Syndrome des loges

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Physiopathologie :

En 1975, FA III Matsen s’est fait le tenant de l’hypertension tissulaire dans la genèse de ce syndrome, en réunissant dans un concept physiopathologique commun la forme aiguë et la forme chronique.

A – PRIMUM MOVENS :

Contrairement aux formes secondaires, le syndrome chronique laisse planer de nombreuses incertitudes.

L’hyperpression tissulaire originelle peut être engendrée par deux situations différentes, qui peuvent d’ailleurs être associées.

Il s’agit soit d’une augmentation excessive du volume du muscle à l’effort, soit d’une loge trop exiguë ou d’une aponévrose trop épaisse et/ou trop rigide, occasionnée par des lésions musculoaponévrotiques fréquentes chez le sportif.

Syndrome des loges

Cette inadéquation entre les aponévroses de recouvrement et l’augmentation du volume musculaire à l’effort réalise une sorte de garrot interne.

À partir de ces différentes constatations, plusieurs théories ont été avancées qui tentent de privilégier et d’expliquer le mécanisme initiateur déclenchant l’hyperpression tissulaire.

La théorie mécanique fait jouer un rôle majeur aux modifications des propriétés physiques des fascias ; la théorie ischémique selon laquelle l’ischémie d’effort serait responsable de l’hypertension tissulaire par le biais de la constitution d’un oedème ischémique apparaît actuellement contestée.

B – CONSÉQUENCES :

Cette hyperpression peut engendrer un cercle vicieux hémodynamique, pouvant aboutir à la forme aiguë qui est caractérisée par une nécrose tissulaire et par une neuropathie ischémique.

Les mécanismes intimes qui conduisent à l’autoaggravation du processus restent discutés et leur rôle respectif imparfaitement élucidé.

L’ischémie tissulaire intervient par le biais soit de la théorie de Burton (où la fermeture artériolocapillaire survient lorsque la pression tissulaire dépasse la pression critique de fermeture), soit de l’occlusion capillaire passive, voire de la diminution du gradient artérioveineux du fait de l’augmentation de la pression veineuse.

Comme l’ischémie se situe à l’étage microcirculatoire, les pouls distaux sont toujours conservés, même en présence d’un syndrome aigu.

Clinique :

Le syndrome des loges peut se présenter selon deux aspects cliniques opposés.

A – SYNDROME AIGU :

1- Clinique :

Quelles que soient la localisation et l’étiologie, cinq signes ont démontré leur fiabilité :

– une douleur disproportionnée avec le traumatisme responsable, et qui résiste aux antalgiques usuels ; c’est habituellement le premier signe et le plus constant ;

– une douleur à l’étirement musculaire, lors de la mobilisation passive ;

– une tension du compartiment atteint par un oedème dur, avec en regard une peau chaude et luisante ;

– une hypoesthésie dans le territoire concerné ;

– des troubles moteurs sous la forme d’une faiblesse musculaire, qui sont des signes tardifs.

La triade clinique associe un syndrome douloureux, un aspect pseudoinflammatoire localisé et des troubles neurologiques.

La présence des pouls périphériques et un remplissage vasculaire souvent normal n’éliminent pas le diagnostic.

Toutefois, la présence de ces symptômes est inconstante, voire même absente, et l’examen clinique suppose une parfaite coopération du malade.

2- Localisations :

Ce sont, essentiellement, les loges de jambe puis l’avant-bras, le bras, la cuisse, la fesse et le deltoïde.

3- Étiologies :

Elles sont multiples et volontiers associées.

Aucune tranche d’âge n’est épargnée.

* Causes traumatiques :

Les fractures à faible déplacement sont les grandes pourvoyeuses d’un syndrome aigu, car dans ce cas les structures aponévrotiques sont préservées.

Il peut s’agir d’interventions orthopédiques variées, surtout en l’absence de drainage.

Ailleurs, ce sont des traumatismes des tissus mous sans fracture et qui n’impliquent par nécessairement une atteinte artérielle.

* Causes vasculaires :

Elles comprennent, outre les traumatismes vasculaires, les thromboses et les embolies artérielles ainsi que les phlébites ; ce syndrome a également été rapporté au cours de la chirurgie de revascularisation.

* Causes diverses :

Les étiologies chirurgicales les plus variées ont été rapportées.

Parmi les causes médicales sont cités : les états comateux, l’épilepsie, les brûlures, la gangrène gazeuse, les troubles de la coagulation, les perfusions intraveineuses mal surveillées.

L’accent est mis actuellement sur la survenue de syndromes des loges chez les drogués par malposition prolongée d’un membre.

B – SYNDROME CHRONIQUE :

Quatre loges sont classiquement décrites au niveau de la jambe :

– la loge antérieure, dont l’atteinte est responsable de la variété clinique la plus connue : le syndrome tibial antérieur ;

– la loge externe ou latérale ou loge des péroniers ;

– la loge postérieure superficielle ;

– la loge postérieure profonde, au sein de laquelle a été isolé, récemment, un cinquième compartiment représenté par le muscle jambier postérieur.

1- Douleur :

À type de tension, de crampe, voire de brûlure, elle est d’intensité modérée et sourde au début, puis elle a tendance à se majorer pour devenir plus ou moins aiguë et invalidante.

L’atteinte est bilatérale dans 70 à 100 % des cas, avec souvent une prédominance d’un côté.

Cette douleur rythmée par l’activité physique persiste après l’arrêt de l’effort pendant une durée volontiers prolongée, contrairement à la claudication artérielle classique.

Le tableau clinique peut être moins stéréotypé et parfois même déroutant : la douleur est dans ce cas plus ou moins permanente, aggravée par l’activité physique, ou encore de description imprécise ; il est rare qu’elle n’apparaisse qu’après l’arrêt de l’effort.

L’apparition des troubles se manifeste principalement au début de la saison sportive ou au décours d’une période d’inactivité, à l’occasion de la reprise d’un entraînement physique souvent trop intense, voire inadapté.

Enfin, il est rare de retrouver à l’anamnèse la notion d’un traumatisme antérieur.

2- Terrain :

Dans l’immense majorité des cas, il s’agit d’un adulte jeune et sportif, âgé en moyenne de 20 à 30 ans, sans prédominance de sexe ; certains sports exposent plus particulièrement à ce syndrome : il s’agit essentiellement de la course à pied et de sports collectifs.

3- Examen clinique :

* Au repos :

En dehors de muscles volontiers hypertrophiés, le seul signe d’orientation est représenté par l’existence de hernies musculaires, dans 20 à 60 % des cas, qui parfois ne sont constatées qu’après l’effort.

* Au décours de l’effort :

L’épreuve d’effort revêt un triple intérêt : outre celui de reproduire et de localiser le syndrome douloureux, il permet d’évaluer le degré de gêne fonctionnelle, tout en recherchant des signes objectifs de mauvaise tolérance.

Ce test d’effort indispensable doit être couplé à la prise des pressions tissulaires.

Parfois, on constate une diminution de la force segmentaire ou un trouble de la sensibilité ; le compartiment apparaît plus tendu, voire même oedématié à la palpation.

L’atteinte topographique varie en fonction du type d’activité physique.

4- Évolution :

Elle est fonction de l’importance de la gêne fonctionnelle, du degré de motivation des intéressés à poursuivre leurs activités physiques et du niveau des performances réalisées.

Or l’expérience montre que les sportifs de haut niveau renoncent rarement à leur activité.

La disparition spontanée des troubles est inhabituelle.

Si la gêne fonctionnelle peut demeurer stable, elle a le plus souvent tendance à se majorer de manière progressive ; ailleurs, cette aggravation est brutale et le syndrome douloureux peut devenir à ce point invalidant qu’il interdit le moindre effort physique.

L’extension à d’autres compartiments musculaires est possible, et la bilatéralisation des troubles devient habituelle.

Le risque d’un syndrome aigu fait toute la gravité de cette affection, et il constitue une éventualité toujours possible.

Tantôt, il inaugure la maladie, et il fait suite à un effort intense et inhabituel chez un sujet non entraîné ; tantôt, il complique une forme chronique, négligée.

Mesure de la pression intratissulaire :

Les nombreuses techniques utilisées sont basées sur l’évaluation directe des pressions grâce à l’utilisation d’une aiguille ou d’un cathéter.

A – MÉTHODES :

La technique de l’aiguille a été vulgarisée par Whitesides et al ; elle a transformé l’approche diagnostique de cette affection grâce à l’utilisation d’un matériel d’usage courant.

Cette méthode a le mérite d’une relative simplicité, ce qui explique sa très large diffusion.

Le slit-cathéter : cette technique utilise un cathéter fendu à son extrémité.

Sa fiabilité est excellente, ce qui en fait la méthode de référence.

L’infusion microcapillaire est basée sur l’injection d’une quantité prédéterminée de sérum physiologique pendant la phase de relaxation musculaire.

Il s’agit d’un procédé fiable, mais le matériel nécessaire est complexe.

Le moniteur de pression miniaturisé est le dernier-né des appareils proposés ; il est facile d’utilisation.

Des études de corrélation ont été réalisées entre ces diverses méthodes plus ou moins complexes et onéreuses.

La très bonne fiabilité du moniteur de pression miniaturisé a été confirmée : ses résultats sont superposables à ceux obtenus avec le slit-cathéter ; en revanche, la technique de l’aiguille ne devrait plus être recommandée.

Bien qu’il y ait une quasi-unanimité pour reconnaître la nécessité de recourir à l’enregistrement des pressions intratisssulaires, il n’y a pas de consensus, ni sur la méthode la plus appropriée ni sur les critères à retenir.

B – RÉSULTATS :

L’indiscutable confusion qui émane des données de la littérature s’explique par les multiples variables susceptibles d’interférer sur les niveaux de pression enregistrés.

Ces résultats sont fonction des techniques utilisées, des protocoles employés, des critères pathologiques retenus et du moment de l’enregistrement.

1- Pression au repos :

Dans le cas d’un syndrome chronique, la pression dépasse 15- 20 mmHg par la technique du slit-cathéter.

Toutefois, en raison d’importantes variations individuelles, il n’est pas noté dans certaines études de différence significative avec la pression normale de repos, qui est inférieure à 10 mmHg.

2- Pression au cours de l’effort :

L’évaluation de la pression de relaxation musculaire est un paramètre fiable, dont l’élévation est bien corrélée à l’augmentation de la pression de repos et à un retard significatif à sa normalisation après l’effort.

Cet enregistrement exige cependant une grande compétence et un matériel sophistiqué.

3- Pression au décours de l’effort :

Elle est constamment retrouvée élevée et il existe un retard important à sa normalisation, à l’inverse du sujet normal.

Ce retard peut atteindre d’ailleurs 2 heures.

Avec la méthode du slit-cathéter, les critères pathologiques acceptés correspondent à des pressions supérieures à 30 et 20 mmHg à la première et à la cinquième minute et à 15mmHg à la 15e minute.

Dans la pratique, deux critères diagnostiques sont à retenir : le niveau de pression enregistré au repos et au décours de l’effort.

Malgré une apparente simplicité, l’enregistrement des pressions intratissulaires requiert une grande expérience.

Pedowitz et al ont chiffré le taux de mesures ininterprétables ou de résultats équivoques à 8 %, et celui des enregistrements impratiquables au décours immédiat de l’effort à 15 %.

Par ailleurs, l’impossibilité assez fréquente de reproduire le syndrome douloureux au cours de l’enregistrement des pressions mérite d’être signalée.

Ces difficultés techniques sont plus grandes lorsqu’il s’agit des loges postérieures.

Diagnostic :

A – SYNDROME AIGU :

Si le diagnostic est souvent aisé chez un patient conscient et coopérant, la mesure directe de la pression tissulaire est d’un apport décisif chez le malade comateux ou non coopérant.

B – SYNDROME CHRONIQUE :

Faute de signes spécifiques, son diagnostic est difficile, de sorte que le retard diagnostique varie en moyenne de 1 à 3 ans.

La mesure des pressions tissulaires demeure la base du diagnostic.

Cette forme chronique soulève le problème des douleurs de jambe chez le sportif, dont les étiologies sont multiples.

Il convient d’éliminer :

– le shin splint : ce terme générique, purement descriptif, est largement utilisé dans la littérature anglo-saxonne ; il recouvre les syndromes douloureux de jambe.

Malgré des mises au point successives, une confusion certaine entoure cette terminologie ;

– les syndromes vasculaires artériels et veineux de l’adulte jeune ;

– la fracture de fatigue qui survient à l’occasion d’un surmenage mécanique ;

– les myopathies, dont certaines ont une expression clinique à partir de l’adolescence et qui exigent des investigations spécifiques.

Les formes associées

– à une périartrite, à une myopathie par exemple

– ne sont pas rares : elles avoisinent les 10 % dans l’expérience du service.

Traitement :

Il est basé sur le principe de la décompression musculaire, qui vise à réduire l’élévation pathologique des pressions intratissulaires.

A – SYNDROME AIGU :

Il faut privilégier l’aponévrotomie ouverte qui est réalisée sous contrôle direct de la vue, et qui consiste en une incision longitudinale étendue de la peau en regard du compartiment atteint ; elle s’oppose à l’aponévrotomie à l’aveugle ou sous-cutanée, pratiquée à travers des incisions cutanées limitées, et qui est rarement indiquée ici.

Une grande variété de procédés d’aponévrotomie a été proposée, mais aucune méthode n’est adaptée à toutes les situations où elle s’impose.

L’enregistrement des pressions constitue une tentative de standardisation des indications de l’aponévrotomie.

Toutefois, il n’y a pas de consensus sur le seuil critique à partir duquel la décompression doit être réalisée, et il est vraisemblable que celui-ci n’existe pas.

En effet, les études expérimentales et cliniques ont bien montré que la tolérance tissulaire à l’hyperpression est éminemment variable d’un individu à l’autre ; elle est sous la dépendance de nombreux paramètres, et notamment de la pression artérielle diastolique.

Plusieurs valeurs ont été suggérées ; en réalité, l’augmentation dans le temps des pressions représente certainement le meilleur critère, la surveillance devant s’échelonner pendant la période à risque de 48 à 60 heures.

L’aponévrotomie est une urgence chirurgicale ; son succès dépend de la précocité du diagnostic et de la rapidité de sa mise en oeuvre.

Une décompression supérieure à 12 heures laisse une faible chance de récupération fonctionnelle et s’accompagne d’un taux élevé de complications ; après 12 heures, ce risque est multiplié par 12.

Ainsi, 75 % des amputations de la série de Feliciano et al sont liées à une aponévrotomie trop tardive ou incomplète.

B – SYNDROME CHRONIQUE :

Traitement chirurgical :

C’est le seul moyen qui se soit avéré efficace.

L’aponévrotomie sous-cutanée demeure la méthode le plus couramment pratiquée.

Ses nombreuses variantes visent à limiter l’étendue de l’incision cutanée, tout en permettant une aponévrotomie aussi complète que possible.

L’aponévrectomie consiste en une excision de l’aponévrose de 6 à 8 cm de long sur 2 à 3 cm de large, qui est complétée par une aponévrotomie sous-cutanée étendue.

Si cette technique peut être réalisée en première intention, elle est habituellement utilisée en cas d’échec de l’aponévrotomie ou de récidive.

Une étude prospective destinée à confronter les avantages respectifs de ces deux méthodes est d’ailleurs en cours.

* Indications :

Elles sont réservées aux malades très limités dans leurs activités, mais l’appréciation de la gêne fonctionnelle est variable d’une étude à l’autre.

La chirurgie est habituellement portée dans environ deux tiers des cas documentés.

À l’inverse des loges antéroexternes, la conduite à tenir en présence d’un syndrome postérieur profond apparaît plus difficile et est encore l’objet de controverses.

* Résultats :

Ils sont excellents : le taux de guérison ou d’amélioration significative atteint généralement 85 à 90 %.

La mobilisation postopératoire précoce est capitale, et la reprise de la marche et des activités physiques doit être rapide. Les complications postopératoires sont quasi inexistantes ou minimes, et les récidives demeures rares.

Enfin, les réserves suscitées par les possibles conséquences néfastes de l’aponévrotomie chez un sportif ont pu être écartées, et la plupart des malades opérés sont capables d’améliorer leur niveau de performance.

Sur le plan prophylactique, il importe d’insister sur l’intérêt d’un entraînement physique régulier et surtout progressif, seul moyen de prévenir l’apparition d’un tel syndrome.

Conclusion :

Le syndrome des loges est d’une grande actualité.

En présence d’une forme aiguë, l’aponévrotomie ouverte réalisée précocement diminue l’incidence des complications et des séquelles.

Le syndrome chronique occupe une place privilégiée au sein de la pathologie vasculaire mécanique.

Le recours à l’enregistrement des pressions intratissulaires doit être systématique, malgré certaines réserves.

Cette mesure prend toute sa valeur en cas de localisation postérieure, ou de tableau clinique atypique.

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