Le rein joue un rôle très important dans les complications les plus graves de la
cirrhose hépatique.
Pendant l’évolution de la maladie, la perturbation de la
fonction rénale est si intense que les reins ne sont pas capables de maintenir le
volume de liquide extracellulaire dans les limites normales.
Ce fait est dû à
une augmentation anormale de la rétention de sodium, avec incapacité à
réguler la quantité de sodium excrétée par l’urine en fonction de la quantité
de sodium consommée.
La conséquence clinique de cette altération de la
fonction rénale est une augmentation du volume de liquide extracellulaire qui
détermine une accumulation de liquide dans la cavité péritonéale ou pleurale
et/ou dans le tissu interstitiel.
La rétention de sodium est fréquemment
associée à une incapacité à éliminer l’ingestion normale d’eau ; cette
perturbation produit une hyponatrémie dilutionnelle due à une augmentation
disproportionnée de la quantité totale d’eau corporelle par rapport au contenu
total de sodium corporel.
Au fur et à mesure que la maladie progresse, on peut
observer le développement graduel d’une vasoconstriction rénale.
Cette
vasoconstriction est responsable de l’apparition d’une baisse de la perfusion
rénale avec diminution de la filtration glomérulaire (FG) et éventuellement
d’une insuffisance rénale, aussi dénommée syndrome hépatorénal.
Toutes ces
anomalies de la fonction rénale contribuent à un haut degré à la morbidité et
à la mortalité de la cirrhose hépatique.
Il faut remarquer que cette altération de la fonction rénale a lieu avec des reins histologiquement normaux.
La
normalisation de la fonction rénale après une transplantation hépatique
confirme l’origine fonctionnelle de cette insuffisance rénale.
Les mécanismes
responsables ne sont pas très bien connus.
Il existe différents facteurs qui
peuvent influencer l’apparition de cette insuffisance rénale, comme
l’activation de systèmes vasoactifs qui favorisent la rétention rénale d’eau et
de sodium, des altérations hémodynamiques systémiques et splanchniques et
l’insuffisance hépatique et l’hypertension portale produites par la même
maladie hépatique.
Ce chapitre décrit les caractéristiques cliniques, la
pathogénie et le traitement du SHR.
Tableau clinicobiologique
:
Dans ce chapitre, on considère les manifestations cliniques en rapport avec
les altérations de la fonction rénale observées dans la cirrhose hépatique avec
ascite.
A - Rétention de sodium
:
La rétention rénale de sodium est la perturbation la plus fréquente chez les
malades cirrhotiques avec ascite et elle joue un rôle très important dans la
physiopathologie de la formation d’ascite et d’oedème.
La quantité totale
de sodium dépend de l’équilibre qui existe entre l’ingestion et l’excrétion
urinaire de sodium.
Si la quantité de sodium excrétée par l’urine est inférieure
à celle ingérée dans l’alimentation, les malades accumulent du liquide dans
l’espace extracellulaire avec comme conséquence l’apparition d’ascite et
d’oedème.
Il en résulte donc que l’excrétion urinaire et l’ingestion orale de
sodium doivent être contrôlées chez les malades avec ascite.
Il n’y a pas de
rétention rénale de sodium dans la cirrhose hépatique compensée.
Cependant,
quand l’ingestion de sodium est très importante (alimentation très riche en sodium ou bien administration intraveineuse de sérum salé) ou quand ces
malades sont traités avec des médicaments qui produisent une augmentation
de la réabsorption rénale de sodium comme les minéralocorticoïdes ou les
anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), on peut observer l’apparition
d’ascite ou/et d’oedème. L’intensité de la rétention rénale de sodium est
très variable.
Dans des conditions basales (repos au lit, alimentation
hyposodée et sans diurétiques), quelques malades ont une natriurèse
relativement haute, tandis que chez d’autres malades l’excrétion urinaire de
sodium est très faible (dans beaucoup de cas l’excrétion urinaire de sodium
est inférieure à 10 mEq/24 h).
En général, les malades avec une rétention
rénale modérée de sodium ont une très bonne réponse aux diurétiques, tandis
que les malades avec une réabsorption rénale importante de sodium ont besoin
d’une posologie élevée en diurétiques pour traiter l’ascite ou même présentent
une ascite réfractaire au traitement déplétif.
L’augmentation de la rétention
rénale de sodium n’est pas une situation clinique irréversible.
L’expérience clinique indique clairement que, chez la majorité des malades,
cette perturbation empire au fur et à mesure que la maladie progresse.
Cependant, dans quelques cas, la natriurèse peut s’améliorer spontanément et
les malades peuvent être sans ascite pendant une longue période.
La rétention de sodium dans la cirrhose hépatique est due principalement à
une augmentation de la réabsorption de sodium au niveau du tubule rénal
plutôt qu’à une diminution du sodium filtré puisque chez beaucoup de
malades la FG est normale ou seulement modérément diminuée.
Le lieu du
néphron où se produit cette augmentation de la réabsorption de sodium n’est
pas très bien connu, mais il existe des arguments indirects qui suggèrent
qu’elle a lieu dans les tubules rénaux proximaux et distaux.
B - Rétention d’eau et hyponatrémie dilutionnelle
:
Dans la cirrhose hépatique compensée, l’excrétion urinaire d’eau est normale
ou presque normale.
Dans ces circonstances, l’eau corporelle totale,
l’osmolarité plasmatique et la concentration plasmatique de sodium sont
normales et ces malades ne développent pas d’hyponatrémie malgré une
ingestion d’eau très élevée.
À l’inverse, les malades avec ascite ont une
incapacité rénale à excréter l’eau. Environ 60 % des malades cirrhotiques
avec ascite chez lesquels on a réalisé une surcharge aqueuse présentent cette
perturbation.
Toutefois, cette altération de la fonction rénale n’est pas
uniforme et varie considérablement d’un malade à l’autre. Dans quelques cas,
la rétention d’eau est modérée et on ne peut la détecter qu’après une surcharge
aqueuse.
Ces malades sont capables d’éliminer toute l’eau ingérée avec
l’alimentation ; leur concentration plasmatique de sodium et leur osmolarité
plasmatique restent normales.
Cependant, ils peuvent développer une hyponatrémie et une hypo-osmolarité plasmatique quand l’ingestion d’eau est
très augmentée (administration intraveineuse de liquides chez des malades
hopitalisés). Par conséquent, une concentration plasmatique de sodium
normale chez ces malades n’indique pas nécessairement que leur capacité
rénale à excréter l’eau libre soit normale.
Chez d’autres malades, la rétention
rénale d’eau est si importante qu’ils sont incapables d’éliminer la plus grande
partie de l’eau ingérée avec l’alimentation et ils développent hyponatrémie et
hypo-osmolarité plasmatique.
Cette perturbation peut devenir plus
importante après l’administration de diurétiques ou d’AINS ou après une
paracentèse réalisée sans administration d’expanseurs plasmatiques
(albumine).
Au fur et à mesure que la maladie hépatique avance,
l’incapacité rénale à éliminer l’eau s’aggrave et on détecte une hyponatrémie
chez la majorité des malades.
De plus, les malades qui présentent une
rétention rénale d’eau intense développent fréquemment un SHR.
Cependant, quelques malades peuvent s’améliorer spontanément et
recommencer à être capables d’excréter de l’eau libre.
La pathogénie de l’augmentation de la rétention d’eau est complexe et
comprend probablement plusieurs facteurs comme une diminution de l’apport
du sodium filtré au niveau de la branche ascendante de l’anse de Henle (lieu
où se produit l’absorption active de solutés sans eau), une réduction de la
synthèse rénale des prostaglandines et une augmentation de la sécrétion de
l’hormone antidiurétique.
Probablement, cette dernière perturbation est le
facteur qui joue un rôle plus important dans l’altération du métabolisme de
l’eau observée dans la cirrhose hépatique avec ascite.
La conséquence clinique de cette incapacité rénale à excréter l’eau libre des
solutés est l’apparition d’une hyponatrémie de type dilution puisqu’elle va
associer à une augmentation de l’eau corporelle totale, une dilution du volume
de liquide extracellulaire, une augmentation de la rétention rénale de sodium
et du contenu de sodium corporel total.
L’hyponatrémie de dilution doit se
distinguer de l’hyponatrémie vraie due à une déplétion en sodium que l’on
peut observer, quoique avec une moindre fréquence, chez des malades qui ont
reçu un traitement diurétique en excès avec une restriction importante de
l’ingestion de sodium, après traitement d’un épisode d’ascite et d’oedème.
La
prévalence de l’hyponatrémie dilutionnelle spontanée (sodium
plasmatique < 130 mEq/L) chez des malades avec ascite est
approximativement de 30 % des cas.
Chez quelques malades, l’hyponatrémie dilutionnelle est asymptomatique mais, dans d’autres cas, elle
peut être associée à des manifestations cliniques semblables à celles
observées dans les autres causes d’hyponatrémie, comme anorexie,
céphalées, incapacité mentale de se concentrer, léthargie, nausées et
vomissements.
C - Vasoconstriction rénale et insuffisance rénale
:
Les malades cirrhotiques avec ascite développent fréquemment aussi une
vasoconstriction de la circulation rénale qui produit une diminution du flux
plasmatique rénal et de la FG.
Cette perturbation est variable d’un malade à
un autre.
Dans la pratique clinique, un degré modéré de vasoconstriction
rénale est sous-estimé car les méthodes utilisées pour mesurer la FG ont une
sensibilité très basse dans la cirrhose hépatique.
L’existence d’une
vasoconstriction rénale modérée (valeurs basales [sans diurétiques] de
créatinine plasmatique entre 1,2 et 1,5 mg/dL) chez des malades avec ascite
est cliniquement importante pour différentes raisons.
En premier lieu, ces
malades peuvent présenter une ascite réfractaire, étant donné que la rétention
rénale d’eau et de sodium est très intense.
En second lieu, une
vasoconstriction rénale modérée prédispose au développement d’un SHR.
Finalement, la mortalité est plus forte chez ces malades que chez ceux qui
présentent une fonction rénale normale.
Quand la vasoconstriction rénale est très intense, apparaît une insuffisance
rénale connue sous le nom de SHR.
Le SHR est le type le plus fréquent
d’insuffisance rénale dans la cirrhose.
Le mécanisme de la vasoconstriction
rénale n’est pas totalement connu et différents facteurs interviennent
probablement (augmentation de l’activité des systèmes vasoconstricteurs et
diminution de l’activité des systèmes vasodilatateurs).
Ces altérations des
systèmes vasoactifs sont sans doute en rapport avec l’altération importante
de l’hémodynamique systémique marquée par une élévation du débit
cardiaque, une diminution de la pression artérielle et des résistances
vasculaires systémiques.
L’incidence du SHR chez les malades cirrhotiques hospitalisés pour ascite est
approximativement de 10 %.
Récemment, on a défini deux types de SHR
qui probablement représentent différentes expressions d’un même mécanisme
pathogénique.
Le SRH type I se caractérise par une altération rapide et
progressive de la fonction rénale définie par une augmentation de la créatinine
plasmatique, au double de sa valeur basale, jusqu’à obtenir un chiffre de
2,5 mg/dL ou par une diminution de 50 % de la FG de la créatinine basale
jusqu’à obtenir un niveau inférieur aux 20 mL/min en moins de 2 semaines.
L’insuffisance rénale chez ces malades est fréquemment associée à une
oligurie progressive, une rétention rénale de sodium marquée et une hyponatrémie.
Ces malades se trouvent dans une situation clinique grave avec
des signes évidents d’une maladie hépatique avancée.
Chez quelques
malades, l’insuffisance rénale apparaît de façon spontanée sans qu’on puisse
identifier un facteur déclenchant.
Toutefois, elle apparaît fréquemment après
certaines complications (hémorragie digestive, péritonite bactérienne
spontanée) ou certaines manoeuvres thérapeutiques (paracentèse sans
expansion du volume plasmatique).
Le SHR type II est défini par une
réduction modérée et stable de la FG.
De plus, les critères qui définissent le
type I doivent être, logiquement, absents.Au contraire de ce qui se passe avec
le type I, les malades avec un SHR de type II ont une fonction hépatique
relativement préservée.
La conséquence clinique la plus importante de ce type
de SHR est l’apparition d’une ascite réfractaire au traitement diurétique.
Il n’existe pas une preuve formelle pour le diagnostic du SHR. Le diagnostic
repose sur l’existence d’une FG diminuée et sur l’exclusion d’autres causes
d’insuffisance rénale qu’on peut observer chez les malades cirrhotiques
(insuffisance prérénale, nécrose tubulaire aiguë, administration d’agents
néphrotoxiques, particulièrement les AINS et les glomérulonéphrites).
On considère que la FG est diminuée quand la créatinine
plasmatique est supérieure à 1,5 mg/dL ou quand la clairance plasmatique de
la créatinine est inférieure à 40 mL/min.
Il existe, de plus, d’autres critères
parmi lesquels l’absence de situations cliniques qui prédisposent au
développement d’insuffisance prérénale (administration de diurétiques) ou de
nécrose tubulaire aiguë (administration d’aminoglucosides).
Un autre critère
est l’absence d’amélioration de la fonction rénale après arrêt du traitement
diurétique et après avoir réalisé une expansion plasmatique.
Finalement, pour
admettre le diagnostic du SHR, il est nécessaire que le sédiment d’urine soit
normal, qu’il n’existe pas de protéinurie et que l’ultrasonographie rénale soit
elle aussi normale.
Bien que le chiffre de créatinine de 1,5 mg/dL puisse
paraître relativement bas pour établir le diagnostic d’insuffisance rénale, il
faut se rappeler que les malades cirrhotiques avec ascite et une créatine
supérieure au chiffre indiqué ont une FG mesurée par l’inuline en dessous de
30mL/min.
La majorité des malades avec un SHR ont une excrétion urinaire
de sodium inférieure à 10 mEq/L et une osmolarité urinaire supérieure à la
plasmatique puisque la fonction tubulaire est préservée.
Cependant, quelques malades peuvent avoir une excrétion urinaire de sodium plus élevée et une osmolarité urinaire plus basse, comme cela est observé dans la nécrose
tubulaire aiguë.
En revanche, quelques malades cirrhotiques avec une nécrose
tubulaire aiguë peuvent présenter une excrétion urinaire de sodium basse et
une osmolarité urinaire élevée. Pour toutes ces raisons, les données
analytiques urinaires ne peuvent pas être prises en compte comme des critères
majeurs pour établir le diagnostic du SHR.
Des mécanismes responsables de l’altération
de la fonction rénale
:
Les mécanismes responsables de l’altération de la fonction rénale peuvent
être intra- ou extrarénaux.
Il faut considérer ici que le SHR est précisément le
stade le plus avancé des perturbations de la fonction rénale que l’on observe
chez les malades cirrhotiques avec ascite.
A - Facteurs extrarénaux
:
Beaucoup de malades cirrhotiques avec ascite ont une augmentation de
l’activité des deux systèmes vasoconstricteurs et antinatriurétiques les plus
importants que possède l’être humain : le système rénine-angiotensinealdostérone
(SRAA) et le système nerveux sympathique (SNS).
Il est bien
établi que l’augmentation de l’activité de ces deux systèmes détermine une
augmentation de la réabsorption de sodium au niveau des tubules rénaux.
Cependant, il est probable que d’autres mécanismes, non encore identifiés,
peuvent jouer un rôle important dans la rétention de sodium de ces malades,
puisqu’un pourcentage significatif des malades cirrhotiques avec ascite et
augmentation de la rétention rénale de sodium, ont une activité des SRAAet
SNS dans les limites normales.
L’activation de ces systèmes est particulièrement intense chez les malades
avec SHR, ce qui suggère que ces deux systèmes jouent un rôle fondamental
dans la pathogénie de la vasoconstriction rénale.
Un autre facteur vasaconstricteur qui est constamment élevé dans la cirrhose hépatique avec
ascite est l’hormone antidiurétique (AVP [arginine vasopressine]).
Il est bien
connu que l’AVP augmente la rétention d’eau dans les tubules rénaux
collecteurs et par conséquent contribue à l’apparition d’une hyponatrémie
dilutionnelle.
Le blocage pharmacologique de ces trois facteurs
(angiotensine II, norépinéphrine etAVPchez les malades cirrhotiques ou dans
la cirrhose hépatique expérimentale, occasionne une réduction marquée des
résistances vasculaires systémiques et une intense hypotension artérielle.
Ces
faits suggèrent que ces systèmes seront soumis à une forte activation comme
conséquence d’une réponse homéostatique destinée à maintenir la tension
artérielle dans des limites normales.
L’endothéline plasmatique, un autre
puissant vasoconstricteur, est trouvée aussi augmentée dans la cirrhose
hépatique avec ascite.
Cette augmentation de l’endothéline plasmatique est
due probablement à une augmentation de la production de ce peptide au
niveau de la circulation hépatique ou splanchnique.
On a suggéré que
l’endothéline peut jouer un rôle dans le développement du SHR dans la
cirrhose hépatique avec ascite.
Le peptide natriurétique atrial et le peptide natriurétique cérébral sont
augmentés chez les malades cirrhotiques avec ascite.
Ce fait est une
conséquence de l’augmentation de la production cardiaque et non pas d’une
diminution de la clairance hépatique ou systémique de ces substances.
Étant
donné que ces hormones natriurétiques ont un puissant effet sur la fonction
rénale et inhibent la production de rénine, il est possible que l’augmentation
des niveaux plasmatiques de ces substances puisse agir comme un mécanisme
homéostatique pour arrêter les effets des systèmes antinatriurétiques et
vasoconstricteurs sur la circulation rénale.
B - Facteurs intrarénaux
:
En plus des systèmes extrarénaux, il existe d’autres systèmes intrarénaux qui
ont des effets importants sur la circulation rénale et sur le transport tubulaire
d’eau et de sodium.
Logiquement ils participent aussi à la pathogénie des
perturbations de la fonction rénale chez les malades cirrhotiques avec ascite.
Les métabolites de l’acide arachidonique sont des substances plus
extensivement étudiées chez ces malades.
L’acide arachidonique est
métabolisé dans le rein à travers trois enzymes : la cyclo-oxygénase, la
lipoxigénase et le cytochrome P 450. L’enzyme qui joue le rôle le plus
important dans le métabolisme de l’acide arachidonique est la cyclooxygénase
dont l’action donne lieu à l’apparition des prostaglandines (PGs).
Les PGs rénales ont un effet protecteur sur le transport tubulaire d’eau et de
sodium et sur la circulation rénale, spécialement dans des circonstances telles
que la cirrhose hépatique avec ascite, où il existe une augmentation de
l’activité des systèmes vasoconstricteurs.
Les malades cirrhotiques avec
ascite sans insuffisance rénale montrent une augmentation de la production
rénale des PGs (substances vasodilatatrices) en comparaison avec les
individus « normaux » ou avec les malades cirrhotiques sans ascite.
Cette
augmentation de la production rénale des PGs contribue à maintenir une
fonction rénale normale.
Ce fait a été prouvé en constatant que
l’administration d’AINS qui inhibent la synthèse rénale des PGs, donne lieu
à l’apparition d’une insuffisance rénale, particulièrement chez les malades
qui, en plus, ont une activation importante des systèmes vasoconstricteurs.
Au contraire, les malades avec un SHR ont une production rénale des PGs
très faible.
Ces données suggèrent que la régulation de la circulation rénale
chez les malades cirrhotiques dépend de la présence d’un équilibre approprié
entre les systèmes vasoconstricteurs et la production intrarénale des PGs.
Par
conséquent, l’existence d’un déséquilibre entre ces deux systèmes
vasoconstricteurs et les PGs pourrait être le mécanisme qui expliquerait
l’apparition d’une intense vasoconstriction rénale dans le SHR.
Toutefois, il
existe d’autres eicosanoïdes avec une intense capacité vasoconstrictrice
comme les leucotriènes ou les F2-isoprostanes qui pourraient aussi participer
à l’intense vasoconstriction rénale de ces malades.
L’oxyde nitrique (ON),
synthétisé localement dans quelques structures du rein, participe aussi à la
régulation de la fonction rénale.
Dans des conditions normales, l’ON régule
la microcirculation glomérulaire, l’excrétion urinaire du sodium et la
production de rénine.
Il n’existe pas encore d’information suffisante sur le rôle
que joue l’ON dans la régulation de la fonction rénale au cours de la cirrhose
hépatique avec ascite. Cependant, il est probable qu’il interagit avec les PGs
pour maintenir une fonction rénale normale.
D’autres facteurs vasoactifs
locaux, qui pourraient aussi influencer l’apparition des perturbations de la
fonction rénale, sont le système intrarénal de la kallikréine-kinine, le système
de la rénine-angiotensine et l’adénosine.
C -
Pathogénie
:
La pathogénie du SHR est intimement en relation avec les mécanismes
responsables de la formation de l’ascite.
En fait, le SHR est la dernière
expression de l’importante perturbation hémodynamique systémique et
rénale qui a lieu dans la cirrhose hépatique avec ascite.
Il est généralement admis que l’hypothèse la plus plausible qui permet de
comprendre la physiopathologie de l’ascite est l’hypothèse de la
vasodilatation artérielle.
En accord avec cette hypothèse, la perturbation
initiale serait le développement d’une importante vasodilatation dans la
circulation splanchnique produite par la présence d’une intense hypertension
portale. Les substances capables de produire cette intense vasodilatation
seraient l’ON et d’autres peptides vasodilatateurs.
La vasodilatation
artérielle produirait une distribution anormale du volume sanguin avec une
réduction du volume sanguin artériel efficace (volume cardiaque, pulmonaire
et artères centrales) et une augmentation de la rétention de l’eau et du sodium
comme conséquence d’une activation des facteurs vasoconstricteurs et antinatriurétiques.
Pendant la période préascitique (caractérisée par une
augmentation du volume sanguin mais sans ascite ni oedème), le liquide
retenu supprimerait la retention rénale d’eau et de sodium.
Toutefois, au fur et
à mesure que la maladie progresserait, il y aurait une plus grande
vasodilatation dans la circulation splanchnique et le volume sanguin artériel
efficace ne pourrait pas se maintenir ; le liquide commencerait à s’échapper
de la circulation plasmatique vers la cavité libre péritonéale formant l’ascite.
À partir de ce moment, il y aurait une activation permanente des systèmes
vasoconstricteurs et antinatriurétiques avec l’objectif de maintenir, dans les
limites normales, le volume sanguin artériel efficace et la pression artérielle.
L’extravasation de liquide de la circulation splanchnique à la cavité
péritonéale pourrait expliquer le paradoxe qui fait qu’il existe une activation
des systèmes antinatriurétiques avec une augmentation du volume de liquide
extracellulaire.
Dans les cas très avancés, la vasodilatation splanchnique est
si intense que l’hémodynamique systémique se maintient uniquement aux
dépens de la vasoconstriction de beaucoup de territoires vasculaires, y
compris la circulation rénale, donnant lieu à l’apparition d’un SHR.
D - Histoire naturelle et pronostic
:
Le pronostic des malades cirrhotiques avec ascite est grave, car moins de
50 % des malades ont une survie supérieure à 2 ans dès l’apparition de
l’ascite.
Très peu de malades vivent plus de 10 ans.
On peut considérer que
tous les malades qui ont présenté un épisode d’ascite sont des candidats
potentiels à l’inclusion dans un programme de transplantation hépatique.
Une
règle générale dont il faut tenir compte est que les altérations de la fonction
rénale se succèdent dans l’évolution naturelle de la maladie (rétention de
sodium suivie d’eau et finalement vasoconstriction rénale et SHR) et montrent
une tendance à progresser au fur et à mesure que le temps passe.
Quelques
malades, particulièrement les alcooliques, peuvent présenter une amélioration
spontanée de la fonction rénale.
Cette perturbation progressive de la fonction
rénale se manifeste cliniquement par une augmentation de la rétention de
liquide, augmentation des besoins en diurétiques ou de la fréquence des
ponctions, diminution progressive du sodium plasmatique et développement
d’une ascite réfractaire au traitement diurétique et apparition d’un SHR.
Les
études sur l’histoire naturelle de la cirrhose hépatique montrent toutes une
étroite corrélation entre la détérioration progressive de la fonction rénale et la
présence d’un pronostic grave.
Les paramètres qui mesurent les perturbations de la fonction rénale et de
l’hémodynamique systémique ont une importante signification pronostique
dans la cirrhose hépatique avec ascite.
De tous, la capacité rénale d’excréter
une surcharge aqueuse semble celui qui a le plus de valeur pronostique chez
ces malades.
Il est intéressant de se rappeler ici que ces paramètres ont plus de
valeur prédictive que les anomalies de fonction hépatique ou que la
classification de Child-Pugh. Le pronostic de ces malades peut aussi s’évaluer
en analysant la réponse au traitement.
Quand on observe une réponse
thérapeutique positive avec un régime hyposodé et peu de diurétiques,
l’évolution, logiquement, est meilleure que lorsque le patient reçoit une dose
élevée de diurétiques ou quand on doit réaliser plusieurs fois des ponctions
évacuatrices.
Il est recommandé de poser l’indication d’une transplantation
hépatique avant l’apparition d’un SHR.
Traitement du syndrome hépatorénal
:
Ce chapitre ne comprend pas le traitement de l’ascite (régime hyposodé,
diurétiques, paracentèse, DPPI) ; il y est fait uniquement référence au
traitement du SHR.
Jusqu’à maintenant, on a utilisé de multiples modalités thérapeutiques pour
le SHR sans que l’on ait obtenu de résultats positifs pour aucune d’entre
elles.
Récemment, on a suggéré que l’administration de vasoconstricteurs,
particulièrement d’ornipressine, un dérivé de la vasopressine qui a un puissant
effet antidiurétique, avec une expansion volémique plasmatique par albumine
intraveineuse pendant une longue période (2 semaines), ou l’insertion d’une
DPPI puisse améliorer la fonction rénale chez les malades avec SHR.
Cependant ces procédures thérapeutiques peuvent être associées à un nombre
significatif d’effets secondaires (complications ischémiques chez les malades
traités avec ornipressine et encéphalopathie hépatique ou altération de la
fonction hépatique chez les malades traités avec DPPI).
De plus, il n’y a pas
encore d’information suffisante pour savoir si cette amélioration de la
fonction rénale est associée à une augmentation de la survie de ces malades.
Pour ces raisons, il est évident que ces deux méthodes thérapeutiques doivent
être évaluées avec des études prospectives contrôlées.
Le traitement
d’élection du SHR chez des candidats sélectionnés est la transplantation
hépatique.
Cependant, un pourcentage significatif de malades dans la liste
d’attente meurent car la survie est très courte.
Il est évident que l’indication d’une transplantation hépatique doit se réaliser
avant qu’apparaisse un SHR.
Il existe des données objectives qui permettent
de prédire avec une bonne certitude le développement d’un SHR.
La
constatation d’une réduction très marquée de l’excrétion urinaire de sodium,
l’incapacité à excréter une surcharge aqueuse, l’hyponatrémie dilutionnelle,
l’hypotension artérielle et une intense activation des systèmes
vasoconstricteurs sont des éléments qui permettent d’affirmer que le risque
de développer un SHR est très élevé et que ces malades peuvent déjà être
considérés comme candidats pour une transplantation hépatique.