Pathologie vasculaire du sujet âgé

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Introduction :

L’athérosclérose génère des lésions pariétales artérielles, responsables de sténoses et d’occlusions dont le mécanisme est, certes, plurifactoriel, mais qui s’extériorisent électivement lors du vieillissement ; c’est dire que chez le sujet âgé, cette pathologie est banale, voire constante, ayant de plus, comme particularité, d’intéresser le plus souvent plusieurs territoires.

Les maladies cardiovasculaires représentent ainsi la pathologie la plus fréquente du sujet âgé.

Cette pathologie s’accroît parallèlement au vieillissement de la population ; deux données statistiques illustrent l’importance du problème : aux États-Unis, en 1995, 25 millions d’individus ont entre 65 et 85 ans, 5 millions sont dans leur 9e décade.

En 1990, en France, 2 347 610 ont plus de 80 ans (4 %) soit 1 611 304 femmes (5,5 % de la population féminine) et 736 000 hommes (2,67 % de la population masculine).

Pathologie vasculaire du sujet âgé

Nous prendrons arbitrairement comme définition du sujet âgé la population de plus de 80 ans ; les limites de la chirurgie vasculaire reculent en effet d’année en année ; mais en dehors de la chirurgie carotidienne, où l’âge n’intervient pas comme facteur de risque essentiel, dans les autres localisations de la maladie athéromateuse les indications thérapeutiques seront nuancées et la stratégie thérapeutique chirurgicale sera adaptée en fonction des marqueurs de risque dont un bilan exhaustif systématique sera fait.

Pathologie carotidienne :

Les circonstances de découverte d’une sténose carotidienne n’ont pas de particularité : symptomatique, elle est reconnue à l’occasion d’un accident transitoire oculaire ou déficitaire ou constitué ; ou bien asymptomatique, elle est dépistée lors d’un bilan ultrasonographique des troncs supra-aortiques : celui-ci est demandé soit systématiquement chez un patient ayant d’autres localisations de la maladie athéroscléreuse, soit en préopératoire, ce qui doit être une règle de conduite chez le sujet âgé avant toute intervention chirurgicale, orthopédique, viscérale, voire ophtalmologique (pour une cataracte).

Mais si l’auscultation de la gouttière cervicale fait partie de tout examen clinique, la découverte d’un souffle ne conduit à poursuivre le bilan vasculaire que si celui-ci est susceptible d’aboutir à des conclusions pratiques.

Aussi ne sera-t-il pas demandé si une intervention préventive carotidienne est, a priori, récusée par le contexte pathologique cardiaque ou carcinologique, ou si l’inventaire d’opérabilité n’autorise pas une intervention chirurgicale, dont le risque doit être inférieur à 3 % ; il en est de même si l’espérance de vie est très limitée. Avec ces restrictions, l’âge n’interfère pas, en soi, dans l’approche diagnostique et thérapeutique.

Les résultats de la chirurgie carotidienne au-delà de 80 ans, sont en effet identiques à ceux d’une population plus jeune et une revascularisation carotidienne, qui est faite sous bloc plexique locorégional, représente une agression mineure ; mais cependant la sélection des malades est plus sévère que dans une population plus jeune, en raison de la fréquence des pathologies associées et des caractéristiques lésionnelles.

Le profil lésionnel est caractérisé par une atteinte polypédiculaire encéphalique : banale est une atteinte des quatre axes à destinée encéphalique, mais les lésions carotidiennes peuvent, ce qui est inhabituel, s’étendre au-delà du bulbe, s’accompagner de lésions ostiales des troncs supra-aortiques, de lésions endocrâniennes, des siphons en particulier.

Le parenchyme cérébral présente volontiers une atrophie corticale, parfois avec dilatation ventriculaire, et si la leucoaraïose constante n’interfère pas dans une décision thérapeutique éventuelle, il n’en est pas de même en cas de lacunes isolées et surtout multiples suset sous-tentorielles.

Parallèlement, le bilan neurologique comportera une étude des fonctions supérieures, une évaluation psychomotrice.

Les atteintes dégénératives valvulaires (rétrécissement aortique calcifié), ou coronaires sont banales ; leur degré et leur importance pèsent lourdement dans la décision thérapeutique.

Ainsi, si une sténose asymptomatique égale ou supérieure à 75 % représente une indication chirurgicale lésionnelle éventuelle, celle-ci ne pourra être décidée que sur un bilan exhaustif visant à apprécier un risque neurologique et vital qui doit être inférieur à 3 %.

La première étape du bilan est donc cardiaque : recherche par l’interrogatoire, l’examen clinique et l’électrocardiogramme (ECG) d’une valvulopathie, d’une cardiopathie ischémique patente, stable ou évolutive, complétée par une échographie et une scintigraphie myocardique.

Un audit neurologique, une angio-IRM (imagerie par résonance magnétique) cérébrale (ou une TDM [tomodensitométrie] cérébrale) seront complétés par une scintigraphie isotopique cérébrale avec et sans Diamoxt pour juger des zones d’hypoperfusion et des réserves cérébrales.

Ce n’est qu’au terme de ce bilan, et si le risque opératoire est jugé inférieur à 3 %, que sera poursuivi le bilan par une artériographie des troncs supra-aortiques ; de plus en plus, et a fortiori en cas d’insuffisance rénale, on peut se limiter à une angio-IRM cervicale ou un scanner tridimensionnel carotidien cervical ; ceux-ci autorisent, si leur résultat coïncide avec ceux du doppler et de l’échographie, à se dispenser d’une opacification vasculaire dont le risque lié au cathétérisme est certes mineur, mais à cet âge, majoré par les sinuosités de la crosse aortique et l’existence fréquente, de lésions athéromateuses, notamment de la crosse aortique.

En revanche, l’âge change peu la stratégie chirurgicale :

– l’état polypédiculaire cependant rend compte de l’intolérance plus fréquente du clampage carotidien, nécessitant l’insertion d’un shunt ;

– les artères, de diamètre souvent large, se prêtent volontiers à une endartériectomie par éversion, lorsque les lésions sont limitées au bulbe ;

– à l’opposé, des lésions calcifiées et étendues plaident pour une revascularisation par pontage, plus fréquemment prothétique (PTFE [polytétrafluoroéthylène]) que veineux, en raison de l’épaississement pariétal de la carotide primitive et de la détériorisation des veines saphènes, siège d’endophlébite ou de dilatations variqueuses contre-indiquant donc leur utilisation.

La dilatation angioplastique avec endoprothèse des troncs supra-aortiques représente un progrès majeur chez des patients ayant en particulier une atteinte ostiale des trois axes cervicoencéphaliques excluant la possibilité d’un pontage extra-anatomique ; l’approche endovasculaire évite une sternotomie médiane avec le danger de clampage de la crosse aortique souvent calcifiée qui risquait d’être rédhibitoire, les contre-indications à un tel abord, de plus, étant fréquentes tant pour des raisons cardiaques que respiratoires.

Ischémie critique :

Chez l’octogénaire, l’artériopathie des membres ne pose problème qu’au stade d’ischémie critique, encore qu’une claudication intermittente, invalidante, puisse rendre l’inconfort de vie tel, qu’il justifie une revascularisation, les possibilités thérapeutiques liées aux procédures endovasculaires élargissant les indications dans ce contexte.

Chez un sujet âgé, le bilan vasculaire est donc suscité par une claudication serrée invalidante, des douleurs de décubitus, un ulcère ischémique, une gangrène.

Le profil lésionnel est caractérisé par la fréquence des lésions étagées, l’atteinte occlusive prédominant au-dessous du genou ; mais il est rare qu’un axe artériel de jambe ne soit pas respecté, ce qui rend compte de la rareté d’une impossibilité de revascularisation en sauvetage de membre.

Le bilan ne présente pas de particularité : il sera locorégional et systémique, l’atteinte des autres territoires pouvant devenir prioritaire ou interférer dans la décision et la stratégie thérapeutique : une sténose significative des artères cervicoencéphaliques est retrouvée dans 20 % des cas, une atteinte cardiaque dans 50 % des cas, dont 25 % avec antécédent d’infarctus du myocarde en cas d’artériopathie symptomatique.

La stratégie thérapeutique est adaptée au terrain.

Dans les atteintes proximales, les pontages extra-anatomiques axillofémoral ou fémorofémoral étaient la proposition retenue pour réduire l’agression chirurgicale par rapport à l’intervention « anatomique » que représente une prothèse aorto-uni- ou bifémorale.

De plus en plus, les dilatations angioplastiques iliaques ou ilioaortiques deviennent un choix préférentiel, les contreindications lésionnelles reculant avec les progrès du matériel ; en particulier, l’utilisation d’endoprothèse supprime le risque de complication (dissection, thrombose aiguë), ou de résultat incomplet fréquent sur ces artères très calcifiées.

Une revascularisation de la fémorale profonde par un pontage entre la terminaison de l’iliaque externe et la fémorale profonde est le plus souvent possible pour traiter une occlusion de la fémorale commune : une endartérite calcaire d’amont, une endartérite calcaire proximale de la fémorale profonde n’empêchent pas la réalisation du pontage.

Pour une atteinte fémoropoplitée, un pontage iliopoplité reste l’indication thérapeutique conventionnelle pour traiter les occlusions longues de la fémorale superficielle ou de la poplitée haute associées à une sténose de la fémorale commune, association habituelle, mais là également, les thérapeutiques endovasculaires sont électivement choisies pour traiter une sténose isolée ou des sténoses étagées, voire même une occlusion courte fémoropoplitée.

Les revascularisations distales autorisent un sauvetage de membre à 2 ans dans plus de 80 % des ischémies critiques, la place de l’endovasculaire étant réduite par rapport aux revascularisations par pontage prothétique se terminant sur une chambre veineuse de compliance : cuff de Miller ou patch de Taylor.

La pérennisation des pontages veineux fait toujours retenir la saphène comme matériau de pontage électif, mais les veines du sujet âgé sont souvent inutilisables (endophlébite, ectasie) ; la prothèse réduit l’agression chirurgicale et diminue le risque de cytostéatonécrose liée au prélèvement saphénien, en particulier chez le diabétique.

La perméabilité secondaire des prothèses est certes aléatoire audelà de la 4e année (66 %), mais le membre peut être conservé dans 80 % des cas, en cas de thrombose tardive.

Anévrisme de l’aorte :

Une mortalité, après mise à plat-prothèse d’un anévrisme de l’aorte sous-rénale, de 10 à 12 % chez les sujets de plus de 80 ans (contre 2 % avant cet âge en chirurgie élective), rendait réticent pour une intervention préventive, et l’indication opératoire était réservée aux anévrismes volumineux, évolutifs, ou compliqués.

L’avènement de l’endovasculaire modifie cette attitude : une endoprothèse aortique représente une agression mineure quels que soient l’âge et le terrain, exposant à un risque opératoire inférieur à 3 – 5%, à condition d’en respecter scrupuleusement les limites et les écueils.

Ces limites sont représentées par les possibilités de l’implantation : il est nécessaire qu’il y ait un collet supérieur, juxtarénal, suffisament long et étroit pour permettre l’ancrage de l’endoprothèse ; chez le sujet âgé, il existe volontiers une aortopathie ectasiante remontant aux rénales, ou un collet très large, calcifié, contre-indiquant cette procédure.

L’introduction de la prothèse nécessite un axe iliaque sans plicature, non calcifié, ayant un diamètre de plus de 7 mm, conditions inconstamment retrouvées, chez les femmes en particulier ; à l’opposé, les iliaques primitives peuvent être le siège d’une ectasie ou d’une mégaartère descendant jusqu’au carrefour iliaque externe hypogastrique, et de telles conditions lésionnelles contre-indiquent également la procédure prévue.

C’est souligner l’importance d’un bilan, parfaitement réalisé par un scanner hélicoïdal tridimensionnel, avec coupes tous les 3 mm au niveau du carrefour viscéral, du carrefour aortique, et une artériographie réalisée avec un cathéter gradué permettant les mensurations précises des diamètres des collets et des iliaques.

En revanche, les écueils évolutifs d’une endoprothèse interfèrent peu dans la décision opératoire : le risque de fuite est minime, laquelle peut être contrôlée ultérieurement par un geste complémentaire ; les risques d’évolutivité anévrismale du collet, et de désinsertion ou de migration de l’endoprothèse, jouent d’autant moins que le patient est plus âgé.

Le manque de recul de cette procédure rend cependant compte des réserves encore soulevées, dans l’attente des résultats des études multicentriques entreprises.

Lorsque le bilan lésionnel n’autorise pas l’implantation d’une endoprothèse, l’indication opératoire repose sur la comparaison entre le risque évolutif et le risque opératoire, en tenant compte de l’espérance de vie.

Dans cette discussion, des arguments statistiques sont fondamentaux : un anévrisme de 50 mm de diamètre ne comporte un risque annuel de rupture que de 5 %, mais il est de 20 % si l’anévrisme mesure plus de 70 mm ; ce risque est cependant cumulatif d’année en année et est inéluctable en cas d’anévrisme évolutif.

Une indication de mise à plat-prothèse chez un sujet de plus de 80 ans n’est donc retenue qu’en tenant compte de ces différents paramètres, qui influencent d’autant plus la décision qu’existe un contexte cardiaque ou polyartériel, augmentant le risque opératoire.

En dehors du risque de complication cardiorespiratoire, les complications digestives sont plus particulièrement à redouter chez le sujet âgé opéré d’un anévrisme de l’aorte abdominale sousrénale : les tissus sont plus sensibles à l’ischémie d’un bas débit, la paroi colique est fragilisée par le vieillissement qui diminue la trame musculaire et élastique.

Les risques d’ischémie colique et de translocation bactérienne sont donc augmentés chez le sujet âgé, justifiant, au décours de la mise à plat-prothèse, la recherche systématique de cette complication. Pour diminuer le risque opératoire, différentes propositions sont à retenir :

– la mise à plat-prothèse peut être remplacée par une exclusion polaire supérieure de l’anévrisme, associée à un rétablissement de la continuité par prothèse aortobifémorale.

Une embolisation iliohypogastrique peut secondairement être effectuée quand l’anévrisme iliaque, revascularisé à contre-courant, reste circulant ;

– une sténose très serrée d’une artère rénale, notament de l’artère rénale droite, d’abord chirurgical plus délicat, ou une sténose de la mésentérique supérieure à retentissement hémodynamique, peuvent être traitées préalablement, ou simultanément par dilatation angioplastique.

Lésions occlusives du carrefour viscéral :

A – ARTÈRES RÉNALES :

Une meilleure connaissance de l’histoire naturelle des sténoses de l’artère rénale permet de prévoir le risque néphronique : audelà de 75 ans, 42 % des patients autopsiés ont une sténose de plus de 50 %.

Par ailleurs une occlusion évolutive de l’artère rénale pour une sténose à 80 % est à redouter dans 5 % des cas à 1 an, dans 11 % à 2 ans, et une sténose serrée à 80 % des deux artères rénales risque d’aboutir dans les 2 ans à l’insuffisance rénale et à la dialyse.

Or, celle-ci a un pronostic catastrophique chez les gens âgés, la faisant récuser au-delà de 80 ans.

Le pontage iliorénal dans cette indication très précise de sauvetage néphronique était l’indication conventionnelle retenue ; actuellement, la dilatation angioplastique avec endoprothèse tend à devenir un choix préférentiel, sa gravité étant moindre, et ses contres indications lésionnelles rares, appréciées par un bilan comportant échographie, scanner hélicoïdal tridimensionnel et artériographie.

B – ARTÈRES DIGESTIVES :

L’opacification systématique du carrefour viscéral, lors du bilan d’une artériopathie des membres inférieurs ou des troncs supraaortiques, a montré qu’une atteinte tritronculaire sévère des artères digestives (sténose supérieure à 80 % ou occlusion) était retrouvée chez 7,8 % des patients.

Il a été prouvé, que chez ces patients asymptomatiques, le risque évolutif d’un infarctus du grêle inaugural rédhibitoire était majeur, justifiant une revascularisation préventive lorsque le terrain et l’espérance de vie autorisaient une telle agression sans risque, la revascularisation préventive ayant une mortalité périopératoire de 1 %.

Dans le même contexte lésionnel, le risque d’une ischémie du grêle et surtout d’une ischémie colique a été particulièrement étudié au décours d’une intervention chirurgicale sur l’aorte sous-rénale avec une mortalité de 50 à 100 %, ce même risque est à redouter au décours d’une intervention chirurgicale lourde exposant aux variations hémodynamiques (il en est de même chez les dialysés), ce contexte constitue également une indication licite à une revascularisation préventive. Aucune étude n’a été faite pour étendre ces indications au-delà de 80 ans.

En revanche, chez un patient symptomatique (angor digestif, amaigrissement) l’indication ne souffre pas de discussion, les modalités de revascularisation étant soit un pontage iliomésentérique, soit une dilatation angioplastique avec endoprothèse, la dilatation angioplastique isolée donnant une proportion de récidive précoce majeure en particulier lorsque existe une courbure juxtaostiale à angle droit de la mésentérique supérieure.

Là également le manque de recul pour la dilatation avec endoprothèse ne permet pas de poser des indications préventives par cette procédure sur des données statistiques.

Conclusion :

La pathologie vasculaire du sujet âgé pose des problèmes d’indication et de stratégie thérapeutique de plus en plus fréquents.

En sauvetage de membre, pour les atteintes proximales et périphériques, respectivement les pontages extra-anatomiques et les revascularisations distales sont réalisés depuis plus de 30 ans, et leurs résultats peuvent être appréciés avec suffisamment de recul ; les progrès techniques ont encore perfectionné les techniques pour améliorer leur perméabilité à distance.

Mais actuellement, les revascularisations conventionnelles entrent en compétition avec l’alternative endovasculaire : les résultats à distance de celle-ci sont maintenant suffisamment précis pour être proposés à l’échelon proximal, mais il manque le recul à l’échelon distal, d’autant que de nouvelles endoprothèses là également doivent améliorer les résultats.

Pour la chirurgie carotidienne ou pour la chirurgie des anévrismes de l’aorte abdominale sous-rénale, les données statistiques avec recul sont suffisantes pour faire des propositions thérapeutiques et des choix de technique chirurgicale.

En revanche, pour le carrefour viscéral, les seuls éléments nouveaux apportés sont une meilleure connaissance de l’histoire naturelle de ces lésions par le doppler et l’échographie, mais un recul sera nécessaire pour confirmer les indications éventuelles en précisant surtout le contexte qui justifie un geste thérapeutique et permet de choisir le mode de revascularisation.

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