Particularités de l’ophtalmologie chez les carnivores domestiques
Cours d'Ophtalmologie
Introduction
:
La passion des propriétaires d’animaux pour des races déterminées
de plus en plus sélectionnées, la meilleure connaissance des
mécanismes pathologiques, la progression des techniques
immunologiques, les études génétiques ont permis le
développement de la médecine des petits animaux et l’existence de
vétérinaires spécialisés dans une espèce, dans un système, dans un
organe...
Parmi les spécialités les plus populaires figure l’ophtalmologie.
L’objet de cet article est de faire connaître au médecin de l’oeil de
l’homme certaines affections de l’oeil du chien et du chat, qui sont
les deux espèces les mieux étudiées pour leurs particularités
pathologiques.
La plupart des affections rencontrées chez l’homme ont été décrites
chez l’animal, aussi ne reprenons-nous ici que celles qui sont
spécifiques des carnivores et nous les décrivons successivement en
suivant un plan anatomique pour l’oeil et ses annexes.
Orbite
:
Selon la forme du crâne et la longueur de la face, différentes
situations et profondeurs orbitaires sont rencontrées.
Chez les petits chiens brachycéphales et les races naines, le globe
oculaire est particulièrement mal protégé, car l’orbite est frontale,
antérieure et peu profonde.
De plus, elle contient un globe
particulièrement volumineux, ce qui est un facteur prédisposant à la
luxation du globe oculaire.
Celle-ci se produit parfois
spontanément ou à la suite d’un traumatisme, en particulier les
accidents de la voie publique et les bagarres entre chiens.
Les carnivores présentent la particularité de posséder, à la face
interne de l’arcade zygomatique, une glande salivaire : la glande
zygomatique.
Celle-ci est susceptible de constituer des sialocèles à
la suite de l’obstruction du canalicule excréteur ou de subir des
modifications néoplasiques (adénomes ou adénocarcinomes)
entraînant une exophtalmie.
Paupières
:
Les carnivores possèdent deux paupières, supérieure et inférieure,
présentant quelques particularités : elles sont couvertes de poils et seule la paupière supérieure possède des cils ; ceux-ci sont implantés
à quelques millimètres du bord libre sur deux à quatre rangées en
commençant latéralement à partir du canthus médial sur les deux
tiers ou les trois quarts de la longueur.
Les paupières possèdent des glandes dont la sécrétion intervient
dans la constitution du film lacrymal et celui-ci peut présenter un
certain nombre d’anomalies qualitatives liées à un déficit de
sécrétion de certaines d’entre elles.
Chez le chat, elles recouvrent totalement le globe oculaire et
dépassent un peu sur la cornée, alors que chez le chien une partie
plus ou moins grande de la sclère peut être observée.
Dans certaines
races brachycéphales, on peut assister à une inadéquation entre la
taille de l’oeil et celle de la fente palpébrale (lagophtalmie) entraînant
des troubles de l’étalement du film lacrymal.
La sélection de certains animaux repose sur des caractères
morphologiques qui entraînent des modifications de la face, donc
de la statique palpébrale.
Les affections congénitales incluant entropion, ectropion et
malposition des cils sont fréquentes et assez spécifiques de races
déterminées.
A - ENTROPION
:
C’est un enroulement vers l’intérieur du bord des paupières.
Il peut
intéresser la paupière inférieure le plus souvent, la paupière
supérieure plus rarement, ou les deux paupières.
L’affection est le plus souvent bilatérale et est consécutive à une
anomalie de tonus de la lamelle antérieure entraînant un spasme du
muscle orbiculaire, une affection de la lamelle postérieure avec un
tarse trop mou ou trop long, une pathologie de la sangle horizontale
par suite du relâchement du raphé latéral, une inadéquation des
tailles respectives du globe oculaire et de la fente palpébrale laissant
des paupières sans appui sur la cornée et pouvant s’enrouler dans
l’espace ainsi laissé libre.
De nombreuses races sont prédisposées à l’entropion congénital ;
dans la plupart des cas, l’anomalie se transmet sur le mode
dominant à pénétrance forte, parfois elle n’est repérable qu’à partir
de quelques mois.
Certains de ces entropions sont particulièrement caractéristiques :
– entropion inféromédial du caniche entraînant une occlusion du
point lacrymal inférieur ;
– entropion du tiers médial de la paupière inférieure chez le caniche,
le pékinois et le boxer ;
– entropion des deux tiers de la paupière inférieure, ou de la
paupière inférieure et du canthus externe chez les retrievers, les
braques, les griffons d’arrêt et courants ;
– entropion complexe de la paupière supérieure avec ectropion de
la paupière inférieure constituant l’oeil de « diamant » chez les chiens
de races géantes ;
– entropion associé à une anomalie de la fente palpébrale chez le
chow-chow et le shar-pei.
Ces différentes anomalies congénitales se transmettent le plus
souvent sous le mode autosomique dominant.
La cure chirurgicale de l’entropion se fait selon différentes
techniques, adaptées à la localisation et à la gravité des lésions.
Dans
certains cas d’entropions congénitaux, le traitement chirurgical doit
être envisagé dès le plus jeune âge (15 jours) afin d’éviter des lésions
irréversibles de la cornée.
Comme chez l’homme, on peut aussi rencontrer des entropions
acquis à la suite de différentes affections (traumatismes, corps
étrangers, ulcères cornéens, cicatrices), mais on peut définir comme
une particularité celui que l’on rencontre chez le chat atteint de
kératite herpétique.
B - ECTROPION :
C’est une éversion du bord libre de la paupière inférieure, affectant
avec prédilection les chiens de races géantes chez lesquelles il donne
à l’animal un air triste qui séduit souvent leurs propriétaires.
Il va
sans dire que les complications liées à l’exposition de la conjonctive
ne sont pas rares et que l’on rencontre assez systématiquement des
conjonctivites folliculaires spectaculaires chez les animaux atteints.
Le traitement chirurgical ne s’impose que si les lésions de kératite
ou de conjonctivite secondaires à l’exposition anormale du globe
sont trop importantes ou si l’ectropion est à l’origine d’un épiphora
par trop disgracieux, voire gênant sur le plan fonctionnel.
Appareil lacrymal
:
A - APPAREIL SÉCRÉTEUR
:
L’appareil sécréteur des carnivores se distingue de celui de l’homme
par la présence d’une glande lacrymale annexe, nictitante,
improprement appelée parfois « glande de Harder », qui entoure la
base du cartilage de support de la membrane nictitante.
Celle-ci est
un repli semi-lunaire de la conjonctive, présente à l’angle interne de
la fente palpébrale.
Cette glande, qualifiée d’accessoire, intervient
néanmoins pour 20 à 40 % de la sécrétion lacrymale totale.
La membrane nictitante est particulièrement développée dans
d’autres espèces animales (reptiles et oiseaux) où elle est la véritable
troisième paupière et doit son nom à sa capacité d’oblitération de la
cornée.
Un certain nombre d’affections peuvent intéresser la membrane et
la glande nictitante.
1- Affections du jeune âge
:
Les affections du jeune âge, liées à des disharmonies de croissance
entre le globe oculaire et ses annexes, entraînent un déplacement de
la glande nictitante qui apparaît tuméfiée à l’angle interne de l’oeil
(cherry eye).
On rencontre cette affection principalement dans la première année
de la vie chez le Boston terrier, le bouledogue français, le cocker
américain, l’épagneul tibétain, le shih-tzu.
Elle est exceptionnelle
chez le chat.
Chez les races géantes (grands chiens courants et chiens
de montagne), on rencontre souvent simultanément la luxation de
la glande et une plicature généralement vers l’extérieur (éversion)
de la base du cartilage de la membrane nictitante.
2- Affections acquises
:
La membrane nictitante contient un certain nombre de lymphonodules (plus nombreux à la face interne qu’à la face
externe) favorisant l’apparition de conjonctivites folliculaires
d’aspect granuleux constituant parfois de véritables « grappes de
raisin ».
Chez le chat, la présence de ces follicules est souvent révélatrice
d’une atteinte chronique de chlamydiose.
La glande nictitante ou la
conjonctive peuvent être le siège de tumeurs (essentiellement des
adénocarcinomes chez le chien et des épithéliomas spinocellulaires
chez le chat).
L’appareil lacrymal sécréteur fait souvent l’objet de déficit qualitatif
ou quantitatif :
– déficit en mucine chez les brachycéphales ;
– déficit lipidique lors d’affections chroniques des glandes tarsales
de Meibomius ;
– kératoconjonctivite sèche d’origine congénitale souvent unilatérale
chez le Yorkshire-terrier, le teckel à poil long, le schnauzer nain, ou d’origine dysimmunitaire.
Dans ce cas, l’affection peut être
simplement localisée à la glande sécrétant la fraction aqueuse du
lacrymal, chez le chat à la suite d’infection par l’herpès virus félin
de type I et chez le chien par le virus de la maladie de Carré
(dacryoadénite), ou peut atteindre d’autres glandes comme
dans l’espèce humaine (syndrome de Gougerot-Sjögren).
On rencontre cette affection avec une prédisposition raciale nette
chez le chien adulte : bouledogue anglais, cockers américain et
anglais, chiens nordiques, schnauzer, terrier (avec, par ordre
décroissant de fréquence, West Highland white terrier, Scottishterrier,
cairn-terrier, fox-terrier, Jack Russel terrier).
Un traitement spécifique topique est commercialisé depuis quelques
années sous la forme d’une pommade à 0,2 % de ciclosporine A qui
s’utilise en deux applications quotidiennes.
Le mécanisme d’action est double :
– immunomodulation par effet inhibiteur des lymphocytes T
cytotoxiques ;
– dacryomimétique par fixation de la ciclosporine A sur les sites à
prolactine présents à la surface cellulaire des acini.
L’utilisation topique de cette substance permet d’éviter les effets
secondaires observés lors de l’administration par voie générale.
En cas d’échec de cette thérapeutique tout à fait originale, il reste
aux vétérinaires la possibilité de transposer le canal excréteur de la
glande parotide (canal de Sténon) lorsque la fibrose des acini est
irréversible.
B - APPAREIL EXCRÉTEUR :
Il se compose de deux points lacrymaux, prolongés par deux
canalicules inférieur et supérieur qui s’abouchent directement sur le
conduit lacrymal nasal sans que l’on puisse identifier un véritable
sac lacrymal.
Chez les brachycéphales, chez les chats, l’abouchement se fait
souvent en arrière du voile du palais, ce qui explique les effets
secondaires rapides et intenses observés à la suite d’instillation de
collyre à l’atropine à 1 %.
Une seule véritable entité pathologique est à relater : la pénétration
dans les voies lacrymales d’épillets de graminée à l’origine
d’obstruction ou d’abcès.
Cornée
:
A - PARTICULARITÉS ANATOMIQUES :
La cornée est constituée de trois couches, l’épithélium, le stroma et
l’endothéliodescemet
L’épithélium cornéen présente chez le chien
une particulière abondance en cellules claires, riches en
microvillosités.
Contrairement à l’homme et aux primates, la membrane de Bowman
n’est pas individualisée chez les carnivores.
Il existe néanmoins une
zone sous-épithéliale acellulaire contenant des fibrilles de collagène
dont l’arrangement est très irrégulier.
Contrairement à ce que l’on observe chez l’homme, les primates et
les canidés, la densité de cellules endothéliales du chat reste
remarquablement stable tout du long de sa vie.
B - AFFECTIONS CORNÉENNES À PRÉDISPOSITION
DE RACE OU D’ESPÈCE OU HÉRÉDITAIRES :
On rencontre de nombreuses affections de la cornée qui se
retrouvent préférentiellement chez le chien ou le chat, en particulier
dans certaines races. Pour quelques-unes d’entre elles, le mode de
transmission héréditaire a été identifié.
Anomalies congénitales :
* Dermoïde cornéen
:
Non spécifique de la cornée des carnivores, on le retrouve
néanmoins préférentiellement dans certaines races (berger allemand,
schnauzer, saint-bernard, teckel à poil dur, cocker anglais et King-Charles spaniel).
Il peut être simplement localisé à la cornée (rare), intéresser
simultanément la cornée et la conjonctive (dans la majorité des cas)
ou (exceptionnellement) la cornée, la conjonctive et les paupières.
* Anomalies de taille
:
La microcornée est le plus souvent associée à la microphtalmie et à
d’autres anomalies du globe oculaire (cataracte, persistance de la
membrane pupillaire).
La mégalocornée est associée à la buphtalmie congénitale chez
l’épagneul breton, le welsh terrier, le korthal.
C - DYSTROPHIES ET DÉGÉNÉRESCENCES
CORNÉENNES :
1- Définitions :
En clinique courante, les deux termes sont souvent confondus, ce
qui est une erreur.
Le terme « dystrophie » s’applique à un trouble métabolique se
traduisant par une affection primitive, bilatérale, en principe non
associée à une maladie systémique et évoluant souvent peu sur une
cornée calme, avasculaire.
La lésion est souvent centrale ou paracentrale, et son incidence sur la vision est fonction de son
extension, chez des animaux adultes ou jeunes adultes.
Une dégénérescence correspond de préférence à une modification
structurale pathologique (perte des qualités intrinsèques :
anatomiques, physiologiques...), parfois à prédisposition raciale chez
le chien, uni- ou bilatérale, secondaire à une affection locale ou
générale préexistante.
La lésion est fréquemment précédée et/ou
accompagnée d’une atteinte inflammatoire (néovascularisation,
mélanose, infiltration cellulaire ou métabolique).
Selon le stade d’évolution, on peut ne pas différencier dystrophie et
dégénérescence, pour peu qu’une complication inflammatoire
survienne sur une dystrophie.
2- Étude clinique. Classification
:
Les dystrophies et les dégénérescences peuvent être étudiées et
classées en fonction de leur localisation cornéenne (endothéliale, stromale, épithéliale), de leur étiologie (origine héréditaire avérée,
prédisposition raciale) ou de l’espèce affectée. Nous retiendrons ces
trois critères en privilégiant le premier.
Chez le chien, le chat et le cheval, elles peuvent être la conséquence
d’une persistance de la membrane pupillaire, avec attache
endothéliale des fibres iriennes, qui se manifeste même après la
rupture par une opacité cornéenne postérieure en regard de
l’endothélium dystrophique.
Chez le chien, cette affection a été bien décrite dans les races basenji
(autosomique dominante à pénétrance incomplète), colley, mastiff et
terriers.
L’opacité cornéenne est très variable en étendue et en
intensité : dans les cas les moins graves, elle peut s’atténuer ou
disparaître après rupture de l’attache endothéliale, l’endothélium
retrouvant ainsi une fonction normale ; elle peut au contraire
persister et gêner la vision en cornée centrale lorsque l’opacité est
dense.
Chez le chat, les dystrophies endothéliales ont été décrites dans les
races européenne, persane et siamoise.
Les lésions primitives de
l’endothélium cornéen se traduisent, chez des animaux jeunes
adultes, par une opacification cornéenne centrale profonde, peu
dense au départ, qui se densifie et envahit rapidement toute la
cornée.
L’altération endothéliale est très rapide : cela se traduit par
une évolution « accélérée » par rapport au chien, avec deux formes
lésionnelles « ultimes » :
– la première, que l’on pourrait qualifier de « kératocône secondaire
», avec déformation conique de la cornée ;
– la seconde, que l’on pourrait qualifier de kératoglobe, avec
déformation globoïde de la cornée et formation rapide de bulles
stromales responsables de néovascularisation secondaire (disjonction
des faisceaux de fibres collagéniques dans le stroma oedématié,
rupture épithéliale des bulles stromales).
La perte des qualités métaboliques des cellules endothéliales est
responsable de ces kératopathies oedémateuses et bulleuses, avec
ulcérations épithéliales secondaires.
Cette affection est rare chez le
chat, dont on sait que la densité épithéliale reste quasiment stable
après le neuvième mois d’âge.
+ Dystrophies stromales
:
Chez le chat
Le chat de l’île de Man peut présenter une affection oedémateuse du
stroma dès l’âge de 4 mois : elle s’installe en cornée centrale, dans le
stroma antérieur.
Un oedème épithélial s’ensuit et des bulles
oedémateuses stromales ulcèrent l’épithélium.
Le stroma profond est
progressivement envahi.
L’endothélium reste normal mais la
membrane de Descemet présente des lésions infrastructurales.
L’anomalie serait transmise sur le mode autosomique récessif.
Chez le chien
Dystrophie stromale : les races afghan, beagle, berger shetland,
cavalier king-Charles, colley, eurasier (observations personnelles),
husky sibérien (déterminisme héréditaire avéré), samoyède,
schnauzer géant, whippet et yorkshire-terrier développent des
opacités stromales peu ou pas évolutives, centrales, bilatérales, se
présentant comme des taches ovales grisâtres, soit homogènes à
grand axe horizontal, soit à centre clair et bords plus denses.
Elles
apparaissent entre 6 mois et 4 ans (en moyenne entre 2 et 3 ans).
Chez l’airedale terrier, les mâles sont surtout atteints entre 4 et
10 mois ; l’opacité stromale antérieure est évolutive, jusqu’à
l’installation d’un déficit visuel (important chez le jeune adulte).
Dystrophie stromale « sous-épithéliale » : elle est décrite comme telle
chez le bearded collie, le bichon, le caniche nain, le colley, le lhassaapso
; il s’agit d’une localisation particulièrement antérieure
d’opacités stromales.
Nous l’avons personnellement rencontrée chez
le berger shetland (à l’âge de 2 mois).
Dystrophie » juxtadescemétique » ou descemétique : elle est décrite chez
le cocker américain où elle se présente sous la forme d’opacités
focales descemétiques ou prédescemétiques, telles que nous les
avons observées.
La transmission serait dominante ou dominante à
pénétrance incomplète.
Toutes ces opacités stromales, rarement assez importantes pour
gêner la vision (sauf chez l’airedale terrier), sont formées de lipides,
phospholipides et de cholestérol qui se déposent préférentiellement
dans le stroma axial antérieur ou moyen, sans qu’une hyperlipémie
en soit la cause.
+ Dystrophies épithéliales
:
Chez le chien
Elle a été décrite essentiellement chez le boxer, mais également dans
d’autres races (caniche, corgi, épagneul breton, chiens nordiques,
whippet).
Elle se manifeste par des ulcères récidivants, à bords
épithéliaux décollés, uni- ou bilatéraux, centraux ou paracentraux.
Avant l’apparition des ulcères, il est possible d’observer au biomicroscope des zones grisâtres légèrement opaques, ovales ou
linéaires, correspondant à des zones épithéliales fragilisées.
Elles
sont caractérisées par :
– une dégénérescence vacuolaire des cellules basales ;
– un décollement localisé de l’épithélium par rapport à la basale
(zones pauvres en hémidesmosomes à l’examen ultrastructural)
s’étendant souvent loin des berges de l’ulcère, expliquant la
diffusion de la fluorescéine au-delà des limites apparentes de
l’ulcère ;
– des lésions spécifiques de la basale (irrégularité, dédoublement,
formation de kystes intraépithéliaux, épaississement).
Chez le chat
Nous avons rencontré chez trois chats (deux persans, un européen)
ce type d’ulcère superficiel à bords décollés dont l’apparition est
précédée par l’observation en biomicroscopie de zones épithéliales
grisâtres légèrement soulevées, prenant le rose Bengale.
Lorsque
l’ulcération apparaît, l’aspect est tout à fait comparable à celui de
l’ulcère du boxer.
+ Mucopolysaccharidoses
:
Elles sont rares et liées, tant chez le chat que chez le chien, au déficit
héréditaire (en principe autosomique récessif) en une des enzymes
nécessaires à la dégradation des glycosaminoglycanes.
Il en résulte
une surcharge cellulaire (kératocytes, épithélium parfois) et
extracellulaire stromale par accumulation de fragments non
dégradés de glycosaminoglycanes.
Les mucopolysaccharidoses de
types I et IV ont été décrites chez le chien, les types II et VII chez le
chat.
L’opacité cornéenne est dense et diffuse, associée à d’autres
anomalies oculaires (rétiniennes) ou portant sur d’autres structures
(système nerveux, appareil locomoteur).
+ Séquestre cornéen félin
:
Il se présente sous la forme d’une plaque centrale pigmentée,
desséchée, ronde ou ovale, plus ou moins étendue en surface et en
profondeur, surélevée à sa périphérie par rapport à la cornée
périphérique lorsque le séquestre se détache.
L’épithélium est
constamment atteint et le stroma affecté en profondeur extrêmement
variable.
La zone nécrosée est souvent entourée d’un cercle jaune
orangé, et une néovascularisation cornéenne périphérique
superficielle est fréquemment observée.
En microscopie électronique,
les lésions des cellules basales épithéliales et des kératocytes ont
l’aspect de vésicules lysosomales à limites nettes, à contenu
floconneux dense aux électrons avec enroulements myéliniques.
Tous les chats peuvent être atteints (mâles ou femelles, jeunes ou
adultes), avec une prédisposition raciale chez le siamois et surtout
le persan.
La probabilité de transmission autosomique récessive d’un dysmétabolisme cellulaire a été évoquée ; les affections des voies
respiratoires supérieures, l’entropion, le distichiasis semblent
constituer des facteurs très favorisants.
Cette affection n’est donc
actuellement classable ni comme dystrophie, ni comme
dégénérescence, puisque les deux anomalies semblent coexister.
Dans la mesure où il s’agit d’affections de l’âge mûr, il vaut mieux
parler de dégénérescence d’une structure auparavant normale
(anatomiquement et physiologiquement) que de dystrophie : ce dernier terme reste, toutefois, souvent consacré par
l’usage dans les cas où la dégénérescence n’est ni traumatique, ni
iatrogène, ni secondaire à une autre anomalie oculaire.
Chez le chien âgé, cette dégénérescence endothéliale sans cause
identifiable, se manifeste préférentiellement dans certaines races
après 5 ans (Boston terrier, boxer, caniche toy, chihuahua, teckel) par
un oedème cornéen diffus, généralisé, très important.
Histologiquement, la membrane de Descemet est épaisse,
pluristratifiée, et l’endothélium très raréfié ou absent, parfois
remplacé par un matériel collagénique, fibrocellulaire.
La
microscopie spéculaire permet d’observer, aux stades précoces, des
cellules endothéliales hypertrophiées, vacuolisées, pléiomorphes, en
nombre diminué par rapport à la densité cellulaire normale (2 700 à
2 800/mm2).
L’oedème stromal par lésion endothéliale est tellement important
que, peu à peu, de véritables bulles se forment (kératopathie
bulleuse) pour éclater en surface et rompre l’épithélium d’une
cornée épaisse et déformée.
Le déficit visuel est majeur.
Lors de glaucome chronique, en particulier d’origine héréditaire
(bouvier des Flandres, dogue allemand, husky sibérien, welsh
springer), des stries de la membrane de Descemet, isolées ou
dendritiques, se manifestent à l’examen biomicroscopique comme
deux lignes blanches parallèles, entourées d’un oedème cornéen, lors
d’accès aigu de glaucome.
Lorsque la pression intraoculaire se
normalise, l’oedème disparaît, mais les stries demeurent.
Lorsque les
accès de glaucome aigu sont prolongés dans le temps, une nécrose
cornéenne peut, à terme, apparaître.
+ Dégénérescences stromales
:
Dégénérescences lipidiques stromales
Elles peuvent se produire plus ou moins profondément dans le
stroma, mais sont surtout sous-épithéliales ; elles surviennent avec
une quasi-exclusivité dans l’espèce canine, évoluant surtout chez des
animaux souvent adultes ou âgés.
L’origine peut être strictement locale (cicatrisation d’ulcères
épithéliaux dystrophiques du boxer, kératite superficielle chronique
du berger allemand, kératite pointillée du teckel à poil long) ou
générale : des dépôts de cholestérol intralamellaires stromaux sont
identifiables d’abord en région stromale antérieure (sous la basale),
sous la forme de spicules blanches réfringentes à l’examen
biomicroscopique.
En microscopie électronique, ils ont l’aspect de
cristaux à arêtes vives.
Lors d’hyperlipémie associée, des dépôts
lipidiques intracellulaires peuvent être identifiés dans les kératocytes.
Conséquence du dysmétabolisme des lipides, les
opacités sont formées de lipides, phospholipides, cholestérol, qui
progressent de la région du limbe vers le centre de la cornée ; elles
sont épaisses, de surface irrégulière et peuvent intéresser le stroma
profond.
Chez le chien (en particulier le berger allemand, le colley, le cocker spaniel
et le golden retriever), comme dans d’autres espèces, les dépôts
lipidiques cornéens sont parfois liés à une hypothyroïdie et une
hypercholestérolémie associées.
La présence conjointe de sels calciques est possible.
Les lésions dégénératives de l’épithélium, qui accompagnent les
lésions stromales superficielles, expliquent la fixation très précoce
du rose Bengale sur les zones atteintes.
Chez certains chiens
hypothyroïdiens, une infiltration lipidique stromale modérée,
diffuse, peut disparaître après normalisation de la lipidémie.
La néovascularisation superficielle est de règle sur les lésions
anciennes, avec infiltration cellulaire et pigmentaire mélanique.
Dégénérescence calcique
Elle est sous-épithéliale parfois associée à la précédente, mise en
évidence histologiquement par des colorations spécifiques (Von
Kossa).
Elle se caractérise par un dépôt gris blanchâtre superficiel,
en général excentré, de surface irrégulière. La néovascularisation
superficielle est souvent présente.
La cause la plus fréquente est une
kératite chronique (chez le berger allemand et le teckel à poil long) ;
plus rarement, la lésion peut résulter d’une hypercalcémie
(hyperparathyroïdie, hyperadrénocorticisme chez le caniche nain
notamment).
Dégénérescence « verticillée » du caniche
Chez le caniche nain âgé, la cornée peut devenir opalescente et
s’infiltrer, à partir du limbe, par du pigment mélanique en direction
centripète et radiaire.
L’épithélium, en microscopie photonique, est métaplasique en surface.
La couche basale présente des troubles de
la différenciation et repose sur une basale irrégulière et un stroma
superficiel fibroplasique (d’où l’aspect opalescent).
En microscopie
électronique, on voit qu’elle est infiltrée par des granules
pigmentaires de mélanine intracytoplasmiques et que le cytoplasme
des cellules basales est pauvre en mitochondries, riches en filaments
de kératine.
Les lésions épithéliales et la fibroplasie stromale
superficielle constitueraient la condition favorable à la phagocytose
de la mélanine limbique.
Dégénérescence épithéliale kystique
Elle est observable en biomicroscopie lors de cicatrisation laborieuse
d’ulcères à bords décollés (dystrophie épithéliale) sous forme de
vésicules intraépithéliales, dont la coalescence se traduit par un
oedème épithélial localisé, plus facile à mettre en évidence si la
cornée périphérique est transparente.
D - AFFECTIONS ACQUISES :
1- Affections dysimmunitaires :
Un grand nombre d’affections de la cornée sont consécutives à des
modifications des caractéristiques antigéniques des éléments
cellulaires cornéens.
On distingue, selon la profondeur de l’atteinte, des kératites
ulcéreuses ou non ulcéreuses.
* Kératites ulcéreuses
:
+ Kératite ponctuée du teckel à poil long
:
Elle se manifeste chez des chiens adultes, sans prédisposition de
sexe, sous la forme d’ulcérations circulaires périphériques dans un
premier temps, de petite taille, non néovascularisées, bilatérales.
En
l’absence de traitement, les ulcères peuvent devenir coalescents et
on peut même assister à la perforation du globe.
Traitée
précocement, cette affection répond parfaitement à une
corticothérapie topique.
On rencontre également cette affection dans d’autres races que le
teckel à poil long, à savoir le caniche nain et le berger Shetland.
Avant l’apparition des ulcères, on peut observer un déficit mucinique et, durant l’évolution de la maladie, une
kératoconjonctivite sèche. Dans ce cas, l’utilisation de pommade à la
ciclosporine A trouve tout son intérêt.
+ Kératites postherpétique du chat
:
Plus de 50 % des chats ayant présenté un épisode de coryza restent
porteurs du virus de l’herpès félin de type 1.
Celui-ci peut être à l’origine de lésions épithéliales classiquement
décrites comme en « carte de géographie » souvent unilatérales, néovascularisées.
Ces ulcérations apparaissent à la suite d’une réactivation du virus,
présent dans l’épithélium, voire dans les kératocytes, souvent sous
l’effet de stress.
La modification des caractéristiques antigéniques cellulaires liée à la
présence du virus entraîne une kératite chronique superficielle.
* Kératites non ulcéreuses
:
+ Kératite superficielle chronique (kératite du berger allemand)
:
Elle se manifeste de façon bilatérale sur des animaux adultes ou
jeunes adultes sans prédisposition de sexe par l’apparition de lésions
superficielles, inflammatoires, néovascularisées.
Ces lésions à point
de départ latéral progressent vers le centre et la partie inférieure de
la cornée.
Au plan histologique, le stroma superficiel est d’abord infiltré par
les cellules de l’inflammation (lymphocytes et plasmocytes) des
histiocytes et des macrophages, puis par des mélanocytes issus du
limbe sclérocornéen, qui pigmentent d’abord le stroma superficiel
puis les assises basales épithéliales, après rupture de la membrane
basale.
Cette pigmentation a valu, chez le berger allemand (race
principalement atteinte), la dénomination de « kératite pigmentaire
du berger allemand ».
On la rencontre également chez d’autres bergers (belges et écossais),
chez les chiens nordiques, certains lévriers, le caniche et le teckel.
Elle s’accompagne souvent, en particulier chez le berger allemand,
d’une infiltration lymphoplasmocytaire du bord libre de la
membrane nictitante, plus rarement d’un ulcère palpébral
médiocanthal et d’une kératoconjonctivite sèche au cours de
l’évolution.
L’origine dysimmunitaire de cette affection, dont le facteur
déclenchant est l’exposition aux rayons ultraviolets, a été prouvée
par des études immunohistochimiques et ultrastructurales.
Le traitement fait appel depuis longtemps à la corticothérapie
topique, plus récemment à la ciclosporine A.
De façon exceptionnelle, si la pigmentation recouvre la totalité de
la cornée, entraînant une cécité de l’animal, on peut être amené à
réaliser une kératectomie superficielle, les stromas moyen et
profond, n’étant pas atteints, restant donc parfaitement
transparents.
La maladie causale subsistant toutefois, le traitement médical et
hygiénique doit être poursuivi avec la plus grande régularité tout
au long de la vie de l’animal.
+ Kératoconjonctivite granulomateuse du chat
:
Elle se manifeste sans prédisposition de race ni de sexe sur des
animaux adultes, de façon uni- ou bilatérale, d’abord par une
conjonctive très douloureuse, puis par une forme de kératoconjonctivite granulomateuse rapidement vascularisée
progressant du limbe latéral vers le centre de la cornée.
L’aspect macroscopique souvent caractéristique est celui de lésions
en surélévation, recouvertes d’un enduit blanchâtre, ressemblant à
des taches de bougie.
Au plan histologique, le stroma superficiel est tout d’abord envahi
par des cellules de l’inflammation (lymphocytes, plasmocytes) des
histiocytes et des macrophages.
S’il est néovascularisé, l’épithélium est secondairement envahi.
Il n’y
a pas ou très peu de mélanocytes.
L’appellation kératite à ésinophiles ne se justifie que très
partiellement, compte tenu de leur rareté dans l’infiltrant cellulaire.
Des études ultrastructurales ont mis en évidence la présence de
particules virales du virus de l’herpès félin de type A dans un certain
nombre de lésions.
Le traitement fait appel à la corticothérapie topique ou, par voie
générale, à la ciclosporine A en pommade.
Compte tenu de l’origine virale suspectée, cette corticothérapie doit
se faire sous une surveillance attentive.
2- Ulcères de cornée
:
Comme dans toutes les espèces, les ulcères cornéens sont des
affections fréquentes.
Nous n’évoquerons ici que les formes typiques rencontrées chez les
carnivores et non liées à une origine dystrophique ou dysimmunitaire.
* Ulcères à collagénase chez le chien
:
Ce type d’ulcère est rencontré avec une fréquence, une rapidité et
une gravité d’évolution chez les petits brachycéphales (carlin,
pékinois, shi-tzu, Lhassa-apso).
Des bactéries, les cellules cornéennes elles-mêmes, sécrètent, en cas
d’atteinte de l’épithélium, une enzyme protéolytique : la collagénase.
Cette enzyme clive la molécule de collagène qui devient alors
sensible à l’action d’autres enzymes protéolytiques (la trypsine ou la
chymotrypsine), venant aggraver le processus d’ulcération.
La
désorganisation de la cornée peut aller jusqu’au ramollissement du
stroma qui devient glaireux : c’est la kératomalacie.
Les inhibiteurs de la collagénase peuvent empêcher cette action, on
utilise l’acétylcystéine et l’EDTA (éthylène-diamine-tétra-acétique)
sous forme d’édétate de sodium.
L’usage d’un agent inhibiteur de la collagénase est quasi
systématique en cas d’ulcération cornéenne.
Le traitement chirurgical peut s’envisager d’emblée pour certains
ulcères ou devenir nécessaire lorsque l’évolution ne se fait pas vers
la cicatrisation.
Dans ce cas, selon les compétences du vétérinaire,
on aura recours soit à une tarsorraphie (occlusion de la fente
palpébrale à l’aide de la membrane nictitante) ou à une greffe
conjonctivale, pédiculée ou non.
* Ulcères herpétiques
:
Ne sera ici décrite que la forme aiguë, rencontrée chez l’animal
souffrant de coryza (chat âgé de 5 à 8 mois chez lequel la forme
oculaire prédomine souvent sur les signes respiratoires).
L’envahissement de l’épithélium cornéen par l’herpès virus félin se
fait par l’intermédiaire des terminaisons nerveuses sensitives du nerf
ophtalmique.
Les ulcères sont épithéliaux, d’abord punctiformes puis
dendritiques, deviennent coalescents, en « carte de géographie »
comme chez l’homme.
Certains peuvent évoluer, en cas de
contamination bactérienne, vers l’ulcère stromal, voire la perforation
du globe.
Un vaccin contre l’herpès virose féline de type I est commercialisé
depuis longtemps, les antigènes vaccinaux étant associés à ceux de
la panleucopénie, des caliciviroses et éventuellement de la
chlamydiose.
La protection conférée contre les formes oculaires n’est
malheureusement pas complète.