Hyperéosinophilie et syndromes hyperéosinophiliques
(Suite) Cours
d'hématologie
C - HYPERÉOSINOPHILIES ET MALADIES DE SYSTÈME
:
L’HE peut n’être qu’un signe associé qui s’intègre dans un contexte
de maladies de système.
Dans ces circonstances, d’autres
manifestations clinicobiologiques apparaissent souvent au premier
plan (syndrome inflammatoire, signes d’atteintes viscérales…).
Contrairement aux HE réactionnelles, une relation de cause à effet
n’est pas toujours évidente entre le développement de la maladie et
l’apparition de l’HE qui est parfois très élevée.
Les mécanismes impliqués dans les vascularites sont, encore
aujourd’hui, mal connus.
Une HE peut être observée dans la
périartérite noueuse ou surtout dans l’angéite de Churg et Strauss.
Dans ce cadre pathologique, l’HE peut être massive (> 5 X 109/L)
associée à une hyper-IgE sérique et à des signes cliniques évocateurs
(altération de l’état général, syndrome inflammatoire, signes
neurologiques à type de mono- ou multinévrite, risque d’atteinte
cardiaque grave…).
Dans les maladies auto-immunes, l’HE est rare,
hormis le cas du pemphigus et de la pemphigoïde bulleuse.
Dans
les déficits immunitaires, une HE peut être associée à un syndrome
de Wiskott-Aldrich (eczéma, thrombopénie, susceptibilité aux
infections bactériennes).
L’HE est plus constante, souvent élevée,
dans le syndrome hyper-IgE ou syndrome de Job décrit par
Buckley. Une HE massive avec hyper-IgE sérique est également
rencontrée dans le syndrome d’Omenn.
Il s’agit d’un déficit
immunitaire combiné sévère rare, à transmission autosomique
récessive, qui apparaît dans les premiers mois de la vie.
Il se traduit
par une érythrodermie exsudative, des polyadénopathies, une
hépatosplénomégalie.
D - HYPERÉOSINOPHILIES TISSULAIRES :
L’HE sanguine et tissulaire apparaît parfois comme un élément
caractéristique de la maladie.
Des manifestations respiratoires ou
digestives, des signes cutanés ou musculaires peuvent témoigner
d’un afflux des PNE au sein de tissus ou d’organes ciblés.
Des
examens complémentaires réalisés en milieu spécialisé peuvent
s’avérer indispensables (lavage bronchoalvéolaire, biopsies…) pour
préciser le diagnostic.
1- Signes respiratoires :
Il existe une grande variété d’affections caractérisées par un infiltrat
de PNE dans la muqueuse nasale et/ou dans les tissus
bronchopulmonaires.
Les signes cliniques et paracliniques
(imagerie, biologie) peuvent avoir une grande valeur d’orientation
diagnostique.
L’anamnèse et les différents symptômes observés permettent
souvent d’orienter d’emblée le site préférentiel des lésions.
L’atteinte
de la muqueuse nasale (rhinite) est retrouvée dans différentes
situations cliniques.
La mise en évidence d’une réaction
d’hypersensibilité dépendante d’IgE vis-à-vis d’allergènes caractérise
la rhinite allergique et la distingue du non-allergic rhinitis with
eosinophilia syndrome (NARES). Une atteinte associée de la muqueuse
bronchique (asthme), la notion d’intolérance à l’aspirine ou aux antiinflammatoires
non stéroïdiens, une polypose nasale proliférante,
sont autant d’éléments qui évoquent la maladie de Widal.
La mise
en évidence d’une réaction d’hypersensibilité dépendante d’IgE visà-
vis d’allergènes avec bronchospasme et hyperréactivité bronchique
caractérise aussi l’asthme allergique et le distingue de l’asthme
intrinsèque.
Devant un asthme sévère ancien et/ou sévère, trois
affections doivent être recherchées : la maladie de Widal, l’angéite
de Churg et Strauss, mais aussi l’aspergillose bronchopulmonaire
allergique (ABPA).
Le diagnostic d’ABPA est retenu devant la notion
de toux ramenant des « moules bronchiques » (bouchons mycéliens),
des aspects évocateurs en imagerie (mise en évidence de
bronchocèles ou « impactions mucoïdes » avec aspect en « doigt de
gant », bronchectasies proximales en tomodensitométrie), une HE
sanguine élevée, une hyper-IgE sérique (présence d’IgG et d’IgE
spécifiques vis-à-vis d’Aspergillus fumigatus, taux élevés d’IgE totales
baissant après corticothérapie).
L’anamnèse et les données cliniques et paracliniques (radiologie,
biologie) permettent parfois d’orienter la cause de la pneumopathie
avec éosinophilie.
Outre les mycoses (ABPA), des parasites, des
médicaments ou des toxiques, mais aussi un cancer peuvent être à
l’origine d’une pneumopathie à éosinophiles.
Le syndrome de Löffler lié à la migration de larves à travers le parenchyme
pulmonaire s’accompagne d’infiltrats labiles observés sur les clichés
radiologiques (ascaridiose, ankylostomose).
La présence d’infiltrats
persistants évoque un syndrome de Larva migrans viscéral
(toxocarose).
Un tableau de fièvre avec altération de l’état général,
précédant un syndrome bronchique, voire le développement d’une
fibrose endomyocardique, évoque un poumon éosinophile tropical
ou syndrome de Weingarten.
La survenue de douleurs thoraciques,
avec toux, expectoration « rouillée » liée à la présence de sang et
d’oeufs rougeâtres est très évocatrice de la distomatose pulmonaire
ou paragonimose.
Une HE avec atteinte pulmonaire peut aussi être
liée au développement d’un processus tumoral (carcinomes,
métastases, lymphangite carcinomateuse).
L’éventualité d’une cause
médicamenteuse doit toujours être suspectée devant la survenue
d’une HE sanguine associée à des signes respiratoires.
Ceux-ci sont parfois d’emblée évocateurs devant un syndrome
respiratoire aigu ou subaigu (toux sèche avec image radiologique
d’infiltrats plus ou moins fugaces) parfois fébrile. Les signes associés
sont fréquents (urticaire, rash, prurit, arthralgies, signes
hépatobiliaires…).
Le tableau clinique évoque un syndrome de Löffler (aspirine, carbamazépine, procarbazine, phénothiazines…) ou
une pneumonie interstitielle (nitrofurantoïne, méthotrexate).
La
présence de granulomes (sels d’or) et une évolution possible vers
une fibrose (bléomycine) ont été décrites. Une enquête minutieuse permet parfois
d’incriminer d’autres médicaments.
Dans certaines circonstances, aucune cause n’est retrouvée.
On
évoque alors la pneumonie chronique à éosinophiles ou maladie de Carrington.
C’est le lavage bronchoalvéolaire, plus que l’HE
sanguine inconstante, qui permet le plus souvent d’évoquer ce
diagnostic devant la survenue de manifestations respiratoires variées
(dyspnée, toux sèche) avec altération de l’état général (perte de
poids, fièvre, sueurs nocturnes).
Il s’agit d’une alvéolite à
éosinophiles, d’origine inexpliquée, qui survient le plus souvent
chez la femme.
Les images radiologiques sont parfois évocatrices
(images en « cimier de casque » ; images en négatif d’un oedème aigu
du poumon), mais plus souvent très polymorphes.
Après une
enquête étiologique très rigoureuse, qui reste négative, la
corticothérapie est proposée.
Son efficacité spectaculaire est un
élément de confirmation du diagnostic.
2- Signes cutanés
:
Une HE sanguine modérée ou massive, associée à des signes
cutanés, est un motif fréquent de consultation.
Différents états
d’hypersensibilité, liés ou non à l’IgE, associent HE et manifestations
cutanées (dermatite atopique, urticaire, angio-oedème, réactions
médicamenteuses, dermatites parasitaires).
Cette association se
rencontre également, nous l’avons vu, dans le cadre des vascularites
(angéite de Churg et Strauss) mais aussi dans les lymphomes
(mycosis fungoïde, syndrome de Sézary, papulose lymphomatoïde)
ou dans les mastocytoses systémiques.
Dans d’autres circonstances, les signes cutanés apparaissent au
premier plan et justifient souvent une consultation en milieu
dermatologique.
Il peut s’agir de dermatoses bulleuses
(pemphigoïde, pemphigoïde gestationis, incontinentia pigmenti,
dermatite herpétiforme), de proliférations tumorales bénignes (le
granulome éosinophile des tissus mous ou maladie de Kimura,
l’hyperplasie angiolymphoïde avec éosinophilie), de la folliculite
pustuleuse à éosinophiles (maladie d’Ofugi), de la cellulite à
éosinophiles d’évolution bénigne (syndrome de Wells avec une
image en « flammèche » typique à l’examen histopathologique de la
peau lésée), de l’angio-oedème épisodique décrit par Gleich (prise
de poids avec oedèmes diffus associée à une HE massive suivie
d’une résolution plus ou moins rapide et totale des signes cliniques
et de l’HE).
3- Signes hépatodigestifs :
L’HE peut s’intégrer dans le cadre d’une affection déjà identifiée.
Il peut s’agir d’une hémopathie maligne à localisation
intestinale, d’une vascularite ou d’une parasitose (hépatite,
angiocholite de la distomatose hépatique, anorexie ou boulimie
associée à des épigastralgies dans le tæniasis, hépatomégalie ou
complications liées au kyste hydatique, douleurs abdominales et
troubles intestinaux de l’anisakiase, diarrhée, cirrhose de la
bilharziose à Schistosoma mansoni, duodénite de l’anguillulose ou de
l’ankylostomose…).
De nombreuses maladies inflammatoires du
tube digestif s’accompagnent d’HE tissulaires (maladie coeliaque)
et/ou sanguines (rectocolite hémorragique, maladie de Crohn,
maladie de Whipple).
Des signes spécifiques d’atteinte hépatique
avec HE se rencontrent dans des circonstances très variées (parasites,
médicaments, cholangite sclérosante primitive, cancer, SHE).
Il existe en revanche des circonstances où la cause de l’HE à
localisation digestive demeure inconnue. On évoque alors la
gastroentérite à éosinophiles (GEE).
Elle s’observe parfois dans un
contexte d’atopie avec des taux élevés d’IgE sériques, surtout chez
l’enfant (allergie alimentaire ?).
Une localisation particulière de
l’infiltrat de PNE peut expliquer la symptomatologie observée.
La GEE peut ainsi se traduire par un tableau de pseudopéritonite avec
une ascite riche en PNE (atteinte des séreuses) ou par un tableau de
subocclusion proche de celui observé dans l’anisakiase (atteinte de
la musculeuse avec des formations pseudotumorales).
L’infiltration
de la muqueuse est fréquente avec entéropathie sévère et syndrome
de malabsorption.
4- Signes musculaires
:
Une myopathie avec infiltrat de PNE est rarement rencontrée.
L’HE sanguine est inconstante.
Ce tableau peut s’intégrer dans un contexte évocateur.
C’est le cas dans la trichinose, dans le
syndrome « myalgie éosinophilie » avec la notion de la prise de L-tryptophane (rôle « toxique » des contaminants présents dans le
produit).
Dans la majorité des cas, aucune étiologie n’est retrouvée. Devant
un syndrome inflammatoire, on peut évoquer une polymyosite ou
une dermatomyosite.
Une HE sanguine, parfois massive, avec
douleur et gonflement des muscles, limitation des mouvements,
induration des tissus sous-cutanés sont autant d’éléments en faveur
de la fasciite de Shulman (rique d’hémopathie, d’aplasie
médullaire…).
Syndromes hyperéosinophiliques :
Devant une HE sanguine massive (> 1,5 X 109/L), on ne dispose
parfois d’aucun élément d’orientation diagnostique et une enquête
étiologique rigoureuse peut demeurer infructueuse.
Le SHE est alors
évoqué et l’on redoute le risque de complications viscérales où
dominent la fibrose endomyocardique et les neuropathies.
D’autres HE sanguines isolées annoncent la survenue, parfois très retardée,
d’hémopathies malignes.
Ces modalités évolutives justifient un suivi
très régulier de ces patients.
Des données récentes nous instruisent
de l’existence de nouveaux mécanismes impliqués dans les HE
chroniques inexpliquées (HE clonales et paraclonales).
A - SYNDROME D’HYPERÉOSINOPHILIE ESSENTIELLE
:
Selon les critères de Chusid et al définis en 1975, le SHE associe
une HE massive (> 1,5 X 109/L), d’origine inconnue évoluant depuis
au moins 6 mois, à une infiltration tissulaire diffuse de PNE et des
atteintes multiviscérales, surtout cardiaques.
Le caractère d’entité
pathologique attribué au SHE est, en fait, discutable en raison d’une
expression clinique et de modalités évolutives très variables.
C’est un diagnostic d’exclusion qui ne peut être évoqué qu’après
une enquête étiologique rigoureuse.
Les éléments évocateurs, mais
non décisifs, pour le diagnostic de SHE sont les suivants :
– il existerait une nette prédominance masculine (80 %) avec un âge
de survenue situé habituellement entre 20 et 50 ans.
Les formes de
l’enfant, très rares, seraient plus sévères ;
– la découverte d’un SHE est fortuite dans 10 % des cas (à la suite
d’un hémogramme systématique) ou liée au développement de
complications (cardiopathies, neuropathies).
Les signes d’appel sont
en fait très variés.
Il peut s’agir d’une altération de l’état général
(asthénie, fébricule), de signes respiratoires (toux, dyspnée), cutanés
(sueur, prurit, rash, angio-oedème), musculaires (myalgies) ou
digestifs (nausée, diarrhée).
Une hépatomégalie serait retrouvée dans
50 % des cas ;
– les signes cardiaques associés à une HE chronique inexpliquée font
souvent évoquer le SHE.
L’atteinte cardiaque serait sa complication
la plus fréquente (50 à 70 % des cas), souvent révélée par des signes
d’insuffisance cardiaque.
Une insuffisance tricuspidienne ou mitrale,
un choc cardiogénique, une adiastolie, des troubles du rythme sont
autant de signes qui peuvent aussi être rencontrés.
Ils peuvent
témoigner du développement d’une myocardite à éosinophiles.
Le
plus souvent, il s’agit d’une fibrose endomyocardique.
Tout patient
présentant une HE chronique inexpliquée doit bénéficier d’examens
complémentaires à la recherche d’une atteinte cardiaque par nécrose,
thrombose ou fibrose (électrocardiogramme [ECG],
échocardiographie bidimensionnelle renouvelée tous les 6 mois,
voire biopsie endomyocardique dans certains cas) ou de lésions
vasculaires (examen du fond d’oeil, manifestation de thrombose, de
microembolie, bilan de coagulation, bilan neurologique…) ;
– les signes neurologiques décrits dans le SHE peuvent se traduire
par des atteintes, soit centrales (confusion mentale, ataxie, convulsions, amnésie, coma), soit périphériques (mononévrite
sensitive).
Ils seraient liés à des phénomènes vasculaires (vascularite)
et/ou thromboemboliques ;
– les signes cutanés décrits dans le SHE peuvent être variés, à type
de nodules, de rash érythémateux ou maculopapuleux.
Un angiooedème
ou une urticaire, parfois associés à une hyper-IgE sérique,
seraient plus volontiers rencontrés dans les formes de pronostic
favorable, sensibles à la corticothérapie.
Le diagnostic de SHE doit donc toujours être discuté.
Il l’est d’autant
plus lorsque les signes prédominent au niveau pulmonaire (relations
avec la maladie de Carrington ?), intestinal (relations avec la
gastroentérite à éosinophiles ?) ou surtout médullaire (relations avec
une leucémie chronique à éosinophiles ou avec une autre
hémopathie maligne ?).
En effet, l’HE sanguine est parfois
associée à d’autres signes hématologiques qui évoquent un état
préleucémique (atteinte d’autres lignées, anomalies du caryotype…)
et/ou un syndrome myéloprolifératif (hépatosplénomégalie,
myélofibrose, vitamine B12 sérique très élevée, score des
phosphatases alcalines, uricémie élevée, folatémie abaissée…).
Le
pronostic serait plus réservé dans les formes dites
« myéloprolifératives » en raison d’une fréquente résistance à la
corticothérapie et à la chimiothérapie.
Certains SHE annoncent en
fait la survenue d’une authentique hémopathie.
B - HYPERÉOSINOPHILIES CHRONIQUES PRIMITIVES
CLONALES :
Les HE chroniques dites primitives sont liées, soit à un excès de
production médullaire, soit à un défaut d’élimination des PNE
matures en relation avec une altération des processus physiologiques
d’apoptose.
Elles s’intègrent dans un tableau clinicobiologique qui
paraît évocateur.
Des signes comme l’hépatosplénomégalie,
l’anémie, la thrombopénie, la myélofibrose permettent de suspecter
le développement d’une hémopathie maligne.
L’hémopathie
myéloïde ou lymphoïde est confirmée ultérieurement, parfois après
un long délai, par l’évolution des signes cliniques et les résultats
d’examens complémentaires (étude du caryotype, analyses de
cytogénétique moléculaire, mise en évidence d’une prolifération
clonale…).
Dans d’autres circonstances, des signes évocateurs d’un
syndrome myéloprolifératif, d’une myélodysplasie, d’une
leucémie sous-jacente ne permettent pas néanmoins d’établir un
diagnostic précis.
Il n’est pas aisé de faire la part entre un SHE, un
état préleucémique et une leucémie chronique à éosinophiles.
Certains SHE restent « stables », d’autres se transforment, parfois
après plusieurs années d’évolution, en une hémopathie maligne
(leucémie aiguë myéloïde) ou en sarcomes granulocytaires
(chloromes).
Une grande vigilance s’impose donc devant la
survenue d’une HE chronique inexpliquée.
Certains auteurs ont
évoqué l’intérêt de l’étude de nouveaux marqueurs permettant de
distinguer un SHE « bénin » d’un SHE « malin ».
Dans les formes
leucémiques, on noterait une expression accrue du gène de la
tumeur de Wilms ou WT1.
1- Excès de production
:
Il s’agit le plus souvent d’anomalies clonales liées à un processus leucémogène.
Elles peuvent intéresser des cellules progénitrices
communes oligopotentes, des précurseurs de la lignée éosinophile
ou des PNE matures.
L’HE médullaire et/ou sanguine peut ainsi
être associée à des altérations observées sur d’autres lignées mais
les PNE dérivent du clone leucémique.
L’HE s’intègre, nous l’avons vu, dans un tableau d’hémopathie en
cours d’évolution dans la LMC, la leucémie aiguë myéloblastique
de type LAM4EO avec inversion du chromosome 16 ou la leucémie
myélomonocytaire.
Dans d’autres circonstances, l’HE sanguine peut être isolée.
Seules
les anomalies chromosomiques affectant des cellules multipotentes
ou des progéniteurs ou des cellules myéloïdes permettent alors
d’évoquer un état préleucémique ou une leucémie aiguë ou
chronique à éosinophiles.
Dans ces leucémies, les anomalies
chromosomiques n’affectent pas des facteurs de transcription, mais
surtout des gènes codant des récepteurs de membrane (récepteur
du facteur de croissance des fibroblastes ou FGF-R1 avec la
production de transcrits de fusion FGF-R1-FOP, FGF-R1-FAN, FGFR1-
ZNF-198 ; récepteur du facteur de croissance des plaquettes PDGF-Rb avec la production du transcrit de fusion PDGF-R-TEL).
Une activation constitutive de ces récepteurs, impliquant les JAK,
pourrait être un des événements oncogènes à l’origine du processus
leucémogène.
De rares cas d’anomalies clonales d’éosinophiles matures ont été
décrits dans certaines formes d’HE chroniques inexpliquées.
Des
explorations spécialisées permettent de détecter cette anomalie chez
la femme.
Il s’agit de la technique de l’inactivation de l’X
(représentation mono- ou multiallélique de marqueurs hétérozygotes
sélectionnés présents sur le chromosome X et subissant le
phénomène de lyonisation).
2- Défaut d’apoptose :
Différents travaux ont mis en évidence des altérations de processus
d’apoptose affectant l’éosinophile et favorisant le développement
d’HE chroniques jusqu’alors inexpliquées.
C - HYPERÉOSINOPHILIES CHRONIQUES PARACLONALES :
Dans les « SHE » et dans les HE sanguines chroniques inexpliquées,
les PNE circulants ne présentent habituellement aucune des
altérations cytologiques communément rencontrées dans les
leucémies (blastose).
Ils se présentent comme des PNE matures avec
parfois un aspect d’hypogranulation du cytoplasme et un noyau
multilobé.
Nous avons vu qu’une atteinte propre à la lignée
éosinophile peut expliquer l’afflux de cellules matures dans le sang
et les tissus.
Le plus souvent, l’HE est liée à une anomalie qui affecte
une autre lignée, dont les éléments, plus ou moins différenciés,
produisent des facteurs actifs sur la production ou sur le
recrutement des PNE (HE réactionnelles paraclonales).
Dans les HE chroniques, des proliférations clonales de lymphocytes
T ont été mises en évidence.
L’analyse du profil de synthèse et de
sécrétion de cytokines par ces lymphocytes T a permis de les
identifier comme étant des lymphocytes de polarité Th2.
D’autres observations ponctuelles ont mis en évidence, par cytométrie en flux, des modifications phénotypiques affectant
certaines sous-populations de lymphocytes circulants.
Ces anomalies
de l’homéostasie lymphocytaire témoignent souvent de l’émergence
de clones de lymphocytes T identifiables par étude du
réarrangement de la chaîne gamma du récepteur du lymphocyte T
ou TCR.
L’origine de ces dérèglements affectant les lymphocytes T
n’est pas connue. On peut craindre, toutefois, le développement
d’événements oncogènes après la mise en évidence d’anomalies
clonales cytogénétiques.
Certaines formes cliniques évoluent vers
un lymphome.
Des populations de lymphocytes T CD3-CD4+ productrices d’IL5
ont été identifiées.
Ces clones Th2 expriment des récepteurs
de chimiokines dont certains peuvent être modulés négativement
par la présence, en excès, de leur ligand dans le sérum des patients
hyperéosinophiliques.
On peut citer l’exemple du thymus activated
and regulated chemokine (TARC), ligand du CCR4. D’autres cas
explorés d’HE chroniques révèlent l’existence de lymphocytes T
CD3+ CD4– CD8– dans le sang.
Une étude récente confirme ces
premiers résultats et révèle, en plus, d’autres perturbations de
l’homéostasie lymphocytaire.
Une analyse systématique de
différents marqueurs du lymphocyte T (CD3, CD4, CD8 mais aussi
CD2, CD5, CD6, CD7, CD25, HLA DR, CD95) révèle des anomalies
qui affectent, selon les patients, 6 à 60%des lymphocytes circulants.
À l’exception d’un seul cas, on note l’absence d’hyperlymphocytose
sanguine.
Les différents phénotypes observés sont CD3+ CD4+
CD8– ; CD3+ CD4– CD8+ ; CD3+ CD4– CD8– ; CD3– CD4+ CD8+.
Un
patient présente deux populations lymphocytaires « anormales ».
Une prolifération clonale a été mise en évidence dans 50 % des cas.
Le plus souvent, les cellules T « anormales » présentent les caractères d’une cellule activée (CD25+, HLA DR+) et produisent de l’IL5, voire
de l’IL4 (polarité Th2).
Des moyens d’analyse simples, tels que la cytométrie en flux, permettent ainsi de détecter, à un stade précoce,
la présence, même faible, d’un contingent de cellules T aptes à
activer les éléments de la lignée éosinophile.
Ces investigations
doivent donc être menées systématiquement devant toute HE
chronique inexpliquée.
Nous avons vu que la découverte
d’anomalies phénotypiques des cellules T doit faire craindre une
évolution ultérieure vers un lymphome T, observée dans plus de
20 % des cas, ou vers une autre hémopathie lymphoïde.
Conclusion
:
L’étude des HE réactionnelles a permis de caractériser les principaux
facteurs capables d’agir sur les éléments de la lignée éosinophile.
Ces
données ont été instructives pour l’étude des mécanismes impliqués
dans les syndromes hyperéosinophiliques.
Ceux-ci peuvent dépendre,
soit d’anomalies clonales intéressant la lignée éosinophile, soit
d’anomalies paraclonales affectant surtout le lymphocyte T.
Ces
syndromes peuvent témoigner d’un excès de production lié à un
événement oncogène ou être la conséquence d’un défaut d’apoptose
physiologique des PNE ou des lymphocytes T.
La prise en charge des
patients présentant une HE chronique inexpliquée était jusqu’alors
difficile en raison du manque de marqueurs validés permettant d’établir
un diagnostic et un pronostic.
On constate aujourd’hui que des
méthodes d’analyse simples peuvent avoir une grande valeur indicative.
Une étude en cytométrie de flux permet d’étudier le phénotype des
lymphocytes sanguins et d’évaluer les marqueurs d’apoptose sur les
lymphocytes T et les PNE.
D’autres investigations plus spécialisées
(cytogénétique moléculaire, biologie moléculaire, technique de
l’inactivation de l’X chez la femme…) sont parfois requises pour la
recherche d’une clonalité (lymphocyte T ou PNE) ou la mise en
évidence de réarrangements chromosomiques (transcrits de fusion
BCR-ABL, PDGF-br-TEL…).
Ces nouvelles approches permettent de
mieux classer ces HE chroniques et d’envisager, à terme, de nouveaux
traitements.
L’emploi de corticoïdes, d’interféron alpha, d’hydroxyurée,
voire de cyclosporine a été proposé dans les SHE.
L’indication de
la greffe de moelle est reconsidérée.
Une meilleure connaissance des
dérèglements cellulaires et moléculaires accompagnant ces SHE devrait
permettre d’engager, à l’avenir, des stratégies de traitement adaptées,
soit aux HE primitives clonales, soit aux HE réactionnelles
paraclonales.