait classiquement
sur la radiothérapie, plus ou moins associée à la chirurgie.
Très
récemment, on a rapporté que l’hydroxyurée, sans association
d’autre traitement, avait entraîné la régression d’une tumeur
paraspinale chez un patient.
L’inflation érythroïde est aussi
responsable d’une hyperabsorption intestinale du fer, si bien qu’une
hémochromatose est parfois décrite chez des patients n’ayant jamais
été transfusés.
Des ulcères de jambe, des lithiases, des thromboses
sont aussi rapportés chez les patients adultes.
Le traitement est discuté cas par cas.
Une transfusion ponctuelle est
nécessaire en cas d’aggravation de l’anémie chronique.
Certains
patients peuvent nécessiter des transfusions régulières, souvent dans
ce cas tous les 3 mois quand l’anémie chronique retentit sur le
niveau d’activité, la scolarité, le développement staturopondéral, le
modelage osseux.
L’apparition de besoins transfusionnels peut
traduire la constitution d’un hypersplénisme, qui sera traité par une
splénectomie. Une supplémentation en acide folique est utile
(5 mg/j).
Quelques publications, incluant peu de malades et avec peu de
recul, ont montré une augmentation significative du taux
d’hémoglobine, permettant dans quelques cas un sevrage
transfusionnel chez des patients thalassémiques intermédiaires, lors
de traitements par hydroxyurée, érythropoïétine, et
phénylbutyrate.
Hétérozygoties composites
E/bêta-thalassémies :
A -
ÉPIDÉMIOLOGIE
:
L’HbE est l’Hb anormale la plus fréquemment rencontrée dans le
Sugamma-Est asiatique.
La prévalence de l’HbE est maximale aux
frontières de la Thaïlande, du Laos et du Cambodge, où près de
50 % de la population sont porteurs du gène de l’HbE.
Du fait de
la fréquence des mutations bêta-thalassémiques en Asie du Sugamma-Est,
l’hétérozygotie composite E/bêta-thalassémie, tout à fait caractéristique
de cette région du monde, n’est pas rare.
B - PHYSIOPATHOLOGIE :
La mutation E, de type thalassémique, réduit la quantité de chaînes bE synthétisées.
Les patients E/bêta-thalassémiques ont donc deux
allèles thalassémiques, mais la sévérité de l’anémie est très variable.
Comme pour les bêta-thalassémies, on décrit les E/bêtalpha0-thalassémies et
les E/bêtalpha+- thalassémies.
L’association à une alpha-thalassémie, l’activité
des gènes delta sont d’autres facteurs contribuant à la diversité de
l’expression clinique et biologique.
C - MANIFESTATIONS CLINIQUES ET BIOLOGIQUES :
Les signes cliniques sont très variables, allant d’un tableau de
thalassémie intermédiaire à celui d’une thalassémie majeure.
Les
patients présentent donc à des degrés variables une anémie, un
ictère, une hépatosplénomégalie, des modifications osseuses, un
retard du développement pubertaire.
L’hyperabsorption intestinale du fer peut entraîner une
hémochromatose, chez des patients non transfusés.
Une série de 802 malades à l’état basal montre des taux
d’hémoglobine de 2,6 à 13,3 g/dL, en moyenne à 7,7 g/dL.
D - TRAITEMENT :
Il est fonction de la production d’hémoglobine.
Une majoration des
besoins transfusionnels peut indiquer un hypersplénisme qui sera
corrigé par une splénectomie.
Les patients ayant une surcharge en
fer doivent être traités par Desféralt.
Une supplémentation en acide
folique est utile (5 mg/j).
Une amélioration de l’érythropoïèse et une augmentation de la
production d’HbF ont été rapportées sous hydroxyurée dans une
série de 13 patients.
Bêta-thalassémies intermédiaires
de transmission dominante
:
Elles ont un tableau clinique de thalassémie intermédiaire.