Les prions sont des agents infectieux de
nature protéique responsables
d'encéphalopathies spongiformes à
incubation longue, caractérisée par atteinte
du système nerveux central avec spongiose
avec perte neuronale et gliose
hyperastrocytaire sans réaction
inflammatoire, associé à plaques amyloïdes.
Les prions sont des agents transmissibles
non conventionnels (ATNC ) dénommés
prion PrPres (résistante) ou PrPsc (scrapie) pour "Proteinaceous infectious
particle" (protéine infectieuse).
Historique
:
Dès 1732, on observe la tremblante du
mouton (scrapie) en Angleterre et France.
En
1920-1921, Hans Creutzfeldt et Alfons
Jakob décrivent la maladie qui porte leur
nom.
En 1936, Jean Cuillé et Paul-Louis
Chelle montrent que la scrapie du mouton
est transmissible par des extraits de cerveau
d'animal à animal, suggérant la nature
infectieuse de la maladie.
En 1957, Carleton Gajdusek et Vincent Zigas montrent que le
kuru, maladie des tribus papoues proche de
la maladie de Creutzfeldt-Jakob, est
transmissible par anthropophagie.
En 1960,
I. Patisson montre l'existence d'une barrière
d'espèce pour la scrapie. En 1966-1967, T.
Alper montre que l'agent infectieux résiste
aux radiations et qu'il n'y a pas d'acides
nucléiques dans le matériel infectieux.
En
1982, Stanley Prusiner montre que l'agent
infectieux est une protéine sans acides
nucléiques.
Par séquençage N-terminal de la
protéine (1984-1985), il démontre que la
protéine humaine est codée par un gène
identifié comme le gène prn-p présent sur le
chromosome 21 des sujets normaux et de
fonction inconnue.
En 1986, débute
l'épidémie de maladie des vaches folles en
Angleterre.
En 1989, on découvre que la
sensibilité au prion dépend du taux d'identité
peptidique du prion avec celui de la protéine
de l'espèce animale considérée par des
expériences avec des souris transgéniques.
En 1993, une preuve décisive du rôle de la
protéine prion est apportée par Prusiner
montrant que les souris knock-out pour le
gène sont viables et résistent à l'infection
expérimentale par les prions.
En 1996, on
identifie un nouveau variant de la maladie de Creutzfeldt-Jakob identique au prion de la
maladie des vaches folles et transmis à
l'homme par cette protéine bovine.
Les encéphalopathies
spongiformes humaines
:
La maladie de Creutzfeldt-Jakob :
La maladie de Creutzfeldt-Jakob (MCJ) est
une encéphalopathie spongiforme humaine
la plus fréquente.
Il existe plusieurs formes.
Une forme sporadique atteignant des
patients de >65 ans présentant une
démence entraînant la mort en 6 mois.
On
dénombre 50 cas / an en France depuis
plusieurs décennies (1 cas /106 h).
Il existe
aussi une forme familiale (5 cas / an en
France) atteignant des patients de plus
jeunes (40 ans) et présentant des altérations
du gène prnp (insertions, mutations).
Il existe
aussi des formes iatrogènes secondaires à
des interventions neurochirurgicales,
ophtalmologiques et ORL (> 31 cas [durem
ère, électrodes, greffes de cornée et de
tympan]), après traitement par l'hormone de
croissance hypophysaire (76 cas France sur
968 patients exposés en 1985-1986, 15 cas
aux USA, 16 cas en Grande-Bretagne), et
après traitement par gonadotrophines
hypophysaires (4 cas en Australie et
Nouvelle-Zélande).
La possibilité de
transmission par transfusion est une crainte
mais n'est pas pour le moment documenté
chez l'homme.
Enfin, la nouvelle forme de MCJ du jeune entre 20-40 ans ( le plus jeune
patient avait 13 ans) survient après une
incubation inconnue (3-30 ans ?) et évolue
en 14 mois avec un syndrome psychiatrique
(hallucinations, schizophrénie), puis des
troubles neurologiques (ataxie, troubles
visuels, démence).
On compte 113 cas en
Angleterre 1994- 2001, 3 cas en France en
2001.
Le kuru :
Le kuru est une maladie très proche de la MCJ.
Décrit en Nouvelle-Calédonie en 1950
chez les Fores (tribus papous), le kuru est
caractérisée par une ataxie cérébelleuse
progressive qui a entraîné environ 2500
décès entre 1957 et 1982.
Cette maladie
était associée à certains rites funéraires
consistant à manger le cerveau des défunts.
Elle frappait jusqu'à 10% de la population de
certains villages, surtout les femmes et les
enfants.
Syndrome de Gerstmann-Straüssler-Scheinker
et insomnie fatale familiale :
Ce sont deux maladies familiales très rares
et transmissibles expérimentalement.
Les encéphalopathies
spongiformes animales :
Il existe chez l'animal des encéphalopathies
donnant des lésions du tissu cérébral très
proches de la MCJ : la tremblante du mouton
et l'encéphalopathie spongiforme bovine
(maladie des vaches folles), plus rarement
des encéphalopathies sporadiques
transmissibles du vison, du chat et la
maladie de dépérissement chronique des
ruminants sauvages (caribou, élan).
La tremblante du mouton (scrapie) est une
maladie connue en Angleterre et France
depuis 1732.
Atteignant les ovins et les
caprins à âge 3-4 ans, elle a une incubation
longue.
Les signes cliniques sont des
troubles du comportement, du prurit, une
incoordination motrice, des tremblements, et
la mort en 6 semaines-6 mois.
Il existe des
formes ataxiques, des formes prurigineuses
et des formes paralytiques.
Cette maladie est
fréquente et peut atteindre jusqu'à 10 à 30%
des troupeaux (> 100 bêtes).
Il n'existe
aucun argument pour incriminer une
transmission humaine de cette maladie.
Cependant, on suspecte que la souche de
prion bovin ait pu contaminer des moutons,
ce qui pourraient exposer de façon
inquiétante la population à la maladie.
La maladie des vaches folles était inconnue
avant 1985.
La maladie clinique survient
après une incubation de 36 mois en
moyenne et donne des troubles
neurologiques proches de la scrapie.
Caractéristiques des prions
:
La protéine prion :
Le prion PrPres ou PrPsc est une protéine
de 27-30 kDa (253 aa) avec plus de 85 %
d'homologie avec autres PrP des animaux.
C'est une protéine hydrophobe et résistante
à la protéinase K, sans acides nucléiques
détectables, capable de se polymériser en
fibrilles, codée par le gène prn-p du
chromosome 20 chez l'homme.
Cette protéine provient d'un changement conformationnel de la protéine normale PrP
ou PrPc (cellulaire).
La protéine PrPc présente deux isoformes,
la protéine normale PrPc (cellulaire) de 33-
35 kDa , sensible à la protéinase K et la
protéine prion PrPres ou PrPsc (résistante à
la protéinase K) de 27-30 kDa résistante à la protéinase K.
La
structure tridimensionnelle de l'isoforme normale comporte 3 hélices
α et l'isoforme pathologique seulement 2
hélices α et 4 feuillets ß.
La protéine PrPc est abondante dans le
système nerveux central, le tissu lymphoïde
et le tube digestif.
C'est une glycoprotéine
transmembranaire ancrée à la surface des
cellules et endocytée.
Sa
fonction est inconnue.
Elle
aurait un rôle protecteur contre l'apoptose cellulaire, interviendrait
dans la croissance axonale, et dans le
transporteur de cuivre Cu2+ (internalisation
du Cu2+ et protection contre le stress
oxydatif).
Les encéphalopathies spongiformes
familiales (la forme familiale de MCJ,
syndrome de Gerstmann-Straüssler-
Scheinker et l'insomnie fatale familiale) sont
associées à des anomalies de la séquence
peptidique de la protéine PrP ( mutations,
insertions, délétions).
Résistance et infectiosité des prions
:
C'est une protéine très résistante aux
enzymes protéolytiques, à la chaleur, aux
rayons ionisants, à la plupart des
antiseptiques (formol, glutaraldéhyde...).
Sa
résistance à la chaleur sèche (180°C - 24 h;
>360°C - 1 h ; 600°C - 15 min), à la chaleur
humide : 134°C-18 min, aux antiseptiques
(soude 1 N , hypochlorite de sodium (1 h
20°C).
La protéine PrPres est infectieuse :
1) les souris transgéniques du gène prn-p
sont très sensibles au prion de la même
espèce ;
2) les souris knock-out du gène prn-p sont totalement résistantes aux prions.
Physiopathologie de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
:
Entrée et propagation au système
lymphoïde
:
La MCJ du jeune se contracte par voie orale
par l'alimentation (tissus cérébraux ou
lymphoïdes de vaches infectés...).
Les
prions franchissent la barrière digestive et
atteignent le tissu lymphoïde où ils
s'amplifient (plaques de Peyer, GALT,
rate...).
Pendant cette phase
asymptomatique de plusieurs années, les
prions gagnent le système nerveux central
(moelle, tronc cérébral, cerveau) par
différentes voies :
1) voie nerveuse
ascendante par les nerfs périphériques des
ganglions lymphoïdes infectés et passage
trans-synaptique possible, ou directement
par les terminaisons nerveuses du plexus
mésentérique (passage direct du tube
digestif au système nerveux) ;
2) par voie
sanguine par les cellules immunitaires ou les
protéines plasmatiques (plasminogène) à
travers la barrière hémo-encéphalique.
Infection du système nerveux central
:
Système nerveux central (moelle, tronc
cérébral, cerveau), la protéine PrPsc
s'accumule dans les neurones induisant une apoptose neuronale et une activation des
cellules microgliales produisant des facteurs
neurotoxiques associée à une gliose
hyperastrocytaire.
Il n'y a pas de réponse
immunitaire inflammatoire, ce qui est
caractérise les encéphalopathies
spongiformes.
La mort neuronale
progressive entraîne l'aspect spongieux du
cerveau et l'accumulation de plaques
amyloïdes constituées de PrPsc.
Il n'existe
pour l'instant aucun traitement de cette
maladie.
Transconformation de la PrPsc :
On sait que, après absorption d'une très
faible quantité de PrPsc , des quantités
importantes de prions s'accumulent dans les
neurones.
Cette PrPsc provient
presque exclusivement de la PrP normale des
patients.
La transconformation est le résultat
d'une interaction protéine-protéine qui
entraîne le changement de conformation.
Il
existe 2 théories de la transconformation, un
modèle catalytique (A) et un modèle par
nucléation (B.
Épidémiologie de la scrapie et de
l'encéphalopathie spongiforme
bovine (ESB)
:
La scrapie est une maladie des ovins et des
caprins très fréquente, qui peut atteindre
jusqu'à 10 à 30% des troupeaux (>100
bêtes) de moutons dans certaines régions.
Il
n'existe aucun argument pour incriminer une
transmission humaine de cette maladie.
Cependant, on suspecte que des
moutons exposés aux farines animales aient
pu être contaminés par le prion bovin qui,
elle, est transmissible à l'homme.
Le premier cas de maladie des vaches folles
a été signalé en Angleterre en avril 1985.
Aujourd'hui, cette maladie a décimé les
troupeaux de bovins dans ce pays et avec
plus de 180 000 bovins et une extension à
de nombreux autres pays.
Après l’interdiction des farines animales en
juillet 1988 pour les bovins, la maladie a
continué de se propager en Angleterre,
atteignant son acmé en 1993 avec 35755
cas annuels.
Cette propagation est généralement
attribuée à l'évolution spontanée
d'une maladie à incubation longue, et peut-être au non-respect de l’interdiction par
certains éleveurs.
Depuis 1993, l'épidémie a
progressivement décliné pour atteindre aujourd'hui moins de mille cas annuels en
Angleterre.
En France et dans le reste de
l'Europe, le nombre de cas atteignant les
bovins est resté limité à quelques dizaines
entre 1990 et 1998.
Au cours de la maladie des vaches folles, le
tissu lymphoïde est infectieux pendant
l'incubation : dès le 6ème mois, l'iléon, puis le
thymus, la rate et la moelle osseuse.
Les
tissus nerveux (moelle, tronc cérébral,
cerveau) sont contaminés à partir du 30ème-
32ème mois.
L’origine de cette épidémie est liée à
l'alimentation par les farines animales
fabriquées à partir des carcasses animales.
A partir des années 80, un changement des
modes de fabrication de ces farines a permis
la contamination par les prions d'animaux
malades, peut-être d'ovins atteints de
scrapie ou de bovins atteints d'une forme
sporadique jamais décrite.
Il est possible
qu'une souche particulière de scrapie puisse
être à l'origine de l'épidémie des vaches
folles du fait de sa capacité de franchir
facilement la barrière des espèces.
Épidémiologie de la maladie de
Creutzfedt-Jakob
Sensibilité génétique
:
On a montré qu'il existe une sensibilité
génétique particulière à la maladie de Creutzfeldt-Jakob en fonction du
polymorphisme du gène prn-p.
Il existe un
polymorphisme de la protéine PrPc (253 aa)
dans la population, notamment au codon
129 qui code soit une méthionine (Met) , soit
une valine (Val) : on dénombre 40% d'homozygotes Met/Met, 10% d'homozygotes
Val/Val, et 50% d'hétérozygotes Val/Met.
Les
homozygotes Met/ Met sont plus sensibles à
la maladie. En effet, les patients atteints de MCJ sporadique sont homozygotes Met/Met
à 70%, homozygotes Val/Val à 15%, et
hétérozygotes Val/Met à 15%.
Lors de la MCJ iatrogène, 95 % des patients sont
homozygotes et seulement 5 % sont
hétérozygotes.
Pour la MCJ due au nouveau
variant, on dénombre 100% de génotype
Met/Met chez les patients.
Transmission horizontale :
La maladie n'est pas contagieuse par contact
direct (interhumain, sexuel...).
La maladie
est transmise par ingestion de tissus infectés
de bovins : tissu lymphoïde, moelle osseuse,
cerveau.
On ne peut démontrer
expérimentalement une infectiosité pour les
muscles et le lait (mais attention aux
animaux présentant des signes de la maladie
qui ont des prions dans le sang).
Les ovins
infectés par le nouveau variant sont
dangereux pour l'homme, alors que la
scrapie est considérée comme non
transmissible à l'homme.
Il pourrait exister un
risque transfusionnel, non documenté chez
l'homme, mais mis en évidence
expérimentalement chez des moutons
infecté par le nouveau variant avec du sang
provenant de la phase d'incubation de la
maladie.
Il faut donc être très vigilant sur les
donneurs de sang et chez les patients
polytransfusés et hémophiles.
La transmission verticale
:
On n'a jamais pu démontré que le lait soit
infectieux.
Dans l'expérience du kuru, il a été
rapporté que, parmi les 600 femmes allaitant
en incubation ou prodromes de la maladie ,
aucune n'a transmis la maladie.
En
revanche, le colostrum chez les bovins peut
être infectieux chez les animaux malades
qui mettent bas.
Le placenta n'est pas
infectieux (sauf chez les animaux malades).
Il faut rappeler la faible placentophagie des
bovins.
Diagnostic biologique de la maladie de Creutzfeldt-Jakob
:
Le diagnostic biologique de la MCJ est
essentiellement anatomo-pathologique.
Par
biopsie cérébrale ou par prélèvement de
cerveau à l'autopsie, les signes
anatomopathologiques caractéristiques sont
mis au jour : aspect spongieux du tissu
cérébral, perte neuronale, plaques
amyloïdes, gliose hyperastrocytaire, sans
réaction inflammatoire
Il existe un test diagnostique (Western-blot et
ELISA) permettant de détecter la protéine
prion dans les tissus cérébraux suspects.
On
montre qu'un anticorps monoclonal contre la
protéine reconnaît la protéine prion dans les
extraits de cerveau après traitement par la
protéinase K qui détruit la protéine normale.
La ponction lombaire peut monter la
présence dans le LCR d'un marqueur non
spécifique de destruction du tissu cérébral,
la protéine 14-3-3. D'autres tests
diagnostiques sont à l'étude pour détecter PrPsc dans le sang et l'urine.
Les prions : une révolution et une
énigme
:
Une révolution conceptuelle :
On a longtemps pensé qu'un gène codait
pour une seule protéine ayant des propriétés
bien définies.
La découverte des prions nous
apprend qu'un même gène peut coder pour
plusieurs formes de protéines selon leur
conformation tridimentionnelle.
De plus, cette
découverte montre qu'une maladie peut être
liée à un changement de conformation d'une
protéine.
Ceci pourrait ne pas être un
exception mais fait poser la question de
savoir si d'autres maladies, en particulier neurodégénératives comme les maladies d'Alzheimer et de Hungtinton, pourraient
procéder d'un mécanisme similaire.
Une énigme
:
La protéine infectieuse agit-elle seule ? Le
fait qu'existent différentes souches d'un
même prion chez les ovins, par exemple,
incite à croire que pourrait exister d'autres
facteurs agissant avec cette protéine pour
expliquer la maladie.
Ceci est mis en
évidence par transmission de PrPsc à des
souris de même fond génétique, permettant
de voir des différences dans la période
d'incubation et dans les lésions
anatomopathologiques du cerveau.
On a
proposé que la protéine infectieuse soit
associée à une autre protéine chaperon
(protéine X), ou même à un acide nucléique "caché" et protégé par la protéine très
résistante.
Quel avenir ?
De nombreux problèmes demeurent
concernant les risques de transmission et de
dissémination à l'homme de la maladie des
vaches folles, à savoir la possibilité de
transmission par le sang pour les concentrés
sanguins provenant de sujets en incubation
de la MCJ (incubation qui peut durer
plusieurs années), ou les dangers éventuels
de la consommation de viande de boeuf,
d’abats ou de produits dérivés d’animaux
malades ou en incubation.
La nouvelle forme de maladie de Creutzfeldt-
Jakob chez le sujet jeune pose de nombreux
problèmes.
Si la maladie est transmise par la
nourriture à partir de la viande de boeuf,
pourquoi atteint-elle de préférence les sujets
jeunes, pourquoi ne se répartit-elle pas de
façon régulière dans l’ensemble de la
population ? pourquoi n’est-elle pas plus
fréquente chez certains sujets
professionnellement exposés, dans les
abattoirs par exemple ?
Les sujets jeunes
ont-ils un facteur de risque particulier,
comme par exemple une consommation
particulière de certaines nourritures
contenant des hauts titres de l’agent infectieux
?