Pancréatectomies avec conservation duodénale Cours de Chirurgie
Intérêt de la conservation duodénale
:
Le rôle du « pacemaker » duodénal dans la régulation de la motricité
gastrique est actuellement mieux connu.
La muqueuse duodénale a une
double fonction, endocrine et exocrine.
La fonction endocrine s’exerce
par l’intermédiaire d’hormones comme la motiline dont la sécrétion
augmente au début de la vidange gastrique et qui stimule les contractions
gastriques par l’intermédiaire du complexe moteur migrant.
D’autres
hormones ont un rôle freinateur de la vidange gastrique et leur sécrétion
est modulée par la composition physicochimique du bol alimentaire.
Les
sécrétions exocrines de la muqueuse duodénale, par leur pH alcalin, ont
un rôle de tampon de l’acidité gastrique et, de ce fait, protègent la
muqueuse intestinale.
Après duodénopancréatectomie céphalique ou duodénopancréatectomie
totale sans conservation du pylore, la vidange gastrique brutale à travers
la gastroentéroanastomose est à l’origine du dumping syndrome, lié à
l’hyperosmolarité sanguine induite par l’absorption trop rapide du bol
alimentaire.
Par ailleurs, même après vagotomie, l’existence d’une
sécrétion gastrique acide résiduelle expose au risque d’ulcère peptique.
La conservation du pylore, après duodénopancréatectomie céphalique
ou duodénopancréatectomie totale permet d’éviter le dumping
syndrome.
Ce type de montage, à l’opposé de la gastroentéroanastomose
classique, se complique fréquemment de parésie et de stase gastrique,
parfois invalidantes, liées à la suppression du « pacemaker » duodénal.
Pour minimiser cette parésie gastrique, il est recommandé de conserver
environ 2 cm du premier duodénum, afin de ne pas supprimer totalement la fonction endocrine de la muqueuse duodénale.
Néanmoins, le risque
d’ulcère peptique demeure ; cette complication apparaît toutefois moins
fréquente qu’après une anastomose gastrojéjunale.
Indications
:
Les principales indications d’une pancréatectomie avec conservation
duodénale sont représentées par les lésions bénignes (solides ou
kystiques) du pancréas, et notamment la pancréatite chronique fibrocalcifiante invalidante.
C’est l’étendue de ces lésions sur la glande pancréatique qui conditionne
le caractère total, subtotal ou segmentaire céphalique de la résection.
En ce qui concerne la pancréatite chronique, l’indication opératoire est
portée devant la persistance ou la récidive de la symptomatologie
douloureuse, ou encore en raison d’une complication évolutive de la
maladie (sténose biliaire, sténose duodénale, hypertension portale par
compression veineuse mésentéricoporte, pseudokystes).
La douleur de la pancréatite chronique est essentiellement secondaire à
l’hyperpression et à la distension du système canalaire pancréatique en
amont d’un obstacle canalaire (calcul ou sténose fibreuse).
L’atteinte des
plexus nerveux coeliaque et mésentérique, secondaire aux poussées
inflammatoires pancréatiques, joue également un rôle.
Chez les malades
déjà opérés par pancréatectomie corporéocaudale ou par dérivation
wirsungojéjunale (techniques de Puestow ou de Partington-Rochelle),
la récidive des douleurs est expliquée par l’obstruction et la distension
persistantes des canaux pancréatiques accessoires (Santorini et canal de
l’uncus) situés dans le segment céphalique de la glande.
C’est pourquoi,
en l’absence d’une dysfonction du montage chirurgical antérieur, le
recours à une pancréatectomie totale ou subtotale avec conservation
duodénale est proposé comme solution thérapeutique.
Chez les
malades qui n’ont pas été opérés au préalable pour leur pancréatite
chronique, les pancréatectomies segmentaires céphaliques se sont
imposées comme procédure initiale.
En effet, ces techniques, qui
permettent un drainage complet du système canalaire du pancréas,
donnent de meilleurs résultats à long terme que les simples dérivations
wirsungojéjunales.
Le diagnostic différentiel avec une lésion tumorale maligne doit rester
une préoccupation de premier plan.
Un adénocarcinome du pancréas
peut se développer au sein d’une pancréatite chronique, ou à l’inverse dans sa localisation céphalique avec sténose du canal de Wirsung, cet
adénocarcinome peut être responsable d’une pancréatite chronique
d’amont.
L’imagerie préopératoire trouve ici tout son intérêt, ainsi que
le dosage des marqueurs tumoraux et notamment du CA 19-9 dont
l’augmentation, en dehors d’une hépatopathie ou d’une cholestase, est
évocatrice de lésion pancréatique maligne sous-jacente.
Bien que la
découverte d’une lésion maligne du pancréas céphalique soit a priori une
contre-indication à la conservation duodénale, une exception peut être
faite, comme cela a été récemment montré, pour les adénocarcinomes mucineux endocanalaires, à condition que la tumeur soit localisée à un
court segment duWirsung céphalique, à distance de l’ampoule de Vater
et non infiltrante.
L’indication d’une pancréatectomie avec conservation duodénale n’est
retenue finalement qu’en peropératoire, au vu des lésions pancréatiques.
En effet, si la glande apparaît le siège de remaniements scléroinflammatoires
majeurs, éventuellement associés à un cavernome portal
secondaire à une thrombose de la veine porte, il est illusoire d’envisager
une pancréatectomie et a fortiori une pancréatectomie avec conservation
duodénale.
Techniques
:
A - Pancréatectomie totale
avec conservation duodénale :
La voie d’abord, ainsi que les différents temps de l’exploration, restent
identiques à ceux décrits pour la duodénopancréatectomie totale.
Si le corps et la queue du pancréas n’ont pas été réséqués lors d’une
intervention antérieure, est réalisé un décollement splénopancréatique
corporéocaudal de gauche à droite jusque sur le bord droit de la veine
porte, selon la technique conventionnelle.
La face antérieure du bloc duodénopancréatique céphalique est exposée par abaissement du côlon
transverse, l’estomac est récliné vers le haut.
La résection de la tête du pancréas est réalisée au ras du cadre duodénal
par un véritable déjantement.
Cette résection nécessite le sacrifice de
l’arcade vasculaire duodénopancréatique antérieure, qui est
indisséquable par rapport au pancréas.
L’artère hépatique, au bord
supérieur du pancréas isthmique, est mise sur lacs.
L’artère gastroduodénale est clivée par rapport au pancréas dans son trajet
rétroduodénal et peut être préservée, ainsi que l’artère gastroépiploïque droite.
L’artère pancréaticoduodénale antérosupérieure est liée en aval
de l’artère gastroépiploïque droite.
Cette dissection permet de
conserver la vascularisation du premier duodénum par les branches
duodénales de l’artère gastroépiploïque droite et, pour une part, l’artère
pylorique, le drainage veineux étant assuré par l’arcade vasculaire
épiploïque droite.
La face antérieure de l’uncus pancréatique et du troisième duodénum est
ensuite disséquée par rapport à la face postérieure de la veine
mésentérique inférieure.
La pointe de l’uncus pancréatique est libérée et
toutes les veines de drainage pancréatique, sur le bord droit de l’axe
veineux mésentéricoporte, sont liés, de l’uncus en bas jusqu’au bord
supérieur de l’isthme pancréatique en haut, ce qui permet d’aborder par
l’avant la lame rétroportale.
Le déjantement duodénal est ensuite débuté à la pointe de l’uncus et se
poursuit, de gauche à droite, sur le bord supérieur du troisième
duodénum, avec section ligature des petites branches vasculaires
pancréaticoduodénales issues de l’arcade vasculaire duodénopancréatique
antéro-inférieure.
Lors de cette dissection, la
partie inférieure de l’uncus et du pancréas céphalique est attirée à l’aide
de fils tracteurs vers l’avant et la droite, ce qui laisse apparaître, en
arrière, le tissu conjonctivovasculaire rétropancréatique céphalique,
prolongeant vers la droite la lame rétroportale et au sein duquel
cheminent l’artère et les veines pancréaticoduodénales postéroinférieures.
Il est préférable de ne pas pratiquer, au préalable, de
manoeuvre de Kocher, afin de préserver ce segment d’arcade pancréaticoduodénale postéro-inférieure, notamment sa composante
artérielle provenant de l’artère mésentérique supérieure qui assurera la
vascularisation des troisième et quatrième portions duodénales.
La dissection est ensuite poursuivie vers le haut et le long du bord interne
de la partie inférieure du deuxième duodénum, en respectant toujours la
lame conjonctivovasculaire rétropancréatique céphalique formée par les
attaches péritonéales de la face postérieure du bloc duodénopancréatique
avec la face antérieure de la veine cave inférieure
rétropancréatique.
Ceci permet de conserver de petits vaisseaux destinés
à la face postérieure du deuxième duodénum.
En effet, le clivage de
l’arcade vasculaire pancréaticoduodénale postéro-inférieure par rapport
au pancréas ne peut pas être poursuivie au-delà du genu inferius.
Le déjantement du deuxième duodénum sacrifie cette arcade
duodénopancréatique postérieure qu’il faut se résoudre à lier et à
sectionner, en bas au niveau du genu inferius et en haut au niveau du
genu superius.
Avant de débuter le déjantement du deuxième duodénum, il est
préférable de repérer, au préalable, la papille duodénale qui se situe à un
niveau variable sur la hauteur du deuxième duodénum, l’abouchement
pouvant même se faire au niveau du genu inferius, voire sur la partie
gauche du troisième duodénum.
Après cholécystectomie, le repérage de
la papille et également du cholédoque intrapancréatique est assuré par
un dilatateur de Bakès introduit par voie transcystique et poussé jusque dans le duodénum par voie transpapillaire.
Cette manoeuvre peut être
précédée, en cas de dilatation de la voie biliaire principale, de suspicion
de lithiase biliaire ou de sténose cholédocienne, d’une cholangiographie
peropératoire à l’aide d’un drain transcystique.
Lors du déjantement du
deuxième duodénum, l’ampoule de Vater apparaît comme une zone de
consistance fibreuse comportant des lacs vasculaires.
Le canal de
Wirsung est repéré en amont de la papille, lors de la dissection du bord
inférieur et interne du cholédoque suprapapillaire, il est alors suturé à
l’aide de fils monofilaments fins non résorbables.
La dissection est ensuite poursuivie vers le haut par clivage du
cholédoque intra- et rétropancréatique laissé en arrière, le pancréas
céphalique étant toujours attiré vers le haut et l’avant.
La
principale difficulté réside dans la dissection du cholédoque intrapancréatique, avec le risque d’une plaie de la voie biliaire.
Si la
dissection par voie antérieure du cholédoque intrapancréatique s’avère
difficile, compte tenu d’un long trajet intrapancréatique du cholédoque,
il peut être utile d’aborder cette dissection par l’arrière en effectuant un
décollement duodénopancréatique limité à la partie supérieure du bloc
duodénopancréatique, de façon à préserver au maximum la lame
conjonctivovasculaire rétropancréatique.
Le cholédoque est alors repéré
facilement en arrière du premier duodénum et le clivage de la face
postérieure du cholédoque intrapancréatique est assuré progressivement
à l’aide d’un dissecteur à angle droit, de façon à individualiser et
sectionner la languette pancréatique rétrocholédocienne, de haut en bas
jusqu’à l’ampoule deVater.
Lors de la dissection du cholédoque intra- et rétropancréatique, que ce soit par voie antérieure ou postérieure avec
manoeuvre de Kocher partielle, une attention toute particulière est portée
à l’artère pancréaticoduodénale postérosupérieure qui doit être respectée
puisqu’elle assure la vascularisation du premier duodénum, de la partie
supérieure du deuxième duodénum et également du cholédoque.
Une
fois ces précautions prises, le déjantement du premier duodénum, et du
deuxième duodénum dans sa partie supérieure, est ensuite aisé.
Il faut
néanmoins tenir compte d’un éventuel canal accessoire de Santorini qui
doit être suturé sur son versant duodénal.
Au terme de cette résection, le deuxième duodénum peut apparaître de
couleur bleutée, qui est le plus souvent témoin d’une stase veineuse
plutôt que d’une ischémie.
La recherche d’une plaie biliaire ou
duodénale doit être systématique par une épreuve au bleu de méthylène
ou une cholangiographie effectuées à l’aide d’un drain biliaire
transcystique.
Une petite effraction du cholédoque ou du duodénum peut
être suturée, en laissant en place un drainage biliaire externe associé à
une aspiration gastrique.
Si, au terme de cette résection, le cadre
duodénal, et notamment le deuxième duodénum, apparaît de vitalité
douteuse, et ce d’autant que les circonstances de la dissection n’ont pas
permis la conservation des arcades duodénopancréatiques postérieures
et du pédicule vasculaire gastroépiploïque droit, une résection
duodénale et cholédocienne s’impose, avec rétablissement de la
continuité comme dans les suites d’une duodénopancréatectomie totale
(DPT).
Après hémostase locale, le drainage est assuré par un drain multitubulé siliconé, disposé en sous-hépatique et extériorisé au niveau
du flanc droit, ainsi que par un drain du même type dans l’hypocondre
gauche, dans le cas où une splénopancréatectomie corporéocaudale
n’avait pas été réalisée antérieurement.
Le risque majeur de cette technique est représenté par les fistules
duodénales ou biliaires secondaires à une petite plaie méconnue au cours
de l’intervention.
Le risque de fistule d’origine ischémique par chute
d’escarre est moindre.
En revanche, l’ischémie due à la dévascularisation relative du deuxième duodénum, et surtout de
l’ampoule de Vater, est à l’origine de sténoses oddiennes et du bas
cholédoque qui se révèlent, dans les premiers mois postopératoires, par une cholestase et des épisodes d’angiocholite.
Le traitement sera
assuré par une anastomose hépaticojéjunale par anse en Y.
La pancréatectomie totale avec conservation duodénale, par rapport à la DPT, évite les anastomoses biliaire et digestive et leurs complications.
Par ailleurs, la conservation du duodénum, du fait de l’absence de
troubles de la vidange gastrique, permet une meilleure équilibration du
diabète induit, minimisant notamment le risque d’hypoglycémie grave.
B - Pancréatectomie subtotale avec
conservation duodénale :
Cette technique, par rapport à la pancréatectomie totale, conserve le
pancréas céphalique situé dans le triangle formé par le cholédoque intrapancréatique en bas et à gauche, le premier duodénum en haut et la
partie supérieure du deuxième duodénum à droite.
Elle a été
préconisée et décrite par Mercadier.
Elle a l’avantage d’assurer une meilleure préservation de la
vascularisation du deuxième duodénum, et en particulier de la
vascularisation de l’ampoule de Vater, ce qui évite les complications
ischémiques de la pancréatectomie totale avec conservation duodénale.
Les premiers temps de l’intervention sont en tout point identiques à la
pancréatectomie totale avec conservation duodénale.
Le tronc veineux mésentéricoporte est séparé du pancréas.
L’uncus et la
partie inférieure du pancréas céphalique sont séparés du troisième
duodénum de la même manière, par traction vers le haut et l’avant.
La
lame conjonctivovasculaire rétropancréatique est préservée, ainsi que
l’artère pancréaticoduodénale postéro-inférieure.
Le cholédoque intrapancréatique et la papille duodénale sont repérés à l’aide d’un
dilatateur de Backès.
Après mise sur lacs de l’artère hépatique au bord
supérieur de l’isthme pancréatique et repérage de l’artère gastroduodénale, la section de la tête du pancréas s’effectue au bistouri
froid, en partant du bord supérieur du pancréas, immédiatement à gauche
de l’artère gastroduodénale, puis en suivant un trajet curviligne distant
de 0,5 à 1 cm par rapport au bord interne du premier et du deuxième
duodénum jusqu’au genu inferius.
L’artère duodénopancréatique
antérosupérieure et l’arcade duodénopancréatique
postérieure sont ainsi préservées.
Cette section pancréatique céphalique
laisse, vers le haut et la droite, le cholédoque intrapancréatique qui est
décomprimé par dissection de ses faces antérieure, gauche et
postérieure.
Le canal deWirsung, ainsi qu’un éventuel canal accessoire de Santorini,
sont repérés sur la tranche de section pancréatique et soigneusement
suturés par des points de fil non résorbable.
La tranche de section
pancréatique est ensuite suturée aux points séparés en prenant garde de
ne pas prendre dans ces points les arcades vasculaires duodénopancréatiques ou le cholédoque.
La fin de l’intervention est menée de la même manière que la
pancréatectomie totale avec conservation duodénale, en s’assurant de la
même façon de l’absence de plaie au niveau du cholédoque.
Dans cette
éventualité, la plaie cholédocienne est suturée et un drain biliaire externe
transcystique est laissé en place.
Dans le cas d’une sténose oddienne avec dilatation de la voie biliaire
principale objectivée par la cholangiographie peropératoire, deux
options sont possibles pour assurer le drainage biliaire.
La première
consiste à ouvrir longitudinalement le cholédoque supravatérien sur
environ 2 ou 3 cm, cette cholédochotomie est maintenue béante par
quelques points entre les berges du cholédoque et la tranche de section
pancréatique, puis une anse jéjunale est montée enYet anastomosée en
terminolatéral sur la tranche de section pancréatique.
La
deuxième solution, qui est préférable en cas de trajet intrapancréatique
court du cholédoque, consiste à réaliser une anastomose
hépaticojéjunale terminolatérale ou latérolatérale entre le canal
hépatique et une anse jéjunale montée en Y.
C - Pancréatectomie céphalique segmentaire subtotale
avec conservation duodénale
:
Cette intervention a été décrite par Beger.
Elle s’adresse aux malades
porteurs d’une pancréatite chronique. Cette opération consiste à réaliser
une résection subtotale de la tête du pancréas en laissant en place le pancréas corporéocaudal, l’estomac, le duodénum, l’arbre biliaire
extrahépatique.
Une anse jéjunale est montée en Y et anastomosée
successivement sur la tranche de section du pancréas corporéocaudal et
sur la tranche de section du pancréas céphalique.
Cette technique permet, comme les pancréatectomies totale et
subtotale avec conservation duodénale, de lever une sténose
duodénale ou cholédocienne intrapancréatique et également de
décomprimer l’axe veineux mésentéricoporte tout en conservant le
« pacemaker » duodénal.
L’avantage essentiel est la préservation maximale des fonctions
pancréatiques endocrine et exocrine résiduelles par la conservation du
pancréas corporéocaudal.
La résection du pancréas céphalique emporte les systèmes canalaires
accessoires (Santorini et canal de l’uncus), source de récidive
douloureuse, par leur obstruction persistante après simple dérivation
wirsungojéjunale.
Une variante technique est représentée par l’opération de Frey où seule
la partie antérieure du pancréas céphalique est réséquée.
1- Opération de Beger
:
Cette intervention comporte trois phases.
* Exposition
:
La tête du pancréas est exposée par décollement coloépiploïque droit
et section du ligament duodénocolique.
Le duodénum est mobilisé
par une manoeuvre de Kocher, ce qui permet de décomprimer le genu
superius.
En effet, chez les patients porteurs d’une pancréatite
chronique avec sténose duodénale, il existe très souvent une bride
entre le duodénum au niveau du genu superius et le rétropéritoine,
constituée par le péritoine pariétal épaissi par une fibrose
inflammatoire.
Le genu superius est ainsi comprimé entre cette bride
fibreuse en haut et la tête du pancréas hypertrophiée en bas.
La
section de cette brise, lors de la manoeuvre de Kocher, permet au
duodénum de fuir vers le haut et ainsi de lever la sténose duodénale.
La veine porte et la veine mésentérique supérieure sont disséquées
au-dessus et en dessous du pancréas isthmique.
Après clivage de la
face postérieure de l’isthme par rapport à la face antérieure de la confluence veineuse mésentéricoporte, l’isthme pancréatique est mis
sur lacs.
L’artère hépatique est repérée et mise sur lacs au bord
supérieur du pancréas isthmique.
* Résection subtotale de la tête du pancréas
:
L’isthme pancréatique est sectionné au bistouri froid, une hémostase
soigneuse du versant corporéal de la tranche de section pancréatique doit
être réalisée, de préférence à l’aide de points en X plutôt qu’au bistouri
électrique.
La pancréatectomie céphalique subtotale est ensuite menée selon la
même technique que celle décrite pour la pancréatectomie subtotale
avec conservation duodénale, laissant en place un croissant de pancréas
céphalique sur le cadre duodénal.
L’hémostase est également très
soigneuse sur cette tranche de section pancréatique céphalique.
De la même façon, s’il persiste une sténose oddienne ou cholédocienne
basse après la décompression du cholédoque, celui-ci est ouvert
longitudinalement dans son trajet intrapancréatique et cette
cholédochotomie, maintenue largement ouverte par des points sur ses
berges, est incluse dans l’anastomose pancréaticojéjunale latérolatérale,
entre l’anse jéjunale interposée et le pancréas céphalique
restant.
* Reconstruction par anse jéjunale interposée et
double anastomose pancréaticojéjunale :
La première anse jéjunale, prélevée à environ 40 cm de l’angle deTreitz,
est montée en transmésocolique pour être interposée entre les deux
tranches de section pancréatique céphalique et corporéale.
L’extrémité de cette anse jéjunale est anastomosée à la tranche de
section du pancréas corporéocaudal restant.
Cette première anastomose pancréaticojéjunale peut être confectionnée en terminoterminal ou en
terminolatéral selon qu’il y a ou non congruence entre les diamètres
respectifs de l’anse jéjunale et de la tranche de section du pancréas
corporéocaudal.
Dans le cas de sténoses canalaires étagées du pancréas corporéocaudal,
le Wirsung est incisé longitudinalement sur la face antérieure du
pancréas et l’anastomose réalisée est une anastomose pancréaticojéjunale
latérolatérale, selon la technique de Puestow.
L’anse jéjunale interposée est ensuite anastomosée en latérolatéral avec
la tranche de section du pancréas céphalique restant. Cette anastomose
inclut la bouche biliaire constituée par une éventuelle cholédochotomie
suprapapillaire.
Dans ce cas, la muqueuse jéjunale est suturée sur
les berges de cette cholédochotomie.
Le rétablissement de la continuité digestive est ensuite assuré par une
anastomose jéjunojéjunale, au pied de l’anse.
Les complications postopératoires sont peu fréquentes (6 %).
Ce sont les
complications de la pancréatectomie subtotale, auxquelles s’ajoutent les
complications inhérentes aux anastomoses pancréaticojéjunales (fistule
anastomotique, hémorragie digestive).
Néanmoins, les résultats à long
terme sont bons, avec disparition de la symptomatologie douloureuse
dans 80 % des cas et conservation ou altération mineure des fonctions
pancréatiques endocrine et exocrine préexistantes à l’intervention.
2- Opération de Frey
:
Cette technique peut être considérée comme une variante de l’opération
de Beger.
Seule la partie antérieure de la tête du pancréas est réséquée,
avec ouverture ou résection du canal de Wirsung céphalique et des
canaux accessoires (Santorini et canal de l’uncus).
Une lame
pancréatique céphalique postérieure est laissée en place.
Le Wirsung corporéocaudal est ouvert sur toute sa longueur par incision de la face
antérieure du pancréas.
L’anse jéjunale montée est ventousée
sur la totalité de la wirsungotomie corporéocaudale et sur le pourtour de
la zone de pancréatectomie céphalique antérieure, formant ainsi une
seule anastomose pancréaticojéjunale.
Comme dans la
technique de Beger, le cholédoque intrapancréatique est décomprimé et,
en cas de sténose oddienne ou du bas cholédoque persistante, une
cholédochotomie peut être incluse dans cette anastomose afin d’assurer
le drainage biliaire.
La morbidité et les résultats à long terme de cette technique ne semblent
pas différents de ceux de la technique de Beger.
Cependant, une
récente étude prospective randomisée, comparant ces deux techniques,
a montré une morbidité de 20 % pour l’opération de Beger (fistules
pancréatiques et digestives) et de 9 %pour l’opération de Frey.
Cette
étude, néanmoins, confirme la bonne qualité des résultats à long terme
qui est équivalente dans les deux groupes de malades.
Plus récemment, Takada et al ont rapporté une courte série de
pancréatectomies céphaliques vraies ne laissant pas de tissu
pancréatique sur le bord interne du cadre duodénal.
Quatre points
semblent essentiels pour y parvenir :
– conserver l’intégrité de l’artère gastroduodénale et ne sectionner que
l’origine de l’arcade artérielle antérieure et supérieure ;
– ne pas faire de manoeuvre de Kocher pour préserver les capillaires qui,
issus du péritoine pariétal postérieur, participent à la vascularisation du
deuxième duodénum ;
– conserver l’arcade vasculaire inférieure et postérieure qui chemine au
bord interne du deuxième et du troisième duodénum ;
– ne pas disséquer le cholédoque dans le pédicule hépatique afin que la
portion intrapancréatique, véritablement mise à nu lors de la dissection,
reste vascularisée à partir de rameaux sous-muqueux issus de l’artère
hépatique droite.
Le rétablissement de la continuité pancréaticodigestive est assuré par la
confection d’une anastomose pancréatico- ou wirsungoduodénale au
bord interne du deuxième duodénum.
Cette anastomose est, dans
l’expérience des auteurs, intubée à l’aide d’un drain extériorisé à la paroi
antérieure de l’estomac.
Ces recommandations témoignent du risque ischémique pour le
duodénum, et surtout pour la papille, du déjantement duodénal au cours
d’une telle pancréatectomie céphalique totale avec conservation
duodénale.
Par ailleurs, les remaniements fibro-inflammatoires,
fréquemment observés dans la pancréatite chronique et notamment à la
face postérieure du pancréas céphalique, ne facilitent pas la préservation
des arcades vasculaires duodénopancréatiques.
C’est pourquoi, parmi
ces trois techniques de pancréatectomie segmentaire céphalique avec
conservation duodénale, notre préférence va à l’opération de Beger qui
ne comporte pas de risque de dévascularisation duodénale et qui nous
semble assurer une meilleure décompression portale que l’opération de
Frey.
D - Pancréatectomie segmentaire isthmique
avec conservation duodénale
:
Cette technique a été décrite la première fois, en 1957, par Guillemin et Bessot.
En 1959, Letton et Wilson l’ont appliquée aux
traumatismes du pancréas.
Réalisée dans le but d’une résection
pancréatique économe, afin de préserver au maximum les fonctions
endocrine et exocrine du pancréas, la pancréatectomie segmentaire
isthmique est actuellement préconisée pour les lésions bénignes, kystiques ou solides, de l’isthme du pancréas : cystadénomes séreux ou
mucineux bénins, tumeurs endocrines non énucléables situées sur le
trajet ou à proximité du canal de Wirsung, ectasie mucineuse
intracanalaire localisée. Ces lésions peuvent être plus ou moins
étendues au corps du pancréas.
L’arrière-cavité des épiploons est
abordée par un large décollement coloépiploïque.
Le mésocôlon
transverse est abaissé et l’estomac est récliné vers le haut.
L’isthme et le
corps du pancréas sont ainsi parfaitement exposés, ce qui permet de
préciser les limites de la lésion pancréatique.
L’artère hépatique
commune et l’artère splénique sont disséquées au bord supérieur du
pancréas isthmique et corporéal, puis mises sur lacs.
L’isthme du pancréas est clivé par rapport à la face antérieure de la
confluence veineuse mésentéricoporte.
Les rapports de la lésion
pancréatique avec le canal deWirsung sont appréciés, en peropératoire,
à l’aide d’une wirsungographie par ponction canalaire directe ou, mieux
encore, par une échographie pancréatique.
L’échographie peropératoire
se révèle particulièrement utile lorsqu’il s’agit d’une petite tumeur
contiguë au canal de Wirsung dont l’énucléation simple exposerait au
risque de lésion canalaire.
L’isthme pancréatique est sectionné.
Le
clivage de l’isthme et du corps du pancréas par rapport à la veine
splénique est ensuite réalisé de droite à gauche, plus ou moins loin selon
les besoins de l’exérèse. Le pancréas corporéal est finalement sectionné
en zone saine.
L’examen anatomopathologique en extemporané de la
pièce de pancréatectomie isthmique ou isthmocorporéale permet de
préciser la nature histologique de la lésion, ainsi que l’absence
d’envahissement au niveau des deux tranches de section.
Le moignon
pancréatique céphalique est suturé aux points séparés de fils résorbables,
après occlusion du Wirsung par une bourse de fil non résorbable.
Le
rétablissement de la continuité au niveau de la tranche de section
pancréatique corporéocaudale peut être effectué, soit par anastomose
pancréaticojéjunale sur anse en Y, soit par anastomose
pancréaticogastrique.