Syndrome des voies aériennes supérieures

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Autant, désormais, connaît-on bien le syndrome des apnées obstructives du sommeil (SAOS), autant ce que l’on pourrait appeler le « syndrome des voies aériennes supérieures » (SVAS) reste-t-il une pathologie généralement mal connue. Cette méconnaissance procède d’une présentation clinique frustre et de la nécessité d’une confirmation par un enregistrement polysomnographique comportant des capteurs spécifiques. L’objectif du présent éditorial est double, d’une part contribuer à mieux faire connaître cette pathologie, et d’autre part insister sur son probable lien pathogénique avec le SAOS et, partant, la nécessité d’une prise en charge précoce.

Syndrome des voies aériennes supérieures
Comment identifier le syndrome des voies aériennes supérieures ?

Définition :

Il est évidemment nécessaire de disposer pour cela d’un enregistrement polysomnographique. Le montage électroencéphalographique doit inclure en particulier les dérivations C3/A2, C4/A1, et O1/A2. L’enregistrement des grandeurs ventilatoires doit comporter à la fois une mesure de pression par canule nasale, une thermistance buccale, et une mesure de la pression oesophagienne (Pes). On ne peut parler de SVAS que si l’index d’apnées est inférieur à 5 évènements/heure, et si la saturation en oxygène (SpO2) ne descend jamais en dessous de 92 %, et qu’il existe une limitation de débit au niveau nasal. À cet égard, il convient de noter que le terme « hypopnée » n’est pas très bien défini dans la littérature.

Suivant des conventions publiées, nous retenons une « hypopnée » lorsque lors des cycles ventilatoires présentent une limitation du flux nasal d’au moins 30 % par rapport aux cycles non obstruée et qu’il existe concomitamment une réaction d’éveil électroencéphalographique (alpha ou bêta) ou une chute de saturation de 3 %. Cette définition permet de déterminer un index d’apnées et hypopnées (IAH) qui a l’avantage d’être de signification uniforme d’un laboratoire à l’autre, mais il est tout à fait évident que l’IAH ne saurait prendre en compte toutes les anomalies respiratoires observées lors des troubles respiratoires obstructifs du sommeil. Il ne rend en particulier pas compte du SVAS tel qu’il a été défini ci-dessus, et, depuis plus de 15 ans, nous avons régulièrement observé chez l’adulte (et en particulier chez le ronfleur non apnéique) les anomalies respiratoires caractéristiques de ce SVAS, qui peuvent exister pendant 5 à 10 minutes avant que n’apparaisse une hypopnée ou une réaction d’éveil.

Anomalies de l’enregistrement polysomnographique :

Ces anomalies de l’enregistrement sont relativement aisées à comprendre. Elles peuvent être en rapport avec des fluctuations de la fréquence ventilatoire pendant le sommeil, fluctuations plus particulièrement observées chez l’enfant.

Normalement, dès l’âge de 2 ans, la fréquence ventilatoire au cours du sommeil lent (stade 1 à 4) est au maximum de 16 à 17 cycles/minute, et de 17 à 18 cycles par minute au cours du sommeil paradoxal. Lors d’une diminution même minime du volume courant, quelle que soit sa cause, la fréquence ventilatoire augmente, pour maintenir une ventilation minute stable et éviter des modifications de l’hématose. La fréquence ventilatoire peut dans ces circonstances parfois dépasser 20 cycles par minute. Une telle tachypnée, d’importance variable, peut s’observer assez fréquemment chez les obèses endormis, mais aussi chez les ronfleurs sans autre trouble respiratoire apparent. Elle va entraîner une réaction d’éveil à intervalle variable, avec retour à une respiration moins rapide. Elle n’entraîne pas d’augmentation de l’effort inspiratoire comme en témoigne la dissociation d’avec toute augmentation de l’amplitude des variations inspiratoires de la pression oesophagienne.

Par contre, le plus souvent, chez l’adulte, cette tachypnée va s’accompagner d’une augmentation de la durée inspiratoire, d’une diminution de la durée expiratoire et de l’apparition d’une limitation du flux nasal, associée parfois au déclenchement d’une respiration buccale. La pression oesophagienne peut alors soit rester stable, soit augmenter à chaque cycle respiratoire (aspect « crescendo »), ou encore, après un ou deux cycles d’augmentation, se maintenir à un certain degré d’effort augmenté mais sans crescendo. Après plusieurs minutes de ce mode ventilatoire, il peut y avoir régression de la limitation du flux nasal associé à une réduction de l’effort inspiratoire (en anglais « Pes reversal »). Ce changement peut s’accompagner d’un ronflement plus fort, d’une réaction d’éveil EEG, ou d’une activation du tronc cérébral, sans aucune anomalie détectable à l’oeil nu.

Comment quantifier le syndrome des voies aériennes supérieures ?

Cette question revient de fait à se demander comment répertorier et compter les minutes passées avec une respiration anormale du type décrit au chapitre précédent. Chez l’enfant, à partir d’études considérant le devenir post-traitement, nous avons décrit une approche qui consiste à mesurer le temps total pendant lequel ces anomalies sont présentes (ce qui peut se traduire en nombre de « pages d’enregistrement »). Nous avons essayé de corréler ces anomalies avec le résultat de notre analyse visuelle de l’EEG et il apparaît ainsi clairement que l’oeil n’est pas le meilleur outil pour reconnaître des variations minimes de fréquence. De même, comment interpréter certaines modifications EEG telles que ces grandes ondes delta (potentiels évoqués, bien sûr, mais de quoi ?) que l’on voit aussi au cours des anomalies respiratoires caractéristiques du SVAS, soit associées avec un peu d’ondes alpha et bêta, soit isolées ? Il est certain que l’utilisation du concept de « tracé alternant », décrit en France il a plus de 40 ans chez l’enfant, mais surtout étudiés pendant 20 ans par l’équipe de Terzano et de ses collègues à Parme (qui ont insisté sur son aspect « cyclique » chez l’adulte) permet de résoudre certains problèmes. Ce Cyclic Alternating Pattern (CAP) permet de définir une instabilité du sommeil lent (stades 1 à 4), souvent bien mieux que les méthodes de « scorage » des enregistrements polygraphiques du sommeil classiquement utilisés.

Ce type d’approche commence lentement à se répandre et l’analyse des CAP va se populariser plus encore avec l’introduction d’un programme d’analyse semi-automatique. La voie suivie par Chervin et coll. est plus sophistiquée, combinant différentes analyses de l’EEG par ordinateur et permettant de montrer que chaque cycle respiratoire s’associe a une modification de l’EEG. Intuitivement cette nouvelle analyse des enregistrements du sommeil dans le contexte de troubles respiratoires semble très pertinente. En effet, une anomalie du flux nasal ou une augmentation de l’effort respiratoire ont nécessairement des conséquences neurologiques centrales, via une réponse afférente aboutissant au tronc cérébral puis entraînant des réponses polysynaptiques dont l’objectif, in fine, est de compenser, réduire et éliminer l’anomalie initiale. Lorsque le système nerveux est sain, la réponse cérébrale à une anomalie mécanique respiratoire devrait être rapide et ne pas nécessiter de réaction d’éveil forcément intempestive (information du cortex néanmoins possible, via la genèse d’un potentiel évoqué sans fragmentation du sommeil, puis « correction » efférente). Les travaux de Chervin et coll. ne sont encore que préliminaires mais c’est la voie à suivre, et à l’heure actuelle l’utilisation des CAP devrait améliorer notre compréhension de l’impact central des troubles respiratoires nocturnes.

Quelle est la pertinence clinique d’identifier le syndrome des voies aériennes supérieures ?

Les patients souffrant du syndrome des voies aériennes supérieures, dont les présentations clinique et polygraphique ne correspondent pas à celles des syndromes d’apnées du sommeil classiques, se présentent avec un aspect de « troubles fonctionnels » et sont envoyés aux psychiatres pour prise en charge d’insomnie, de fatigue chronique, de troubles musculaires étiquetés « fibromyalgie », de céphalalgies, de syndromes dépressifs… toutes plaintes qui représentent les doléances les plus communes. Parfois, chez des sujets jeunes, un évanouissement inexpliqué est l’élément révélateur du syndrome.

Lors de ce malaise, la pression artérielle tend à être basse, parfois très franchement, les pieds, les mains et le nez sont froids. Les patients concernés sont le plus souvent plus jeunes que les patients souffrant d’apnées obstructives du sommeil, et se plaignent de bruxisme. Leurs dents de sagesse ont souvent été enlevées car « impactées » entre 18 et 25 ans et ces patients ont eu des traitements orthodontiques lors de l’adolescence (souvent inappropriés car ne considérant que la problématique dentaire et non la problématique maxillo-faciale globale). À l’examen, ils présentent une déviation du septum nasal, des choanes inférieurs très élargis, et rapportent souvent des manifestations allergiques à expression respiratoire et/ou nasales. Ils ont surtout des dimensions maxillaires réduites, au niveau de la mâchoire supérieure, de la mâchoire inférieure, ou des deux (et dont les problèmes orthodontiques sont la conséquence).

La taille de l’oropharynx varie mais le problème anatomique responsable de l’augmentation de l’effort inspiratoire peut être difficile à détecter car les anomalies sont souvent localisées derrière la base de la langue, dans l’hypopharynx. C’est dans les formes typiques avec étroitesse maxillo-mandibulaire et/ou anomalies nasales que les traitements correcteurs à visée morphologique ont le plus de succès : correction d’une déviation du septum nasal, correction d’un élargissement anormal des choanes inférieurs par radio-fréquence, élargissement latéral des maxillaires supérieur et inférieur, ou ablation des amygdales et végétations avec, si nécessaire, réalisation d’un lambeau uvulaire (uvulo-flap). Il s’agit là de gestes simples et peu traumatiques.

D’autres approches sont disponibles pour les situations plus sévères. Ainsi, en cas d’étroitesse maxillomandibulaire, on peut pratiquer une distraction ostéogénique avec placement d’un distracteur sur la partie antérieure du maxillaire supérieur et inférieur. Une fragilisation des os est réalisée chirurgicalement mais c’est le malade qui, tournant la vis d’écartement du distracteur tous les jours de 0,5 à 1 mm, va entraîner la formation d’os. En 3 semaines l’acte thérapeutique propre est réalisé mais les distracteurs restent en place pour consolidation de l’ossification nouvelle, et maintien l’ouverture nasale et maxillaire obtenue. La persistance d’un espace important entre les dents de devant, supérieures et inférieures, nécessite 12 à 18 mois de cerclage orthodontique pour obtenir une migration des dents dans cet os nouveau et rétablir un sourire esthétique. Un traitement chirurgical entraînant un mouvement antéro-postérieur maxillo-mandibulaire est parfois nécessaire mais plus compliqué et nettement plus traumatique. Il est clairement établi que ces approches thérapeutiques sont efficaces. Elles entraînent une disparition de la fatigue excessive, des troubles musculaires, des « troubles fonctionnels ».

Les anomalies respiratoires du sommeil disparaissent également, qu’il s’agisse des épisodes de tachypnée ou des efforts respiratoires anormaux. Il est ainsi probable que disparaît également le risque de destruction des structures nerveuses de l’oropharynx avec développement d’une micropolyneuropathie locale, responsable du développement des apnées et de leurs complications. En effet, la perception du flux aérien et de ses modifications au niveau de l’oropharynx est préservée chez les patients souffrant de syndrome des voies aériennes supérieures, alors qu’elle est perturbée, voire abolie, chez les patients atteints du syndrome d’apnées obstructives du sommeil. Il est donc crucialement important de connaître le syndrome des voies aériennes supérieures et les anomalies qui lui sont associées, pour pouvoir les identifier et proposer des traitements appropriés qui ont l’avantage de régler le problème de façon durable et en amont de la constitution d’anomalies irréversibles. Évidemment, le traitement par pression positive continue au masque nasal (PPC) n’est pas une solution adéquate dans ce contexte.

Implications pathogéniques et physiopathologiques :

Nous commençons à avoir une compréhension plus importante des relations entre le syndrome des voies aériennes supérieures d’une part, et les syndromes d’apnées obstructives du sommeil d’autre part. Ces syndromes doivent être distingués non seulement du fait de leurs présentations clinique et polygraphique différentes, mais aussi du fait de différences quant au niveau anatomique lésionnel responsable de l’un ou de l’autre syndrome.

Dans les deux cas, schématiquement, le trouble primaire est une augmentation de l’effort inspiratoire dû a une anomalie de l’espace aérien supérieur, qu’il soit lié a une anomalie anatomique lors du développement ou a une diminution du calibre des voies aériennes supérieures secondaires à l’épidémie d’obésité que l’on voit en particulier aux États-Unis. Ce trouble entraîne dans un premier temps le syndrome des voies aériennes supérieures, et est indépendant de la présence du ronflement (en effet, celui ci n’est lié qu’à la localisation anatomique du « vibrateur », le plus souvent la luette). À ce stade, les individus atteints ont un système sensoriel intact a tous les niveaux, en particulier au niveau de la luette, ce qui leur permet de répondre très rapidement au défi que représente à l’anomalie de calibre et de résistance des voies aériennes lors du sommeil.

Secondairement, des lésions histologiques locales, bien mises en évidence par des équipes de chercheurs suédois, vont se développer plus ou moins rapidement (mais parfois elles peuvent ne jamais apparaître). Du fait de la destruction partielle des récepteurs locaux, les informations sensorielles normalement transmises au tronc cérébral vont être perturbées. Ceci se traduit par un allongement du délai entre le début de la perturbation du flux ventilatoire et le moment où l’information arrive au niveau du tronc cérébral.

C’est ce délai qui va permettre le développement d’un affaissement important voire complet des voies aériennes supérieures, entraînant les classiques apnées et hypopnées s’accompagnant de désaturations nocturnes. D’autres récepteurs, beaucoup plus lents en réponse, vont être impliqués dans le passage de l’information au tronc cérébral et le déclenchement d’une réponse. La différence entre le syndrome des voies aériennes supérieures et le syndrome d’apnées obstructives du sommeil est la présence d’une lésion neurologique en plus dans un cas. Ceci entraîne une différence de capacité à percevoir des modifications mécaniques respiratoires et à y réagir : Cette différence est liée aux modifications d’afférences sensorielles consécutives à la présence et à l’importance de lésions de récepteurs locaux. L’apparition du SAOS est donc lié au développement de lésions neurologiques locales des voies aériennes supérieures.

Au-delà de la théorie pathogénétique, il est important d’identifier le syndrome des voies aériennes supérieures et de le dissocier du syndrome des apnées obstructives du sommeil pour des raisons pronostiques. En effet, les études faites expérimentalement sur des polyneuropathies localisées montrent qu’il est très difficile de revenir à un état neurologique normal une fois que les lésions sont établies. Par contre, le traitement précoce d’un état anormal mais compensé permet d’éviter la progression vers le stade suivant. Compter le nombre d’apnées et d’hypopnées est en fait hors-sujet et inutile, car trop tardif. L’important est de traiter la pathologie au stade ou elle est réversible, et donc au stade de syndrome des voies aériennes supérieures qui peut totalement régresser. Au stade de syndrome des apnées obstructives du sommeil, les lésions seront en général irréversibles ou des séquelles plus ou moins importantes seront présentes au niveau local, du fait des anomalies de re-innervation connues lors de polyneuropathies locales. Un traitement continu sera nécessaire pour limiter les conséquences cliniques diurnes des apnées et les complications qui leurs sont associées. L’arrêt du traitement même si une amélioration est notée, entraînera une réapparition du trouble a plus ou moins long terme.

Pour arriver à une identification des anomalies respiratoires suffisamment précoce pour permettre un traitement radical en amont d’anomalies définitives, notre façon d’enregistrer les informations respiratoires et neurologiques pendant le sommeil, notre façon d’analyser les polysomnographies, et notre façon d’interpréter les données doivent être profondément modifiées. À cet égard, il est probable que les nouvelles approches de l’analyse simultanée de l’EEG et des données respiratoires représenteront bientôt un progrès important.

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