Prothèse maxillofaciale et conception et fabrication assistées par ordinateur (CFAO)
Cours de Médecine Dentaire
Introduction
:
Nous proposons dans cet article une méthodologie
de réalisation de prothèses maxillofaciales dans le
cadre d’une conception et fabrication assistées par
ordinateur (CFAO).
Les progrès de l’imagerie médicale et des techniques
informatiques nous permettent désormais
de travailler les données médicales des patients et
en particulier les images tomodensitométriques
pour effectuer des reconstructions volumiques tridimensionnelles
des structures anatomiques.
Épidémiologie
:
Les pertes de substance réhabilitées par la prothèse maxillofaciale ont trois étiologies principales : carcinologique,
traumatologique et congénitale.
A -
Étiologie carcinologique
:
Elle demeure l’étiologie prépondérante dans la réhabilitation
en prothèse maxillofaciale.
Une étude
multicentrique dans différents pays montre que les
tumeurs des voies aérodigestives supérieures
(VADS) représentent 5 à 7 % de la totalité des
cancers et demeurent pour certains pays un problème
majeur de santé publique.
En Europe, l’incidence des cancers de la cavité
buccale est très variable, les taux d’incidence standardisés
à l’Europe sont respectivement de
39,7 pour 100 000 hommes et de 4,9 pour
100 000 femmes.
Chez l’homme, la France présente les taux des
cancers du tractus aérodigestif supérieur les plus
élevés en Europe : deux fois supérieurs aux pays
d’Europe du Sud, quatre fois supérieurs au Danemark
et aux Pays-Bas.
Chez la femme, la France se
situe parmi les pays présentant les taux les plus
importants avec le Danemark et les Pays-Bas.
En France en 1995, les cancers de la lèvre, de la
cavité buccale et du pharynx occupent en termes
d’incidence, avec 10 882 cas estimés chez
l’homme, la quatrième place après les cancers de
la prostate, du poumon et les cancers colorectaux,
et en termes de mortalité le quatrième rang avec
4 460 décès. De même, les variations d’incidence
entre les départements couverts par un registre et
l’estimation France entière sont importantes allant
de : - 41 % (Tarn) à + 41 % (Bas-Rhin), supérieures
aux écarts de mortalité variant de - 48 % (Tarn) à +
24 % (Calvados).
Chez la femme, les écarts sont un peu plus
faibles, l’incidence variant de –50 % (Tarn) à + 21 %
(Bas-Rhin) et la mortalité de – 44 % (Tarn) à 16 %
(Haut-Rhin).
De façon plus générale, les taux départementaux
de mortalité les plus élevés sont observés dans le
nord-ouest et l’est du pays.
Les taux départementaux
les plus faibles restent cependant supérieurs
aux taux européens.
B -
Étiologie traumatologique
:
L’amélioration de la sécurité de nos véhicules a
entraîné une diminution de 70 % des traumatismes de
la face lors d’accidents automobiles (AVP : accidents
de la voie publique), alors que progressent les traumatismes maxillofaciaux liés à des rixes, agressions
ou accidents de sports.
En matière de traumatologie
balistique, des cas complexes se présentent à la
consultation, suite à des tentatives d’autolyse, et le
profil psychologique particulier de ces patients sera
à prendre en compte, en plus de la difficulté de la
réhabilitation prothétique.
La situation de la France
au sein de la Communauté européenne n’est pas
favorable en termes de suicides des jeunes.
Que ce
soit pour les hommes ou pour les femmes, la France
se situe en effet parmi les pays dont les taux de décès
sont les plus élevés après la Finlande et l’Autriche.
La majorité des tentatives de suicide donnent lieu à
un recours au système de soins.
Celles-ci peuvent
être estimées à environ 160 000 par an avec une
fourchette comprise entre 130 000 et 180 000.
La
moitié d’entre elles donne lieu à l’intervention d’un
médecin généraliste et sept sur huit à une prise en
charge par les urgences, directement ou après le
recours au médecin de ville.
C -
Étiologie congénitale
:
Les grands syndromes (du premier arc, de Franceschetti,
otomandibulaire, de Pierre Robin) sont à
l’origine d’agénésie du pavillon de l’oreille, de
fente labioalvéolaire et/ou vélopalatine uni- ou
bilatérale.
Devant la prise en charge aujourd’hui systématique des malformations congénitales dès
la naissance, par une équipe multidisciplinaire
obéissant à un calendrier thérapeutique bien codifié,
les cas d’adultes relevant de la réhabilitation
prothétique se font de plus en plus rares.
Conception d’une épithèse faciale
:
A - Généralités :
La réalisation d’une épithèse faciale nécessite de
nombreuses séquences cliniques et de laboratoire.
Le praticien devra montrer des qualités d’ordre thérapeutique,
une maîtrise de la technique de laboratoire
associée à un certain sens artistique ; l’expérience
acquise prendra ici toute son importance.
Afin de faciliter le travail du praticien dans la
sculpture de la future prothèse par la méthode
classique actuelle, un nouveau concept dit par
« CFAO », faisant appel aux principes de l’imagerie
médicale associés aux techniques du prototypage
rapide, est proposé.
B - Méthode classique actuelle :
Elle comprend différentes étapes que nous décrirons
de manière succincte car elle a été déjà évoquée
précédemment.
1-
Étape de la prise d’empreinte faciale
:
La première étape est celle de la prise d’empreinte
faciale à l’aide d’alginate.
Elle nécessite une préparation
psychologique du patient.
En effet l’explication
du déroulement de l’opération est indispensable
pour rassurer et éviter toute crispation
musculaire.
L’alginate de consistance crémeuse est versée au
niveau du front et de l’arête nasale, puis étalé
progressivement, en évitant la formation de bulles,
sur les zones voisines (orbitaires, jugales) en une
couche régulière d’environ 1 cm d’épaisseur.
Le
patient respire par la bouche légèrement entrouverte.
Ensuite, du plâtre de type Snow-White est préparé
et étalé sur l’alginate en commençant par le
front, puis le centre du visage et enfin les bords, sur
une épaisseur de 1 cm.
Cette empreinte faciale sera ensuite coulée en
plâtre « dur » de consistance crémeuse en une
couche homogène de 1 à 2 cm d’épaisseur.
2- Confection de la maquette en cire
:
Une fois le modèle en plâtre réalisé, la confection
de la maquette en cire de la future prothèse
comme une épithèse nasale peut être réalisée, selon deux méthodes :
• directe : la sculpture s’effectue par adjonctions
successives de cire ramollie ;
• indirecte : à partir d’un modèle en plâtre « donneur
», une empreinte de l’organe à reconstituer
est prise et investie de cire par enduction.
• L’organe obtenu est ensuite adapté au maîtremodèle par modelage,
adjonction et suppression de cire.
3- Mise en moufle de la maquette en cire :
Une fois la maquette en cire essayée sur le patient, son
adaptabilité vérifiée, la mise en moufle de la maquette peut
s’effectuer selon le principe de la cire perdue.
Classiquement le moule est constitué de deux contreparties,
correspondant respectivement à l’intrados et à l’extrados de la
prothèse.
Ensuite on procède à la coulée du silicone après élimination de la
cire.
La prothèse en silicone est de nouveau positionnée sur le patient
pour apprécier ses limites, ainsi que sa morphologie.
Le maquillage final de la prothèse peut être réalisé ; pour cela
vont être utilisés des pigments naturels et de la CAF et du
cyclohexane, qui seront appliqués par couches successives.
C - Méthode par conception et fabrication assistées par ordinateur :
1- Principe général :
Les progrès dans l’acquisition des données médicales et
l’amélioration des techniques informatiques nous permettent
désormais de travailler les images tomodensitométriques des patients
pour effectuer des reconstructions virtuelles volumiques
tridimensionnelles des structures anatomiques.
Dès lors l’exportation de ces images tridimensionnelles sous un
format de fichier approprié va autoriser la fabrication de maquettes
physiques 3D des pièces anatomiques.
Ce concept par CFAO comprend deux phases
successives :
• phase I : phase de conception assistée par
ordinateur (CAO), phase de reconstruction et
de simulation 3D ;
• phase II : phase de fabrication assistée par
ordinateur (FAO), phase de fabrication de la
maquette à partir de machines de prototypage
rapide.
2- Phase de conception assistée par ordinateur :
Cette phase permet d’effectuer dans un premier
temps la reconstruction informatique des structures
anatomiques existantes, comme par exemple la
perte de substance faciale ; et ensuite dans un
second temps la simulation de la future épithèse à
partir des informations recueillies préalablement.
*
Phase de reconstruction 3D :
Les nouvelles technologies utilisées dans l’acquisition des données
(scanner à acquisition spiralée ou imagerie par résonance magnétique
[IRM]) vont
nous permettre de recueillir des informations de
plus en plus précises avec des temps d’exposition
moindres.
De même, la standardisation des formats de fichiers
d’importation tomodensitométriques (ACRNEMA/ DICOM) associée à du matériel informatique
sans cesse performant et l’utilisation de divers
progiciels (C2000 / AMIRA) dans le traitement du
signal et de l’image nous offrent la possibilité
d’analyser et de segmenter les images scanner afin
d’obtenir des reconstructions surfaciques ou volumétriques
tridimensionnelles.
En fonction de la nature de la perte de substance,
nous choisirons une reconstruction isosurface
pour une perte de substance faciale (nasale,
oculopalpébrale, auriculaire, faciale), et une reconstruction volumique pour une perte
de substance endobuccale (communication nasobuccale
par exemple).
Une fois la reconstruction anatomique 3D exécutée,
l’exportation du fichier est effectuée sous un
format de « maillage » (.DXF / .STL ...) qui puisse
être reconnu par le logiciel de simulation 3D afin de
concevoir la future prothèse.
* Phase de simulation 3D :
L’utilisation de logiciels qui sont des modeleurs
graphiques va nous permettre de modéliser aussi
bien en polygones qu’en non uniform rational
Bézier-Spline (NURBS) les futures prothèses
maxillofaciales.
De nombreux outils transforment les courbes en
surfaces qui peuvent être déformables à volonté.
Les différentes méthodes de lissage obéissant à la
géométrie dynamique, les opérations booléennes,
la tesselation ou la décimation sont des outils qui
vont nous permettre de concevoir le contour et le
volume de ces maquettes.
Une fois la pièce prothétique réalisée, le fichier
est exporté selon le format .stl pour pouvoir être lu
par les différents types de machines de prototypage
rapide.
3-
Phase de fabrication assistée par ordinateur :
L’évolution de la technologie concernant le prototypage
rapide permet désormais de standardiser la
fabrication de maquettes physiques dans le domaine
médical et plus particulièrement chirurgical
pour faciliter le diagnostic et simuler certaines
interventions complexes.
Après l’utilisation de machines-outils trois ou cinq axes, la majorité des reconstructions anatomiques
physiques actuelles sont effectuées en résine
selon le principe de la stéréolithographie (faisceau laser qui va polymériser la
résine couche par couche).
L’inconvénient majeur de ce prototypage pour la
prothèse maxillofaciale est la difficulté d’éliminer
la résine lors de la mise en moufle du modèle.
Une autre méthode de prototypage existe ; il
s’agit du procédé de fabrication d’objets par jet de
gouttes sur demande (drop-on-demand inkjet).
L’avantage de cette technique est d’utiliser un
matériau avec un point de fusion de 90° à 113°,
donc très intéressant dans la technique de la cire
perdue.
Un logiciel décompose le modèle CAO 3D (.stl) de
la pièce anatomique en un ensemble de couches
élémentaires 2D, correspondant à la coupe transversale.
Les prothèses sont fabriquées par un procédé
d’impression de jet de gouttes couche par couche.
Deux têtes d’impression, déplacées par un chariot
mobile dans un plan x-y, déposent deux matériaux à
bas point de fusion sous forme de gouttes sur un
matériau de support collé sur la plate-forme.
La
maquette est construite par superposition successive
de couches, à partir de celle du bas, selon les
sections horizontales du modèle CAO 3D.
Une fois la maquette réalisée, elle sera essayée
et adaptée sur le patient, pour être ensuite transformée
en silicone selon la technique de la cire
perdue.
Discussion
:
L’amélioration des techniques chirurgicales d’exérèse
et de reconstruction entraîne une situation
paradoxale.
La France présente l’incidence la plus
élevée des cancers des VADS en Europe ; la prise en
charge chirurgicale des patients est satisfaisante,
cependant, la mutilation faciale induite postchirurgicale entraîne fréquemment
l’exclusion du patient de la société, alors que cette dernière a mis
tout en oeuvre pour le traiter et le sauver.
La réhabilitation par prothèse maxillofaciale demeure
une alternative incontournable et repose sur
une symbiose chirurgicoprothétique des différents
acteurs. Le diagnostic et le traitement du patient doivent reposer sur une équipe médicale multidisciplinaire,
dont le seul objectif est de permettre
une réhabilitation globale de qualité de vie du
patient.
En effet, le chirurgien doit connaître les
limitations, les principes biomécaniques de ces prothèses maxillofaciales afin de synchroniser le geste
chirurgical à la future réhabilitation prothétique
qui va suivre.
Un avantage majeur de la prothèse maxillofaciale
est de permettre une surveillance carcinologique.
Les récidives des cancers des VADS variables
selon les auteurs (7,5 % selon Marchetta ou 14 %
selon Vikram) soulignent l’importance du praticien
dans leur détection.
En effet, ce dernier, au
cours du suivi de la réhabilitation prothétique, de
sa maintenance, pourra observer toute modification
tissulaire qui pourrait sembler anodine chez le
patient.
Il est indéniable que la prothèse maxillofaciale contribue de
manière significative dans l’amélioration de la qualité de vie des
patients présentant une perte de substance faciale ou endobuccale ;
patients qui présentent souvent des caractéristiques
communes, un passé alcoolotabagique, des
conditions socioéconomiques précaires, et face au
defect, une détresse psychologique plus importante comparativement à d’autres
patients présentant d’autres types de tumeurs.
Des efforts substantiels doivent être entrepris pour restaurer dès
que possible le patient à la fois sur le plan fonctionnel et
esthétique afin qu’il puisse mener une vie normale dans la société.
Cette nouvelle méthodologie par CFAO va permettre,
chez ces patients affaiblis, d’éviter la prise
d’empreinte faciale parfois angoissante pour le patient,
difficile pour la praticien et présentant parfois
des risques de fuite de matériaux dans les
cavités naturelles.
Ce concept CFAO en prothèse maxillofaciale permet
également, à partir d’une base de données
d’examens tomodensitométriques de patients, ou
d’acquisition laser de surface, de proposer au patient
différentes simulations de sa future épithèse,
afin qu’il puisse faire lui-même un choix ou avec
l’aide de son entourage.
Malheureusement, ces prothèses en silicone ont
une durée de vie limitée dans le temps ; il est
désormais possible, grâce aux systèmes de sauvegarde,
de réaliser de manière rapide une nouvelle
prothèse à l’identique de la précédente, avec un
gain de temps non négligeable, car les étapes préalables
ne sont plus nécessaires.
Conclusion
:
Grâce à cette nouvelle méthodologie par CFAO,
l’étape de conception au laboratoire de la maquette
en cire et de la réhabilitation prothétique
d’une manière générale se trouve facilitée, permettant
ainsi de répondre à la dialectique de la
satisfaction des besoins, que ce soit pour les différents
prestataires de services ou mieux pour les
patients.