Mesures de la pression transcutanée d’oxygène

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Introduction :

La mesure transcutanée de l’oxygénation tissulaire fait partie intégrante des explorations fonctionnelles non invasives des artériopathies chroniques oblitérantes.

Son intérêt est à la fois diagnostique, pronostique et dans le suivi thérapeutique.

Alors que l’échodoppler et l’artériographie permettent une description morphologique des lésions artérielles sténosantes, l’oxymétrie transcutanée permet, quant à elle, d’évaluer leur retentissement tissulaire.

Deux types d’oxymétrie transcutanée peuvent être réalisés.

L’oxymétrie statique permet d’étudier les stades III et IV de la classification de Leriche et Fontaine, définis par une hypoxie tissulaire permanente.

L’oxymétrie dynamique trouve ses indications dans le stade II au cours duquel l’hypoxie tissulaire n’apparaît qu’à l’effort.

Principes de l’oxymétrie transcutanée :

La pression transcutanée d’oxygène reflète l’apport maximal d’oxygène à la peau et dépend essentiellement de la pression artérielle en oxygène et du débit sanguin local.

La mesure transcutanée de la pression en oxygène (TcPO2) est effectuée par des capteurs constitués d’électrodes polarographiques de 1 cm2 recouvertes d’une membrane de polyéthylène.

Ces électrodes mises au point par Clark en 1954 se composent d’une cathode en platine et d’une anode en argent.

Mesures de la pression transcutanée d’oxygène

Les molécules d’oxygène traversent la paroi vasculaire et les tissus, diffusent à travers derme et épiderme, puis au travers de la membrane de polypropylène à une vitesse relativement lente.

Elles se dirigent ensuite vers la cathode où elles sont réduites (O2 + H2O + 4 e- => 4 OH-), les électrons étant fournis à l’anode par la formation de chlorure d’argent (4Ag + 4Cl- => 4AgCl + 4e-).

Le courant électrique produit entre cathode et anode, proportionnel à la quantité d’oxygène consommée à la cathode, est transcrit par le moniteur en TcPO2, exprimée en mmHg.

La chaîne de mesure doit être calibrée avant chaque examen, l’air ambiant étant utilisé comme gaz d’étalonnage en tenant compte de la pression atmosphérique.

Les valeurs de TcPO2 de base étant très basses, Eberhard incorpora une résistante chauffante au niveau de la cathode permettant d’obtenir une élévation thermique locale réglable entre 35 et 45 °C.

Ce chauffage indispensable va permettre d’abolir la vasomotricité cutanée locale et d’obtenir au niveau du derme une artériolisation du sang capillaire favorisant la diffusion transcutanée de l’oxygène.

Les capteurs sont fixés par des pastilles autocollantes double face sur une peau rasée, débarassée de toute desquamation de la couche cornée, puis dégraissée à l’éther.

Une goutte de gel de contact est déposée au centre de la membrane assurant une bonne étanchéité, un contact thermique correct et facilitant la diffusion de l’oxygène entre la peau et la membrane.

Il est impératif d’éliminer toute bulle d’air dans la chambre de mesure.

Oxymétrie statique :

A – MÉTHODE :

L’oxymétrie statique est réalisée sur un sujet en décubitus.

Si l’on dispose d’un seul capteur celui-ci sera placé sur le dos de l’avantpied au niveau du premier espace interosseux en évitant de le positionner sur une veine superficielle ou sur un tendon.

Des capteurs supplémentaires peuvent être placés au niveau de la face externe du mollet environ 10 cm sous la tête du péroné, et à la face antérieure de la cuisse, 10 cm au-dessus de la rotule.

Certains auteurs préconisent l’utilisation d’un capteur de référence posé au niveau du précordium, afin de tenir compte de l’état cardiorespiratoire du patient, susceptible de modifier les valeurs de TcPO2 au niveau des membres inférieurs.

Les capteurs sont chauffés à 44 ou 45 °C.

Il faut en général attendre 15 à 20 minutes pour que les valeurs de TcPO2 initialement basses augmentent sous l’effet du chauffage puis se stabilisent.

Parmi les nombreuses méthodes de sensibilisation de l’oxymétrie statique, trois sont plus couramment utilisées : le test d’inhalation d’oxygène, l’ischémie provoquée et le test jambes déclives.

Le plus pertinent est le test à l’oxygène consistant à évaluer le gain de TcPO2 obtenu après inhalation d’oxygène au masque à 10 L/min pendant 10 à 15 minutes.

Ce gain serait le reflet de la persistance d’une vascularisation locale. Le test d’ischémie provoquée par brassard étudie les variations de TcPO2 au niveau de l’avant-pied lors d’une compression artérielle de 3 minutes suivie d’un dégonflage du brassard.

Différents paramètres sont alors étudiés : la TcPO2 au repos, le temps de réapparition de l’oxygène lors du dégonflage (normalement inférieur à 15 secondes) et l’index de récupération correspondant à la pente de réascension de la courbe.

Le temps de réapparition de l’oxygène serait un reflet de la fonction de suppléance des artères et l’index de récupération, paramètre plus variable selon l’âge du patient serait, quant à lui, lié aux mécanismes compensateurs macro-et microcirculatoires.

Le test jambes déclives enregistre les variations de TcPO2 lors du passage du décubitus à la position jambes pendantes pendant 10 minutes suivi d’un retour en position initiale.

B – RÉSULTATS ET INTERPRÉTATION :

Les valeurs de TcPO2 chez un sujet normal sont variables mais oscillent aux alentours de 60 mmHg.

Les mesures sont très reproductibles avec un écart moyen inférieur à 5 mmHg.

Les fumeurs par diminution de la saturation en O2 liée à la carboxyhémoglobine ont souvent une TcPO2 inférieure à 10 mmHg.

L’état cardiorespiratoire du patient peut modifier sensiblement les valeurs de TcPO2.

Pour tenir compte de ces variations, certaines équipes, dont la nôtre, utilisent une électrode de référence, et calculent ainsi un rapport d’oxygénation tissulaire (ROT) exprimant la TcPO2 périphérique en pourcentage de la TcPO2 précordiale.

Le ROT normal se situe entre 70 et 100 %.

La valeur seuil pathologique de TcPO2 se situe à 30-35 mmHg, et correspond à une hypoxie tissulaire continue de repos.

On parle d’hypoxie tissulaire critique si les valeurs de TcPO2 sont inférieures à 10 mmHg.

L’augmentation de TcPO2 après inhalation d’oxygène doit être supérieure à 10 mmHg.

Le seuil pathologique au cours de l’épreuve de déclivité est de 40 mmHg.

Oxymétrie dynamique :

L’oxymétrie transcutanée dynamique étudie les variations de TcPO2 lors d’une épreuve d’effort, et permet ainsi de dépister une hypoperfusion tissulaire qui surviendrait uniquement à la marche.

De nombreux travaux utilisant des méthodologies un peu différentes ont démontré l’intérêt de cet examen dynamique.

A – MÉTHODE :

Certaines équipes utilisent un seul capteur au niveau de l’avantpied, mais il est préférable d’utiliser plusieurs sites d’enregistrements permettant simultanément une étude étagée uniou bilatérale.

Les capteurs sont, dans ce cas, posés au niveau des avant-pieds, des mollets et des cuisses.

Un capteur de référence au niveau du précordium est systématiquement utilisé.

Une surveillance électrocardiographique continue durant l’épreuve est impérative. L’examen se déroule en quatre étapes.

Après une première phase de décubitus strict d’environ 20 minutes, le patient passe en orthostatisme jusqu’à stabilisation des valeurs afin de prendre en compte le réflexe veinuloartériolaire. Ensuite commence l’épreuve d’effort standardisée sur tapis roulant avec une charge de 50 watts sur une distance de 150 mètres.

À l’issue de cette épreuve de marche, le patient retourne en décubitus pour la phase de récupération qui est poursuivie jusqu’au retour aux valeurs de TcPO2 de base.

Afin de tenir compte de l’état cardiorespiratoire du sujet et de son adaptation à l’effort les résultats, pour les différents niveaux, sont de préférence exprimés en ROT.

Plusieurs indices peuvent être calculés afin de quantifier la sévérité de l’hypoxie.

On définit ainsi l’indice de chute maximale (ICM) égal à la variation maximale des ROT exprimée en pourcentage de la valeur de référence avant la marche.

Le temps de demi-récupération ou T50 correspond au temps pendant lequel le ROT est inférieur à 50 % de sa valeur initiale.

On calcule enfin un indice de surface defect, ou ISD, qui tient compte de la durée et de l’intensité de l’hypoxie. L’ISD qui s’exprime en unités arbitraires peut être estimé par la formule ISD = ICM/ 2 x T50 ou calculé automatiquement par un logiciel spécifique.

B – RÉSULTATS ET INTERPRÉTATION :

Chez le sujet sain il existe, lors du passage en orthostatisme, une élévation de la TcPO2 périphérique, donc une élévation des ROT liée au réflexe veinuloartériolaire.

Les phases d’effort et de récupération ne s’accompagnent d’aucune chute significative des ROT.

Chez l’artéritique de stade II, il n’existe pas de différence significative de la TcPO2 de repos par rapport aux sujets sains.

En revanche, apparaît au cours de l’effort une chute des ROT d’importance et de délai d’apparition variables en fonction de la sévérité des lésions.

Parfois, la chute de TcPO2 n’apparaît qu’en phase de récupération.

Il est possible, grâce à l’étude étagée, de définir la topographie de la ou des lésions artérielles hémodynamiquement significatives.

Indications de l’oxymétrie transcutanée :

Les indications sont fonction du type d’oxymétrie.

L’oxymétrie statique sera utilisée dans les artérites de stades III et IV de la classification de Leriche et Fontaine, puisque l’ischémie tissulaire y est permanente.

Elle permet de confirmer le diagnostic d’artérite, d’apprécier son degré de sévérité et de suivre l’évolution sous traitement.

L’oxymétrie multiétagée peut aussi aider à déterminer plus précisément un niveau d’amputation.

Une TcPO2 inférieure 10 mmHg traduit une viabilité tissulaire quasi nulle, donc une cicatication de moignon peu probable alors qu’une TcPO2 supérieure à 35 mmHg est prédictive d’un taux de cicatrisation proche de 100 %.

L’oxymétrie dynamique permet au stade II d’affirmer le diagnostic d’artérite, et constitue un élément utile dans le diagnostic différentiel d’une claudication intermittente, une oxymétrie normale excluant une origine artérielle.

Elle apprécie également son degré de gravité et participe utilement à l’évaluation de l’efficacité du traitement médicamenteux, chirurgical ou de la rééducation à la marche.

Limites d’indications et causes d’échec :

Toutes les pertubations locales entravant la diffusibilité de l’oxygène à travers la peau peuvent fausser les résultats de TcPO2 : on peut citer notamment les états oedémateux, l’hyperkératose, les états sclérodermiformes, l’insuffisance veineuse majeure et les troubles trophiques majeurs.

En ce qui concerne l’oxymétrie dynamique, il faut bien sûr que le patient puisse effectuer correctement l’épreuve d’effort.

Les troubles de la marche d’origine rhumatologique ou neurologique et surtout l’insuffisance respiratoire ou cardiaque majeure, comorbidités fréquentes au cours de l’artériopathie, limitent les indications de l’examen.

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