Spatules de Thierry Cours de
Gynécologie Obstétrique
Description
:
Ce sont deux leviers indépendants, terminés par les spatules
proprement dites.
Les spatules ne présentent ni articulation,
ni vis de serrage, ni perforation pour passage de lacs.
Chaque
spatule pèse 620 g, sa longueur totale est de 39,5 cm, et les cuillères
mesurent 16 cm de long sur 6 cm de large.
L’instrument se compose de trois parties.
A - CUILLÈRES OU SPATULES PROPREMENT DITES
:
Elles n’ont pas de courbure céphalique, à court rayon, qui
s’appliquerait sur le crâne en même temps que sur la face, mais une
courbure à plus grand rayon, qui s’applique sur la face par ses deux
tiers distaux (courbure faciale).
La tête n’est pas serrée, ce qui ne
peut que réduire le nombre des traumatismes foetaux ; la tête a la
possibilité d’évoluer spontanément.
Le tiers proximal, côté poignée,
se sépare du crâne dont le rayon est plus petit, et lui sert de « parechocs
».
Ce tiers proximal s’applique sur les tissus maternels, et ainsi
se constitue un levier de premier ordre.
L’instrument est presque rectiligne.
La cuillère est pratiquement
dans l’axe du manche : si l’on prolonge son bord antérieur, la ligne
théorique tombe sur le cran des poignets.
Il n’y a pas de courbure
pelvienne vraie : le bord antérieur est presque droit et le bord
postérieur modérément courbe.
La face externe est légèrement convexe et la face interne légèrement
concave (courbure faciale).
Ce caractère morphologique explique que
la spatule n’est pas un instrument de préhension de la tête foetale.
Les cuillères ne sont pas épaisses, mais elles sont pleines.
B - POIGNÉES :
Chaque poignée des spatules de Thierry présente sur le bord inférieur
quatre crans pour les quatre derniers doigts de la main.
Sur le bord
supérieur, un petit décrochage est prévu pour le pouce, et une partie
légèrement concave épouse le relief de l’éminence thénar.
C - MANCHE :
Il est plat et mince et relie la poignée à la cuillère.
Principes :
Les spatules ne sont pas un instrument de préhension, mais elles se
comportent comme deux leviers indépendants du premier ordre.
Elles prennent appui par l’extrémité de leurs faces internes
légèrement concaves sur la partie postérieure du malaire foetal.
Elles
sont placées selon l’axe occipitomentonnier.
Le couple de
déflexion qu’elles créent est ainsi de faible importance.
Le point d’application du levier se fait spontanément au tiers moyen
de la face convexe des spatules.
L’appui du levier sur la face pelvienne n’est pas fixe, mais varie puisque les spatules suivent la
progression de la tête.
En effet, dès que la traction commence
en écartant légèrement les manches, l’extrémité des spatules
propulse la présentation, sans que la résistance des tissus maternels
gêne, puisque les tissus maternels sont écartés ; les instruments,
prenant appui sur les parties molles maternelles et le rebord pelvien
augmentent la force de traction, toujours réduite, d’une force de
propulsion due à un effet de levier.
L’extrémité foetale n’est pas
tenue : son évolution entre les cuillères est absolument libre.
Cette
évolution se fait, le plus souvent, vers la réduction des diamètres,
c’est-à-dire dans le sens d’une flexion et d’une rotation spontanées.
Manuel opératoire :
A - CONDITIONS GÉNÉRALES :
L’utilisation des spatules répond aux mêmes impératifs techniques
et aux mêmes conditions strictes que l’utilisation des forceps.
Le bassin doit être suffisant, la tête foetale doit se situer dans
l’excavation sacrée. Ici se place la première difficulté.
Jusqu’à quelle
altitude peut-on mettre en place des spatules ?
L’absence totale de
courbure pelvienne fait qu’on ne peut correctement mettre en place
des spatules que sur une tête engagée partie haute.
Lorsque l’on
procède à des spatules d’essais, le fait que l’on puisse ou non mettre
en place correctement les spatules indique sans doute que la tête est
ou non engagée à la partie haute.
Si l’on ne peut mettre correctement
en place les cuillères, il y a contre-indication à poursuivre la
manoeuvre, et il faut avoir recours à une voie haute.
Il y a dans ce
fait une sorte de sécurité.
Il faut, bien sûr, connaître l’orientation de la tête foetale (intérêt, dans
les cas difficiles, d’une échographie en salle de travail), son degré de
déflexion et d’asynclitisme.
Mais une erreur, ici, est moins grave
qu’avec le forceps, car si l’on ne met pas en place les cuillères
symétriquement, on ne peut pas poursuivre l’application, la traction
fait qu’une spatule « dérape ».
Une anesthésie adéquate doit toujours être utilisée.
On peut certes
faire des spatules sans anesthésie, comme on peut faire des forceps
sans anesthésie si l’on est très habile et si l’on a une grande habitude,
et si l’on est rapide ; mais cela fait mal.
Dans les 431 applications
que nous rapportions en 1988, nous avions 80 % de péridurales, 25 %
d’analgésies des nerfs honteux et 15 % d’anesthésies générales.
Dans
les années récentes, le pourcentage d’anesthésies péridurales
augmente.
En 1998, 96,2 % sont réalisées sous anesthésie
locorégionale, 0,9 % sous anesthésie générale, 1,3 sous anesthésie
locale ; dans 1,6 %, une anesthésie générale a suivi une péridurale.
La procédure opératoire doit être aisée ou abandonnée.
B - MISE EN PLACE
:
Les spatules doivent se mettre en place de manière symétrique et
être, à la fin de la mise en place, parallèles à la structure sagittale.
La
spatule postérieure est mise en place la première. Si c’est la spatule
droite (présentation occipito-iliaque gauche antérieure [OIGA]) par
exemple, elle est tenue par la main gauche.
Si c’est la spatule gauche
(présentation en occipito-iliaque droite antérieure [OIDA]) par
exemple, elle est tenue par la main droite.
Il est dit que l’introduction des spatules se fait comme l’introduction
des forceps.
Cela ne nous paraît pas tout à fait vrai.
La spatule est
présentée parallèlement au bord postérieur de la vulve, et est
poussée doucement au contact de la tête foetale, cependant que la
main controlatérale écarte les parties molles, et maintient le bec de
la spatule au contact de la présentation.
Une fois que la spatule est
suffisamment introduite (amenée presque à l’horizontale),
commence le tour de spire de Madame de Lachapelle, qui est ainsi
plus décomposé que dans la mise en place du forceps.
On introduit
d’abord la spatule, on réalise ensuite le tour de spire de Madame de
Lachapelle.
Dans l’introduction du forceps, les deux mouvements
sont simultanés. Ce tour de spire amène la spatule parallèle à la
grande suture.
On change de main et l’on met en place la spatule
controlatérale, de la même manière.
Insistons sur le fait que la mise
en place demande une grande décomposition des gestes, et un tour
de spire de bonne amplitude.
Cette manière de mettre en place les
spatules avec un tour de spire ample fait que la cuillère contourne
l’épine sciatique (cela apparaît bien dans le travail sur
mannequin).
Une fois en place, les cuillères prennent la face
foetale.
Leurs axes correspondent à l’axe occipitomentonnier (ou susoccipitomentonnier).
Les manches sont bien parallèles, symétriques
par rapport à la structure sagittale.
Les tractions peuvent alors commencer, la spatule droite prolongeant
la main droite de l’accoucheur, la spatule gauche prolongeant la
main gauche (« spatule droite = main droite, spatule gauche = main
gauche »).
Les tractions sont contemporaines des effets expulsifs
maternels, si ceux-ci sont conservés, ou contemporaines des
contractions.
Les poignées sont légèrement écartées dans ces
tractions.
L’axe global des manches doit se situer dans l’axe de
l’excavation : pour les prises hautes, l’axe de traction est très oblique
en bas.
Dès cette traction et l’écartement des poignées, les spatules
ne peuvent fuir vers l’extérieur, mais elles entrent en contact avec la
paroi pelvienne.
L’effet de levier apparaît alors.
L’axe de traction se modifie avec la descente de la présentation
, les manches, obliques vers le bas quand la tête est à la partie
haute, se redressent vers l’horizontale cependant que la tête
progresse.
La traction peut s’exercer par de petits mouvements
alternés, pour laisser la tête évoluer entre les spatules.
Lorsque le
périnée commence son ampliation, les manches sont relevés et l’on
peut ensuite, très simplement, quand la tête distend bien l’anneau
vulvaire, après épisiotomie, guider la sortie de la tête en tenant les
deux cuillères dans la même main, des oscillations dans le sens
transversal faisant progresser une bosse pariétale puis l’autre,
cependant que la seconde main contrôle le périnée postérieur.
Le
contrôle total du dégagement du pôle céphalique permet une sortie « tempérée » de la tête foetale.
Le périnée est moins allongé que dans
les applications de forceps, car les spatules écartent les parties molles
maternelles.
On peut aussi retirer les spatules, par un mouvement
inverse à celui réalisé pour la mise en place, et terminer
l’accouchement normalement.
C - APPLICATIONS EN OIGA :
La première traction ou la seconde traction s’accompagne du
passage de la tête en occipitopubienne, et les cuillères viennent
naturellement dans le même plan.
D - APPLICATIONS DANS LES VARIÉTÉS TRANSVERSES
ET POSTÉRIEURES :
La mise en place des spatules suit le protocole, mais la rotation
spontanée va se faire en occipitosacrée (OS).
Dans les expulsions en
OS, l’axe de traction reste longtemps vers le bas.
Le redressement à
l’horizontale des branches de spatules n’est pas possible, ou est
inefficace : la présentation ne progresse pas ; l’impossibilité de
redresser l’axe de traction doit donner l’alerte quant à une variété
postérieure et à une rotation en occipitosacré méconnue.
La manoeuvre du toboggan a pour but d’amener en présentation occipitopubienne (OP) une variété postérieure ou transverse.
« Cette
manoeuvre est à l’utilisateur des spatules ce qu’est la grande rotation
à l’opérateur du forceps : douceur et expérience sont les meilleures
garanties » (Thierry).
1- Dans les variétés transverses
:
L’introduction se fait comme nous l’avons décrit plus haut : dans la
présentation occipito-iliaque droite transverse (OIDT) par exemple,
la spatule postérieure est la spatule gauche.
On met ensuite la
spatule antérieure, qui est la spatule droite, et qui se retrouve
horizontale, entre le pubis et la présentation, parallèle à la suture
sagittale.
La manoeuvre du toboggan demande que l’on ne maintienne
plus les spatules dans les mêmes plans parallèles.
La spatule
postérieure sert de plan de glissement.
La spatule antérieure fait
tourner la tête sur le plan de glissement représenté par la spatule
postérieure et aidé par elle.
Dans un premier temps, on écarte le manche de la spatule antérieure
vers l’extérieur, du côté de la fontanelle lambdatique, c’est-à-dire
vers la cuisse droite de la patiente, ce qui va amener le bec de la
cuillère légèrement plus bas que la région malaire.
En redressant
vers la verticale le manche, le bec de la cuillère pousse la région
malaire vers le bas, ce qui amorce une rotation de la tête.
Le
mouvement est recommencé plusieurs fois, et la tête tourne sur la
spatule postérieure.
De petits mouvements sur cette spatule, en sens
inverse mais moins amples, aident cette rotation.
Entre chaque
manoeuvre, les spatules sont parallèles à la suture sagittale, qui
devient oblique avec la rotation de la présentation.
Pour que la rotation s’effectue, il faut exercer sur les cuillères une
traction légère (manoeuvre de descente-rotation-flexion, disait
Thierry).
La procédure est la même, que l’on ait affaire à une gauche
postérieure ou à une droite postérieure, seule la spatule active et
son orientation changent.
Le toboggan amène la présentation en variété antérieure puis en OP.
2- Dans les variétés postérieures :
Dans les variétés postérieures, le toboggan peut être fait de deux
manières.
La première est la méthode classique.
Si l’on suit la procédure
décrite plus haut, la spatule postérieure est introduite la première :
dans une présentation occipito-iliaque droite postérieure (OIDP),
c’est la spatule droite.
La spatule gauche, supérieure est amenée en
dehors, vers la cuisse droite, puis relevée.
La tête amorce sa rotation,
et des mouvements comparables amènent la tête en OIDT-OIDA,
mais alors, une fois la rotation effectuée, les spatules se trouvent
inversées puisque les poignées sont dirigées vers le haut.
Il faut donc
les remettre en place et réaliser ensuite une application comme on la
réalise dans les variétés antérieures.
Une autre procédure, qui est celle décrite par Thierry, est de mettre
de manière délibérée les spatules non parallèles.
Dans les OIDP par
exemple, la spatule postérieure est délibérément la spatule gauche ;
elle est laissée à l’horizontale.
La spatule antérieure est la spatule
droite ; elle est mise entre pubis et présentation, parallèle à la suture
sagittale, et effectue la manoeuvre du toboggan : manche de la
spatule vers la cuisse droite, puis manche relevé.
La présentation est
amenée en transverse, puis le mouvement de toboggan se poursuit,
sans changer les cuillères de côté, jusqu’au passage en OP.
La réalisation de ces manoeuvres sur mannequin aide à la
compréhension du mécanisme.
Résultats :
Les spatules sont l’instrument exclusivement utilisé dans les services
de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Claude de Viguier (ancien
hôpital de la Grave), à Toulouse.
Ces services sont des services de
formation, et les spatules sont faites par des seniors, ou par des
internes sous contrôle du senior.
Les spatules représentent environ
16 % des accouchements de grossesses uniques.
Nous rapportons ici
les indications principales et les complications
relevées par l’expérience de ces services.
Les résultats de 1998,
relevés pour les Journées du Collège des Gynécologues Obstétriciens
Français, sont comparés aux résultats de 1988, déjà publiés.
La réduction des complications passe par un meilleur encadrement.
Les épisiotomies qui se compliquent de déchirures du sphincter sont
en général mal réalisées : lorsque le périnée n’est pas amplié,
l’incision doit être peu oblique en bas et en dehors, presque
horizontale, pour couper perpendiculairement le faisceau puborectal
du releveur, qui n’est pas étiré encore.
Les principales indications restent identiques, ce qui est logique
puisque la spatule est l’instrument employé exclusivement dans les
services de Paul de Viguier.
Le fait que l’épisiotomie est plus hémorragique que dans les
accouchements spontanés s’explique par le fait que les épisiotomies
des applications instrumentales sont plus larges.
Les hémorragies
de la délivrance sont plus rares, puisque la délivrance artificielle est
faite plus précocement dans les applications de spatules (si la
délivrance assistée n’est pas couronnée de succès très vite, on réalise
une délivrance artificielle et une révision utérine).
Le taux de
déchirures complètes est comparable, en 1998, avec celui des
accouchements spontanés, sans doute parce que les épisiotomies
sont mieux pratiquées.
La définition des déchirures vaginales a
changé, car en 1988, les déchirures peu étendues, demandant deux
ou trois points, n’étaient pas répertoriées.
Les déchirures du col sont
des lésions commissurales, ne remontant pas au cul-de-sac vaginal.
Notons qu’en 1988, nos complications étaient comparables à celles
relevées par RC Rudigoz, à Lyon, dans un service formateur où
l’instrument d’extraction était le forceps de Tarnier.
Selon Thierry, l’écartement des tissus maternels, et non leur
étirement comme cela est observé dans les applications de forceps,
protègerait les voies génitales maternelles, et limiterait les risques
de prolapsus.
Cela n’a pas été prouvé, et un travail, méthodologiquement
bien difficile, reste à faire.
Aucun travail ne compare,
dans le même établissement, l’emploi de forceps et de spatules, ou
de ventouse et de spatules.
Comparer les résultats des spatules à
des accouchements spontanés est fallacieux, lorsque l’application de
spatule a une indication vraie.
L’apprentissage des spatules, la
maîtrise médiocre de la technique de l’épisiotomie (angle d’incision,
variable avec la hauteur de la présentation, importance de celle-ci,
contrôle strict du dégagement) expliquent beaucoup de lésions
périnéales observées dans un service universitaire, malgré la
vigilance des seniors.
Conclusion :
En conclusion, les spatules nous paraissent répondre aux exigences de
l’obstétrique moderne, de moindre traumatisme foetal, cela est évident,
mais aussi maternel, quand on a bien compris leurs principes et leur
procédure.