Examen et sémiologie générale du nourrisson
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
Le nourrisson se définit comme un enfant dont l’âge se situe entre
la période néonatale (de la naissance à la chute du cordon) et 2 ans,
âge où débute la petite enfance.
Il s’agit d’une période primordiale
pour le développement de tout l’organisme et l’acquisition
d’innombrables fonctions.
L’oeil et le système visuel n’échappent pas
à cette règle puisque l’essentiel de la croissance du globe oculaire et
une part importante du développement visuel ont lieu avant 2 ans.
L’ophtalmologiste amené à examiner un nourrisson est parfois
dérouté par ce patient particulier dont la principale caractéristique
est le défaut de coopération.
Ce défaut est toutefois relativisé si l’on
s’attache à respecter des conditions favorables d’examen : ambiance
calme dans la pièce de consultation, éclairage non éblouissant,
enfant dans les bras ou sur les genoux d’un des parents, n’ayant ni
faim ni sommeil, contrôle des frères et soeurs turbulents...
En effet,
la présence de plusieurs membres de la famille est une autre
caractéristique de l’ophtalmologie pédiatrique, ce qui peut être
source de perturbations mais aussi de précieux renseignements dans
les pathologies héréditaires.
Cet examen « en douceur » est souvent
plus facile à réaliser chez un petit nourrisson qu’après 1 an, période
où l’enfant devient plus vif et curieux tout en ne supportant aucune
contrainte.
C’est pourquoi il faut essayer de retarder au maximum
le moment, généralement inévitable, où il faudra devenir un peu
plus coercitif pour terminer l’examen (lampe à fente, fond d’oeil...).
Ainsi, les particularités de l’examen ophtalmologique du nourrisson
sont rencontrées à toutes les étapes : interrogatoire, inspection, acuité
visuelle, réfraction, examen du segment antérieur, postérieur,
examens complémentaires.
La connaissance de ces particularités et
un peu d’habitude permettent d’objectiver précisément les
pathologies, qui elles aussi sont souvent spécifiques à cette tranche
d’âge.
Interrogatoire
:
Les difficultés d’examen du nourrisson peuvent être partiellement
contournées par un interrogatoire particulièrement soigneux des
parents et de l’entourage.
Cet interrogatoire associé à une inspection
succincte permet déjà souvent d’aller presque jusqu’au diagnostic.
A - SIGNE D’APPEL :
La première question à poser aux parents est celle du signe qui les a
amenés à consulter, de sa date d’apparition et de son évolution.
Certains signes évidents et présents dès la naissance conduisent à
une consultation rapide, tandis que d’autres sont d’apparition plus
insidieuse, voire de découverte fortuite.
1- Malformation évidente :
Une anomalie importante conduit généralement à un diagnostic et
une prise en charge rapidement après la naissance.
Elle peut
intéresser la région orbitaire dans son ensemble (exophtalmie, cryptophtalmie), les paupières (ptosis, colobome), le
globe oculaire (microphtalmie, buphtalmie, opacité cornéenne étendue).
2- Leucocorie :
Le reflet blanc dans la pupille traduit toujours une pathologie
intraoculaire nécessitant un examen rapide en raison de la suspicion
de rétinoblastome.
L’ancienneté, le caractère évident ou au
contraire fugace, uni- ou bilatéral, l’apparente évolutivité, les
circonstances de découverte (remarqué par les parents, le médecin,
photographie au flash...) sont utiles à noter.
Hormis le rétinoblastome, l’examen pourra trouver une cataracte congénitale
ou une persistance et hyperplasie du vitré primitif, parfois une
maladie de Coats, une rétinopathie de prématurés de stade 5, un
colobome choriorétinien ou des fibres à myéline très étendues.
3- Strabisme, mouvements oculaires anormaux :
En cas de déviation oculaire, il est nécessaire de faire préciser sa
date d’apparition, son caractère permanent ou intermittent, si l’oeil dévié est toujours le même, d’éventuels signes associés.
Il faut
garder à l’esprit qu’un strabisme peut être la conséquence d’une
anomalie organique et effectuer dès la première consultation un
examen complet.
Des mouvements oculaires erratiques, sans fixation stable, traduisent
une vision très faible.
Ils s’accompagnent souvent d’une absence de
réaction à la lumière et de poursuite.
Pour ces signes comme pour
tous les retards de développement, les frères et soeurs fournissent
un élément de comparaison qui conduit souvent les parents à
consulter plus précocement que s’il s’agit d’un premier enfant.
Le nystagmus peut également être isolé ou traduire une lésion maculaire, ou encore une pathologie neurologique.
Ces étiologies
peuvent être cernées en faisant préciser l’âge de début, l’existence
de signes associés (photophobie), l’amplitude et le sens de
l’oscillation.
4- Anomalie du comportement visuel
:
Dans ce cas particulièrement, les parents sont alertés plus
précocement s’il ne s’agit pas de leur premier enfant.
Dans les cas
les moins sévères, l’enfant n’est pas attiré par des objets fortement
contrastés et a du mal à fixer son attention et à suivre du regard.
En
cas de malvoyance plus profonde, l’entourage peut rapporter des
signes caractéristiques : signe digito-oculaire de Franceschetti, où
l’enfant se frotte fréquemment et vigoureusement les yeux comme
s’il voulait se créer des stimulations visuelles d’origine mécanique, signe de l’éventail où l’enfant fait passer sa main devant ses
yeux comme pour stimuler sa vision, stéréotypies (mouvements de
balancement de la tête ou du tronc).
5- Photophobie
:
La photophobie est un symptôme qui correspond à des causes très
diverses et quelques éléments permettent de cerner plus précisément
l’étiologie : caractère congénital ou acquis, chronique ou aigu,
permanent ou intermittent.
Les signes associés sont naturellement
essentiels : signes d’atteinte cornéenne (rougeur, larmoiement,
opacité), d’allergie, orientant vers une cause irritative ; signes de
mauvaise vision, nystagmus orientant vers une pathologie maculaire.
6- Larmoiement
:
Comme la photophobie, le larmoiement peut avoir des origines
variées soupçonnées en faisant préciser ses caractères.
Le début
dès la naissance avec surinfections fréquentes oriente vers une
pathologie lacrymale, l’association à rougeur et photophobie vers
une pathologie cornéenne, sans oublier le larmoiement clair avec
photophobie et trouble cornéen ou buphtalmie qui fait naturellement
évoquer le glaucome congénital.
B - ANTÉCÉDENTS FAMILIAUX
:
Les pathologies ophtalmologiques observées chez le nourrisson,
associées ou non à des anomalies générales, sont souvent
héréditaires.
Il est utile de s’enquérir des antécédents familiaux,
en remontant aussi loin que nécessaire pour obtenir des
renseignements utiles tels que le type de transmission.
Les notions
de consanguinité, de transmission par des femmes saines ou au
contraire d’atteinte des deux sexes sur plusieurs générations sont
capitales.
Tous ces renseignements sont consignés dans un arbre
généalogique présenté selon les normes standardisées.
La connaissance du caractère héréditaire d’une affection permet de
préciser le diagnostic, parfois d’orienter le traitement et le plus
souvent de fournir un conseil génétique aux parents en cas de
nouvelle naissance.
Si l’on soupçonne une maladie héréditaire, il faut profiter de la
présence des parents pour examiner le plus possible de membres de
la famille, éventuellement en demandant à examiner des parents
plus éloignés.
Cet examen est le plus complet possible (segment antérieur, postérieur, examens complémentaires si nécessaire).
Ainsi,
l’expressivité variable des maladies dominantes peut aboutir à une
pathologie évidente chez un enfant et plus discrète chez l’un de ses
parents.
De même, la mère transmettrice d’une maladie liée à l’X
peut présenter un marqueur clinique génétique qui est essentiel pour
le diagnostic.
C - ANTÉCÉDENTS GÉNÉRAUX
:
Les pathologies associées aux anomalies oculaires chez le nourrisson
sont utiles à connaître pour orienter le diagnostic et fixer les
conditions du traitement.
1- Grossesse :
Les parents sont interrogés sur les conditions de son déroulement :
statut immunitaire vis-à-vis de la toxoplasmose et de la rubéole,
maladie, prise médicamenteuse.
2- Accouchement :
La durée du travail, la notion de souffrance foetale, le poids de
naissance, la délivrance par forceps ou césarienne sont utiles à noter
dans certaines pathologies.
3- Développement général
:
La notion d’un retard de croissance (taille, poids, périmètre crânien)
oriente vers une pathologie générale associée.
Le développement
psychomoteur, s’il est retardé, évoque un problème neurologique
associé.
Normalement, un nourrisson roule du dos sur le ventre vers
4 mois, tient assis vers 6 mois, marche vers 12 mois avec de
nombreuses variations interindividuelles.
Il en va de même du
développement sensoriel (surdité en particulier), dont les troubles
orientent d’emblée vers des syndromes précis.
4- Pathologies générales :
Les appareils le plus souvent impliqués dans des syndromes à
expression oculaire sont la peau, le système nerveux, le rein et
l’appareil locomoteur.
La consultation du carnet de santé est
indispensable, en particulier si les parents ne peuvent préciser ces
points et ceux précédemment évoqués. En cas de doute, un avis
pédiatrique est requis.
Inspection
:
C’est la première étape de l’examen, qui doit se dérouler dans les
conditions précisées plus haut (ambiance calme,...) afin d’en retirer
le maximum de renseignements.
A - ANOMALIE GÉNÉRALE :
Un retard de croissance important, une anomalie du poids ou du
périmètre crânien (microcéphalie, hydrocéphalie) sont
immédiatement visibles.
Il en va de même des anomalies cutanées
sur les parties exposées (albinisme, ichtyose, naevi, angiomes, taches
café au lait).
La forme du crâne peut attirer l’attention
(craniosténoses, plagiocéphalie) ainsi que les anomalies des
extrémités (polydactylie par exemple).
Une dysmorphie faciale peut
être évidente (trisomie 21, rétrognathisme du syndrome de Pierre
Robin, fente labiale) ou plus discrète (implantation des oreilles,
forme du nez).
B - COMPORTEMENT VISUEL :
Chez le nourrisson qui n’est pas capable de s’exprimer pour
répondre à un test d’acuité visuelle, certains signes permettent de
soupçonner un trouble de la fonction visuelle.
Il faut d’abord avoir
présent à l’esprit le développement normal.
Ainsi, le nouveau-né
ouvre les yeux pendant les phases d’éveil, ce qui permet de tester le
réflexe photomoteur, faible à cet âge.
La fixation à courte distance et
pour une durée brève existe dès les premiers jours ainsi que le
réflexe à une lumière vive, tandis que le clignement à la menace et
la poursuite apparaissent dans les premiers mois.
Ainsi, il est possible d’observer différents stades de gravité dans une
atteinte de la fonction visuelle :
– normalement, la fixation doit être centrée (reflet au centre de la
pupille), stable (pas de nystagmus) et maintenue (y compris à
l’occlusion alternée).
Une défaillance dans ce système « CSM »
traduit un défaut visuel de l’oeil impliqué ;
– une atteinte plus sévère se traduit par un nystagmus de grande
amplitude, voire une errance du regard ;
– l’absence de clignement à la menace chez un enfant de plusieurs
mois traduit également une atteinte importante, surtout s’il s’y
associe une absence de clignement à la lumière vive ;
– dans les cas les plus sévères peuvent être observés le signe digitooculaire,
le signe de l’éventail et les stéréotypies précédemment
évoquées.
C - PAUPIÈRES :
Les anomalies des paupières, généralement congénitales, peuvent
être évidentes ou nécessiter un examen plus attentif.
On peut
schématiquement les diviser en :
– anomalies de position : obliquité mongoloïde en haut et en dehors
dans la trisomie 21, ou au contraire antimongoloïde dans certaines
affections génétiques, ectropion ou entropion.
Il est à noter que ce
dernier doit être distingué de l’épiblépharon, fréquent chez le
nourrisson, qui est un « excès de peau » de la paupière inférieure
entraînant un repli du bord libre vers l’intérieur.
Ce défaut ne
nécessite pas de correction chirurgicale car il disparaît généralement
avec la croissance ;
– anomalies de structure : la plus évidente est le colobome, avec un defect plus ou moins large dans la paupière, généralement
supérieure.
Si l’anomalie est mineure, l’absence d’exposition
cornéenne laisse du temps pour la reconstruction.
Si elle est plus
large, il s’agit d’une urgence néonatale en raison du risque de
kératite d’exposition, voire de perforation.
Selon la localisation et la
largeur, le traitement consiste en une suture bord à bord ou une
plastie plus complexe.
Une autre anomalie banale est
l’ankyloblépharon filiforme adnatum qui consiste en un ou plusieurs
fils reliant les deux paupières, reliquat de la soudure de celles-ci
pendant la vie embryonnaire.
Leur section résout le
problème ;
– anomalies de coloration : les angiomes immatures de la région
palpébrale apparaissent dans les jours qui suivent la naissance,
augmentent en surface et en épaisseur (parfois spectaculairement)
puis disparaissent en 1 à 3 ans.
La nécessité de traiter est
dictée par l’obstruction de l’axe visuel avec risque d’amblyopie.
Les angiomes plans et les naevi correspondent plutôt à des affections
générales (maladie de Sturge-Weber, naevus d’Ota) ;
– anomalies d’ouverture : la cryptophtalmie (absence plus ou moins
complète de paupières remplacées par une surface continue de
peau) est beaucoup plus rare que le ptosis.
Pour ce dernier, la
plupart des formes congénitales sont idiopathiques, les autres causes
étant dominées par le syndrome de Claude Bernard-Horner souvent
lié à un accouchement difficile (forceps) avec traumatisme du
sympathique cervical.
Le point essentiel est l’importance du ptosis.
Si l’axe visuel est occulté, le risque d’amblyopie rend le traitement
urgent.
Dans le cas contraire, le problème est principalement
esthétique et l’intervention peut être retardée de plusieurs années.
À noter que la position habituellement couchée des
nourrissons les incite à regarder vers le bas, et le ptosis est ainsi
mieux toléré ;
– anomalies des canthi : l’épicanthus, banal, est un repli de peau
dans l’angle interne donnant une fausse impression de strabisme.
Le caractère centré des reflets cornéens permet d’éliminer
un vrai strabisme.
Le télécanthus est un écartement excessif des
deux fentes palpébrales.
Il s’observe par exemple dans le syndrome
de Waardenburg.
D - CILS, SOURCILS :
Les cils peuvent être le siège d’anomalies de position (trichiasis avec
frottement sur la cornée, distichiasis avec une seconde rangée de
cils ectopiques parallèles aux cils normaux) ou de structure (pili
torti, trichorrhexie,...).
Les principales anomalies visibles au niveau des sourcils sont la
décoloration comme dans l’albinisme, l’absence de sourcils
(ichtyoses) ou le synophrys (confluence des deux sourcils à la base
du nez comme dans le syndrome de Cornélia de Lange).
E - VOIES LACRYMALES :
L’inspection peut révéler un épiphora clair ou purulent, parfois
discret sous la forme d’une rivière lacrymale inférieure un peu trop
abondante.
La région du sac peut être l’objet d’une tuméfaction
bleutée (mucocèle) ou rouge, inflammatoire (dacryocystite).
Rarement, les points lacrymaux sont absents ou ectopiques (fistule).
F - CONJONCTIVE :
Il est possible de voir une rougeur, des sécrétions muqueuses ou
purulentes, des papilles de grande taille, une anomalie de la
pigmentation (nævus), une lésion en relief (dermoïde).
G - GLOBE OCULAIRE :
Une anomalie importante, généralement signalée par les parents, est
visible dès l’inspection : microphtalmie ou au contraire buphtalmie,
anomalie de la cornée (opacité, oedème avec perte de transparence).
Les anomalies de l’iris sont également faciles à voir : colobome,
généralement inféronasal avec pupille en « trou de serrure »,
aniridie, hétérochromie, dépigmentation (albinisme).
La leucocorie correspond toujours à une affection sévère et sa visibilité
peut varier avec l’incidence de l’éclairage.
Une leucocorie d’origine
cristallinienne (cataracte) est plus visible qu’une leucocorie d’origine
rétrocristallinienne (persistance et hyperplasie du vitré primitif,
affections rétinovitréennes).
H - OCULOMOTRICITÉ :
1- Oculomotricité extrinsèque
:
La première chose à examiner est l’alignement des yeux en position
primaire, grâce aux reflets cornéens étudiés avec une lumière non
éblouissante.
Un reflet se projetant au bord de la pupille
correspond à une déviation de 20 dioptries prismatiques environ, et
au limbe de 40 dioptries.
Les mouvements oculaires peuvent être étudiés en faisant suivre
dans les différentes positions du regard un objet fortement contrasté,
distinguant les strabismes des paralysies oculomotrices.
L’occlusion
d’un oeil est plus facile avec la main ou le pouce, les doigts étant
posés sur le front de l’enfant, qu’à l’aide d’un cache qui risque
d’effrayer le nourrisson.
Avant l’âge de 3 mois, les mouvements
oculaires sont mal coordonnés, à partir de 4 mois le nourrisson est
capable de mouvements de convergence.
Il faut préciser d’emblée que la constatation d’un trouble
oculomoteur, et a fortiori d’un strabisme, doit faire pratiquer un
examen ophtalmologique complet à la recherche d’une cause
organique (rétinoblastome par exemple).
2- Nystagmus :
Ce trouble remarqué par les parents se caractérise sur le plan
sémiologique par son amplitude, sa fréquence (lent ou rapide), son
orientation (souvent horizontal) et la vitesse relative des deux phases
(nystagmus à ressort défini par le sens de la phase rapide,
nystagmus pendulaire).
On peut distinguer schématiquement les
causes neurologiques nécessitant un bilan clinique et
neuroradiologique (imagerie par résonance magnétique [IRM]), les
formes familiales et surtout les causes sensorielles en rapport avec
une faible acuité visuelle.
Cette dernière correspond souvent à une
atteinte maculaire (albinisme, aniridie, hérédodégénérescence).
Environ 30 % des cas restent idiopathiques.
Une forme particulière est le spasmus nutans caractérisé par des
mouvements nystagmiques de la tête associés au nystagmus
oculaire.
La cause est mal définie et l’amélioration spontanée.
3- Oculomotricité intrinsèque :
La pupille du nouveau-né est physiologiquement petite (2-3 mm) et
faiblement réactive à la lumière.
Il est toutefois possible très tôt
d’obtenir un réflexe photomoteur, direct et consensuel.
Les
anomalies de l’oculomotricité intrinsèque peuvent être :
– liées à une cause locale (malformation de l’iris, instillation de
collyre) facilement identifiée ;
– liées à une mauvaise vision : il n’y a pas d’anisocorie mais le
réflexe photomoteur est plus faible ou nul lorsque l’on éclaire la
pupille du côté pathologique.
Elle se contracte lorsque l’éclairage
passe du côté sain et se redilate paradoxalement lorsqu’il revient du
côté atteint.
S’il s’agit d’une neuropathie optique, la pupille éclairée
du côté atteint se contracte puis se redilate paradoxalement
(phénomène de Marcus Gunn).
En cas d’anisocorie (différence de taille des pupilles supérieure à
1 mm), la première chose à rechercher est quelle pupille est
pathologique (myosis ou mydriase).
En cas de myosis,
l’anisocorie augmente dans la pénombre tandis qu’en cas de
mydriase elle augmente à la lumière.
La cause la plus fréquente de
myosis est le syndrome de Claude Bernard-Horner avec ptosis et
énophtalmie.
En l’absence de cause obstétricale évidente (étirement
du plexus brachial), un bilan neuroradiologique intéressant aussi la
région cervicale et l’apex pulmonaire s’impose.
Les causes de
mydriase correspondent largement aux paralysies du III avec
divergence et ptosis.
Les étiologies regroupent les traumatismes
crâniens, les infections (en particulier les méningites) et les tumeurs
(gliome, craniopharyngiome).
Il est justifié de pratiquer des
explorations neuroradiologiques.
La pupille d’Adie est rare chez le
nourrisson.
Fonction visuelle
:
Ce temps de l’examen requiert particulièrement des conditions
favorables : ambiance calme, éclairage non éblouissant, enfant dans
les bras ou sur les genoux d’un des parents, éveillé, n’ayant ni faim
ni sommeil.
A - AVANT 3 MOIS :
À cet âge, les méthodes d’évaluation de la fonction visuelle sont
indirectes.
Normalement, une fixation brève apparaît dans les
premiers jours ainsi que le clignement à une lumière vive.
Une fixation plus stable d’objets fortement contrastés se développe vers
1 mois.
Les mouvements de poursuite existent après 2 mois
environ.
L’occlusion d’un oeil, si elle est mal supportée, laisse
supposer une amblyopie profonde de l’autre oeil.
B - MÉTHODE DU REGARD PRÉFÉRENTIEL
:
Cette méthode semi-quantitative est utilisable après 3 mois et jusque
vers 12 à 18 mois, âge où l’enfant se désintéresse du test.
Elle
consiste à présenter à l’enfant, à une courte distance, des cartons où
l’un des côtés présente des lignes ou des cercles alternativement
noirs et blancs et l’autre est uniformément gris.
Le regard de l’enfant
est attiré du côté des lignes, plus contrastées.
Le choix de
l’enfant est noté par l’examinateur qui observe le sujet par un trou
percé au centre de la carte.
Plus l’enfant « voit » des lignes
fines, plus son acuité est supposée bonne.
Il s’agit d’un test qui exige
de bonnes conditions de réalisation et d’être répété pour augmenter
sa fiabilité.
Les résultats s’expriment en cycles par degré, pour les
deux yeux séparément.
Des tables de conversions permettent de
chiffrer l’acuité en dixièmes mais doivent être interprétées avec
prudence en raison des nombreux facteurs qui influencent le résultat
et des possibilités visuelles physiologiquement limitées chez le
nourrisson (environ 1/50e à 1 mois, 1/10e à 3 mois, 2/10e à 6 mois
et 3/10e à 1 an).
C - AUTRES MÉTHODES D’EXAMEN
DE LA FONCTION VISUELLE
:
Le nystagmus optocinétique, consistant à observer le nystagmus
déclenché par la présentation d’un cylindre rotatif comportant des
bandes blanches et noires, n’est plus guère utilisé.
Les potentiels évoqués visuels, dans leur forme structurée (pattern),
témoignent de la perméabilité des voies visuelles et sont
grossièrement corrélés à l’acuité visuelle.
Ils sont enregistrables chez
le nourrisson éveillé mais rendus ininterprétables par l’anesthésie
générale.
En cas de vision très faible, le clignement à la menace (main
approchée rapidement du visage) ou la réaction à une lumière vive
donnent une idée des possibilités visuelles.
L’examen du champ visuel ne peut être que grossier, par
confrontation, en faisant fixer à l’enfant le visage de l’examinateur
et en approchant par le côté un objet fortement contrasté qui
déclenche une rotation des yeux et/ou de la tête.
L’examen de la vision des couleurs est du domaine de la recherche
à cet âge, avec des méthodes apparentées au regard préférentiel
utilisant des plaques colorées.
Il en va de même de l’exploration de
la vision stéréoscopique.
Réfraction
:
La mesure objective de la réfraction est nécessaire dans de
nombreuses circonstances chez le nourrisson : afin de compléter le
diagnostic en cas de signe d’appel tel qu’un strabisme, un trouble
du comportement visuel, des antécédents familiaux ou généraux de
maladie pouvant s’accompagner de troubles réfractifs ; pour
compléter le traitement d’une pathologie organique (cataracte,
glaucome, anomalie rétinienne...).
A - CYCLOPLÉGIE :
Compte tenu de l’absence de coopération et de l’importante réserve
accommodative à cet âge, une cycloplégie efficace est indispensable.
La méthode de référence est l’instillation d’atropine (0,3 % avant 6
mois, 0,5 % ensuite) matin et soir pendant les 7 jours précédant
l’examen.
Le cyclopentolate (Skiacolt) est contre-indiqué avant
1 an et en cas de troubles neurologiques.
Son utilisation exige un
protocole rigoureux (une goutte 1 heure et une autre 50 minutes
avant l’examen) et peut laisser agir une accommodation résiduelle à
cet âge.
B - MESURE :
La skiascopie nécessite, pour être précise, un apprentissage long.
Elle
est maintenant le plus souvent remplacée, chez le nourrisson, par
les autoréfractomètres portables (tels que le Rétinomaxt fabriqué par
Nikon) qui n’exigent qu’une brève fixation et dont la précision a été
démontrée.
Il faut simplement prendre garde à ne pas
forcer sur les paupières pour les ouvrir, ce qui induirait un
astigmatisme.
C - ÉVOLUTION :
La longueur axiale du globe chez le nouveau-né est de 17 mm,
augmente rapidement dans la première année, puis plus lentement,
la taille définitive n’étant pas fixée avant l’âge de 5 ans environ.
Il n’existe pas pour autant une forte hypermétropie, la faible
longueur du globe étant en grande partie compensée par un plus
faible rayon de courbure cornéen et cristallinien.
Le nouveau-né,
puis le nourrisson, a une hypermétropie de quelques dioptries qui
ne nécessite pas d’être corrigée sauf pathologie associée (strabisme),
car les possibilités accommodatives sont importantes à cet âge (plus
de 10 dioptries).
De même, une myopie faible met le nourrisson dans
une situation favorable à la vision de près, ce qui correspond à son
univers habituel et suffit au développement visuel.
La croissance du
globe, y compris en cas d’amétropie, tend vers l’emmétropisation, la
perception rétinienne d’une image floue étant un stimulus pour
modifier l’évolution de la longueur axiale.
Examen et sémiologie générale
du segment antérieur :
L’examen du segment antérieur à la lampe à fente se fait plus
facilement chez un enfant tenu à plat, le cou en extension de façon à
ce que le front vienne s’appuyer contre l’appui de la lampe.
L’examinateur ouvre doucement les paupières si le nourrisson ne le
fait pas spontanément.
Il est parfois nécessaire d’avoir recours à un blépharostat. Une lampe à fente portable peut également être utile.
A - CONJONCTIVE :
Les anomalies conjonctivales précédemment évoquées sont mieux
analysées à la lampe à fente.
B - CORNÉE :
Les anomalies cornéennes non évidentes à l’inspection sont
objectivées :
– anomalies de taille : mégalocornée isolée ou dans le cadre d’un
glaucome congénital ; microcornée avec ou sans
microphtalmie ; déformation globuleuse dans certaines
malformations (syndrome de Peters sévère) ;
– anomalies de transparence : l’opacité peut être diffuse (glaucome
avec oedème stromal et épithélial, sclérocornée accompagnée d’une
vascularisation) ou encore localisée (cicatrice de traumatisme
ou d’infection, opacité congénitale d’origine malformative, lignes de
rupture de la Descemet horizontales dans un glaucome, verticales
en cas de traumatisme par forceps, kératite en bandelette) ;
– anomalies d’épaisseur : oedème stromal, amincissement localisé
d’origine malformative (syndrome de Peters) ou acquise (ulcère).
C - IRIS :
L’iris peut révéler une malformation (colobome généralement nasal
inférieur, aniridie, dépigmentation totale ou partielle, synéchies avec
la cornée ou dans l’angle iridocornéen comme dans le syndrome
d’Axenfeld-Rieger, reliquat de la membrane pupillaire).
Parfois, une tumeur est visible (nævus, kyste, xanthogranulome,
diktyome).
Dans le cadre d’une uvéite (arthrite juvénile), des
synéchies iridocristalliniennes peuvent apparaître à bas bruit.
La pupille peut être ectopique, petite (microcorie avec souvent un
glaucome), multiple (polycorie).
D - CRISTALLIN :
Après dilatation, l’examen du cristallin peut montrer une anomalie
de transparence : cataracte dont la localisation et la densité
retentissent plus ou moins sur le développement visuel (totale, zonulaire, nucléaire, capsulaire dont la postérieure est beaucoup
plus amblyogène que l’antérieure).
À noter qu’il existe peu de
corrélation entre la topographie d’une cataracte congénitale et son
étiologie.
Enfin, la persistance et hyperplasie du vitré primitif se
caractérisent par une opacité blanche rétrocristallinienne avec
étirement des procès ciliaires et artère hyaloïde perméable se
dirigeant vers la papille.
Les formes les plus sévères
s’accompagnent d’une microphtalmie et d’une atteinte rétinienne,
tandis que les moins sévères comportent une simple tache (de Mittendorf) à la face postérieure du cristallin.
Les anomalies de position du cristallin sont les ectopies (la lentille
est déplacée dans un plan frontal) et les luxations (elle est
basculée, plus souvent vers l’arrière que vers l’avant).
Il s’agit d’une
anomalie de la zonule qui peut être isolée, autosomique dominante
ou encore associée à une maladie du tissu élastique (Marfan,
homocystinurie).
Plus rarement, le relâchement de la zonule sur 360°
est responsable d’un cristallin petit et globuleux (microsphérophakie)
avec épisodes d’hypertonie.
Examen et sémiologie générale
du segment postérieur :
A - DILATATION :
Chez le nourrisson, la dilatation est souvent lente et médiocre, et
plus encore chez le prématuré et le nouveau-né.
En cas
d’insuffisance du tropicamide (Mydriaticumt), une goutte de
néosynéphrine à 5 % peut être instillée s’il n’y a pas d’hypertension
artérielle.
Dans tous les cas, le point lacrymal est comprimé avec un
coton pendant les quelques secondes suivant l’instillation pour
éviter le passage systémique.
B - TECHNIQUE D’EXAMEN :
Un enfant calme peut parfois être examiné confortablement assis
dans les bras de sa mère.
Mais le plus souvent, il est plus facile
d’allonger l’enfant sur le dos, sur une table un peu haute, la tête
vers l’extrémité de la table où se place l’examinateur.
La contention
par un des parents ou un assistant est utile, en tenant les bras de
l’enfant de part et d’autre de la tête.
Pour les cas les plus difficiles,
l’enfant est enroulé dans un drap avec les bras le long du corps.
L’utilisation d’un blépharostat est parfois indispensable.
Selon les habitudes de l’examinateur, il est possible d’utiliser
l’ophtalmoscopie directe ou indirecte, cette dernière étant plus facile
à utiliser chez l’enfant allongé et procurant une image plus globale
et stéréoscopique de la rétine.
C - PARTICULARITÉS DU FOND D’OEIL NORMAL
DU NOURRISSON
:
La papille est plus pâle chez le nouveau-né et le nourrisson que
chez l’adulte.
L’excavation papillaire est minime ou absente.
Les
vaisseaux sont volontiers plus tortueux.
Le reflet fovéolaire, la
dépression centrale et la pigmentation maculaire n’apparaissent que
progressivement.
En revanche, les reflets générés par l’interface rétinovitréenne sont très importants et ne doivent pas être pris à
tort pour des taches blanches pré- ou intrarétiniennes.
D - MALFORMATIONS :
Les colobomes choriorétiniens se présentent comme une zone
d’atrophie choriorétinienne laissant voir la sclère, de localisation
généralement nasale inférieure.
E - TUMEURS :
Le rétinoblastome est une tumeur très blanche qui peut se
développer vers la cavité vitréenne ou dans l’espace sous-rétinien.
Les phacomes (principalement dans le cadre d’une sclérose
tubéreuse de Bourneville) sont des lésions grisâtres planes ou
irrégulières, peu évolutives.
Les angiomes rétiniens ont un aspect
blanchâtre, en relief, avec un vaisseau de drainage, parfois des
exsudats secs sous-rétiniens.
F - ANOMALIES VASCULAIRES :
La maladie de Coats est généralement observée de façon unilatérale,
avec une nette prédominance masculine.
Il existe des télangiectasies
en périphérie de la rétine responsables d’exsudats sous-rétiniens
jaune chamois et d’un décollement exsudatif pouvant se compliquer
de glaucome néovasculaire.
La drépanocytose,
principalement chez les patients hétérozygotes SC, entraîne
l’apparition de territoires ischémiques périphériques avec des
bouquets néovasculaires à la limite de la rétine saine (sea fan) et des
taches jaunes sous-rétiniennes.
Un aspect ischémique similaire est
observé dans la vitréorétinopathie exsudative familiale et dans
l’incontinentia pigmenti.
G - MALADIES INFECTIEUSES :
Les foyers de toxoplasmose congénitale sont similaires à ceux
observés chez l’adulte avec un oedème rétinien laissant la place à
une zone atrophique aux bords pigmentés.
La toxocarose se
manifeste sous forme d’un granulome blanchâtre, volontiers en
périphérie temporale, de grande taille, s’accompagnant d’une forte
réaction vitréenne avec tractions rétiniennes.
Les infections maternofoetales à cytomégalovirus ont l’aspect observé chez l’adulte
avec des zones de nécrose rétinienne, émiettées en périphérie, à
progression centrifuge, avec des hémorragies.
H - ANOMALIES DE PIGMENTATION
:
Dans l’albinisme, il existe une absence de pigmentation de
l’épithélium pigmentaire avec une macula mal différenciée.
La pigmentation poivre et sel évoque surtout une rubéole
congénitale.
Elle peut aussi être retrouvée lors de l’amaurose
congénitale de Leber.
I - ANOMALIES DE LA PAPILLE
:
Les colobomes papillaires résultent d’une anomalie de fermeture de
la fente embryonnaire oculaire.
Ils se présentent comme une
excavation profonde et peuvent intéresser la portion inférieure ou la
totalité de la papille.
L’émergence des vaisseaux est souvent
anormale.
On en rapproche le morning glory syndrome ou « papille
en fleur de liseron », où les vaisseaux rétiniens naissent de façon
radiaire, à partir des bords d’une grande excavation, et la fossette
colobomateuse d’aspect similaire à celle de l’adulte.
Les fibres à
myéline et l’atrophie optique ont également un aspect superposable
à celui de l’adulte.
En ce qui concerne l’oedème papillaire, il faut distinguer l’oedème
papillaire de stase en rapport avec une hypertension intracrânienne
ou une compression du nerf optique, qui comporte peu de
retentissement visuel au début, des neuropathies optiques primitives
(papillites) avec généralement baisse d’acuité visuelle.
Autres examens
:
À chaque fois que l’examen est difficile en raison de l’agitation de
l’enfant (surtout après 1 an) ou qu’un geste supplémentaire est
requis (verre à trois miroirs, laser, tonométrie, intervention...), un
examen sous anesthésie générale est programmé, avec une équipe
anesthésique rompue à la pédiatrie.
Les examens électrophysiologiques sont réalisables à tout âge,
éventuellement sous anesthésie générale si l’enfant est très agité
(plutôt vers 18 mois à 2 ans).
Il en va de même pour l’échographie.
Enfin, des photographies sont souvent utiles pour apprécier
l’évolutivité d’une lésion.
Cas particulier du prématuré
:
La mobilisation de ces enfants fragiles est limitée, en présence d’une
infirmière qui surveille le comportement de l’enfant et les constantes
vitales par l’intermédiaire du monitoring.
L’ophtalmoscopie
indirecte prend ici toute sa valeur chez ces enfants généralement en
couveuse et dont la température corporelle peut baisser en quelques
minutes.
L’utilisation de la lentille de 28 dioptries permet d’observer
un champ plus grand.
Cette technique, éventuellement associée à
une indentation sclérale douce (indentateur type dé à coudre),
permet d’examiner au mieux la périphérie rétinienne, où siègent le
plus souvent les lésions de rétinopathie des prématurés : zone non
vascularisée, bourrelet puis néovascularisation intrarétinienne et
intravitréenne précédant le décollement de rétine.
Conclusion
:
Au terme d’un examen où l’interrogatoire et l’inspection prennent une
place proportionnellement plus importante que chez l’adulte, où les
techniques d’examen sont particulières et souvent plus difficiles à
mettre en oeuvre, l’expérience de l’examinateur permet d’isoler les
pathologies spécifiques du nourrisson.
La douceur et la patience sont les prérequis indispensables pour atteindre ce but.