Le syndrome myasthénique, caractérisé par une faiblesse
musculaire aggravée par l’effort, regroupe différentes
maladies provoquées par un dysfonctionnement, acquis
ou héréditaire, de la jonction neuromusculaire.
Ces différentes affections sont : la
myasthénie, le syndrome de Lambert-Eaton, les syndromes
myasthéniques congénitaux, les atteintes
toxiques provoquées par des médicaments de la jonction
neuromusculaire comme le botulisme ou les intoxications
organophosphorées.
Le diagnostic de syndrome myasthénique est évoqué devant l’existence d’un déficit
musculaire touchant les muscles striés volontaires. Il
existe au repos mais est aggravé par l’effort.
Ce déficit est isolé : il n’existe pas d’autre signe neurologique.
Les
réflexes ostéo-tendineux sont normaux, il n’y a pas de
syndrome pyramidal, de trouble de la sensibilité, ni de
syndrome cérébelleux.
Un certain nombre de caractéristiques
cliniques, évolutives et biologiques permettent
d’identifier les différentes causes de ce syndrome myasthénique.
La cause la plus fréquente est la myasthénie
acquise, maladie auto-immune provoquée par l’existence
d’anticorps dirigés contre le récepteur de l’acétylcholine
(Ac anti-RACh).
La discussion diagnostique du syndrome myasthénique vise donc a priori à affirmer ou éliminer
une myasthénie.
Signes en faveur de la myasthénie
:
La myasthénie s’observe à tout âge et dans les 2 sexes.
L’âge de début se répartit en 2 pics de fréquence, l’un
entre 20 et 40 ans avec une prédominance féminine
(deux tiers environ), et l’autre autour de 50 ans avec
autant de femmes que d’hommes atteints.
La myasthénie
se manifeste par une fatigabilité musculaire atteignant
les muscles des territoires spinaux et (ou) céphaliques.
Cette fatigabilité est variable dans son intensité, dans la
journée et d’un jour à l’autre, et évolue le plus souvent
par poussées survenant à intervalles plus ou moins longs.
Le diagnostic de myasthénie est rendu parfois difficile
du fait de cette variabilité topographique du déficit musculaire
et de l’évolution, variabilité qui a souvent amené
le patient à consulter divers spécialistes.
L’interrogatoire
qui doit reconstituer une histoire parfois déjà ancienne
est ainsi un élément crucial du diagnostic.
A - Signes de début
:
Les premiers signes sont oculaires dans la moitié des
cas.
Le ptosis peut être uni- ou bilatéral et dans ce cas
souvent asymétrique.
Il est variable d’un moment à
l’autre, en général plus marqué le soir.
Le côté atteint
peut varier d’un jour à l’autre, et ce ptosis à bascule est
très évocateur du diagnostic.
Les paralysies oculomotrices,
responsables de diplopie, sont caractérisées par
leur variabilité et leur absence de systématisation.
La
motricité oculaire intrinsèque est normale.
Les autres signes de début, isolés ou associés, sont plus
rares.
Les troubles de la phonation apparaissent progressivement
au cours de la conversation, la voix devenant
nasonnée, voire inintelligible.
Les troubles de la mastication
apparaissent au cours du repas, amenant le patient à sélectionner des aliments hachés ou mixés.
Le déficit
des masséters peut rendre la fermeture de la bouche
impossible.
L’atteinte des muscles pharyngés entraîne
une difficulté à la déglutition qui devient lente, décomposée,
et peut aboutir à des fausses routes.
L’atteinte de
la musculature faciale se manifeste par l’impossibilité
d’une occlusion complète des paupières, une mimique
réduite donnant au visage un aspect figé.
La faiblesse
des muscles extenseurs du cou est fréquente dès le
début, et responsable d’une chute de la tête en avant.
La
symptomatologie initiale peut également intéresser, uniquement
ou non, les racines des membres inférieurs,
provoquant une difficulté pour monter les escaliers ou
pour marcher, ou une atteinte de la racine des membres
supérieurs.
Exceptionnellement, le début peut être marqué
par une atteinte des muscles respiratoires entraînant
une défaillance respiratoire.
B - Critères de diagnostic :
Ces différents signes ou symptômes évoluent de façon
variable, mais de façon générale l’évolution est marquée
par une extension du déficit à d’autres territoires musculaires
que les premiers atteints au cours des 3 premières
années d’évolution.
Il est, en effet, rare que le déficit
reste localisé aux muscles des territoires bulbaires ou
aux muscles spinaux.
Toutefois, dans environ 10 % des
cas, le déficit reste localisé aux muscles oculaires.
Le
diagnostic évoqué devant l’histoire clinique et le déficit
constaté des muscles des territoires spinaux et (ou)
céphaliques sont confirmés par plusieurs critères.
1- Variabilité importante du déficit musculaire :
Le déficit musculaire est aggravé par l’effort et variable
d’un jour à l’autre.
Il n’existe aucun autre signe neurologique.
2- Test pharmacologique :
L’amélioration importante et objective après injection
d’un anticholinestérasique d’action rapide est un argument
important en faveur du diagnostic.
L’injection
intraveineuse de Tensilon (2 mg, puis 8 mg en l’absence
d’amélioration) provoque une amélioration en 1 à 2 min,
durant 4 à 6 min.
La Prostigmine intramusculaire à la
dose de 1 mg provoque une réponse plus tardive, durant
15 à 30 min. Toutefois une réponse négative ne permet
pas d’éliminer le diagnostic.
3- Examen électrophysiologique :
Il permet de mettre en évidence le bloc neuromusculaire
post-synaptique.
La stimulation de 2 à 5 Hz entraîne
chez le sujet myasthénique une diminution progressive
de l’amplitude de la réponse musculaire. Le décrément
est significatif s’il dépasse 10 % au 5e potentiel.
Ce test
n’est malheureusement pas toujours positif.
Il l’est plus
volontiers au niveau des muscles cliniquement déficitaires.
Il faut faire la recherche dans au moins 2 territoires
(par exemple au niveau d’un membre et de la
face).
L’examen d’une fibre unique permet de mettre en évidence l’allongement du jitter (intervalle de temps
entre les potentiels d’action de deux fibres musculaires
appartenant à la même unité motrice).
Cette technique
est plus sensible que l’électromyogramme classique,
mais de technique beaucoup plus délicate.
4- Dosage des anticorps anti-RACh :
Il apporte la confirmation du diagnostic dans 85 à 90 %
des cas.
La présence de ces anticorps est spécifique de la
myasthénie.
Il n’y a pas de corrélation entre leur taux et
la gravité ou l’ancienneté de la maladie. Malheureusement,
10 à 15 % des sujets myasthéniques n’ont pas
d’anticorps anti-RACh décelables.
C - Évaluation de la gravité de la myasthénie
:
La myasthénie se manifeste par une faiblesse musculaire
dont l’évolution est parfois difficile à juger, d’autant
qu’elle est variable.
Il est important de mesurer aussi
objectivement que possible ce déficit à l’aide d’un score
de la force musculaire qui permet d’apprécier
l’importance du déficit et d’en suivre l’évolution.
La
myasthénie peut menacer le pronostic vital lorsqu’elle
atteint certains territoires.
Il faut attentivement rechercher
les troubles de la déglutition, et surtout une atteinte des
muscles respiratoires : orthopnée, diminution de l’amplitude
thoracique et surtout absence de gonflement épigastrique
à l’inspiration, voire respiration paradoxale
qui signe la paralysie diaphragmatique, faiblesse de la
toux par déficit des muscles abdominaux.
Cette atteinte
des muscles respiratoires est objectivée plus précisément
par la mesure de la capacité vitale à l’aide d’un
spiromètre.
Cette évaluation permet de reconnaître les poussées de
la maladie qui se manifestent par une aggravation en
quelques jours ou semaines, aboutissant à un déficit
sévère et (ou) à des paralysies des territoires bulbaires
(difficultés de phonation, de mastication, troubles de la
déglutition).
Les poussées les plus graves, appelées
crises myasthéniques, sont caractérisées par une insuffisance
respiratoire aiguë qui nécessite des mesures thérapeutiques
urgentes (ventilation mécanique).
Ces poussées
ou ces crises myasthéniques sont souvent favorisées par une infection, un
traumatisme, une grossesse, et surtout par la prise d’un certain
nombre de médicaments qui interfèrent avec les mécanismes de la
transmission neuromusculaire et qu’il convient de rechercher
systématiquement.
D - Recherche d’affections associées :
Le diagnostic de myasthénie étant fait, il faut systématiquement
rechercher un thymome et des maladies autoimmunes.
• Un thymome est associé, dans 10 à 30 % des cas, à la
myasthénie, surtout lorsqu’elle a débuté après 40 ans.
Un examen tomodensitométrique (ou une imagerie par
résonance magnétique) du thorax doit donc être fait
systématiquement.
Les anticorps anti-RACh sont en général en quantité élevée et on trouve également, avec
une grande fréquence, des anticorps anti-muscles striés
à un taux élevé.
Il n’y a pas de corrélation entre la gravité
de la myasthénie et le type histologique du thymome.
Certains thymomes sont invasifs, ce qui justifie leur
ablation systématique.
• D’autres maladies auto-immunes sont souvent
associées à la myasthénie : dysthyroïdie, lupus érythémateux
disséminé, polyarthrite rhumatoïde, diabète,
anémie de Biermer, etc.
Cette recherche implique un
examen clinique attentif, un bilan thyroïdien et immunologique
systématique (au minimum anticorps anti-DNA
– desoxyribonucleic acid – et anti-thyroïde).
E - Formes particulières
:
1- Myasthénie oculaire
:
Parmi les myasthénies initialement limitées aux muscles
oculaires, la moitié restent purement oculaires sans
que cette évolution soit prévisible au départ.
Toutefois
lorsque l’extension à d’autres territoires n’est pas survenue
dans les 2 ans, la probabilité est grande pour que le déficit
oculaire reste isolé.
Dans ces formes, les anticorps anti- RACh ne sont positifs que dans la moitié des cas, et avec
des taux généralement faibles.
2- Myasthénies dites séronégatives :
Elles posent un problème diagnostique difficile, surtout
si le test pharmacologique et l’électromyogramme
(EMG) sont négatifs.
Dans ces cas, le diagnostic repose
uniquement sur la clinique, sur l’élimination d’autres
causes de déficit musculaire, ce qui peut nécessiter
d’aller jusqu’à la biopsie musculaire, et éventuellement
sur la réponse à un traitement d’épreuves par les anticholinestérasiques.
3- Myasthénie néo-natale :
Elles est due au passage transplacentaire des anticorps
anti-RACh.
Elle touche 10 à 15 % des enfants nés de
mère myasthénique. Elle est reconnue dès la naissance
sur l’hypotonie musculaire, le ptosis, la faiblesse du cri,
les troubles de la succion, les troubles respiratoires.
L’évolution est favorable dans un délai variant de 2 à
4 semaines, et la guérison va de pair avec la disparition
des anticorps anti-RACh maternels.
Diagnostic différentiel
:
Les causes de déficit musculaire autres que le syndrome myasthénique sont assez faciles à éliminer.
L’absence de
signe neurologique autre que le déficit musculaire, le
caractère normal du liquide céphalorachidien (LCR),
l’électromyogramme permettent d’éliminer un syndrome
de Guillain et Barré, une neuropathie périphérique ou
une myopathie.
Il faut en fait essentiellement reconnaître les autres
causes de syndrome myasthénique qui surviennent dans
un contexte assez différent.
A - Syndrome de Lambert-Eaton :
Il survient beaucoup plus souvent chez l’homme que
chez la femme, et dans deux tiers des cas est associé à
un cancer, le plus souvent cancer pulmonaire à petites
cellules.
Dans un tiers des cas, il est associé à une autre
maladie auto-immune.
La fatigabilité est le signe majeur touchant les racines
des membres, la nuque, et le tronc.
L’atteinte oculomotrice
est présente dans 70 % des cas.
L’atteinte des territoires
bulbaires et des muscles respiratoires est par
contre rare.
Cette fatigabilité n’a pas la variabilité et
l’évolution par poussées de celle provoquée par la myasthénie.
Fait particulier, la force musculaire est diminuée
au repos mais augmente pendant quelques secondes au
début d’une contraction maximale volontaire, puis diminue
ensuite.
Il existe fréquemment une aréflexie tendineuse
et des signes végétatifs : syndrome sec, anhidrose, dysgueusie, constipation.
Le diagnostic est affirmé par
l’examen électrophysiologique.
La stimulation à basse
fréquence entraîne un décrément de la réponse, mais la
stimulation après un effort maximal ou une stimulation à
haute fréquence entraîne une augmentation de la réponse
(potentiation).
L’injection d’anticholinestérasiques ne
modifie pas le déficit.
Les anticorps anti-RACh sont toujours
absents. Des anticorps dirigés contre les canaux
calciques dépendants du voltage peuvent être mis en
évidence.
B - Syndromes myasthéniques congénitaux
:
Il s’agit de pathologies rares héréditaires, le plus souvent
autosomiques récessives.
Cliniquement, la maladie
se révèle typiquement dans la période néo-natale par des
signes oculaires, bulbaires, ou respiratoires.
L’évolution
est fluctuante, entraînant une faiblesse musculaire et une
fatigabilité dans l’enfance et l’adolescence.
Toutefois,
certains syndromes peuvent se révéler plus tardivement,
au cours de la 2e ou 3e décennie.
Les symptômes peuvent
apparaître par poussées, posant un problème diagnostique
difficile avec la myasthénie.
Les anticorps anti- RACh sont toujours absents. La réponse aux anticholinestérasiques
est très variable.
Le diagnostic repose, outre
sur l’histoire familiale, sur des examens électrophysiologiques
très spécialisés, et sur une étude morphologique
de la jonction neuromusculaire.
Ces examens permettent
de reconnaître le mécanisme de ces différents syndromes :
déficit de la resynthèse de l’acétylcholine, déficit en
acétylcholinestérase, ou anomalie du canal ionique du
récepteur de l’acétylcholine (syndrome du canal lent).
C - Botulisme :
Le contexte est très différent de celui de la myasthénie.
Il s’agit en fait d’une intoxication par une neurotoxine
produite par Clostridium botulinum.
L’intoxication est
le plus souvent consécutive à l’absorption d’un aliment
contenant des spores de Clostridium botulinum qui
n’ont pas été détruites par une stérilisation suffisante (charcuterie ou conserves artisanales, conserves de poissons,
etc.).
Plus rarement, il succède à la colonisation
d’une plaie par Clostridium botulinum (en particulier
après injection d’héroïne) ou du tube digestif, cela se
voyant essentiellement chez l’enfant avant l’âge de 6 mois.
Les premiers signes, dans le cas du botulisme alimentaire
sont digestifs : nausées, vomissements, diarrhées,
douleurs abdominales apparaissant en moyenne 12 à
36 heures après l’ingestion de l’aliment contaminé et
évoluant sans fièvre.
Les signes neurologiques apparaissent
quelques heures plus tard ou sont décalés de 2 ou
3 jours.
Ils associent :
– une paralysie de l’accommodation, une mydriase bilatérale,
des paralysies oculomotrices entraînant une
diplopie ;
– une dysphagie, des troubles de la déglutition et de la
phonation ;
– une faiblesse musculaire atteignant les muscles
axiaux, les membres, s’étendant des racines aux extrémités
distales et éventuellement aux muscles respiratoires.
Les réflexes ostéo-tendineux sont diminués ou
normaux.
Cette évolution descendante, avec atteinte des
nerfs crâniens, puis des membres supérieurs, et enfin des
membres inférieurs est assez caractéristique.
Ces signes
sont associés à des troubles dysautonomiques : sécheresse
des muqueuses, constipation, hypotension orthostatique,
rétention d’urines.
Le diagnostic est assez facile si l’on y pense.
Il devient
d’autant plus probable que l’on a connaissance de l’absorption
d’un aliment potentiellement contaminé et, a fortiori,
si des membres de l’entourage ayant partagé le
même repas présentent des symptômes ou des signes
similaires.
L’électromyogramme ne montre pas de décrément
mais une diminution d’amplitude des potentiels
d’action musculaire.
Le diagnostic ne peut être affirmé
que par la mise en évidence de la toxine dans l’aliment
incriminé (s’il en reste) ou dans le sérum du patient.
La
recherche se fait par injection de dilution successive à des
lots de souris protégées par des antitoxines spécifiques.
Il existe 7 toxines différentes (A à F), la toxine B étant
responsable en France de 90 % des cas.
Le Clostridium
et la toxine peuvent être recherchés dans les selles.
D - Intoxications organophosphorées :
Les intoxications par les insecticides organophosphorés
provoquent un tableau très particulier, lié à l’inhibition
de l’acétylcholinestérase au niveau des synapses neuromusculaires,
mais aussi des synapses du système nerveux
autonome et au niveau du système nerveux
central.
L’interrogatoire est un élément essentiel quand
il apporte la notion de l’exposition à l’insecticide.
Les
symptômes et signes apparaissent très rapidement avant
la 12e heure.
Les signes muscariniques, qui apparaissent
en premier lors d’une intoxication modérée, sont une
rhinorrhée importante, une bronchorrhée et une bronchoconstriction,
une hypersalivation, une lacrymation
importante et des sueurs profuses.
Il existe également un
trouble de l’accommodation avec un myosis, et fréquemment une incontinence urinaire, des crampes abdominales
avec diarrhée, une bradycardie et une hypotension.
Les effets nicotiniques, qui sont au premier plan
dans les intoxications sévères, se manifestent par des
fasciculations et des crampes bientôt suivies par une
diminution de la force musculaire qui peut aboutir à une
insuffisance respiratoire aiguë.
Il peut exister une tachycardie
sinusale et des anomalies électrocardiographiques
avec notamment des blocs auriculo-ventriculaires, des modifications de l’espace ST; des arythmies
ventriculaires et des torsades de pointes peuvent survenir.
Les signes centraux sont essentiellement une agitation,
des tremblements, une confusion, puis des convulsions
et un coma.
En cas d’intoxication très grave, les 3 types
de symptômes sont présents et intriqués.
Le diagnostic,
fortement évoqué par la clinique, peut être confirmé par
la mise en évidence d’une baisse de l’activité de la
cholinestérase dans les globules rouges.