Geste visant à assurer la vidange gastrique notamment après vagotomie,
la pyloroplastie a longtemps été un centre d’intérêt pour les chirurgiens,
de nombreuses techniques étant décrites témoignant de la complexité
des situations rencontrées, particulièrement en matière de pathologie
ulcéreuse.
Les progrès réalisés dans la compréhension de la
physiopathologie de la maladie ulcéreuse et les progrès des traitements
médicamenteux en découlant ont beaucoup réduit et simplifié les
indications chirurgicales dans ce domaine, rendant de nombreuses
techniques chirurgicales actuellement obsolètes.
Physiologie du pylore
:
La vidange gastrique est intimement liée à l’innervation vagale.
Le
pylore y tient une fonction à la fois active en se relaxant sous l’effet de la
stimulation vagale, et passive par la simple existence d’un gradient de
pression antroduodénal, gradient majoré par les contractions antrales
également sous contrôle vagal.
Si le rôle du pylore semble peu important
dans la régulation du passage des aliments solides, en se contractant il
permet en revanche de ralentir le passage des aliments liquides ou hyperosmolaires vers le duodénum.
La physiologie du pylore peut ainsi être altérée, soit de façon
fonctionnelle, après vagotomie gastrique totale ou sélective (la
vagotomie suprasélective, en conservant les nerfs de Latarjet maintenant
en revanche l’innervation antropylorique), soit de façon organique en
présence le plus souvent d’une pathologie ulcéreuse rétrécissant la
filière antro-pyloro-duodénale (simple oedème à la phase aiguë ou
sténose rétractile fixée en cas de maladie ulcéreuse chronique).
Historique
:
Les premières pyloroplasties ont été décrites par Heineke en 1886, puis
par Mikulicz en 1888.
Elles ne s’intéressaient qu’aux lésions
organiques du pylore, la relation entre innervation vagale et fonction
pylorique n’étant pas encore établie.
Cette méconnaissance
physiologique sera longtemps une entrave à l’essor de la vagotomie, les
auteurs ne soupçonnant pas la nécessité d’un drainage gastrique après
dénervation.
C’est Dragstedt qui établira, après 1946, la nécessité
d’une pyloroplastie après vagotomie, permettant l’essor de la chirurgie
de la maladie ulcéreuse.
Indications des pyloroplasties
:
A -
Maladie ulcéreuse
:
En matière de pathologie ulcéreuse gastroduodénale, si les indications
chirurgicales ont nettement diminué ces dernières années, du fait des
progrès des traitements médicaux (avènement des inhibiteurs de la
pompe à proton et éradication d’Helicobacter pylori), les indications des
pyloroplasties ont, quant à elles, quasiment disparu.
On distingue ainsi
plusieurs situations.
1- En chirurgie d’urgence
:
En cas de perforation, la bonne maîtrise du risque de récidive ulcéreuse
par le traitement médical conduit à simplement suturer la perforation.
En cas d’hémorragie, le traitement médical associé à l’hémostase
endoscopique permet dans bon nombre de cas de ne pas recourir à la
chirurgie.
En cas d’échec, le chirurgien est amené à pratiquer
l’hémostase tout en limitant le risque de récidive hémorragique :
– opération de Weinberg pour les ulcères postérieurs consistant à
réaliser une pylorotomie antérieure, une hémostase de l’ulcère par des
points de suture, une vagotomie tronculaire et une fermeture de la
pylorotomie en pyloroplastie ;
– opération de Judd pour les ulcères antérieurs, au demeurant plus
rarement hémorragiques, permettant d’exciser l’ulcère en réalisant la
pyloroplastie et en y associant une vagotomie tronculaire.
2- En chirurgie réglée
:
Seule la sténose postulcéreuse, devenue rare, conserve une indication
chirurgicale.
La vidange gastrique peut être assurée, soit par une pyloroplastie, dont nous verrons plus loin les modalités techniques
adaptées aux remaniement locaux et aux résultats aléatoires, soit par une
gastro-entéro-anastomose aux résultats plus constants sur la vidange
gastrique mais laissant la zone ulcéreuse en place, soit au mieux, lorsque
les conditions anatomiques locales le permettent, par une antrectomie
emportant la zone ulcérée.
B - Autres indications
:
Elles correspondent de fait actuellement à l’essentiel des indications de pyloroplastie et sont représentées par la chirurgie de résection
oesophagienne ou gastrique polaire supérieure nécessitant le sacrifice
des nerfs vagues.
Le pylore n’étant pas remanié par une pathologie sousjacente,
la technique originelle de Heineke-Mikulicz est donc ici
parfaitement adaptée.
Techniques
:
A - Voie d’abord
:
Elle dépend du type de chirurgie éventuellement associée à la pyloroplastie.
Elle peut être médiane sus-ombilicale ou bi-sous-costale,
surtout en cas de chirurgie de résection de l’oesophage.
B - Exposition
:
Elle est facilitée par un décollement duodénopancréatique : le péritoine
pariétal postérieur est incisé le long de la deuxième portion du
duodénum depuis le genu superius jusqu’au genu inferius.
Un large
décollement est pratiqué selon la manoeuvre de Kocher, permettant de superficialiser la région pylorique et de pratiquer la pyloroplastie sans
tension tissulaire.
L’anneau sphinctérien est alors facilement repéré par la palpation au
doigt.
L’antre gastrique est attiré vers la gauche par l’assistant, le pylore
étant ainsi amené dans le champ opératoire.
C - Pyloroplasties sans résection tissulaire
:
Ces pyloroplasties supposent a priori une face antérieure de la région
antro-pyloro-duodénale praticable chirugicalement, c’est-à-dire non
concernée par l’ulcère.
1- Méthode de Heineke-Mikulicz
:
Il s’agit du premier procédé décrit, le plus simple et partant le plus
pratique.
L’anneau pylorique est mis en tension par l’intermédiaire de deux pinces
d’Allis séparées de 1 cmenviron et positionnées sur les bords supérieurs
et inférieurs de la face antérieure du pylore.
La traction sur ces pinces
soulève la face antérieure du pylore.
* Incision :
Une incision longitudinale antérieure antro-pyloro-duodénale est alors
réalisée.
– Sa direction doit suivre l’axe du tube digestif.
On peut conseiller
d’ouvrir d’abord le côté antral, de manière à introduire dans la lumière
digestive une pince qui permettra de prolonger l’incision vers la droite
strictement dans l’axe antro-pyloro-duodénal.
– Son siège doit être situé strictement à mi-hauteur de l’anneau
pylorique.
– Sa longueur, d’environ 5 à 6 cm, doit être centrée sur le pylore, et
d’égale longueur des côtés duodénal et antral.
Dans le cadre d’une
oesophagectomie, la longueur de l’incision doit être la plus courte
possible, c’est-à-dire à peine plus large que l’anneau pylorique, afin de
ne pas entraver l’ascension du transplant gastrique dans le thorax.
– Sa profondeur doit concerner toute la paroi digestive. Après incision séromusculeuse, l’hémostase des vaisseaux sous-muqueux est réalisée
au bistouri électrique puis la muqueuse est incisée.
* Suture :
La mise en tension vers le haut et le bas des pinces d’Allis transforme
l’incision, qui d’horizontale devient verticale.
La suture se fait
selon ce plan vertical par des points séparés extramuqueux de fil
monofilament 0000 à résorption lente.
Le premier point est passé au
milieu de l’incision aux angles droit duodénal et gauche antral initiaux.
La fermeture de la pyloroplastie nécessite en moyenne huit à dix points,
tous passés avant d’être noués.
Les noeuds sont posés du côté antral, afin
d’éviter de déchirer la paroi duodénale moins épaisse et plus fragile.
La suture une fois terminée, l’aspect local est fréquemment celui de deux
cornes, supérieure et inférieure, dont l’importance est proportionnelle à
la taille de la pyloroplastie.
Cet aspect n’a aucune conséquence
fonctionnelle.
Une épiplooplastie de sécurité peut y être associée sans aucun caractère
d’obligation.
Il est raisonnable de laisser en place, quel que soit le type de pyloroplastie réalisé, une sonde gastrique positionnée, soit
immédiatement en amont de la pyloroplastie, soit à travers le canal
pylorique.
2- Autres procédés
:
De nombreux autres procédés de pyloroplastie ont été proposés, parfois
dans le but de mieux répondre aux remaniements locaux éventuels de la
région pylorique.
Ils sont actuellement très peu utilisés.
* Pyloroplastie en Y selon Moschel-Murat
:
On reproche à cette méthode un agrandissement insuffisant du passage
pylorique et le danger possible d’une nécrose tissulaire en cas de tracé
initial à angle insuffisamment ouvert.
* Pyloroplastie en « fer à cheval » selon Finney
:
Les inconvénients de cette technique sont représentés, d’une part par le
risque de protrusion intraluminale du bord interne de l’anastomose rétrécissant le passage vers le duodénum, et d’autre part le risque de
réaliser une suture en tension, les tissus à ce niveau étant peu
mobilisables.
* Pyloroplastie extramuqueuse
:
À l’instar de la technique proposée dans le traitement de l’hypertrophie
congénitale du pylore, seul l’anneau pylorique est incisé, la muqueuse
laissée intacte et le plan séromusculeux non suturé.
Cette technique a
notamment été proposée lors des résections oesophagiennes, afin de ne
pas raccourcir la longueur du tractus digestif supérieur qui doit être
ascensionné dans le thorax.
Elle est en fait de réalisation difficile,
compromise par la moindre effraction muqueuse, et doit être oubliée.
* Pyloroclasie digitale
:
Elle consiste à dilacérer le pylore entre le pouce et l’index.
Si elle offre
l’avantage d’éviter une suture digestive, son résultat reste néanmoins
aussi aléatoire qu’une dilatation endoscopique du pylore.
D -
Pyloroplasties avec résection tissulaire :
En règle, elles sont indiquées lorsque l’ulcère est localisé à la face
antérieure de la région pylorique.
Dans la technique de Judd, il s’agit
pratiquement d’une résection pylorique antérieure.
1- Excision
:
Quatre fils d’appui sont mis en place aux bords supérieur et inférieur de
l’anneau pylorique, sur le premier duodénum et sur l’antre, aux limites
prévues de l’excision.
Leur mise en tension délimite une surface
contenant l’ulcère. Deux incisions curvilignes circonscrivent l’ulcère et
réalisent une excision complète de la lésion et de la face antérieure du
pylore.
La largeur de l’excision et son grand axe horizontal ou vertical
dépendent de la localisation de l’ulcère et de la qualité des tissus
l’entourant, la résection devant passer en tissus sains.
2- Suture
:
La mise en tension des fils d’appui supérieur et inférieur transforme
l’orifice en une brèche verticale suturée bord à bord, de la même façon
que dans la technique de Heineke-Mikulicz.
3- Variante de Richardson
:
Elle est indiquée lorsque l’ulcère siège sur le versant antral du pylore.
4- Variante de Horsley
:
Elle est indiquée au contraire pour les ulcères siégeant sur le versant
duodénal du pylore.
Les principes de base n’ont pas évolué au cours du temps : il faut
choisir la technique la plus simple et l’adapter en fonction des
remaniements locaux pouvant nécessiter la réalisation d’une
résection tissulaire associée.
En pratique, l’évolution du traitement
de la maladie ulcéreuse laisse actuellement peu de place à la
chirurgie, et moins encore à la classique association vagotomiepyloroplastie.
La pyloroplastie garde néanmoins sa place dans
d’autres types de chirurgie tels que la chirurgie de l’oesophage, le
pylore non remanié se prêtant très bien à la première des techniques
décrites, il y a maintenant plus d’un siècle, celle de Heineke-Mikulicz
qui reste plus que jamais d’actualité.