Pathologie veineuse et grossesse

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Introduction :

La pathologie veineuse de la grossesse regroupe des troubles très différents dans leurs implications diagnostiques, pronostiques et thérapeutiques.

Les pathologies secondaires à une insuffisance veineuse superficielle provoquée ou seulement aggravée par la grossesse sont d’une grand banalité ;

le handicap fonctionnel qu’elles engendrent peut être sensible, mais ces troubles ne compromettent généralement pas le déroulement de

Pathologie veineuse et grossesse la grossesse et bénéficient d’une capacité importante de régression après la délivrance.

Leur traitement est donc avant tout palliatif avec, pour objectif principal, de prévenir la survenue de complications et d’attendre, dans les meilleures conditions de confort, la fin de la grossesse après laquelle il sera possible de traiter l’insuffisance veineuse résiduelle selon les modalités habituelles.

Les accidents veineux thromboemboliques, en revanche, sont rares mais graves et considérés comme la première cause de mortalité maternelle.

Insuffisance veineuse superficielle, varices et varicosités :

Les modifications de l’hémodynamique veineuse qui accompagnent la grossesse sont attribuées à la sommation d’un facteur hormonal qui intervient précocement, et d’un facteur mécanique par compression de la veine cave inférieure et des vaisseaux iliaques par l’utérus gravide.

Ces deux éléments conjugués augmentent la distensibilité et la pression veineuse, et diminuent la vitesse de l’écoulement veineux.

Les troubles secondaires à une insuffisance veineuse superficielle concernent environ une femme enceinte sur deux. Ils sont très variables dans leur degré comme dans leur expression clinique.

La grossesse apparaît tantôt comme le facteur révélateur de l’insuffisance veineuse superficielle, tantôt comme une cause aggravante.

A – SIGNES CLINIQUES :

1- Manifestations fonctionnelles :

Les manifestations fonctionnelles avec sensation de tiraillements dans les mollets, de jambes lourdes, les crampes et l’oedème vespéral sont d’une grande fréquence.

Ils peuvent être isolés, sans varices importantes.

Ils ont tendance à s’aggraver au fil de la grossesse mais peuvent totalement régresser après la délivrance.

2- Varices des membres inférieurs :

Elles apparaissent ou s’aggravent précocement au cours de la grossesse, généralement avant la fin du premier trimestre.

Leur survenue, beaucoup moins fréquente en fin de grossesse, fait évoquer la responsabilité prépondérante du facteur compressif lié au développement du foetus.

Les varices de la grossesse ne posent aucun problème diagnostique.

Les dilatations veineuses sont souvent diffuses.

Elles s’accompagnent fréquemment de télangiectasies.

Elles peuvent intéresser, à tous les étages, les troncs veineux superficiels.

Elles régressent de façon spectaculaire mais souvent non totalement après l’accouchement.

Elles sont plus ou moins symptomatiques et exposent aux mêmes complications que les varices observées en dehors de la grossesse : phlébites superficielles, hémorragies variqueuses, hypodermite, tandis qu’atrophie blanche et ulcères de jambes témoignent habituellement d’une incontinence associée des troncs veineux profonds.

La localisation des varices à la région vulvaire est fréquente et caractéristique chez la femme enceinte.

Ces varices vulvaires sont parfois douloureuses mais leurs complications rares.

3- Varicosités :

Indolores ou sensibles, elles peuvent prendre une extension impressionnante.

Elles siègent préférentiellement dans les territoires péri- ou sous-malléolaires et au niveau du dos du pied.

Elles régressent après la fin de la grossesse mais dans des proportions imprévisibles.

B – BILAN LÉSIONNEL :

Les manifestations liées à une insuffisance veineuse superficielle, quelle qu’en soit la nature, ne requièrent pas de bilan lésionnel autre que clinique, puisque la marge thérapeutique est limitée et se résume à des mesures exclusivement médicales depuis que la chirurgie des veines superficielles est abandonnée au cours de la grossesse.

L’indication des scléroses, tout à fait exceptionnelle, est généralement réservée aux menaces de ruptures variqueuses ou d’hémorragie variqueuse.

C – TRAITEMENT DE L’INSUFFISANCE VEINEUSE SUPERFICIELLE :

Il est purement symptomatique et vise à faire passer sans incident le cap de l’accouchement.

Les conseils d’hygiène de vie sont d’autant plus efficaces qu’ils sont appliqués tôt, dès l’apparition des premiers troubles, voire dès le début de la grossesse si l’on a l’expérience d’une grossesse antérieure mal supportée d’un point de vue veineux.

La régression souvent spectaculaire des symptômes après l’accouchement, et le très faible risque de complications graves permettent de rassurer les patientes quant au devenir de leur état veineux et de faire plus aisément accepter des mesures contraignantes mais transitoires :

– la station debout ou assise jambes pendantes prolongée doit être évitée au profit de la position assise, jambes surélevées, et du repos au lit ;

– la surélévation des pieds du lit de 15 à 20 cm est une mesure efficace ;

– le repos systématique en décubitus latéral gauche en fin de grossesse peut y être associé ;

– la marche, la gymnastique au sol, la flexion des chevilles sont autant d’exercices physiques qui améliorent le fonctionnement de la pompe veineuse des mollets ;

– le contrôle optimal de la courbe pondérale est également important ;

– la contention élastique est la mesure la plus efficace et aussi la plus anodine.

Elle doit s’exercer précocement.

En revanche, le type et la force de la contention doivent être adaptés à chaque cas particulier.

Les collants de grossesse à ceinture extensible, les bas autofixants et les chaussettes de contention sont aujourd’hui acceptables d’un point de vue esthétique tout en étant efficaces ;

– les traitements veinotoniques prescrits par voie orale ou appliqués localement sont un appoint souvent utile vis-à-vis des manifestations fonctionnelles, mais ils ne sauraient prendre le pas sur les conseils d’hygiène de vie et la contention qui demeurent les deux éléments principaux du traitement.

D – BILAN ET TRAITEMENT APRÈS LA GROSSESSE :

À distance de la grossesse, généralement 3 mois après l’accouchement, un nouveau bilan lésionnel est nécessaire afin d’assurer le traitement des varices qui n’auraient pas régressé.

Les indications du traitement sclérosant ou de la chirurgie seront portées selon les critères habituels. Bien que traditionnellement la sclérose soit préférée à la chirurgie si une nouvelle grossesse est souhaitée, en réalité une intervention peut être conseillée avant la fin des maternités, en particulier lorsque la grossesse antérieure s’est accompagnée d’importants problèmes veineux.

Thromboses veineuses superficielles :

Aisément reconnues devant un cordon rouge, chaud et douloureux, intéressant un segment d’une veine superficielle des membres inférieurs, les phlébites superficielles de la grossesse compliquent des varices souvent volumineuses.

Un doppler et une échographie sont nécessaires car la coexistence d’une thrombose veineuse profonde segmentaire n’est pas exceptionnelle (20 à 30 % des cas en dehors de la grossesse).

Ces phlébites superficielles relèvent classiquement de l’association d’un traitement antiinflammatoire local et d’une contention élastique.

Une autre option serait la prescription d’une HBPM pour une durée limitée (1 à 3 semaines), mais le fait que l’utilisation des HBPM ne soit pas validée pendant la grossesse est un obstacle à cette prescription. Quant à l’indication d’un geste chirurgical, en urgence, sous la forme d’une ligature de crosse ou d’une crossectomie, sous anesthésie locale, en cas de thrombose veineuse superficielle ascendante avec menace d’extension aux troncs veineux profonds, elle n’est plus que rarement portée.

Phlébites pelviennes :

Elles sont rares mais d’autant plus graves qu’il s’agit de thromboses septiques.

Dans un tiers des cas, elles s’accompagneraient de signes cliniques ou paracliniques d’embolie septique.

Le taux de mortalité associé avec les phlébites pelviennes a été estimé par Derrick et al à 18 par million de grossesses.

La prévalence des phlébites pelviennes est faible et diversement appréciée selon les auteurs : dix cas dans une série de 5 693 accouchements pour Brown et Munsick, un cas seulement chez 2 372 patientes suivies prospectivement durant la grossesse et le post-partum pour Derrick et al.

En revanche, si l’on isole le groupe des femmes qui après la grossesse ont souffert de complications infectieuses, la prévalence des phlébites pelviennes est plus élevée, atteignant 1 à 2% selon les séries.

Le diagnostic est généralement évoqué devant une fièvre du postpartum résistant aux antibiotiques, associée à des douleurs abdominales sous-ombilicales, tandis que l’utérus est gros et peu mobilisable et les veines pelviennes douloureuses au palper le long de la paroi du petit bassin, lors du toucher vaginal.

Différentes méthodes ont été proposées pour réaliser l’opacification sélective des veines génitales, mais la fiabilité diagnostique de ce type d’examen est très discutée.

En revanche, les performances actuelles du doppler et de l’échographie justifient la réalisation systématique de ces examens en cas de phlébite pelvienne.

L’efficacité de l’héparine est par ailleurs un test diagnostique.

Thromboses veineuses profondes (TVP) :

A – DONNÉES ÉPIDÉMIOLOGIQUES ET PATHOGÉNIE :

Les TVP sont rares mais graves au cours de la grossesse, tant pour la mère que pour le foetus.

L’incidence exacte des embolies pulmonaires au cours de la grossesse, et plus encore des TVP, est difficile à formuler car le diagnostic de ces accidents est loin d’être toujours porté avec certitude.

Une incidence comprise entre 0,07 et 0,09 % a été avancée.

Globalement, ces accidents veineux surviennent pour un tiers au cours de la grossesse et pour les deux tiers dans le post-partum.

Indépendamment des facteurs de risque qui ne sont pas propres à la grossesse mais favorisent néanmoins la survenue de TVP, qu’il s’agisse de l’alitement prolongé ou de l’obésité d’une part, des anomalies constitutionnelles ou acquises de l’hémostase d’autre part, la grossesse est en soi considérée comme un facteur de risque de TVP.

Le ralentissement de la circulation et la diminution du tonus veineux, la gêne au retour veineux due à l’utérus gravide et les modifications de l’hémostase sont les causes présumées de ce risque accru.

Ces dernières vont dans le sens d’une hypercoagulabilité.

Le taux de certains facteurs de la coagulation augmente de façon significative : facteurs VII, X, VIII, fibrinogène.

Les taux d’inhibiteurs physiologiques diminuent : antithrombine III (AT III), protéine S.

L’activité fibrinolytique diminue également.

Il semble exister aussi un certain degré d’activation des plaquettes.

Après l’accouchement, ces anomalies se corrigent en 6 semaines environ, à l’exception de l’activité fibrinolytique dont le retour à la normale est beaucoup plus rapide.

Les TVP survenant pendant la grossesse seraient localisées plus de neuf fois sur dix au niveau du membre inférieur gauche.

Cette topographie souligne l’importance des facteurs mécaniques par le biais de la décompensation d’un syndrome de Cockett préexistant (compression de la veine iliaque gauche par la bifurcation artérielle).

Dans cette hypothèse toutefois, la majorité des TVP devrait se développer au troisième trimestre de la grossesse.

Or, si certains auteurs ont cette expérience, d’autres en revanche rapportent des phlébites plus fréquentes au deuxième qu’au troisième trimestre.

Le risque d’accident veineux thromboembolique paraît six fois plus élevé au cours de la grossesse que chez la femme du même âge n’utilisant pas de pilule estroprogestative.

Le risque d’embolie pulmonaire mortelle augmente avec l’âge de la patiente et la multiparité ainsi qu’avec la suppression de la lactation par les estrogènes après l’accouchement.

Le recours à une césarienne multiplie environ par 20 l’incidence des accidents veineux thromboemboliques et élève le risque d’embolie pulmonaire mortelle.

Le risque de TVP ou d’embolie pulmonaire au cours de la grossesse est chiffré entre 5 et 13 % selon les auteurs chez une patiente ayant déjà souffert d’un épisode analogue, et ce indépendamment des circonstances de survenue de ce dernier.

Enfin, les méthodes de fécondation in vitro augmentent également l’incidence des thromboses vasculaires, TVP mais également thromboses artérielles.

B – DIAGNOSTIC :

Le diagnostic de TVP est déjà cliniquement difficile en dehors de la grossesse.

Il rencontre théoriquement, chez la femme enceinte, un maximum d’obstacles car oedème, crampes, dilatation des veines superficielles et douleurs des mollets peuvent n’être que l’expression d’une stase veineuse isolée sans phlébite.

Par ailleurs, les fréquents syndromes de compression de la veine iliaque gauche par la bifurcation artérielle (syndrome de Cockett) et les rares malformations congénitales de la veine cave inférieure (diaphragme, synéchies), peuvent se décompenser au cours de la grossesse, notamment sous l’effet de la compression exercée par le foetus, et faire évoquer à tort une TVP iliaque.

En réalité, le diagnostic de TVP iliofémorale gauche (l’une des topographies les plus fréquentes de TVP au cours de la grossesse) est aisément évoqué devant l’apparition brutale d’une symptomatologie strictement unilatérale, qu’il s’agisse d’une sensation de lourdeur, d’une douleur évoquant une cruralgie ou une lombosciatalgie, d’un oedème de la jambe et de la cuisse ou d’une érythrocyanose de déclivité remarquée dès le lever.

Le recours aux examens complémentaires est, dans tous les cas, indispensable, en évitant les explorations invasives.

La pléthysmographie d’impédance et surtout l’échographie doppler sont les examens proposés au cours de la grossesse.

Le doppler couplé à l’échographie a, dans le diagnostic des TVP de la grossesse, une fiabilité qui atteint 100 % dans les localisations jambières, poplitées et fémorales entre les mains d’un observateur expérimenté.

Le diagnostic est plus difficile si la localisation de la TVP est iliocave. Si le doppler et l’échographie sont normaux, il est raisonnable d’éliminer le diagnostic de TVP.

Lorsque le tableau clinique et les explorations non invasives sont en faveur d’une TVP iliocave, une phlébocavographie est nécessaire malgré le risque d’irradiation prénatale, les doses distribuées restant minimes.

Cette opacification recherche un thrombus iliaque étendu à la veine cave, peu adhérent, qui représenterait un risque important d’embolie pulmonaire grave et pourrait conduire à discuter l’indication d’une thrombectomie chirurgicale et d’une interruption partielle de la veine cave inférieure.

En cas de suspicion d’embolie pulmonaire non formellement confirmée ou infirmée par la clinique, l’électrocardiogramme (ECG), le cliché thoracique, les gaz du sang et les dosages enzymatiques, une scintigraphie est indiquée, de ventilation et de perfusion, la très courte durée de vie des isotopes utilisés assurant une irradiation très faible.

C – TRAITEMENT :

Les TVP survenant au cours de la grossesse sont l’indication d’un traitement anticoagulant, hormis les rares cas où une embolie pulmonaire grave, n’évoluant pas favorablement sous traitement médical, fait discuter une embolectomie chirurgicale.

En raison de leurs risques abortifs et tératogènes, maximaux entre la 6e et la 10e semaine, les antivitamines K (AVK) sont déconseillées au cours de la grossesse.

Nous les considérons comme contreindiquées tout au long de la grossesse.

Dans une étude bibliographique, Ginsberg a colligé 186 publications regroupant 1 325 grossesses faisant état des complications des traitements anticoagulants, qu’il s’agisse des AVK ou de l’héparine chez le foetus et le nouveau-né.

Toutes les grossesses confondues, l’incidence de complications foetales atteint 21 % pour l’héparine et 27 % pour les AVK.

En revanche, lorsque sont exclues les grossesses pathologiques et les prématurités qui peuvent n’être pas liées au traitement anticoagulant, l’incidence des complications foetales n’est plus que de 3,6 % pour l’héparine mais s’élève encore à 26 % pour les AVK.

Quant aux décès, qu’il s’agisse de mort in utero ou de décès néonataux, ils ne sont que de 2,5 % avec l’héparine mais de 16 % avec les AVK.

L’héparine non fractionnée est classiquement le traitement des TVP de la grossesse. Elle ne franchit pas la barrière placentaire.

Elle est administrée initialement par voie intraveineuse à la seringue électrique. Une dose de charge de 50 U/kg est recommandée.

La dose quotidienne est ensuite calculée sur la base de 15 à 20 U/kg/h puis adaptée selon les résultats des tests biologiques : TCA (temps de céphaline activateur) qui doit être compris entre deux et trois fois le temps du témoin ou héparinémie qui évalue l’activité anticoagulante de l’héparine vis-à-vis de la thrombine ou du facteur Xa, la zone thérapeutique se situant entre 0,2 et 0,5 UI/mL.

La femme enceinte peut opposer une résistance relative à l’action de l’héparine et requérir une dose plus élevée qu’en dehors de la grossesse. Après une durée arbitraire de 5 à 10 jours, l’héparine par voie sous-cutanée peut prendre le relais de la perfusion continue.

Elle est répartie en deux ou trois injections par jour et sa posologie adaptée pour que l’héparinémie se situe entre 0,2 et 0,3 UI/mL. L’héparinothérapie doit être poursuivie jusqu’à la fin de la grossesse.

La dose d’héparine est habituellement fortement réduite ou son administration interrompue environ 6 heures avant l’accouchement pour la reprendre 6 heures plus tard.

Il a été proposé que l’accouchement des patientes qui reçoivent de l’héparine sous-cutanée durant la grossesse soit électivement déclenché 24 heures après l’arrêt de l’anticoagulant.

Lorsque le risque thromboembolique paraît très élevé, il a été recommandé de convertir l’héparine sous-cutanée en héparine intraveineuse, et d’interrompre cette dernière 6 heures avant l’accouchement.

L’analgésie péridurale est contre-indiquée si l’héparine n’a pas été arrêtée 12 heures auparavant. Après l’accouchement, l’héparinothérapie est poursuivie (héparinémie entre 0,2 et 0,3 UI/mL), soit pour une durée qui ne doit pas être inférieure à 6 semaines, soit jusqu’au relais par les AVK, une fois réduits les risques d’hémorragie du post-partum, c’est-à-dire 1 semaine après l’accouchement.

Toutefois, les AVK contre-indiquent l’allaitement à l’exception de la warfarine (Coumadinet) qui n’est pas sécrétée dans le lait maternel.

Outre les inconvénients locaux (douleurs, hématomes) des injections répétées et les risques hémorragiques inhérents à tout traitement anticoagulant, l’héparine au cours de la grossesse peut avoir d’autres inconvénients.

Elle peut être cause d’ostéoporose qui n’a été rapportée comme cliniquement symptomatique que chez les patientes traitées par une dose d’au moins 20 000 U/j pendant plus de 6 mois.

Elle pourrait également être à l’origine de thrombopénie immunoallergique détectable par la surveillance hebdomadaire de la numération des plaquettes. Les HBPM sont au moins aussi efficaces, en dehors de la grossesse, que l’héparine standard, sans risques hémorragiques supplémentaires.

Cela est notamment vrai dans le traitement des phlébites proximales où les HBPM ont été utilisées en une seule injection par jour (Logiparine) ou en deux injections par jour (Fraxiparinet).

Les HBPM ont aussi des avantages potentiels sur l’héparine standard dans le traitement des phlébites de la femme enceinte.

La première observation rapportée de thrombose veineuse de la grossesse traitée par une HBPM date de 1986.

Ces héparines ont une activité antithrombotique équivalente et, comme l’héparine standard, ne franchissent pas la barrière placentaire.

De plus, leur biodisponibilité est plus élevée avec une durée de vie plus longue autorisant parfois une seule injection par jour.

Elles pourraient s’accompagner d’une réduction du risque d’ostéoporose et d’une réduction du risque de thrombopénie. En revanche, la surveillance de ce traitement fait appel à la mesure de l’activité anti-Xa.

L’évaluation des HBPM se poursuit au cours de la grossesse et leur indication n’est pas encore validée en cas de TVP développée chez la femme enceinte.

Quelle que soit la nature de l’héparine utilisée, une contention élastique adaptée est indispensable en cas de TVP avant comme après l’accouchement.

D – ENQUÊTE BIOLOGIQUE :

La grossesse et la période de l’accouchement et du post-partum peuvent donner à une anomalie constitutionnelle ou acquise de l’hémostase l’occasion de s’exprimer, éventuellement pour la première fois.

Il est donc logique de proposer une enquête biologique systématique aux patientes souffrant ou ayant souffert d’une TVP au cours de la grossesse ou du post-partum, non seulement lorsqu’il existe des antécédents familiaux de maladie thromboembolique, lorsque les épisodes thrombotiques se répètent ou que les territoires veineux atteints sont inhabituels (mésentérique, par exemple) mais également lorsque l’accident veineux paraît isolé.

Une anomalie acquise de l’hémostase sous la forme d’un anticoagulant circulant de type antiprothrombinase peut être facilement mise en évidence par l’allongement du TCA.

Cet anticoagulant circulant se rencontre dans certaines formes de lupus dont la symptomatologie clinique est souvent réduite mais au cours desquelles, en revanche, d’autres anomalies hématologiques sont souvent présentes : thrombopénie, anémie hémolytique avec test de Coombs positif, réaction syphilitique faussement positive et présence d’anticorps anticardiolipines.

La recherche d’une anomalie constitutionnelle de l’hémostase est également nécessaire.

La grossesse est, avec la prise d’une contraception estroprogestative, souvent la circonstance qui donne l’occasion à un déficit en AT III de s’exprimer.

Environ 75 % des accidents veineux surviennent avant l’accouchement, contrairement à ce qui est observé chez les patientes indemnes de déficit en AT III où la majorité des phlébites intervient dans le post-partum.

Les déficits en protéine C et en protéine S peuvent également donner lieu à des accidents veineux thromboemboliques durant la grossesse ou plus volontiers, en ce qui concerne les déficits en protéine S, dans le post-partum. Le déficit en protéine C découvert chez la femme enceinte rend nécessaire le dosage de la protéine C chez le conjoint.

Si le conjoint est porteur du même déficit (ce qui est possible en raison de la fréquence génétique du déficit), l’enfant est exposé au risque de déficit homozygote en protéine C responsable d’un tableau gravissime de purpura fulminans néonatal.

Un dépistage anténatal peut être proposé dans ce cas précis. Le diagnostic de déficit en protéine S est difficile, car le taux de cette protéine diminue de façon physiologique durant la grossesse.

Le dosage doit donc être contrôlé 1 mois après l’accouchement.

En revanche, le diagnostic de déficit en AT III ne pose pas de problème durant la grossesse. Néanmoins, les dosages d’AT III, de protéine C et de protéine S sont influencés par les traitements anticoagulants et il est souhaitable de réaliser les prélèvements sanguins avant toute thérapeutique. Sinon, le taux plasmatique d’AT III peut diminuer de 15 à 20 % sous héparinothérapie efficace.

Les protéines C et S sont, pour leur part, abaissées sous un traitement anticoagulant par voie orale, car elles sont vitamines K dépendantes. Une nouvelle anomalie héréditaire de la coagulation, la résistance à la protéine C activée, a été mise en évidence en 1993.

Très vite, la mutation responsable de cette anomalie biologique a été découverte.

Il s’agit d’une mutation sur l’arginine en position 506 au site de clivage du facteur V par la protéine C activée. Désormais, un test simple de biologie moléculaire permet de rechercher l’anomalie sans qu’il soit indispensable de passer par l’étape du test biologique.

Surtout, la résistance à la protéine C activée paraît très fréquente puisqu’elle concerne environ 20 % des patientes ayant souffert de thrombose veineuse et 3 à 5% de la population générale dans une étude hollandaise.

Dans une étude suédoise, cette même anomalie était présente chez 33 % des patients aux antécédents de thrombose et 5 % des témoins.

Il s’agit donc d’une anomalie beaucoup plus fréquente que les déficits congénitaux, désormais traditionnels, en protéine C, protéine S et AT III. L’implication au cours de la grossesse de la résistance à la protéine C activée n’est pas encore bien documentée, mais paraît relativement modeste.

E – TRAITEMENT PRÉVENTIF :

Le traitement préventif des patientes enceintes ayant des antécédents de TVP n’est pas encore parfaitement standardisé.

La contention élastique est obligatoire.

Sinon, le traitement habituellement recommandé, en l’absence d’anomalies constitutionnelles de l’hémostase, est une héparine non fractionnée sous-cutanée à petites doses (5 000 UI) à raison de 2 injections/j jusqu’au milieu du troisième trimestre, puis une héparine souscutanée à doses efficaces jusqu’à la fin de la grossesse.

Une alternative pourrait être, soit une contention élastique seule en l’absence d’anomalie de l’hémostase, surtout si les antécédents ne comportent qu’un seul accident thromboembolique, soit une contention élastique associée à partir du 3e trimestre à une HBPM en une seule injection par jour mais cette dernière formule n’a pas été validée. Une publication récente, en provenance du Royaume-Uni, a testé une HBPM (la Fragminet) comme traitement préventif chez 32 femmes enceintes totalisant 34 grossesses à haut risque d’accident thrombotique.

Des facteurs de risque de thrombose étaient deux fois d’un déficit en protéine C.

Des antécédents thrombotiques veineux étaient reconnus 26 fois. Dans six cas, il s’agissait d’antécédents artériels. Seize fois il existait des antécédents de fausses couches.

Les patientes ayant souffert d’un épisode de thrombose durant la grossesse sans anomalie de l’hémostase étaient traitées par héparine non fractionnée pendant 5 à 7 jours, puis par HBPM.

Les patientes ayant un antécédent de thrombose coïncidant avec une contraception orale ou une grossesse sans anomalie de l’hémostase étaient traitées par HBPM débutée 4 à 6 semaines avant le terme où s’était produite la thrombose durant la dernière grossesse.

Quant aux femmes ayant des antécédents thromboemboliques associés à des anomalies de l’hémostase ou des antécédents thrombotiques récidivants, elles étaient traitées par HBPM avant même la conception ou immédiatement après un test positif de grossesse.

La Fragminet était administrée à la dose de 5 000 UI, 1 fois/j chez les femmes pesant moins de 100 kg et 2 fois/j dans le cas contraire. Les patientes faisaient elles-mêmes leurs injections.

La mesure de l’activité anti-Xa et des plaquettes était réalisée une fois par mois durant la grossesse.

Les femmes enceintes ayant un syndrome des antiphospholipides et un antécédent de fausse couche recevaient également 75 mg/j d’aspirine jusqu’à la 36e semaine de grossesse.

Au terme de ces 34 grossesses chez 32 femmes, 29 enfants vivants devaient naître ; cinq fausses couches étaient à déplorer, trois d’entre elles en cas de syndrome des antiphospholipides avec ou sans lupus associé et deux chez des patientes porteuses d’un déficit en protéine S.

Aucune complication thromboembolique n’était enregistrée au cours de cette étude. Aucune thrombopénie ou hémorragie grave n’était à déplorer.

En revanche, une patiente souffrait d’un tassement vertébral d’origine ostéoporotique alors qu’elle n’avait pas d’autres facteurs de risque d’ostéoporose.

Enfin, sept césariennes étaient faites sans complication hémorragique, tandis que six femmes accouchaient sous analgésie péridurale, là encore sans complication.

Cette étude souligne l’intérêt des HBPM durant la grossesse et leur efficacité, y compris en cas de troubles de l’hémostase, à l’exception peut-être du syndrome des antiphospholipides.

Un point reste toutefois en discussion : c’est celui de savoir si une dose fixe peut être ou non utilisée pendant la grossesse.

Les auteurs n’ont pas eux-mêmes tranché puisque après avoir suggéré l’adaptation des doses, ils notent la possibilité de ne pas dépasser une dose quotidienne de deux fois 5 000 UI/j de Fragminet.

En cas de déficit en AT III, le traitement curatif des TVP de la grossesse associe héparine par voie intraveineuse à doses efficaces et concentré d’AT III afin d’obtenir un taux d’AT III supérieur à 80 % ; le relais est pris ensuite par l’héparine sous-cutanée jusqu’à l’accouchement. Après l’accouchement, l’héparine sous-cutanée est associée à des concentrés d’AT III durant la première semaine puis le relais est pris par les AVK.

Le traitement préventif lors d’une grossesse chez une patiente ayant une anomalie de l’hémostase est adapté à chaque cas.

Si la patiente n’a pas d’antécédent de thrombose veineuse, les principaux paramètres à déterminer sont la date de début de traitement, le type de traitement (héparine standard ou HBPM) et la dose (« préventive » ou « curative »). Le début du traitement peut être envisagé soit avant la conception, soit dès le diagnostic de grossesse, soit lors du troisième trimestre seulement, ou bien encore uniquement s’il existe un facteur de risque surajouté tel que l’alitement.

En cas d’utilisation d’une HBPM, il a été proposé d’adapter la dose d’HBPM afin de maintenir l’activité anti-Xa entre 0,1 et 0,25 U/mL. L’incidence sur les grossesses ultérieures et la contraception d’un passé de TVP doit être précisée.

La grossesse peut être autorisée malgré des antécédents de TVP, y compris en cas d’interruption partielle de la veine cave inférieure, sous réserve d’une enquête biologique complète, d’un traitement préventif et d’une surveillance clinique et ultrasonique rigoureuse.

Les TVP de la grossesse sont une contre-indication définitive à la contraception estroprogestative.

Les dispositifs intra-utérins sont classiquement contre-indiqués si les patientes sont sous anticoagulants, mais il ne s’agit là que d’une contre-indication relative.

Les méthodes locales (diaphragmes, spermicides, préservatifs) doivent être utilisées en association sinon elles sont insuffisamment efficaces.

Une contraception par microprogestatifs se discute si le risque thrombotique est faible chez les femmes n’acceptant pas les méthodes locales.

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