Cellules souches et régénération hépatique Cours d'Hépatologie
Introduction
:
Dans la plupart des tissus, existent des cellules souches qui assurent
le renouvellement cellulaire physiologique et participent à la
régénération tissulaire après une agression.
Il est connu depuis
longtemps que le foie occupe une place particulière dans
l’organisme :
contrairement à la plupart des autres cellules
différenciées, les hépatocytes conservent en effet d’importantes
capacités de prolifération et de régénération, qui ont rendu difficile
l’évaluation du rôle susceptible d’être joué par d’éventuelles cellules
souches hépatiques.
La situation s’est progressivement clarifiée.
Les progrès de la biologie du développement ont permis de mieux
caractériser les progéniteurs des principales lignées cellulaires
hépatiques.
Des avancées très spectaculaires ont non seulement
permis d’affirmer de manière définitive l’existence de cellules
souches dans le foie adulte, mais ont également bouleversé les
concepts qui semblaient les mieux établis à leur propos, en
suggérant notamment leur possible origine extrahépatique.
Dans cette mise au point, après avoir rappelé quelques points
essentiels concernant la définition et les fonctions des cellules
souches tissulaires, nous décrivons les propriétés et les capacités de
différenciation des cellules souches hépatiques embryonnaires, qui
nous aident à mieux comprendre celles des cellules souches du foie
adulte.
Nous examinons ensuite les mécanismes de la régénération
hépatique et les arguments qui ont permis d’établir l’existence de
cellules souches résidentes dans le foie adulte, chez l’animal puis
chez l’homme.
Nous décrivons enfin les données récentes qui
modifient nos concepts sur l’origine et le renouvellement des cellules
souches hépatiques.
Cellules souches tissulaires :
quelques définitions
Les cellules souches ont pour fonction essentielle de permettre, à
l’état normal, le renouvellement physiologique des cellules
différenciées d’un tissu parvenues au terme de leur durée de vie
normale.
Elles permettent également, après une agression, la
régénération et le repeuplement du tissu lésé. La plupart des tissus
de l’organisme étant constitués par la coexistence de plusieurs
lignées cellulaires, les cellules souches doivent être capables de
donner naissance aux progéniteurs de ces différentes lignées, ces
progéniteurs se différenciant ensuite progressivement en cellules
matures, le plus souvent en plusieurs étapes successives.
Une cellule souche est définie par plusieurs propriétés : capacité
d’autorenouvellement, capacité de différenciation, existence sous
forme quiescente, capacité de se diviser de façon asymétrique, l’une
des cellules filles restant au stade cellule souche, la seconde se
différenciant.
En pratique, il est rare que toutes ces propriétés
puissent être vérifiées simultanément.
La tendance actuelle est donc
de considérer comme cellule souche toute cellule dotée d’au moins
deux propriétés : la capacité d’autorenouvellement et la capacité de
donner naissance à une descendance susceptible de se différencier
juqu’au stade de cellules matures.
Des données expérimentales et cliniques récentes ont révélé une
plasticité jusqu’alors insoupçonnée de certains types de cellules souches, en particulier des cellules souches hématopoïétiques et des
cellules souches mésenchymateuses, qui sont capables de donner
naissance à une très large gamme de lignées cellulaires, à condition
d’être placées dans un environnement favorable.
Ces résultats
ont amené à modifier considérablement les concepts qui semblaient
les mieux acquis dans le domaine de la biologie des cellules
souches.
Cellules souches embryonnaires
du foie
:
Le foie adulte est un organe complexe qui contient deux populations
principales de cellules épithéliales, les hépatocytes et les cellules
biliaires intrahépatiques, associées à de nombreuses populations de
cellules mésenchymateuses (fibroblastes, cellules endothéliales,…),
dont certaines sont hautement spécialisées.
C’est au cours de la vie
embryonnaire que se différencient les diverses populations de
cellules présentes dans le foie adulte.
Le processus de différenciation
le mieux étudié est celui des deux lignées de cellules épithéliales
présentes dans le foie adulte : nous nous y limitons dans le cadre de
cette mise au point.
A - DIFFÉRENCIATION DES CELLULES ÉPITHÉLIALES
HÉPATIQUES :
Le foie adulte contient deux populations différentes de cellules
épithéliales, les hépatocytes et les cellules biliaires. Ces cellules ont
une morphologie et des fonctions très différentes.
Les hépatocytes sont des cellules à activité à la fois exocrine (synthèse
et sécrétion de la bile) et « endocrine » (synthèse et sécrétion des
protéines plasmatiques).
Ils sont également impliqués dans de
nombreuses fonctions métaboliques indispensables au maintien de
l’homéostasie, et sont capables d’assurer la détoxification de
nombreux xénobiotiques.
Les cellules biliaires intrahépatiques sont des cellules épithéliales de
revêtement, spécialisées dans des fonctions de transport entre le
milieu intérieur et la bile.
Le microenvironnement dans lequel se
trouvent respectivement les hépatocytes et les cellules biliaires est
également très différent.
Comme les autres cellules épithéliales, les
cellules biliaires sont au contact d’une lame basale organisée qui les
sépare du tissu conjonctif sous-jacent.
Au contraire, les hépatocytes
sont en relation directe avec la paroi des sinusoïdes hépatiques, et
sont dépourvus de lame basale.
Les différences considérables
existant dans les adaptations fonctionnelles et dans le
microenvironnement des hépatocytes et des cellules biliaires se
traduisent par l’expression de marqueurs de différenciation très
différents, touchant à la fois l’organisation structurale de la cellule,
son équipement en protéines de transport et son équipement
enzymatique.
Pourtant, l’analyse de l’organogenèse hépatique
montre que les deux lignées cellulaires dérivent d’un précurseur
commun, pour lequel le nom d’hépatoblaste est généralement
adopté.
Les premiers hépatoblastes apparaissent vers j10 chez le rat et la
souris, et à environ 4 semaines de grossesse chez l’homme.
Ils se
développent d’abord sous forme d’un bourgeon cellulaire dérivé de
l’intestin antérieur, et prolifèrent dans le septum transversum, situé
dans la région précardiaque, pour constituer la première ébauche
hépatique.
Des données récentes confirment que les hépatoblastes
dérivent de la même cellule souche que les cellules pancréatiques,
et que leur orientation vers la différenciation hépatique est sous la
dépendance de facteurs mésenchymateux ; en l’absence de ces
facteurs, les précurseurs des hépatoblastes se différencient par
défaut en cellules pancréatiques.
Les hépatoblastes forment une population homogène jusqu’au
moment de la divergence entre la lignée hépatocytaire et la lignée
biliaire.
Cette divergence débute à j16 chez le rat et la souris, à 8
semaines de grossesse chez l’homme.
Elle est plus précoce au
niveau de la région hilaire qu’au niveau périphérique, où elle ne
débute que vers 25 semaines de grossesse chez l’homme.
Les
précurseurs des cellules biliaires se différencient à partir de la
couronne d’hépatoblastes situés au contact du mésenchyme des
espaces portes. Cette couronne forme la plaque ductale.
C’est
à partir de la plaque ductale que bourgeonnent les ébauches des
canaux biliaires intrahépatiques.
Ces bourgeons s’enfoncent dans le
mésenchyme portal avant de se séparer de la plaque ductale. Les
segments de la plaque ductale n’ayant pas participé à la formation
des canaux biliaires disparaissent par apoptose.
C’est au cours de cette période critique que les précurseurs des
hépatocytes et ceux des cellules biliaires intrahépatiques acquièrent
progressivement les marqueurs de différenciation caractéristiques
des cellules matures de chaque lignée. Cette acquisition se fait de
manière progressive, souvent dissociée.
Les exemples
les mieux étudiés sont le profil d’expression des cytokératines, celui
des protéines plasmatiques et celui des isoformes de certaines
enzymes, comme la gamma-glutamyl-transpeptidase.
De façon très
schématique, on peut observer que les précurseurs de la lignée hépatocytaire conservent initialement un phénotype proche de celui
des hépatoblastes.
Ce phénotype s’enrichit ensuite avec l’acquisition
progressive des marqueurs de différenciation. Inversement, les
précurseurs des cellules biliaires acquièrent rapidement après leur
émergence un phénotype très différent de celui des hépatoblastes.
Ce phénotype se modifiera ensuite relativement peu.
B - FACTEURS DE DIFFÉRENCIATION DANS LE FOIE FOETAL
:
La différenciation des hépatoblastes est sous la dépendance de
facteurs génétiques et microenvironnementaux.
Les mécanismes du
contrôle génétique de la différenciation hépatocytaire sont maintenant
relativement bien connus.
Ils impliquent
l’expression coordonnée et séquentielle d’un ensemble de facteurs de
transcription spécifiques.
Les facteurs de
transcription sont des protéines nucléaires spécialisées, capables
d’interagir directement avec l’acide désoxyribonucléique (ADN) et
régulant l’expression de gènes cibles spécifiques.
Les facteurs de
transcription caractéristiques des hépatocytes appartiennent à
plusieurs familles, dont la famille HNF (hepatocyte nuclear factor)
et CAAT/enhancer binding protein (C/EBP).
Le début de
l’expression des premiers membres de la famille HNF coïncide avec le
début de la prolifération et de la migration des cellules
endodermiques provenant de l’intestin antérieur.
C’est en fait le
premier marqueur de différenciation hépatique de ces cellules : il
précède l’expression des marqueurs classiques, comme l’alpha-foetoprotéine
et l’albumine.
L’expression des
autres facteurs spécifiques de la lignée hépatocytaire se fait de
façon séquentielle, au fur et à mesure du déroulement des
principales étapes de l’organogenèse hépatique.
Certains d’entre
eux ne commencent à s’exprimer qu’après la naissance.
Si le contrôle
génétique de la différenciation hépatocytaire est actuellement
relativement bien connu, il n’en est pas de même en ce qui concerne
celui de la différenciation biliaire, pour laquelle on ne dispose
que de très peu d’informations.
D’autres
facteurs de différenciation interviennent également, comme
les facteurs microenvironnementaux, notamment les interactions
avec la matrice extracellulaire, qui jouent probablement un rôle
important dans l’induction de la différenciation biliaire et
l’expression locale des nombreux facteurs de croissance.
Parmi ces
derniers, de nombreux ont été impliqués dans l’orientation de la
différenciation des hépatoblastes, dont l’hepatocyte growth factor
(HGF), certains membres de la famille du fibroblast growth factor
(FGF), le transforming growth factor (TGF) alpha, l’epithelial growth
factor (EGF), l’insulin-like growth factor (IGF)-II, le stem cell factor
(SCF), sans qu’une image claire des rôles respectifs et de
l’importance relative de ces facteurs n’ait encore émergé.
Mécanismes de la régénération
hépatique :
Dans un organisme adulte, on oppose habituellement les tissus à
renouvellement permanent, comme le tissu hématopoïétique, la
peau, la muqueuse digestive ou la muqueuse urothéliale, dotés d’un
compartiment de cellules souches, et les tissus statiques, comme le
muscle, incapables de se renouveler et dépourvus de cellules
souches.
Dans ce contexte, le foie occupe une position apparemment
particulière.
Contrairement à la plupart des cellules épithéliales, les hépatocytes
ont une durée de vie longue, estimée à 200 jours chez le rat et à 400
jours chez l’homme.
Leur taux de renouvellement est
extrêmement faible. Ainsi, à l’état normal, dans le foie humain, le
pourcentage d’hépatocytes en cycle cellulaire à un instant donné
serait de l’ordre de 4 pour 1 000.
Enfin, les hépatocytes,
contrairement à la plupart des autres cellules épithéliales
différenciées, conservent leurs capacités de division cellulaire et sont
capables de se multiplier, sans perdre leur différenciation, en
réponse à des facteurs de croissance.
Il est bien connu que, chez
le rat comme chez l’homme, les capacités de multiplication des
hépatocytes sont suffisantes pour restaurer la masse hépatique après
une hépatectomie partielle même étendue : ce point est très
largement utilisé aujourd’hui en transplantation hépatique.
Il est
donc habituel de considérer le foie comme un « organe à
renouvellement conditionnel » ne nécessitant pas obligatoirement la
présence de cellules souches pour son renouvellement et sa
régénération.
Toutefois, les capacités de régénération des hépatocytes sont
limitées.
Certaines situations expérimentales chez le rongeur, et de
nombreuses situations pathologiques chez l’homme, entraînent à la
fois une agression des hépatocytes entraînant leur destruction, et
une inhibition de leur prolifération.
Dans ces circonstances, la
régénération hépatique ne s’effectue pas grâce aux hépatocytes, mais
à travers l’émergence de nouvelles populations de cellules
épithéliales hépatiques.
Cette émergence se traduit
morphologiquement par l’apparition en région périportale de
formations tubulaires ou ductulaires, bordées par des cellules de
petite taille, à rapport nucléocytoplasmique élevé.
Ces cellules
sont appelées cellules ovales chez les rongeurs, cellules ductulaires
ou cholangiolaires chez l’homme.
Leur origine est restée
longtemps très discutée, mais il est aujourd’hui admis que ces
cellules dérivent de cellules souches résidentes hépatiques.
Nous en
décrirons brièvement les principales caractéristiques, chez les
rongeurs puis chez l’homme, avant de voir comment elles ont
permis de remonter jusqu’aux cellules souches hépatiques
proprement dites.
Cellules souches et régénération
hépatique : le foie des rongeurs
A - CELLULES « OVALES », PRODUITS DES CELLULES
SOUCHES HÉPATIQUES :
Les cellules
ovales ont initialement été décrites après traitement par des
carcinogènes chimiques.
Leur nom est
purement descriptif, et fait sans doute allusion à leur forme
régulière et/ou à leur noyau volumineux et ovoïde.
Des cellules équivalentes ont été
retrouvées dans d’autres situations, notamment après traitement par
certains toxiques hépatocytaires ou biliaires.
Les cellules ovales
constituent une population polymorphe. Certaines présentent des
marqueurs phénotypiques d’hépatoblastes, d’autres des marqueurs
des cellules biliaires ou de leurs précurseurs, d’autres enfin des
marqueurs hépatocytaires.
On a donc proposé de considérer cette
population polymorphe comme le produit de la prolifération et de
la différenciation de cellules souches hépatiques.
Cette hypothèse est renforcée par le fait que les cellules ovales
présentent un double potentiel de différenciation, hépatocytaire et
biliaire.
Des cellules ovales isolées et transplantées dans un foie
normal sont capables de donner naissance à des hépatocytes
différenciés.
En revanche, des cellules ovales isolées et transplantées
dans des sites extrahépatiques sont capables de donner naissance à
des cellules biliaires ou à des hépatocytes selon le site
d’implantation.
La capacité des cellules ovales à évoluer vers la
lignée hépatocytaire ou vers la lignée biliaire est confirmée par
l’étude de lignées cellulaires dérivées de cellules ovales.
En fonction
de leur environnement et de la nature des facteurs de croissance
auxquels elles sont exposées, de telles lignées peuvent être induites
à se différencier en hépatocytes ou en cellules biliaires.
Même si les expériences pratiquées à l’aide de cellules ovales isolées
ou de lignées dérivées de cellules ovales sont parfois d’interprétation
difficile, compte tenu du caractère très hétérogène de la population
initiale, l’ensemble des arguments expérimentaux rend
vraisemblable l’hypothèse selon laquelle les cellules ovales sont les
témoins de la présence de cellules souches résiduelles dans le foie
adulte, et sont le produit de l’activation de leur prolifération.
Dans cette hypothèse, l’identification du site d’origine des cellules
ovales a permis de découvrir la localisation des cellules souches
dans le foie adulte, et leurs caractéristiques ont servi de base pour
établir le portrait-robot de ces cellules souches.
Le site d’origine des cellules ovales a été établi : c’est le cholangiole (ou
ductule), ce court segment des voies biliaires situé au contact de la
lame bordante de l’espace porte, entre les hépatocytes et les canaux
biliaires interlobulaires.
L’étape suivante a été de rechercher
dans les cholangioles de foies de rongeurs adultes sains des cellules
présentant certaines caractéristiques ultrastructurales, ou certains
marqueurs caractéristiques des cellules ovales et absents des cellules
biliaires adultes normales (expression de la cytokératine 14,
expression de la forme foetale de l’acide ribonucléique (ARN)
messager de l’alphafoetoprotéine, expression de marqueurs
spécifiques comme la protéine OV-6).
De telles cellules ont
été effectivement trouvées en petit nombre, confirmant l’existence
d’un compartiment de cellules souches hépatiques dans la région cholangiolaire.
La plupart des études montrent que les cellules
souches sont localisées dans la paroi des cholangioles, où elles sont
dispersées au sein même de l’épithélium qui les tapisse. Néanmoins,
certains travaux ont suggéré la présence d’un deuxième type de
cellule souche, dite périductulaire, située au contact du cholangiole
mais en dehors de sa paroi propre.
Il n’est pas exclu que ces deux
populations apparemment distinctes ne représentent en fait que
deux stades successifs d’une même lignée.
B - PROPRIÉTÉS PHÉNOTYPIQUES ET FONCTIONNELLES
DES CELLULES SOUCHES HÉPATIQUES :
Les cellules souches hépatiques sont caractérisées par l’expression
de marqueurs caractéristiques qui facilitent leur isolement : c’est le
cas de la protéine OV-6 et de la protéine c-kit, récepteur
membranaire à un facteur de croissance, le SCF.
L’isolement à
partir de foies de rongeurs de cellules souches résidentes en
quantités importantes a permis de tester leurs capacités de
différenciation.
In vitro, ces cellules produisent des hépatocytes
et des cellules biliaires, tout en maintenant un compartiment de
cellules non différenciées : elles se comportent donc bien comme des
cellules souches, capables d’autorenouvellement.
Transplantées à
l’animal, ces cellules sont capables de donner naissance à des
hépatocytes et à des cellules biliaires lorsqu’elles se trouvent dans le
microenvironnement hépatique.
De façon tout à fait fascinante, ces
cellules sont également capables de donner naissance à des cellules
pancréatiques ou à des cellules intestinales lorsqu’elles sont injectées
dans, respectivement, le pancréas et la paroi duodénale.
Ces
observations confirment donc les données de l’embryogenèse, en
démontrant l’étroite parenté existant entre les précurseurs
embryonnaires du foie, du pancréas et de certains segments de
l’intestin antérieur.
Certaines observations vont même encore plus
loin, en montrant que des cellules souches isolées à partir du foie
peuvent se différencier en myocytes lorsqu’elles sont transplantées
dans le myocarde : comme d’autres cellules souches, les cellules
souches hépatiques semblent donc douées d’une plasticité
étonnante.
C - ORIGINE EXTRAHÉPATIQUE POUR LES CELLULES
SOUCHES HÉPATIQUES ?
C’est ce que suggèrent des données très récentes. Deux équipes ont
montré indépendamment que, chez des rats femelles normales avec
la moelle osseuse de rats mâles, on observe une colonisation
progressive du foie par des hépatocytes contenant le chromosome
Y.
La colonisation spontanée est lente, mais elle est accélérée
après destruction des hépatocytes normaux.
Ces observations
convergentes montrent de façon claire que des précurseurs d’origine
médullaire, colonisant secondairement le foie, sont susceptibles de
participer à la régénération hépatique.
Il n’est pas encore clairement établi si la participation de cellules
souches d’origine médullaire à la régénération hépatique ne
correspond qu’à des événements exceptionnels, témoignant de
l’extrême plasticité de certaines populations de cellules souches,
lorsqu’elles sont placées dans des conditions favorables mais
inhabituelles, ou bien s’il s’agit d’un authentique phénomène
physiologique, constant et habituel.
Un argument en ce sens est la
mise en évidence récente que la moelle osseuse normale contient
des cellules souches montrant des signes de différenciation hépatocytaire, et susceptibles de coloniser le foie.
Plusieurs
auteurs en ont récemment conclu que les cellules souches hépatiques
résidentes pourraient être régulièrement renouvelées à partir de
précurseurs médullaires.
Rappelons que le foie est le principal
organe hématopoïétique au cours de la vie foetale, contient des
cellules souches hématopoïétiques et mésenchymateuses pendant la
plus grande partie de la vie foetale, et conserve la capacité de
soutenir une activité hématopoïétique chez l’adulte dans certaines
circonstances pathologiques : le microenvironnement hépatique
pourrait donc être favorable à la localisation et au développement
de cellules souches d’origine médullaire.
Il est donc possible d’envisager, chez les rongeurs, le schéma
suivant :
– présence de cellules souches hépatiques résidentes de localisation cholangiolaire, mises en jeu de façon conditionnelle dans certains
types d’agressions hépatiques ;
– renouvellement au moins partiel de ces cellules souches à partir
de précurseurs circulants, provenant de la moelle hématopoïétique.
Cellules souches et régénération
hépatique : le foie humain
Il existe de grandes analogies dans les mécanismes de la
régénération hépatique chez l’homme et chez les rongeurs.
Comme
ceux des rongeurs, les hépatocytes humains ont une durée de vie
longue et se multiplient peu.
Ils sont capables de proliférer en
réponse à une diminution importante de la masse hépatique, comme
il l’a été bien démontré en transplantation, lorsque des greffons
hépatiques sont implantés dans des receveurs de taille très
supérieure à celle des donneurs.
Dans ce cas, on observe une
augmentation rapide du volume du transplant, jusqu’à ce que
celui-ci ait atteint les dimensions attendues en fonction de la taille
du receveur.
Des travaux récents ont démontré que, chez l’homme,
la transplantation d’un greffon de très petite taille suffit à
reconstituer un organe de masse normale, à condition de placer le
greffon dans des conditions favorables.
Il est extrêmement
probable que, au sein des greffons hépatiques, conformément aux
observations expérimentales faites chez le rat, c’est la multiplication
des hépatocytes qui assure la croissance du tissu hépatique.
Dans la plupart des autres exemples de régénération hépatique
connus chez l’homme, il existe des lésions, parfois sévères, du foie
restant.
Dans des situations d’agression aiguë, comme au cours des
destructions massives du foie d’origine toxique ou virale observées
au cours des hépatites fulminantes, il existe une réponse
régénérative du tissu hépatique résiduel.
Une augmentation du
nombre des hépatocytes en cycle cellulaire est observée dans les
zones non nécrosées, ce qui témoigne de la participation active des
cellules différenciées à la régénération hépatique succédant à la
phase nécrotique.
Les informations manquent dans les lésions
chroniques du tissu hépatique, où s’intriquent des épisodes
successifs de régénération suivant des agressions d’étiologies
différentes ou multifactorielles.
Des données ponctuelles montrent
que des hépatocytes exprimant des marqueurs de prolifération
peuvent être détectés à la périphérie des nodules cirrhotiques, au
voisinage des septa fibreux.
Les hépatocytes ne sont cependant pas les seules cellules à proliférer
après agression aiguë massive ou dans les lésions chroniques du
foie.
Comme chez les rongeurs, il est fréquent d’observer chez
l’homme, après des agressions sévères, des cellules à haut rapport nucléocytoplasmique, localisées le long de structures ductulaires
atypiques, décrites sous le nom d’hépatocytes ductulaires.
Il
s’agit vraisemblablement d’homologues des cellules dites « ovales »
observées chez les rongeurs. Les « hépatocytes ductulaires »
présentent, comme les cellules ovales, un mélange de
caractéristiques phénotypiques hépatocytaires et biliaires.
De
plus, ils expriment plusieurs marqueurs des hépatoblastes, et
certains marqueurs également exprimés par des cellules ovales de
rongeurs.
Par analogie, il a été proposé que, comme les cellules
ovales observées dans le foie de rongeurs, les « hépatocytes ductulaires » résulteraient de la prolifération de cellules souches
résiduelles à localisation cholangiolaire.
Des travaux récents, utilisant la même méthodologie que celle
employée chez les rongeurs, ont permis de confirmer l’existence
de cellules souches potentielles dans le foie humain.
Ces cellules
ont un phénotype très proche de celui des cellules souches
hépatiques des rongeurs.
Elles peuvent être identifiées par des
marqueurs caractéristiques, comme la protéine OV-6 (identique
à celle détectée dans les cellules souches hépatiques des
rongeurs), la protéine CD34 (que les cellules souches hépatiques
partagent avec les cellules souches hématopoïétiques), et la
protéine c-kit, récepteur du facteur de croissance SCF.
Des
cellules exprimant ces marqueurs phénotypiques sont présentes
dans le foie foetal et peuvent être détectées en petit nombre dans
le foie adulte normal, où, comme chez les rongeurs, elles sont
localisées au niveau des cholangioles.
Leur nombre
augmente dans les foies pathologiques, ce qui suggère leur
implication directe dans les phénomènes de régénération hépatocytaire après agression.
La culture de ces
cellules isolées à partir de foie humain a permis d’obtenir in vivo
des cellules hépatiques différenciées.
Comme chez les rongeurs enfin, le renouvellement et la
régénération du parenchyme hépatique peuvent impliquer des
précurseurs d’origine médullaire.
C’est ce que suggèrent plusieurs
observations récentes et convergentes.
Chez des malades de sexe
féminin transplantées hépatiques et ayant reçu une greffe de
moelle d’un donneur masculin, il est en effet possible d’identifier
des hépatocytes sans chromosome Y.
De même, des greffons
hépatiques provenant de donneurs féminins et implantés à des
receveurs de sexe masculin contiennent de nombreux hépatocytes
possédant le chromosome Y.
Plus récemment encore, des
hépatocytes contenant le chromosome Y ont été détectés chez des
malades de sexe féminin ayant reçu des cellules souches
circulantes périphériques, CD34+.
Ces observations établissent
de manière hautement vraisemblable l’origine médullaire d’une
partie au moins des cellules impliquées dans le renouvellement et
la régénération des hépatocytes adultes.
Implications du concept de cellules
souches hépatiques :
A - EN PHYSIOLOGIE
:
Les données récentes obtenues à propos des cellules souches
hépatiques éclairent d’un jour nouveau le problème du
renouvellement physiologique des cellules hépatiques.
Deux théories complémentaires ont été proposées au cours des
dernières années.
La première est celle du flux hépatocytaire
intralobulaire (streaming liver).
Cette théorie postule que les
travées hépatocytaires sont constamment renouvelées par des
hépatocytes partant de la zone périportale, se déplaçant lentement
vers la veine centrolobulaire, et disparaissant finalement dans la
région centrolobulaire, probablement par apoptose.
Il est tentant de
déduire de cette théorie qu’un compartiment de cellules souches
localisé en région périportale assure le « lancement » permanent de
nouveaux hépatocytes dans les travées hépatocytaires.
En se basant
sur ce postulat de départ, le groupe de LM Reid a proposé qu’au
fur et à mesure de ce cheminement, les hépatocytes subissent un
processus de différenciation progressif, permettant de reconnaître
quatre compartiments successifs, disposés de la région périportale à
la région centrolobulaire : cellules souches, cellules transitionnelles,
cellules en cours de maturation et cellules en différenciation
terminale.
Dans ce concept, le foie devient un organe à
renouvellement permanent, ne se différenciant de la plupart des
autres tissus adultes que par l’extrême lenteur de ce
renouvellement.
Malheureusement, la théorie du flux hépatocytaire intralobulaire n’a
pas résisté à l’épreuve du temps.
Déjà, certains auteurs avaient
montré que la division des hépatocytes est indépendante de la
position de la cellule dans le lobule, ce qui est difficilement
compatible avec l’hypothèse d’un flux cellulaire unidirectionnel le
long du lobule.
Plus récemment, des observations effectuées lors
d’expériences de transfection des hépatocytes in situ à l’aide de
vecteurs viraux ont été dans le même sens.
Ces expériences ne
montrent en effet aucune localisation préférentielle des cellules transfectées dans le lobule, et aucun déplacement orienté de ces
cellules et de leur descendance le long des travées hépatocytaires.
B - EN CARCINOGENÈSE
:
L’existence de cellules souches dans le foie adulte éclaire certains
aspects de l’hépatocarcinogenèse.
L’étude de l’hépatocarcinogenèse
chimique expérimentale chez le rat a longtemps privilégié
l’hypothèse selon laquelle la cible des carcinogènes chimiques était
la population d’hépatocytes matures différenciés.
Selon ce concept,
les anomalies phénotypiques des cellules néoplasiques
correspondraient à des signes de dé- ou de rétrodifférenciation
hépatocytaire.
Plus récemment, un autre modèle de
l’hépatocarcinogenèse a été proposé.
Dans cette hypothèse, la
cible des carcinogènes n’est pas l’hépatocyte différencié, mais la
cellule souche hépatique.
Ce serait alors un blocage de
différenciation, ou une différenciation anormale des cellules souches
transformées, qui serait responsable des anomalies phénotypiques
observées dans les cellules néoplasiques.
De plus, dans cette
hypothèse, les cellules ovales seraient le réservoir d’où émergerait le
clone néoplasique.
Existe-t-il des arguments pour penser que des homologues des
cellules ovales sont identifiables en pathologie cancéreuse humaine,
et que leur prolifération anormale contribue à l’émergence d’un
clone tumoral ?
Des travaux récents suggèrent l’existence de cellules
du type des cellules ovales au cours du processus
d’hépatocarcinogenèse induit chez l’homme par le virus de
l’hépatite B.
Si l’on admet que les tumeurs hépatiques se
développent à partir des précurseurs communs aux hépatocytes et
aux cellules biliaires intrahépatiques, il devient plus facile de
comprendre les nombreuses formes de passage existant entre les
deux principaux types de tumeurs malignes primitives du foie, les
carcinomes hépatocellulaires et les cholangiocarcinomes.
C - EN THÉRAPEUTIQUE
:
La démonstration récente qu’il est possible d’identifier, d’isoler et
de cultiver des cellules souches à partir du tissu hépatique, chez
l’animal comme chez l’homme, ouvre des perspectives
thérapeutiques révolutionnaires comme :
– la possibilité de maintenir in vitro des cellules souches hépatiques,
afin de pouvoir obtenir rapidement de grandes quantités
d’hépatocytes pouvant être utilisés dans des foies bioartificiels ou
susceptibles d’être transplantés en cas d’insuffisance hépatocellulaire
grave ;
– la possibilité de corriger des maladies métaboliques, en isolant
des cellules souches à partir du foie malade, pour les « réparer » in
vitro avant de les réinjecter dans le foie ou la circulation générale,
afin qu’elles recolonisent le parenchyme hépatique : de telles
stratégies ont été utilisées avec succès chez des souris atteintes de tyrosinémie.
Conclusion
:
Dans le foie de l’homme et des rongeurs, il existe des cellules souches
localisées dans la région cholangiolaire, et capables de donner naissance
aux hépatocytes ou aux cellules biliaires ; ces cellules sont, au moins
partiellement, renouvelées à partir de précurseurs d’origine médullaire.
Le rôle de ces cellules souches dans le renouvellement physiologique
normal des cellules hépatiques est très probable, mais reste à évaluer
précisément.
Ces cellules ne sont mises en jeu de manière significative
qu’en cas d’agression hépatocytaire sévère, accompagnée d’une
inhibition des capacités prolifératives des hépatocytes restants (d’où le
terme de cellules souches « facultatives », selon une expression qui reste
toujours d’actualité).
La mise en évidence de l’existence de ce
compartiment de cellules souches ouvre la voie à de nouvelles stratégies
thérapeutiques, notamment dans les hépatites fulminantes et les
maladies métaboliques d’origine génétique.